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Noémie Hollemechette

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«Aussitôt M. Hollemechette résolut de se rendre rue de Namur; je lui proposai de l’accompagner afin de me procurer des bougies pour les donner aux habitants des maisons, car toutes les conduites de gaz étaient coupées; votre fille Madeleine s’accrocha au bras de son père en disant:

« – Maman m’a laissée ici pour que je garde papa, je ne le quitterai pas…

« – Très bien, ma fille, dit la Tantine Berthe, et comme je suis trop vieille pour courir la nuit dans les rues, je vous attendrai ici; mais revenez, car moi aussi je dois veiller sur vous deux, je l’ai promis.»

«Alors nous voilà en chemin tous les trois pour suivre les maisons de la rue de Namur et voir si les prescriptions étaient bien observées. Beaucoup de familles étaient déjà parties après avoir allumé une bougie dans leur salon sans laisser les portes ouvertes; ces maisons seraient donc incendiées et pillées. C’est pourquoi nous heurtions à toutes les portes fermées et si on ne nous ouvrait pas, nous brisions les serrures. Votre fille Madeleine s’était armée d’une hache et frappait elle-même avec force, et je l’ai vue monter sur une échelle et pénétrer dans une maison par la fenêtre d’un premier étage pour ouvrir la porte du dedans.

– Mais votre fille est une héroïne! s’écria le vieux monsieur aux cheveux blancs.

– Vous ne la connaissez pas, mais elle ressemble tout à fait à maman dis-je.

– Continuez, continuez, s’écria maman.

– De cette façon les maisons de cette rue n’ont pas été incendiées; le matin nous avons pu voir les nouveaux désastres: les maisons de la rue de la Station et d’autres dont le feu était attisé par des soldats dont on voyait les silhouettes nettement dessinées sur le fond rouge des flammes.

«En revenant à l’Hôtel de Ville on nous apprit que M. Boonen, Mgr Ladeuze, M. van. Tieren et beaucoup d’autres avaient été emmenés comme otages, on ne sait pas où. Il y avait là, la directrice de l’école des orphelins de la Cour des Béguines qui venait demander au major que l’école fût épargnée.

«Tandis qu’elle parlait, nous voyions les soldats allemands qui accouraient de tous les côtés chargés de gros paquets volés: vêtements, meubles, bouteilles de vin, etc.

«Le major von Manteuffel déclara que maintenant il n’y avait plus rien à faire, que la ville serait bombardée à midi et que les habitants devaient partir s’ils voulaient ne pas périr.

«Après un moment de réflexion, votre mari a décidé de partir. Il y avait aussi une jeune femme avec son dernier bébé dans les bras. Nous avons pris une brouette, sur laquelle on posa quelques paquets, et nous voilà tous en route vers Malines et Anvers, après avoir regardé encore Louvain entouré d’une épaisse fumée.

– Alors, ils sont à Bruxelles, s’écrie maman, ils sont sauvés!

– Oui, sûrement! Mais attendez…»

Maman ne l’écoutait plus et se mit à pleurer en me serrant très fort. Barbe se réveilla et commença à rire en disant:

«Alors nous allons voir papa, Madeleine et Tantine Berthe!

– Non, pas encore, mais ils vivent! Ma chère petite Madeleine!»

Le boy-scout ne pouvait placer un mot, et le vieux monsieur faisait des hum! hum! comme s’il était très en colère, mais je crois que c’était le contraire.

Maman veut que je me couche: je terminerai demain le récit de ces tristes aventures.

Phœbus contre les Boches

Ostende, le 6 septembre.

JE n’avais pas fini le récit du jeune boy-scout qui nous a donné des nouvelles de Louvain; je le reprends vite, car j’ai tant de choses à écrire sur notre voyage!

Il a dit: «Sur la route de Malines, il y avait beaucoup de gens qui partaient comme nous, des grands-papas, des bébés et de pauvres mamans bien pâles.

