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Noémie Hollemechette

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Les faits d’armes de Désiré

20 novembre.

Nous avons encore reçu ce matin ces mots de papa.

«Mes chers enfants. – Je suis en bonne santé. Je vous embrasse bien tendrement.

«Hollemechette.»

«Comme c’est court! s’écria maman.

– Mais, ma fille, répondit Tantine Berthe, n’oublie pas à quel danger ton mari s’expose en vous écrivant. Et pense aussi que ceux qui transportent les lettres risquent d’être emprisonnés ou même fusillés.»

Moi, j’étais comme maman. Cette lettre ne me contentait pas complètement. Malgré cela, Madeleine et moi nous la regardions tout le temps; nous embrassions même l’écriture de papa comme si c’était lui-même à qui nous donnions nos baisers. Naturellement Barbe a voulu faire comme nous, mais nous lui avons retiré la lettre, car elle mouillait tout le papier avec ses petites lèvres et nous avons eu peur qu’elle n’effaçât l’écriture. Nous étions bien heureuses de ces nouvelles, certainement, mais, il nous semblait que nous étions encore plus tristes. Quelle peine d’être séparées d’un papa si bon qui nous aimait tant! Et aussi de le savoir dans une ville occupée par un ennemi plus féroce que tous les autres peuples du monde! Et si les Allemands allaient le prendre et l’emmener en Allemagne comme otage? Je ne dis pas cela tout fort, mais quelquefois j’en parle bas avec Madeleine; seulement, comme elle pleure toujours dans ces moments-là, je préfère causer de mon chagrin avec Pierre lorsque nous nous promenons.

Maman, ou souvent Mme Mase, nous font faire de belles promenades le jeudi, aux environs de Montbrison. Nous partons tout de suite après le déjeuner, avec Barbe et Phœbus. Notre vieux toutou connaît très bien Montbrison. Il a dans toutes les rues beaucoup d’amis. Quelquefois il s’attarde derrière nous pour courir après une poule ou un petit cochon; mais vite il nous rejoint en trois enjambées et, comme il sait quelle est notre promenade favorite, il prend ce chemin sans nous le demander.

C’est une route qui mène à la jolie rivière, le Lignon, et bien plus loin au château de la Bâtie, où est né un romancier français; cette route est bordée de beaux platanes dont les feuilles tombent maintenant depuis la Toussaint. Nous marchons toujours très vite, car il commence à faire froid. Lui, Phœbus, ne s’inquiète pas du temps. Du reste, il court tellement dans les champs qu’il se couche fatigué quand nous rentrons.

Oh! comme nos fins d’après-midi seraient bonnes si notre pauvre papa était avec nous. Lorsque nous rentrons, après avoir goûté, nous nous mettons tous autour d’une grande table pour travailler. Tantine Berthe et Mme Moreau sont assises dans de grands fauteuils de chaque côté de la cheminée; elles tricotent ou raccommodent du linge. Mes petites amies, Pierre et moi, nous faisons nos devoirs et apprenons nos leçons, ce qui n’est pas toujours commode quand on est un peu serré autour de la table; mais il ne faut pas allumer plusieurs lampes, cela coûterait trop cher. Du reste nous ne nous plaignons pas d’étudier ensemble, au contraire; nous nous aidons et Pierre me dit souvent des règles d’orthographe que je ne sais pas, et nous nous faisons réciter nos leçons réciproquement. La seule chose difficile est de faire tenir Barbe tranquille. Elle est assise sur un petit tabouret devant Tantine et elle fait la conversation avec sa poupée, ou bien Mme Moreau lui montre des livres d’images. Mais si Tantine parle à l’un de nous et ne la surveille plus, Barbe en profite pour se glisser sous la table et nous chatouiller les jambes. La première fois que cela est arrivé, comme nous avions tous crié, Tantine Berthe s’est beaucoup fâchée et Barbe a pleuré; aussi, maintenant, nous ne disons rien pour ne pas faire gronder notre petite sœur, parce que Tantine, à l’heure du travail, est très sévère. Et puis, Mme Mase, maman et Madeleine reviennent de l’hôpital, nous dînons, et après nous lisons un petit moment pendant que maman va coucher Barbe. Mais nous écoutons surtout ce que Madeleine dit de ses blessés, ce qu’elle a entendu à l’hôpital, les nouvelles de la guerre, et nous parlons des lettres que nous recevons. Mme Mase nous lit toujours celles du capitaine Mase où il parle de la vie des soldats dans les tranchées. Il a raconté une fois des histoires de son ordonnance qui sont très drôles.

