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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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CHAPITRE XIII

Désir de la paix.—L'honneur de nos armes réparé.—Difficultés élevées par l'empereur Alexandre.—Médiation de l'Autriche.—Temps perdu.—Départ de Dresde.—Beauté de l'armée française.—L'Angleterre âme de la coalition.—Les conditions de Lunéville.—Guerre nationale en Prusse.—Retour vers le passé.—Circonstances du séjour à Dresde.—Le duc d'Otrante auprès de l'empereur.—Fausses interprétations.—Souvenirs de la conspiration Mallet.—Fouché gouverneur général de l'Illyrie.—Haute opinion de l'empereur sur les talens du duc d'Otrante.—Dévouement du duc de Rovigo.—Arrivée du roi de Naples.—Froideur apparente de l'empereur.—Dresde fortifié et immensité des travaux.—Les cartes et répétition des batailles.—Notre voyage à Mayence.—Mort du duc d'Abrantès.—Regrets de l'empereur.—Courte entrevue avec l'impératrice.—L'empereur trois jours dans son cabinet.—Expiration de l'armistice.—La Saint-Napoléon avancée de cinq jours.—La Comédie française et spectacle gratis à Dresde.—La journée des dîners.—Fête chez le général Durosnel.—Baptiste cadet et milord Bristol.—L'infanterie française divisée en quatorze corps.—Six grandes divisions de cavalerie.—Les gardes d'honneur.—Composition et force des armées ennemies.—Deux étrangers contre un Français.—Fausse sécurité de l'empereur à l'égard de l'Autriche.—Déclaration de guerre.—Le comte de Narbonne.

Toute la durée de l'armistice fut employée en négociations pour arriver à la conclusion de la paix. L'empereur la souhaitait alors ardemment, surtout depuis qu'il avait vu l'honneur de ses armes réparé aux journées de Lutzen et de Bautzen. Malheureusement il la voulait à des conditions auxquelles les ennemis ne pouvaient se déterminer à consentir, et bientôt on verra commencer la seconde série de nos désastres, qui rendirent la paix de plus en plus impossible. D'ailleurs, dès le commencement des négociations relatives à l'armistice dont nous touchions au terme, l'empereur Alexandre, malgré les trois batailles gagnées par l'empereur Napoléon, n'avait pas voulu écouter de propositions directes de la part de la France, mais seulement sous la condition que l'Autriche agirait comme médiatrice. Cette défiance ne pouvait être de nature à amener un rapprochement définitif: vainqueur, l'empereur devait naturellement en être irrité; cependant, dans ces graves circonstances, il était parvenu à dompter sa juste susceptibilité, à l'égard du procédé de l'empereur de Russie envers lui. Il en résulta du temps perdu à Dresde, comme il y en avait eu lors de la prolongation de notre séjour à Moscou, et, dans l'une et dans l'autre de ces circonstances, ce temps perdu pour nous profita seulement à l'ennemi.

Tout espoir d'accommodement étant donc évanoui, le 15 d'août l'empereur monta en voiture, nous quittâmes Dresde, et la guerre recommença. L'armée française était encore magnifique et imposante: elle était forte de deux cent mille hommes d'infanterie, et seulement de quarante mille hommes de cavalerie, tant il avait été impossible de réparer complétement les nombreuses pertes que nous avions faites en chevaux. Le malheur voulait alors que l'Angleterre fût l'âme de la coalition de la Russie, de la Prusse et de la Suède contre la France; ses subsides lui avaient acquis des droits; on ne voulait rien décider sans la consulter, et j'ai su depuis que, pendant que l'on faisait des simulacres de négociations, le gouvernement britannique déclara à l'empereur de Russie que, dans les circonstances où on se trouvait, les conditions de Lunéville seraient encore trop favorables pour la France. Toutes ces difficultés pouvaient se traduire par ces mots: «Nous voulons la guerre!» On eut donc la guerre, ou plutôt, ce fléau continua à désoler l'Allemagne, et bientôt menaça et envahit la France. Je dois en outre faire observer que ce qui contribuait à rendre notre position extrêmement critique en cas de revers, c'est que la Prusse ne nous faisait pas seulement une guerre de soldats, mais une guerre devenue nationale par le soulèvement de la landwer et de la landsturm, guerre plus dangereuse mille fois que la tactique des armées les mieux disciplinées. À tant d'embarras se joignait la crainte, qui ne tarda pas à être justifiée, de voir l'Autriche, de médiatrice molle et nonchalante qu'elle était, devenir ennemie déclarée.

