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Noémie Hollemechette

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Adieu Belgique!

Ostende, le 13 septembre.

NOUS sommes encore à Ostende que nous devions quitter depuis trois jours: mais nous avons trouvé le moyen de donner de nos nouvelles à papa, et maman croyait que nous aurions une réponse. Nous allons tout de même partir demain matin pour Dunkerque. Les Allemands approchent, et la vieille dame aux lunettes veut que maman aille en France.

La vieille dame aux lunettes est tellement bonne avec nous que nous ne savons que faire pour elle. Barbe est très obéissante, et moi je lui aide à bobiner ses écheveaux de laine.

Elle ne rit jamais, mais ses yeux sont si bons quand elle vous regarde qu’on n’aurait jamais envie de lui faire de la peine.

Quand Phœbus est venu la première fois ici, elle est allée jusqu’à la porte pour le voir; il marchait si drôlement, le pauvre Phœbus! Il ne voulait pas de sa patte de bois, il la mordait! Elle dit bonjour à Phœbus, comme s’il avait été une vieille connaissance; elle le conduisit dans la cuisine où elle lui servit une bonne pâtée, sans trop de viande, car la viande est seulement pour les soldats. Il se coucha aussitôt sur un coussin et resta bien sage sous les rayons du soleil.

Maman, qui avait pu retrouver à Ostende Phœbus et Louis Gersen, continua ses recherches pour savoir de quelle manière elle pourrait revoir papa et Madeleine.

Elle nous laissait avec Mme Beulans qui racontait de belles histoires à Barbe. Ces histoires étaient si jolies que je les écoutais attentivement; une fois je lui demandai comment elle en savait tant, elle me répondit:

«Ce sont des histoires françaises que j’ai lues dans un livre appelé les Contes de Perrault, et puisque Noémie aime à lire, je lui donnerai ce volume qui est là dans la bibliothèque de mes enfants.»

Hier, maman nous a emmenées avec elle, car le commandant de la place lui avait dit qu’il envoyait des soldats à Bruxelles.

Nous sommes allées au «Quartier général» comme maman a dit. Je lui ai demandé ce que c’était que le quartier général. Elle m’a expliqué que c’était l’endroit où le Roi résidait lorsqu’il n’était pas à se battre, et où il recevait ses généraux, ses officiers, et les boy-scouts qui avaient des missions pour lui.

La Reine y était aussi.

Quand nous sommes arrivées, comme on connaissait déjà maman, on l’a conduite chez un commandant français qui était très gros, avec des cheveux blonds et des yeux bleus. Il était devant une petite table sur laquelle il y avait plein de papiers. Il nous regarda toutes les deux, Barbe et moi, et je suis sûre qu’il avait des larmes dans les yeux; pourtant, il avait un ton dur en parlant.

«Le mieux que vous ayez à faire, dit-il à maman, c’est d’aller en France. Vous me laisserez bien votre nom et, dès que vous changerez de domicile, vous enverrez votre adresse au quartier général, où tous les Belges doivent passer. Si votre mari et votre fille quittent Bruxelles, ce qui est probable, ils viendront ici et on vous les enverra.

– Mon Dieu, vous croyez que je les retrouverai?

– Sûrement, cela ne fait aucun doute.

– Mais comment vous remercier?

– Laissez-moi embrasser vos petites filles.»

Il nous embrassa toutes les deux, mais très vite, et aussitôt après, il cria très fort à un petit boy-scout qui était près de la porte:

«Dis donc, toi, fais entrer la première personne qui attend, et vivement.»

Une femme en pleurs entra.

«Monsieur le commandant, Monsieur le commandant, j’ai perdu mes enfants, j’ai perdu mes enfants!

– Vous êtes complètement folle. Expliquez-vous clairement. Asseyez-vous.

– Voilà. Nous avons fui de Tirlemont, où les Prussiens sont entrés un soir. J’ai pris mes enfants dans mes bras, un garçon de cinq ans et une petite de trois ans, et puis ma vieille mère qui, elle, portait un paquet de vêtements et notre pie dans une cage me suivait.

– Une pie? interrompit le major.

– Oui, Monsieur le major, une pie. Je ne sais pas comment cela est arrivé, mais enfin ma mère portait sa pie.

– Et puis après?