«Nous avons fait ainsi quelques kilomètres. M. Hollemechette me dit: «Mon ami, vous avez une bicyclette, on peut avoir besoin de vous, allez en avant, ne vous occupez pas de nous. Qui sait si les armées ne pourraient pas vous employer. Merci de ce que vous avez fait pour nous, et que Dieu vous protège.»

«En effet, je pus arriver à Bruxelles et à Anvers; maintenant je vais à Ostende où je verrai bien le Roi; j’ai des renseignements à porter.

– Est-ce que vous verrez la petite princesse Marie-José?

– Mais non, elle est en Angleterre avec ses frères.

– Nous aussi, nous allons à Ostende, dit maman, nous nous y reverrons sûrement.»

Maman était très émue en lui disant adieu et moi, je le trouvais bien gentil, puisqu’il nous avait donné des nouvelles de papa et de Madeleine.

Comme il n’y avait plus de trains pour nous mener à Ostende, le vieux monsieur nous aida à chercher un moyen pour nous y rendre, le plus commodément possible, comme il disait.

Il connaissait un voiturier rue des Meuniers, qui avait encore un cheval et qui peut-être pourrait nous conduire à Ostende.

Barbe était très contente d’aller en voiture. Elle prit sa poupée par une main et lui raconta qu’on allait prendre une belle voiture pour aller à Ostende et qu’il ne faudrait pas avoir peur, car le cheval n’était pas méchant et que là, à Ostende, nous retrouverions sûrement papa et Madeleine.

Je ne pouvais pas m’empêcher de rire en l’entendant s’amuser; je lui dis:

«Mais non, pas à Ostende, à Bruxelles.

– Pourquoi pas à Ostende? Je veux voir papa à Ostende.

– Mais papa n’y est pas.

– Si.

– Non, je le sais bien.»

Maman me dit alors que je ne devais pas contrarier Barbe, qui était fatiguée et qui ne comprenait pas tout.

Je me suis tue alors.

Le vieux monsieur, qui était très bon et qui nous caressait les cheveux de temps en temps, demanda à maman de lui permettre de nous donner à goûter.

«J’aurais bien voulu mener ces petites filles chez le meilleur pâtissier de la ville, mais il est parti pour la guerre dès le commencement du mois d’août… Tout de même nous trouverons bien quelque part des gâteaux à manger. Vous aimez les éclairs et les choux à la crème, n’est-ce pas, ma petite demoiselle? demanda-t-il à Barbe.

– Oh! mais, tu sais, j’aime aussi le chocolat et tu en donneras à Francine s’il te plaît?

– Oui, bien sûr.

– Est-ce que tu as des petites filles comme nous?»

La figure du vieux monsieur devint toute triste.

«Oui, j’avais une petite fille bien gentille, blonde comme vous, mais qui n’avait pas des joues aussi roses.

– Où est-elle, maintenant?»

Maman voulait arrêter Barbe, mais le vieux monsieur reprit doucement:

«Laissez-la parler: j’aime à entendre les enfants. Ma petite fille Gertrude est partie pour aller habiter un pays bien beau et bien magnifique, où jamais on ne pleure et où le sourire ne disparaît jamais des visages… Tenez, arrêtons-nous là, chez Mme Pepinster, elle a toujours de bonnes brioches.»

Nous sommes entrées dans une boutique très claire.

Le vieux monsieur nous fit asseoir autour d’une table, Barbe, moi et Francine; maman ne voulait rien prendre, mais je dis tout bas au vieux monsieur, qui était notre ami maintenant, qu’il fallait donner du café à maman, car elle était fatiguée.

«Mais c’est véritablement une petite maman! Noémie, vous devez être la joie et le soleil de votre maison.

– Oui, dit maman, Noémie est aussi bonne que raisonnable.»

Je ne sais pas pourquoi, mais je me mis à pleurer.