Cet ordonnance s’appelle Gilbert, il est très débrouillard et veille avec grand soin sur son chef. Lorsque celui-ci revient des tranchées, où il reste souvent cinq jours, il force son capitaine, qui meurt de fatigue, à ne pas se coucher avant de s’être lavé à grande eau. Il lui savonne lui-même la tête en le frottant vivement sans prendre garde à la mauvaise humeur de son capitaine, puis lui prépare du linge propre, que souvent il lave lui-même, afin qu’il n’en manque jamais. Il fait son café, car, d’après lui, pas un «poilu» dans toute l’armée de France ne le fait aussi bien, ce qui est vrai. Il paraît même qu’un jour un grand général, je ne sais plus lequel, a pris une tasse de son café et l’a trouvé parfait. «Je vois d’ici la tête de Gilbert!» s’écrie Pierre. Ce pauvre Pierre! Comme il est trop jeune pour se battre, il aurait bien voulu être boy-scout, mais il m’a raconté, en secret, que son père lui avait écrit une lettre à lui seul pour lui confier sa mère, en lui faisant promettre de ne pas la quitter, et il avait ajouté que s’il lui arrivait d’être tué, c’était son fils qui le remplacerait.

«Tu comprends que je n’ai pas d’autre devoir à remplir pour le moment! Je soigne maman et je travaille beaucoup afin d’entrer à l’École polytechnique quand je serai grand et afin de gagner assez d’argent pour que maman n’en manque jamais.»

J’avais bien vu que Pierre était rempli d’attention pour sa maman; quand nous avons voyagé ensemble, c’est lui qui prenait les billets, qui s’occupait des bagages, qui portait les parapluies et qui remplaçait tout à fait son papa.

«Il n’y a qu’une chose que je ne peux pas faire, ce sont des économies, me dit-il un jour. Maman me donne dix francs par mois pour mon argent de poche. Eh bien! vraiment, le premier jour, je ne peux pas résister, il faut que j’achète des cigares, du tabac, des cigarettes pour les soldats. L’autre jour, j’ai conduit quatre blessés convalescents prendre une tasse de café chez le marchand de vin, je leur ai donné du tabac; j’ai dépensé ainsi plus de cinq francs. Tu ne le diras pas à maman, mais quand je vois des soldats, il faut que je leur offre quelque chose.»

Je comprends très bien Pierre et j’ai souvent le cœur triste de n’avoir pas d’argent et de ne pouvoir, moi aussi, faire du bien à ceux que je crois encore plus malheureux que moi.

30 novembre.

Désiré nous écrit la longue lettre suivante de Furnes datée du 30 octobre:

Ma chère Maman, ma chère Tantine, mes petites sœurs chéries.

«Je peux vous donner quelques nouvelles d’Anvers que je viens de recevoir par M. Boonen qui s’était réfugié en Hollande, après le sac de Louvain et qui est parvenu à nous rejoindre. J’ai pu lui parler de son fils Jean qui a combattu près de moi dès les premiers jours de la guerre, à Liége, à Loncin. Plus d’une fois nous avons partagé le contenu de notre musette et de nos bidons vides! Je lui ai donné une paire de chaussettes neuves et lui, une chemise, la seule qu’il possédait. C’est vous dire qu’entre nous c’est à la vie, à la mort!