– J’étais très malade depuis bien des mois; alors, tout à coup, en courant, je suis tombée et j’ai perdu connaissance; quand je suis revenue à moi, il faisait complètement nuit et j’étais seule…»

Maman pleurait, le commandant toussait et la femme continua:

«Je me suis mise à marcher; sur la route j’ai rencontré un paysan qui avait des sacs de pommes de terre dans sa voiture. Il m’a fait asseoir à côté de lui et nous sommes enfin arrivés à Ostende après avoir passé par beaucoup d’endroits. Depuis hier au soir, je cours partout. Mes petits, mes petits?»

Alors le commandant lui fit dire comment étaient ses enfants, leur nom et lui promit de s’en occuper.

Maman voulait sortir avec la femme. Barbe tirait maman et voulait retourner voir Phœbus qu’on avait laissé tout seul.

En revenant, nous avons suivi toute la digue. Il faisait un beau soleil et, sur le sable, une quantité de petits enfants s’amusaient à faire des pâtés. Barbe voulait jouer. Maman, qui avait l’air bien triste et qui désirait rentrer pour tâcher de quitter Ostende le soir même me dit:

«Non, non; je veux encore aller ce soir à la caserne où sont les artilleurs, pour savoir s’il n’y a pas des nouvelles…»

Nous avons suivi l’avenue Léopold, puis la rue Henri-Serruys.

Barbe tenait maman par la main, dans l’autre elle avait sa fille Francine.

Elle commença par nous demander ce que c’était qu’une pie.

«C’est un oiseau noir avec un long bec qui répète tout ce qu’on dit et qui parle sans s’arrêter.

– Alors, dit Barbe, cette pie, elle pourrait dire où sont les petits enfants de cette dame.

– Oui, seulement la pie doit être morte.

– Pourquoi est-elle morte?

– Mais, parce qu’on l’aura laissée dans un village ou une ville pour ne pas en être embarrassé.

– Oh! la pauvre pie!»

Tout à coup je vis, accrochée à une fenêtre, une cage dans laquelle était une pie qui ne cessait de tourner en rond.

«Tiens, regarde, Barbe, voilà une pie.

– Je veux voir la pie, je veux voir la pie!»

Maman s’approcha et prit Barbe dans ses bras pour la lui montrer de plus près.

La pie s’arrêta de tourner; elle regarda Barbe et puis elle se mit à crier:

«Beau, beau, beau!

– Oh! la belle pie, dit Barbe.

– Paire, paire, paire!

– Qu’est-ce qu’elle crie?

– Beau, beau, beau», reprit la pie.

Comme nous parlions un peu fort, une vieille femme sortit devant la porte et nous dit:

«Oh! vous regardez ma vieille pie, elle ne peut prononcer que ces deux mots…

– Mais, madame, il y a longtemps que vous avez cette pie?

– Oh! oui, au moins cinq ans.

– Elle semble bien gaie.

– Bien gaie, la pauvre bête! La voilà en cage. Elle n’est plus à la campagne…

– A la campagne! Elle n’est pas habituée à la ville?

– Oh! non, ma pauvre dame; je viens de Tirlemont et j’ai mes petits-enfants avec moi.

– Vos petits-enfants? Et votre fille, où est-elle?

– Ma fille, et la vieille femme se mit à pleurer, je l’ai perdue, elle est sans doute morte!

– Morte? Vous en êtes certaine? demanda maman.

– C’est sûr, allez! Je l’ai laissée sur une route, tombée morte, morte!»

J’avais envie de lui dire que nous l’avions vue, sa fille, mais comme maman ne parlait pas, je lui serrai la main. Maman se contenta aussi de me regarder et me dit tout bas: «Attends, il ne faut pas l’émotionner trop.

– Madame, écoutez, je vais peut-être pouvoir vous donner des nouvelles. J’ai vu quelqu’un qui venait de Tirlemont…

– Oh! oui, moi aussi j’en ai vu des gens qui venaient de Tirlemont! Et c’étaient des menteurs et des espions qui voulaient prendre mes petits-enfants… Mais je les garde… je les garde!»

La pie continua à chanter: Beau, beau, beau, paire, paire, paire.

«Mais qu’est-ce qu’elle dit, la pie?

– Elle répète le nom de ma fille Beaurepaire! Pauvre bête!»

Maman dit adieu à la femme qui continuait de pleurer. Et maman prit Barbe et nous emmena très vite au quartier général pour parler au commandant de la pie que nous avions trouvée. Le commandant était auprès du Roi; une foule de soldats étaient là, avec des officiers, des automobiles, et des gens qui arrivaient de tous les côtés.