Mme Pepinster apporta du chocolat avec de la crème pour Barbe et moi, et du café pour maman avec de grosses galettes toutes chaudes.

C’était très bon, et le vieux monsieur ne cessait de nous regarder en nous demandant si nous trouvions tout à notre goût.

«Oui, c’est très bon et je crois que j’en voudrais encore, dit Barbe.

– Oui, je vais vous donner un gros paquet de gâteaux que vous pourrez manger en voiture.»

Il fit faire un paquet bien ficelé, et puis il dit qu’il fallait vite aller chercher nos places, que sans cela nous n’en trouverions plus.

Grâce au vieux monsieur, le loueur dit qu’il avait un grand char à bancs où l’on pourrait tenir plusieurs. Il était attelé de deux bons chevaux, et il avait l’ordre de les mener à Ostende, où ils étaient réquisitionnés par l’armée, et que ses chevaux ne seraient pas fatigués d’avoir traîné ce tas de mioches.

«Qu’est-ce que c’est que des mioches? ai-je demandé à maman.

– Ce sont les gentils petits enfants, et c’est en France qu’on les appelle ainsi.»

Puisque c’est un mot français, j’appellerai Barbe maintenant petite mioche.

Le vieux monsieur fit monter maman dans le char à bancs avec ses paquets. On avait placé une banquette dans le fond, où maman s’assit avec nous de chaque côté d’elle. Il monta encore quatre femmes avec des petits enfants. La femme Greefs était partie dans un convoi précédent.

Maman demanda au vieux monsieur de lui dire son nom, car elle voulait lui donner de nos nouvelles.

«Oh! je vous remercie de cette pensée; cette sortie avec vous a été comme une lueur merveilleuse dans ma sombre vie, mais si quelquefois, lorsque notre pays sera de nouveau heureux et prospère, votre pensée se reporte à votre voyage à travers nos provinces envahies, songez au vieux Jean des Goes, qui demeure en face du château de Gérard-le-Diable… Adieu, mes enfants, que Dieu vous bénisse et qu’il vous conserve, vous et vos parents, en bonne santé.»

C’est bien ainsi qu’il a parlé, comme maman me l’a encore redit.

Après nous avoir embrassées, Barbe et moi, et salué maman, il s’éloigna très vite d’un air triste. J’ai voulu écrire tout ceci dans mon cahier, afin de ne jamais l’oublier, lorsque nous reviendrons à Louvain.

La route que nous suivions était pleine de gens qui se rendaient à Ostende comme nous. Dans un endroit qui montait, la voiture fut arrêtée par un encombrement causé par une bicyclette, sur laquelle deux hommes cherchaient à mettre bien solidement deux petits enfants.

 

Sous la bicyclette, on avait déjà attaché d’énormes paquets. Il y avait un bébé tout enveloppé dans des châles et une fillette un peu plus petite que Barbe, avec des cheveux très blonds et de grosses joues rouges. Deux hommes tenaient la bicyclette de chaque côté et la maman suivait par derrière.

Maman voulut prendre les deux enfants dans la voiture. Ils commencèrent à pleurer, alors maman me dit de leur donner des gâteaux, car ils avaient certainement faim.

Nous sommes arrivées très tard à Ostende, et nous avons eu beaucoup de peine à nous loger, car tout était plein, les hôtels, les maisons. Enfin, nous avons passé la nuit dans un grand café, où l’on avait mis les enfants sur les billards, et sur des chaises ceux qui étaient plus grands, comme moi, par exemple.

Seulement, Barbe criait tout le temps dès que je m’éloignais d’un pas; elle ne voulut s’endormir que lorsque je me mis contre elle. Tout ceci aurait été amusant, si je n’avais pas vu l’air triste de maman, et si je n’avais eu envie de pleurer dès que je pensais à papa et à Madeleine.