«Vous avez su par les journaux comment Anvers a été évacué par notre armée. Plus de 20 000 habitants sont partis et sont allés en Hollande, ou en Angleterre. Aussitôt après le départ de l’armée, des notables se sont réunis pour décider de constituer un comité afin de défendre les intérêts des habitants. Ce comité était formé par différents hommes dévoués dont était notre cher papa. Le commandant allemand de la place, siège à l’Hôtel de Ville, là même où j’ai fait mes adieux à papa. Le bourgmestre et le comité ne quittent pas l’Hôtel de Ville. Il paraît que les Boches ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour retenir et ramener les Anversois qui fuyaient, en leur promettant la sécurité la plus entière. Mais vous pensez s’ils se fient à la parole allemande! A la gare de Mescel, il y avait un train où se trouvaient plus de 80 Belges, âgés de dix-huit ans à trente ans, qui se dirigeaient sur la Hollande. Ils ont été arrêtés par les Allemands et gardés sous un hangar par des soldats, baïonnette au canon. Il paraît même que le bourgmestre, M. Devos, a été emmené comme otage quand la ville a été imposée de la somme de 50 millions. Défense de circuler dans la ville après huit heures du soir, et une lumière doit être allumée toute la nuit dans chaque maison. Mais, à part cela, M. Boonen m’assure que les civils ne sont pas maltraités par l’ennemi, surtout si l’on montre de la fermeté.

«Maintenant pour vous faire plaisir, je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a huit jours. J’étais avec un camarade en automobile, revenant de Dixmude pour me rendre à Roulers où nous cantonnons pour l’instant. Tout à coup, il était environ huit heures du soir, nous apercevons un groupe suspect sur la route.

«Attends un peu, dis-je à mon camarade, fais attention, je descends.»

Ma carabine à la main, je cherche à reconnaître à qui j’ai affaire. C’était onze éclaireurs allemands qui consultaient une carte à proximité d’un carrefour. Pan! pan! Deux coups de fusil, voici deux éclaireurs dont le chef qui roulent sur la route. Je crie alors:

«Rendez-vous, jetez vos cartouches et vos fusils, venez par ici, un régiment nous suit!»

«Les neuf Boches qui restent ne se le font pas dire deux fois. Ils donnent leurs armes et je les empile sur l’auto. Mon camarade disait en se frottant les mains.

 

«Bigre! bigre! mes pneus vont éclater avec ces gros pleins de saucisses!

« – Bah! dis-je, dépêche-toi un peu afin d’être à Roulers avant la nuit.»

«Nous sommes entrés dans la petite ville où campent des dragons français qui nous firent une petite ovation, je ne vous dis que ça. Notre cœur en était tout réchauffé. Je vous raconte cette histoire, non pour me vanter, car tout soldat aurait agi comme moi, mais pour vous montrer que nous leur en faisons voir aussi aux Allemands. Si vous aviez vu la tête des Boches lorsque nous avons démarré et lorsqu’ils se sont trouvés avec les dragons français! C’était tordant!

«M. Boonen m’a dit qu’il avait un moyen sûr de faire parvenir vos lettres à papa. Alors, envoyez-les-moi, mais par prudence ne dites absolument rien, ne parlez que de votre santé. A part cela, racontez tout ce que vous voudrez!

«Votre fils, Désiré.»

A peine maman avait-elle fini de lire cette lettre que Pierre cria:

«Mais c’est épatant, ce qu’a fait Désiré! Il faudra qu’il soit décoré de la Légion d’honneur!

– Oui, dit Tantine, Désiré est un vaillant garçon. Il trouve moyen de plaisanter et de nous faire rire. C’est un brave Belge!»

Tantine devait se dire:

«J’ai toujours eu raison de l’aimer, ce garçon; il est courageux, il est bon, il est loyal. Il ressemble à son père et il agira toujours avec droiture dans la vie.»

5 juillet 1915.

Je reprends mon Journal après bien des mois d’interruption, Oh! je n’ai pas cessé de mettre des notes chaque semaine sur mon cahier pour ne pas oublier ce que nous avons fait durant ce long hiver, mais comme notre vie se passait seulement en travail, en promenades et surtout dans l’attente de nouvelles de papa, le récit n’en pouvait pas être intéressant.