«Vous savez, les Allemands sont entrés dans Bruxelles, ils ont tout pillé…

– Non, non, pas à Bruxelles, ils ont seulement fait une entrée imposante; c’est Namur qui est brûlé… Oui, et ils avancent sur nous, ils seront demain à Ostende…

– A Ostende… Oh! avant qu’ils y soient! Il y a les Anglais.

– Oui, les Anglais.»

Enfin on entendait tout à la fois, c’était effrayant. Personne ne voulait nous écouter. Barbe s’était endormie sur l’épaule de maman. Moi, je tenais Francine et je me disais que deux mois auparavant nous étions si heureux dans notre cher pays et qu’aujourd’hui personne n’était épargné en Belgique…

Maman nous a ramenées chez la vieille Mme Beulans et nous a couchées. Elle m’a raconté qu’elle était allée le soir chercher la pauvre maman qui avait perdu ses petits enfants et qu’elle l’avait conduite dans la maison de la pie. La pauvre femme était malade de joie et elle est tombée par terre d’émotion. Il a fallu faire venir un médecin qui l’a très bien soignée. Moi, je crois que c’est maman qui l’a guérie, parce que maman est tellement bonne.

C’est ce qu’a dit Mme Beulans ce matin, et elle a ajouté que sûrement maman serait malade si elle continuait à se faire tant de «mauvais sang» et à tant s’occuper des autres.

Dunkerque, le 15 septembre.

Quel voyage nous venons de faire! Nous apprenons chaque jour de terribles nouvelles de la guerre.

 

Mais il faut que je raconte d’abord comment nous sommes arrivées ici, à Dunkerque.

Mme Beulans et maman avaient décidé que nous irions en bateau à Nieuport; il en partait chaque jour remplis de réfugiés; il fallait s’inscrire et chacun à son tour s’embarquait avec ses paquets et ses enfants.

Ce fut une affaire avec Phœbus! Seulement, comme il est très gentil et qu’il a une si bonne tête, personne ne disait rien, sauf une femme qui était vraiment méchante, car elle criait que c’était «ridicule» de traîner un chien avec soi, qu’on n’avait qu’à le laisser mourir avec les autres, avec ceux qui étaient restés à la maison.

«Ah! la maison, elle a été brûlée, entièrement brûlée!»

Comme elle criait, un soldat qui aidait à l’embarquement lui dit de se taire, que sans cela on la mènerait devant le commandant. Alors seulement, elle se calma.

Les bateaux étaient à la file les uns des autres, le long de la digue, et dès qu’il y en avait un qui était plein, il partait; on tenait une quarantaine de personnes dans une embarcation.

Mme Beulans nous a accompagnées, et elle est restée avec nous jusqu’au dernier moment.

Elle pleurait en nous embrassant. Barbe lui entourait le cou de ses deux petites mains, en lui promettant d’être bien sage désormais.

«Oui, tu es un gentil petit bébé, obéis bien à ta maman et, lorsque tu reverras ton papa, il sera très content!»

Maman tenait Barbe d’une main et moi de l’autre; j’avais pris Phœbus qui marchait difficilement. Un petit gamin nous suivait avec un gros paquet où maman avait serré tout ce qu’elle avait pu de nos affaires. Naturellement Barbe portait aussi sa fille Francine.

Sur le bateau, nous nous sommes assises contre le bastingage où il y avait un banc. Phœbus se coucha sur nos pieds, à côté de notre paquet.

Seulement, quand nous nous sommes levées pour dire adieu à Mme Beulans qui restait sur le quai, il voulut, lui aussi, faire comme nous, et il se dressa sur ses pattes de derrière en s’appuyant sur le banc. Il avait l’air très malheureux de ne pouvoir lever sa patte en bois; alors je la lui pris pour la poser sur le parapet; il me lécha la figure avec sa grosse langue et il fit entendre un aboiement d’amitié pour Mme Beulans, car elle l’avait très bien soigné pendant que nous étions chez elle.

Il faisait un temps magnifique et la mer était très calme et n’avait que de jolies petites vagues.

Maman nous dit: «Regardez comme la mer est bleue, elle l’est presque autant que le ciel.

– Où allons-nous, maman? demanda Barbe.

– Nous allons à Nieuport.

– A Nieuport? dit une femme qui était assise près de nous et qui tenait un petit bébé dans ses bras. A Nieuport, bien sûr que non, nous n’allons pas à Nieuport, nous allons en Angleterre.