Ce matin, en sortant, nous avons vu une chose bien drôle, qui faisait rire tout le monde. Sur la promenade, il y avait un grand Écossais et un Anglais habillé en kaki qui poussaient des voitures d’enfants dans lesquelles étaient installés des bébés bien tranquilles.

Le grand Écossais fumait en riant aux éclats, le soldat en kaki riait aussi, mais il ne fumait pas.

En voyant cela, des gens crièrent: «Vivent les Anglais!» Alors, tout le monde se mit à crier très fort et à applaudir. Les jeunes soldats tout rouges, ne savaient plus où se mettre; les deux bébés remuaient en l’air leurs petites mains. Enfin tout le monde avait l’air content. Je crois que depuis Louvain et le passage des enfants royaux à Anvers, nous n’avions vu personne sourire comme à ce moment-là.

Ostende, le 10 septembre.

J’ai beaucoup de peine à écrire sur mon carnet aujourd’hui, car Barbe est tout le temps près de moi pour que je caresse Phœbus! Oui, Phœbus, car nous avons notre cher toutou près de nous!

Mais dans quel état! Il a eu une patte brisée, et l’on a été obligé de la lui couper, ce qui fait qu’il n’a plus que trois pattes, qu’il est réformé, comme a dit le major, et qu’il a reçu la médaille de guerre des chiens.

Malgré cela, je suis bien contente et maman a pleuré, car elle sentait que c’était quelque chose de chez nous, de Louvain, qu’elle revoyait en retrouvant Phœbus.

Mais il faut que je dise comment nous avons revu Phœbus.

Le premier jour de notre arrivée à Ostende, nous ne savions où habiter il n’y avait pas de places dans les hôtels; les maisons particulières avaient des Anglais à demeure, et dans les rues, sur les places, on ne rencontrait que des femmes avec des enfants et des paquets sur les bras qui s’asseyaient sur le trottoir et qui refusaient de se lever pour aller plus loin.

Au commencement, maman s’arrêtait et voulait prendre les enfants, savoir d’où ils venaient. Mais il y en avait tant, tant, que c’était «désespérant»; c’est maman qui m’a dit ce mot.

Sur la place, devant l’église de Notre-Dame, des troupes d’artillerie étaient campées, bien en ligne, avec de belles mitrailleuses et de beaux chiens qui semblaient très heureux.

Barbe voulait tout le temps aller les caresser; moi, je l’en empêchais; alors elle se mit à crier et à dire que j’étais méchante; je commençai à pleurer, car je faisais tout ce que je pouvais pour lui faire plaisir, je ne la taquinais plus et voilà qu’elle me traitait de méchante.

Mais maman se pencha vers moi, m’embrassa et me dit que nous étions toutes deux fatiguées, qu’il ne fallait pas avoir de chagrin pour si peu de choses, et que Barbe ne devait pas toucher les chiens qu’on ne connaissait pas, qu’elle le lui défendait. Ceci, maman le dit très sévèrement. C’était la première fois depuis notre départ de Louvain que maman prenait un air sévère.

Maman aussi était fatiguée sûrement.

Seulement, elle alla vers un officier d’artillerie qui parlait à ses soldats près d’une mitrailleuse; elle lui demanda s’il n’avait pas des nouvelles du 2e régiment d’artillerie où était Désiré.

«Oh! ce régiment est près d’Anvers. Il s’est joliment bien comporté déjà, je ne sais rien autre à son sujet. Mais vous devriez aller à la caserne Léopold où sont arrivées depuis huit jours des troupes d’Anvers. Il y a aussi l’hôpital de la Digue. Les derniers combats ont été vifs et, certainement, vous aurez des nouvelles.

– Merci beaucoup, monsieur le capitaine, mais ce soir je ne peux pas y aller, il faut encore que je trouve à me loger avec mes deux petites filles.