Nous avons été quatre mois sans recevoir de lettres de papa, et puis, en avril, un jour, arrive un petit mot très court, daté d’Anvers, où il nous disait qu’il se portait bien, et ensuite nous voilà de nouveau sans nouvelles!

Le papa de Pierre a été très grièvement blessé à la jambe en janvier, dans un combat près de Nieuport. Il a été soigné dans un hôpital de Paris. Naturellement Pierre et sa maman sont partis pour le voir, mais Pierre est revenu afin de ne pas interrompre ses études, et comme son papa a eu un mois de convalescence, il est venu ici et nous étions toutes bien contentes de le soigner et de lui entendre raconter ce qu’il avait fait avec son régiment. Il aimait beaucoup quand je lui faisais la lecture à haute voix; alors le soir, vers cinq heures, j’allais près de son fauteuil et je lui lisais ce qu’il voulait. Presque toujours c’était des livres sur la guerre, des carnets de route de militaires ou des articles de journaux expliquant les batailles depuis le commencement d’août. Oh! C’était pour moi un plaisir surtout quand on parlait de la Belgique dont je connaissais tous les endroits.

Un jour, je me souviens, nous lisions les pages de gloire de l’armée belge; il arriva un passage où il était question de Louvain; le capitaine Mase me dit:

«Ma petite Noémie, je suis fatigué, voulez-vous aller me chercher ma pipe et puis nous continuerons plus tard notre lecture.

– Tout de suite, lui répondis-je, mais me permettez-vous d’emporter le livre pour le lire?

– Non, non, il faut que je montre quelque chose à Pierre.»

Je compris qu’il ne voulait pas me laisser lire ce qui suivait. Du reste, j’en ai parlé à Pierre qui m’a avoué que c’était un récit de l’incendie de Louvain, et que son papa avait craint qu’il ne m’impressionnât trop.

Le capitaine Mase est reparti pour le front, bien qu’il boitât encore et qu’il fût obligé de s’appuyer sur sa canne pour marcher, mais il avait déclaré: «Je veux rejoindre mes hommes qui ne m’ont pas vu depuis longtemps». Pierre a eu encore beaucoup de peine, mais il me disait: «Tu comprends, c’est tout naturel que papa veuille aller se battre. Le tien a fait de même. Il est resté à Anvers parce qu’il trouvait que c’était son devoir. Nous avons de chics papas… Du reste, tous les papas français et belges sont pareils!»

Ensuite, nous avons eu beaucoup d’inquiétude pour Désiré que nous savions être sur l’Yser et qui a encore été cité à l’ordre du jour après la bataille de Mannekensvers où son régiment a tenu tête à toute une division allemande. Aussi, son régiment a pu écrire sur son drapeau: «Saint-Georges-lez-Nieuport» et Désiré nous a écrit dans la lettre où il racontait ce combat:

«Après toute une semaine de combats, nous avons été obligés de revenir sur la Panne. Sous nos uniformes boueux, lacérés, presque méconnaissables, nous, soldats harassés, encadrions notre drapeau qui a conquis avec un nom immortel la croix des héros».

Huit jours après, à Dixmude, il a été blessé. On l’a transporté à Dunkerque, mais comme, à ce moment, les Allemands voulaient prendre Calais et Dunkerque, maman ne put obtenir la permission d’aller le rejoindre. Heureusement qu’il y avait là-bas le sergent Vandenbroucque! Il a été si bon pour nous! Il allait chaque jour voir Désiré et écrivait tous les deux jours à maman. A peine Désiré a-t-il été guéri qu’il est retourné au Havre puis à Grenendyk où est son régiment.