– Non, madame, vous vous trompez, nous allons à Nieuport, c’est pour cela que j’ai pris ce bateau, car je veux rester en Belgique.

– En Belgique, ma pauvre dame, vous serez bien obligée d’en sortir, car les Allemands sont chez nous, ils commencent à entrer en France.

– Oh! ils sont seulement à Charleroi.

– Oh oui! mais comment pourra-t-on résister à ces armées de brigands. Moi, je vous dis que tout est brûlé, pillé, saccagé et il ne va pas rester une maison debout dans toute la Belgique, et la France souffrira aussi.»

Des sanglots violents éclatèrent à côté de nous. C’était une femme avec une petite fille et un tout petit garçon qui pleuraient tous les trois.

Cette femme commença à parler et à raconter la bataille de Charleroi.

Tout était arrivé subitement; on entendait le canon et puis un jour, les gens de tous les villages voisins se mirent à courir sur les routes en fuyant devant l’ennemi qui s’avançait. Des blessés, des soldats pâles et couverts de poussière passaient sur les routes et aussi des convois de ravitaillement pleins de morceaux de viande pendus de tous les côtés. Et puis le bruit constant des bombes et des gens effarés qui se sauvaient!

«Quelle vue horrible, madame, que celle-là, je ne peux la chasser de mes yeux.»

Maman se tourna vers celle qui parlait avec tant de désespoir et lui dit:

«Mais, madame, je comprends que vous ayez du chagrin de quitter la Belgique et de voir tant de calamités sur tout notre pays, mais il ne faut pas être désespérée à ce point; il faut donc s’armer de courage et s’aider les uns les autres.

– Oh! si vous aviez autant de malheurs que moi, vous penseriez qu’il est impossible d’avoir du courage.

– Moi, dit maman, vous voyez, je ne pleure pas, et pourtant, ma maison à Louvain a été brûlée et je ne sais où sont mon mari et ma fille que j’avais laissés là-bas.

– Et Désiré est à la guerre et Phœbus a eu la patte cassée», s’écria Barbe.

La femme se retourna et posa sa tête sur le parapet en pleurant.

Alors maman donna à la petite fille de la femme qui croyait aller en Angleterre, une grosse tartine de pain qu’elle se mit à manger avec avidité en la tenant avec ses deux mains.

Barbe demanda aussi une tartine. Alors, comme Phœbus voulait absolument en avoir sa part, je saisis notre toutou par son cou afin de l’empêcher de saisir le goûter de ma petite sœur.

Il faisait très chaud; Barbe s’est endormie dans les bras de maman et moi aussi, mais je n’avais que ma tête appuyée sur maman.

Lorsque je me suis réveillée, il faisait presque nuit et dans le ciel brillaient une quantité d’étoiles. Maman avait mis des châles sur nous deux. A ce moment, je fus frappée de voir toutes les femmes très excitées. Presque toutes parlaient, ou pleuraient; il y en avait seulement quelques-unes comme maman qui essayaient de calmer tout le monde.

«Maman, qu’est-ce qui est arrivé? De quoi toutes ces femmes se plaignent-elles?

– C’est parce qu’on nous a fait dire de ne pas débarquer à Nieuport. Il y a une quantité de troupes belges et il paraît que les Allemands avancent rapidement. Le Roi et la Reine sont encore à Nieuport, mais ils vont quitter cette ville pour descendre plus au sud; en France, les Allemands se dirigent sur Paris. Nous allons à Dunkerque, où nous arriverons pour la nuit. Des femmes d’un bateau qui nous a presque touchés cet après-midi nous ont raconté de bien tristes nouvelles sur ce qui s’est passé chez nous en Belgique. Ah! c’est bien terrible!»

Je devinais que maman avait un grand chagrin, et elle ne me disait pas tout ce qu’elle pensait. Je me levai et l’embrassai bien fort en lui disant:

«Ma chère petite maman, n’aie pas trop de chagrin, je t’en prie, je t’aime bien et tu sais que je ferai tout ce que je pourrai pour t’aider.

– Ma petite Noémie, je le sais bien que tu m’aimes beaucoup, tu ressembles tellement à ton papa!»

En disant ces mots, maman avait les yeux pleins de larmes. Et je pensai que maman ne se consolait pas de n’avoir plus ce cher papa qui était toujours avec elle et qui la «gâtait», comme elle disait. C’est vrai, toute la vie était changée, puisque maman n’avait plus papa et que moi j’étais la sœur aînée, car Madeleine aussi n’était pas là…

Nous avons enfin vu les lumières de Dunkerque et les bateaux entrèrent dans le port; on s’arrêta devant un quai et tout le monde descendit à terre.