– Oh! mais, vous savez, il n’y a pas place pour une épingle dans Ostende! C’est effrayant. Moi-même j’ai cru que j’allais être obligé de coucher à la belle étoile.»

Barbe, qui est toujours très familière, était près du capitaine et touchait son sabre malgré mes signes.

«Oh! qu’est-ce que c’est, la belle étoile?

– C’est rester toute la nuit sous le beau ciel et les belles étoiles, sans abri et sans dodo.

– Oh! moi, je veux coucher dans un dodo.

– Comment vous appelez-vous, ma petite fille?

– Barbe Hollemechette.

– Mon Dieu, c’est le nom de notre patronne, à nous autres artilleurs! Oh! je veux que cette petite Barbe ait un dodo ce soir. Madame, ajouta-t-il, en se tournant vers maman, je loge chez une vieille dame qui a peut-être un coin où elle pourra vous mettre à l’abri. Mon service est fini, venez avec moi, c’est tout près d’ici et nous allons arranger cela immédiatement.»

Pendant que maman le remerciait, il parla encore à ses soldats, et puis il prit la main de Barbe d’un côté, la mienne de l’autre et nous nous sommes dirigés tous les quatre vers une rue étroite qui longe l’église.

Au coin de la rue, l’artilleur s’arrêta devant une petite maison très propre avec un jardin plein de fleurs qui sentaient très bon.

La porte s’ouvrit et une vieille dame à cheveux blancs, avec une robe noire et des lunettes, vint au-devant de nous en s’écriant:

«Mon Dieu, Monsieur le capitaine, qu’est-ce que vous amenez là, deux petites filles? Mais ce n’est pas à vous?

– Non, non, madame Beulans. Cette dame arrive de Louvain, où elle a laissé son mari, sa fille…

– Et Tantine Berthe, dit Barbe.

– Et qui ne trouvent pas à se loger ici. Alors j’ai pensé que vous ne voudriez pas laisser ces jolies petites filles coucher à la belle étoile.

– Pour sûr que non; vous avez bien fait de les conduire ici. Je crois que nous allons commencer par leur donner à manger. Mais, vous ne savez rien de votre mari et de votre fille qui sont restés à Louvain, car Louvain a bien souffert…

– Oui, je sais tout, dit maman, mais je sais aussi que mon mari et ma fille sont sauvés et qu’il sont à Bruxelles.

– A Bruxelles!.. Eh bien, ce soir, après le souper, nous tâcherons d’avoir des nouvelles par un de mes petits-fils qui est arrivé de là-haut aujourd’hui.

Dans une salle à manger bien propre, comme celle de Mme Melken à Louvain, nous avons dîné. Le capitaine était au milieu de nous deux, et il ne cessait de s’occuper de Barbe et de lui donner les meilleurs morceaux; à moi aussi, du reste. Seulement, au milieu du repas, Barbe commença à s’endormir: maman la mena dans une jolie chambre; moi, je la suivis et je crois que c’est maman qui m’a déshabillée, car je ne me souviens plus comment je me suis mise dans mon lit.

Ce matin, le soleil entrait dans notre chambre, quand je me suis réveillée. A côté de moi, dans le lit, il y avait Barbe, mais je ne vis pas maman. Alors, je commençais à crier: «Maman, maman», quand je vis devant la fenêtre la vieille Mme Beulans, avec la même robe que la veille, les mêmes lunettes, qui raccommodait du linge.

«Eh bien! Eh bien! votre maman n’est pas perdue. Elle s’est levée de grand matin pour aller s’informer de votre frère. Je suis venue ici pour que vous n’ayez pas peur et pour vous donner du bon café au lait avant de vous habiller.

– M. l’officier, où est-il, madame? lui demanda Barbe.

– Oh! ma petite, il est parti! Le Roi l’a appelé cette nuit, et il est déjà en route.»