Pauvre Tantine! Comme elle avait du chagrin de la blessure de Désiré, surtout de ne pouvoir le soigner. Un jour elle m’a dit:

«Tu sais, on ne nous permet pas d’aller à Dunkerque; mais, d’ailleurs, je ne pourrais pas faire le voyage, ta maman non plus. Nous n’avons pas d’argent et le peu que ta maman gagne suffit à peine à nos besoins. Songe donc, si nous n’avions pas Mme Moreau, qu’aurions-nous fait? Il ne serait donc pas honnête de nous servir de notre argent pour autre chose que pour payer notre nourriture. Naturellement, si Désiré avait été en danger de mort, ta mère serait partie, mais du moment qu’il n’est que blessé»

Quand Tantine parle de l’argent qui nous manque, je pense à ce que les Français ont fait pour nous. Mme Moreau est tellement bonne, elle aime tant maman qu’elle trouve toujours le moyen de la consoler et de l’aider à sortir de toutes les difficultés.

Pendant tout l’hiver, elle a confectionné avec maman nos robes, celles de Madeleine et de nos amies Marie et Louise. On s’est servi de robes anciennes pour les plus petites. Tout a été combiné en «commun», comme dit Mme Moreau.

Pauvre Tantine! Elle est comme papa, elle fait tout selon sa conscience!

Barbe a beaucoup grandi, mais elle est toujours volontaire. Quant à Phœbus, il est le même; il s’est attaché particulièrement au capitaine Mase, et je crois qu’il aurait bien voulu le suivre quand nous l’avons accompagné à la gare. Madeleine a «conquis brillamment», comme dit Pierre, ses brevets d’infirmière et passe toutes ses après-midi à l’ambulance.

6 juillet.– Il fait très chaud, les fenêtres sont ouvertes pour laisser entrer la fraîcheur du soir, et nous sommes toutes occupées à coudre ou à lire en attendant Pierre qui est allé chercher des nouvelles. Je regarde à la fenêtre et je le vois revenir très vite en tenant une lettre à la main. Je vais sur l’escalier et il crie en montant:

«Une lettre de Désiré! une lettre de Désiré!»

Naturellement, c’est à celui qui la prendra le plus vite. Mais Pierre, comme toujours, me l’a donnée à moi et je la porte à maman.

Après l’avoir décachetée avec soin, elle la lit à haute voix. Nous n’avions pas eu de lettre de lui depuis un mois:

«Ma chère maman,

«J’ai eu des nouvelles de papa par une femme qui est partie d’Anvers et qui l’a vu. Il va bien, mais il est très surveillé, car les Boches à la Commandantur sont terribles pour tous ceux qu’ils soupçonnent être intransigeants, tels que des Belges comme papa, par exemple. Ils ont condamné à des mois de prison des hommes, des femmes, pour un rien, et ont envoyé en Allemagne des civils qui leur résistaient.

«Notre cher papa jusqu’à présent a su leur échapper, et c’est heureux pour nos compatriotes, qui sans lui auraient été bien plus cruellement persécutés.

«Papa, paraît-il, a dit à cette femme quand elle l’a quitté: Peut-être reverrai-je mes enfants plus tôt qu’ils ne le croient!» Que pensait-il en parlant ainsi? Croit-il que la victoire est plus proche qu’il nous le semble? Est-ce un projet qu’il mûrit? En tout cas, il sait où nous trouver et, s’il revenait parmi vous, quelle joie de l’embrasser! Pour le moment, je suis encore un peu fatigué lorsque je marche trop longtemps. Aussi mon capitaine m’a-t-il pris pour le moment comme secrétaire, ce qui ne m’empêche pas de travailler dur, je vous l’assure. Nous reformons le régiment qui avait été bien réduit à Saint-Georges et à Dixmude, et ce n’est pas une petite affaire. Beaucoup d’hommes sont très affaiblis et, quant aux vêtements, ils sont généralement presque en lambeaux. On a organisé à la Panne et au Havre des ateliers où des quantités de femmes confectionnent des habillements militaires; il paraît qu’elles gagnent assez bien leur vie.

«Il faut que je termine ma lettre, mon capitaine m’appelle. Croyez-vous que Phœbus puisse encore faire campagne?

«Mille tendres baisers pour vous tous.
«Désiré.»

Cette lettre nous donna beaucoup d’émotion. D’abord nous n’avions pas de nouvelles de papa depuis longtemps, et puis le voilà avec un projet dans la tête! Qu’est-ce qu’il compte donc faire?