Nous étions bien embarrassées avec nos paquets et Phœbus.

Des employés qui aidaient les femmes à débarquer se mirent à rire en voyant notre toutou avec sa jambe de bois.

«Mais maman, dit Barbe, pourquoi ces gens rient-ils de Phœbus qui a perdu sa jambe à la guerre et qui a la médaille des chiens?

– Ne t’inquiète pas d’eux, ils ne savent pas comment Phœbus a perdu sa jambe.»

Maman demanda à un officier qui était sur le quai où elle pourrait aller passer la nuit.

«Ah! madame, je ne sais pas trop, mais, là, à quelques pas il y a un dépôt où se trouve un sous-officier chargé de diriger les hommes qui sont envoyés ici pour prendre du service et qui s’occupe maintenant des réfugiés belges et de leurs familles. Il s’appelle Vandenbroucque. Adressez-vous à lui: la caserne est là, sur la place.»

Maman tenant toujours Barbe d’une main, ses paquets de l’autre, et moi, Phœbus, nous avons suivi le chemin indiqué par l’officier. A la caserne, maman parla à un soldat qui nous conduisit dans une grande salle pleine de femmes et d’enfants, et il nous dit d’attendre.

Enfin, après très longtemps, on nous a fait entrer dans le bureau du sergent Vandenbroucque.

Il était assis devant une table et il écrivait. Tout à coup, il leva la tête et sa figure changea complètement.

Il était grand, un peu gros, très blond avec des yeux bleus très bons et un lorgnon. Il regarda Barbe, moi et maman avec attention et écouta maman sans rien dire.

Maman dit très vite tout ce qui lui était arrivé depuis notre départ de Louvain.

«Alors, vous ne savez pas où est votre mari, votre fille et votre fils?»

– Non, dit maman, mais on m’a dit à Ostende que tous les Belges devaient passer au bureau royal et s’y faire inscrire. Je ne désespère pas. J’ai retrouvé mon chien d’une façon bien extraordinaire.»

Barbe était à côté de Phœbus.

«Oui, dit-elle, il est réformé, car il a eu sa patte cassée par un boulet.

– Ah! dit le sergent Vandenbroucque, ton chien est réformé?»

Il prit Barbe dans ses bras et l’assit sur son bureau.

«Comment t’appelles-tu?

– Barbe Hollemechette.

– Quel âge as-tu?

– J’ai cinq ans et Noémie a dix ans.

– Et ton chien, quel âge a-t-il?

– Mais il n’a pas d’âge, un toutou n’a pas d’âge, n’est-ce pas, maman?

– Non, un toutou n’a pas d’âge, tu as raison.»

Barbe voulait s’en aller, mais le sergent la garda; après l’avoir embrassée, il dit:

«Madame, j’ai chez moi une gentille petite fille que j’aime tendrement; aussi chaque fois que je vois des enfants, je suis heureux, car il me semble que c’est un peu de ma fillette que je retrouve…»

Je suis sûre qu’il avait envie de pleurer en disant cela, bien que maman m’ait assuré que je m’étais trompée.

«Madame, il n’y a plus un lit dans tout Dunkerque; mais, comme je ne veux pas vous laisser dans l’embarras, je vais vous conduire dans un hôtel où j’ai une chambre et où vous pourrez coucher cette nuit. Seulement vous allez m’attendre un instant pendant que je termine mon travail.»

Il posa Barbe à terre, mais la retint près de lui; il donna une chaise à maman et une autre à moi.

Il parla à toutes les femmes qui entraient les unes après les autres. Il prenait un air ferme, mais je suis sûre qu’il était très bon et que plus sa voix était dure, plus il était attendri; il avait l’air de se forcer. Du reste, en le quittant, on le remerciait toujours de ce qu’il avait fait. Phœbus commençait à s’impatienter, alors le sergent Vandenbroucque se leva et nous prenant toutes les deux par la main et mettant son képi sur sa tête, il nous conduisit à l’hôtel de l’Océan où il avait sa chambre.

Avant de nous coucher, il nous fit servir à dîner; il avait mis Barbe à côté de lui, moi en face, et il nous parlait tout le temps. Il voulait absolument savoir comment Phœbus avait été blessé, mais Barbe dormait à moitié, alors le bon sergent la porta lui-même dans sa chambre et aida maman à la coucher.