Barbe commença à pleurer en disant qu’elle voulait le voir, et la vieille dame lui dit, en la regardant avec ses bons yeux à travers ses lunettes:

«Il ne faut pas pleurer comme cela; ta maman a de la peine, moi aussi: il faut que les petits enfants soient tout à fait gentils et obéissants.

– Je veux maman, je veux maman!» criait Barbe.

Elle commençait à être tout à fait insupportable et je ne savais comment faire pour la calmer. Heureusement que maman est arrivée à ce moment-là.

«Mes enfants! mes enfants, je viens d’avoir des nouvelles de Désiré qui a été blessé et qui est dans une ambulance à Anvers; il sera vite guéri, paraît-il, et il retournera bientôt à sa batterie; j’ai vu un officier de son régiment qui se rend à Furnes, il m’a dit combien Désiré a été brave. Et j’ai encore quelque chose de très intéressant à vous dire, j’ai vu Phœbus!

– Phœbus, notre vieux toutou!

– Oh! je le veux tout de suite, s’écria Barbe.

– Ma petite fille, répondit la vieille dame aux lunettes, il ne faut jamais dire: je veux, quand on est une petite fille; ce n’est pas joli du tout.

– Mais, madame, Phœbus, c’est mon toutou, et je l’aime beaucoup.

– Oui, je comprends, et je vois aussi que tu es un tout petit bébé. Tiens, mets ton chapeau et va voir ton toutou.»

En passant devant la salle à manger, elle prit des gâteaux et les mit dans les poches du paletot de Barbe.

Maman alla avec nous par l’avenue de la Reine, qui nous conduisit près du champ de courses où l’on avait construit des hangars pour mettre les chiens blessés.

Comme maman était déjà venue, on la connaissait et la sentinelle qui se tenait à la porte nous laissa entrer.

Sous de grands hangars, il y avait de la paille étendue par couchettes, sur lesquelles étaient les chiens les plus blessés. Ceux qui allaient mieux étaient couchés au soleil, sur la pelouse verte. Après avoir passé devant une dizaine de chiens, tout à coup nous avons vu notre vieux Phœbus. En nous apercevant, il voulut se soulever, mais il ne put pas, alors nous avons vu des larmes dans ses yeux; mais je me mis à l’embrasser et Barbe se pendit à son cou; il remuait la queue et voulait toujours se soulever.

Un gros militaire que tout le monde appelait M. le major s’approcha de nous et parla à maman.

«Votre chien a eu une patte brisée, nous avons été obligés de la lui couper; il ne pourra plus servir dans l’armée.

– Je comprends très bien, dit maman, mais je peux bien prendre ce chien avec moi, puisqu’il est à moi.

– Bien sûr, c’est toujours ça de moins ici. Vous voulez sans doute voir son conducteur? Il est ici, il a eu une grave blessure à l’épaule, mais il est tout à fait bien aujourd’hui. Tenez, le voilà, il va vous raconter ses faits d’armes et ceux de votre chien.»

Naturellement, pendant tout ce temps-là, nous n’avions cessé de caresser et d’embrasser Phœbus qui nous léchait les mains et qui essayait de se traîner.

Louis Gersen, l’artilleur, s’approcha de nous, en s’appuyant sur une canne; il avait l’air très fatigué.

«Oh! madame, que je suis content de vous voir! Vous pouvez être fière de votre bon chien. Il a été blessé un jour où nous avons dû céder du terrain aux Allemands. Les mitrailleuses étaient en position, les chiens dételés. Tout à coup nous recevons l’ordre de ratteler vivement et de nous placer à 300 mètres plus bas. Vite j’attelle mon chien – vous permettez que je dise mon chien, – il entraîne la mitrailleuse. Je vous dirai qu’il ne permettait jamais qu’un autre attelage, même traîné par deux chiens, le dépassât.