«Tu comprends, me dit Pierre, si ton papa avait un projet sérieux, il ne l’aurait pas dit à cette femme. Il pensait à la victoire. Il sait que bientôt il y aura l’offensive de Joffre.»

Je voyais bien que maman était très soucieuse. Aussi lui ai-je demandé si elle avait de l’inquiétude.

«Oh non! pas précisément, mais il est évident que cette phrase ne peut que nous faire réfléchir.»

Tantine Berthe ne disait rien. Je me suis approchée d’elle doucement et je lui ai dit tout bas:

«Bonne Tantine, à quoi pensez-vous?

– Je pense, ma petite Noémie, que si, à la Panne, des femmes travaillent pour nos soldats et gagnent leur vie, nous devrions y être.

– Tu voudrais quitter Montbrison?

– Oh! je ne le voudrais pas; mais je sens que c’est notre devoir à tous les points de vue.

– Quelle tristesse s’il faut partir et nous séparer de nos amis!

– Ma petite, tout est tristesse depuis que les Allemands sont entrés chez nous!»

Je regardais Tantine à ce moment-là; elle était assise sur un fauteuil près de la fenêtre comme nous l’avions vue si souvent à Louvain dans sa gentille maison. Mais comme elle paraissait changée! Elle ne se tenait plus si droite, ses mains tremblaient et elle avait l’air tellement triste et tellement malheureux que je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer.

Elle me prit dans ses bras, m’embrassa, et me dit:

«Ma petite enfant, n’aie pas de chagrin. Je ne te dis pas que nous allons partir; je n’en sais rien moi-même; nous réfléchirons à tout cela.

– Mais je ne pleure pas pour cela…

– Alors, pourquoi?»

Je ne voulais pas lui dire ce que j’avais pensé; je lui répondis:

«C’est à cause de papa… j’ai peur que nous ne le revoyions jamais!

– Mais, sois donc courageuse! Jusqu’à présent, il est en bonne santé; Désiré a été grièvement blessé et il peut reprendre son service et, vois-tu, même Phœbus – elle ajouta cela en souriant – il a retrouvé sa patte enlevée par un obus!»

Ce sourire de Tantine était loin d’être gai, et je pensais à son petit jardin de Louvain plein de fleurs, que les Boches avaient dû brûler! et à notre chère maison aussi!

Pendant que nous causions, Barbe avait voulu savoir ce qu’il y avait dans le corps de sa poupée Francine; elle avait pris des ciseaux, et coupé son ventre. Naturellement, le son qui le remplissait se répandit par terre, Barbe poussa alors des cris de désespoir et trépignait de rage.

Dans ces cas, Phœbus veut la consoler et lèche les joues de ma sœur, en ayant l’air de lui dire: «Tu sais, ne pleure pas, cela n’a pas du tout d’importance, tu cries trop, c’est insupportable»; puis, très agité, vient me chercher et me ramène vers Barbe. Avec bonté, Mme Moreau, qui la gâte toujours, a cousu tout de suite une belle pièce sur le ventre de Francine en y remettant du son. Seulement la pièce était faite avec de l’étoffe rose, tandis que le corps de la poupée était très blanc. Barbe allait recommencer à crier. Pierre lui dit:

«Mais, tais-toi donc, on a toujours le ventre rose; il n’y a que les nègres et les Chinois qui l’ont noir ou jaune, et Francine est une petite Belge!»

Barbe se précipita sur Pierre pour le battre, mais il se sauva et Phœbus, en courant après lui, entraîna Barbe qui se mit à rire!

 

Oui, mais il faudra peut-être aller au Havre pour travailler! Nous aussi, nous serons courageuses. Nous serons plus près de papa et même de Désiré. Le capitaine Mase est du côté d’Arras. Il a écrit à Pierre que le mois prochain il devait aller à Harfleur chercher des canons et qu’il le verrait; son fils viendrait le retrouver à un endroit qu’il lui désignerait. Pierre, à cette nouvelle, était dans une joie folle. Il gambadait et sautait dans toute la chambre. On voulait le calmer mais il n’y avait pas moyen.