Il va donc plus vite que les autres; aussi je me mets rapidement à ma place en lui faisant faire demi-tour. Naturellement il se trouve le plus en vue, un éclat d’obus tombe en plein sur nous, je roule par terre, lui n’avait encore rien; il court à moi, je lui crie: «Prends la mitrailleuse!»

«Il saisit les harnachements avec ses dents et le voilà qui tire, tire jusqu’à ce qu’un camarade lui pose les harnais, et le voilà qui court mettre les mitrailleuses en lieu sûr dans un bois.

«Une fois Phœbus dételé, vous croyez qu’il se couche! Non, pas du tout, le voilà qui court à ma recherche, et je sens tout à coup une langue chaude sur toute ma figure. Il se met à aboyer, à tourner autour de moi; il veut m’emmener, mais ne sait pas comment faire. Les ambulanciers qui parcourent le champ de bataille le voient et ils viennent me prendre.

 

On nous installa dans le plus proche village. Le lendemain, il était bombardé; le bon Phœbus tandis qu’il allait me chercher un bandage reçut un éclat d’obus qui lui brisa la patte.

«Je parvins à le garder auprès de moi; on lui coupa la patte et, à notre arrivée à Ostende, le général me remit la décoration de Léopold, et à lui, la médaille d’honneur des chiens sauveteurs. C’est du reste parce qu’il m’a sauvé qu’on ne l’a pas abattu. Mais comment ferai-je pour me séparer de mon nouvel ami?»

Le gros major qui avait écouté toute l’histoire, lui dit:

«Mais, mon pauvre garçon, puisque tu vas reprendre du service et que le chien, lui, ne peut plus servir, tes regrets sont superflus et tu ferais mieux de me demander de mettre un bâton comme quatrième patte à ton chien, afin qu’il puisse s’en aller avec ses petites maîtresses.

– Monsieur le major, j’allais vous le demander.

– J’allais vous le demander… Eh bien, il fallait le faire tout de suite. Allons, je vais mettre une patte en bois à Phœbus.»

Barbe vient vers l’artilleur et, lui prenant la main, elle lui dit:

«N’est-ce pas, il est méchant, M. le major?

– Oh! non, pas du tout, il est très bon, au contraire, et vous verrez, il ne fera pas de mal à Phœbus.»

Maman dit à l’artilleur qu’elle voudrait bien avoir de temps en temps de ses nouvelles; lui devait se mettre sous les ordres du gouvernement et il ne pouvait savoir où on l’enverrait, mais en adressant ses cartes au siège du gouvernement, on était sûr qu’elles parviendraient à destination, car il y avait un bureau spécial pour les soldats et leur famille. On pouvait toujours s’y adresser; de même pour les réfugiés de toutes les villes de Belgique, si on s’inscrivait on pouvait savoir ce qu’étaient devenues toutes les malheureuses familles. C’est comme cela que maman avait trouvé l’endroit où était Gersen et notre chien.

Louis Gersen nous fit voir la belle médaille de Phœbus. Elle était en argent avec ces mots simplement inscrits: «Phœbus, mitrailleuse no 24, combat de Diehl, 1914.» On l’avait accrochée à son collier, qui du reste était tout abîmé.

Barbe voulait absolument prendre la médaille. Je lui dis qu’elle appartenait à Phœbus et qu’on n’avait pas le droit de la lui enlever même une minute.

«Mais puisque Phœbus est à nous, la médaille est à papa, à maman, à Madeleine, à toi et à moi, je veux la prendre.

– Non, je t’en prie, sois sage, tu auras la médaille quand Phœbus viendra avec nous demain.

– Je veux la médaille de mon toutou.

– Non, laisse-la-lui; sans cela, je le dis à Monsieur le major.»

Elle consentit alors à se taire, car le major lui faisait un peu peur.

Phœbus ne voulait pas nous laisser partir; il se mit à hurler si fort que tous les autres chiens aboyèrent tous ensemble. Barbe pleurait et voulait laisser Francine à Phœbus pour le consoler de notre départ.