Avant d'aller plus avant, il est à propos, ce me semble, que je revienne sur deux ou trois circonstances que j'ai involontairement omises, et qui se rapportent à notre séjour à Dresde, avant ce que l'on pourrait appeler la seconde campagne de 1813. La première de ces circonstances est l'apparition à Dresde de M. le duc d'Otrante, que Sa Majesté y avait mandé. On ne l'avait vu que rarement aux Tuileries, depuis que M. le duc de Rovigo l'avait remplacé au ministère de la police générale, et je me rappelle que sa présence au quartier-général surprit bien du monde, car on le croyait dans une disgrâce complète. Ceux qui cherchent toujours à expliquer les causes des moindres événemens pensèrent que l'intention de Sa Majesté était d'opposer les moyens astucieux de la police de M. Fouché à la police, alors toute-puissante, du baron de Stein, chef avoué des sectes occultes qui se formaient de toutes parts, et que l'on regardait, non sans raison, connue le directeur de l'opinion populaire en Prusse et en Allemagne, et surtout dans les nombreuses écoles, où les étudians n'attendaient que le moment de prendre les armes. Ces conjectures sur la présence de M. Fouché à Dresde n'étaient nullement fondées. L'empereur, en l'appelant auprès de lui, avait un motif réel qu'il avait toutefois déguisé sous la forme d'un prétexte apparent. Ayant sans cesse présente à la pensée l'entreprise de Mallet, Sa Majesté avait pensé qu'il ne serait pas prudent de laisser à Paris, en son absence, un mécontent aussi influent que M. le duc d'Otrante, et je l'ai entendu plusieurs fois s'exprimer sur ce sujet d'une manière qui ne me permet pas de doute. Toutefois, pour colorer ce motif réel, l'empereur nomma M. Fouché gouverneur des provinces illyriennes, en remplacement de M. le comte Bertrand, appelé au commandement d'un corps d'armée, et qui bientôt fut appelé à succéder à l'adorable général Duroc, dans les fonctions de grand-maréchal du Palais. Quoi qu'il en soit de M. Fouché, c'est une chose bien certaine que peu de personnes étaient aussi convaincues de la supériorité de ses talens pour la police que Sa Majesté elle-même; plusieurs fois, quand il s'était passé à Paris quelque chose d'extraordinaire, et notamment quand il eut appris la conspiration de Mallet, l'empereur, revenant le soir sur ce qui l'avait le plus affecté dans le jour, conclut en disant: «Cela ne serait pas arrivé si Fouché eût été ministre de la police.» Peut-être était-ce une prévention, car certainement l'empereur n'a jamais eu de serviteur plus fidèle et plus dévoué que M. le duc de Rovigo, quoiqu'on ait fort plaisanté dans Paris de sa captivité de quelques heures.

Le prince Eugène étant retourné en Italie au commencement de la campagne, pour y organiser une nouvelle armée, nous ne le vîmes point à Dresde; le roi de Naples, arrivé dans la nuit du 13 au 14 d'août, s'y présenta presque seul, n'ayant plus dans la grande armée que le petit nombre de troupes napolitaines qu'il y avait laissées lors de son départ pour Naples.

J'étais dans la chambre de l'empereur quand le roi de Naples y entra et le vit pour la première fois. Je ne sus à quoi l'attribuer, mais je crus remarquer que l'empereur ne faisait pas à son beau-frère un accueil aussi amical que par le passé. Le prince Murat dit qu'il n'avait pu demeurer plus long-temps tranquille à Naples, sachant que l'armée française, à laquelle il n'avait jamais cessé d'appartenir, se battait, et qu'il ne demandait qu'à combattre dans ses rangs. L'empereur l'emmena avec lui à la parade, et lui donna le commandement de la garde impériale: il eût été difficile de le confier à un chef plus intrépide. Plus tard, il eut le commandement général de la cavalerie.

Pendant toute la durée de l'armistice, occupée plutôt que remplie par les lentes et inutiles conférences du congrès de Prague, il serait impossible de se figurer tous les travaux divers auxquels l'empereur se livrait du matin au soir, et souvent pendant la nuit. On le voyait sans cesse couché sur ses cartes, faisant pour ainsi dire une répétition des batailles qu'il méditait. Cependant, souvent impatienté de la lenteur des négociations, sur l'issue desquelles il ne paraissait plus se faire d'illusion, il me dit, un peu avant la fin de juillet, de voir si l'on avait préparé ce qui lui était nécessaire pour une excursion que nous allions faire jusqu'à Mayence. Il y avait donné rendez-vous à l'impératrice, qui devait y arriver le 25, de sorte que l'empereur combina son départ de manière à y arriver peu de temps après elle. Au surplus, je ne rapporte ce voyage pour ainsi dire que comme un fait, car il ne fut signalé par aucune circonstance remarquable, si ce n'est que ce fut pendant notre excursion à Mayence que l'empereur apprit la mort du duc d'Abrantès, qui venait de succomber à Dijon aux violens accès de la maladie terrible dont il était atteint. Quoique l'empereur, sachant déjà qu'il était dans un état déplorable d'aliénation mentale, dût s'attendre à cette perte, elle ne lui fut pas moins sensible, et il donna de sincères regrets à son ancien aide-de-camp.

L'empereur ne resta que peu de jours avec l'impératrice, qu'il avait revue avec une vive satisfaction. Mais les grands intérêts de sa politique le rappelaient à Dresde; il y revint en visitant plusieurs places situées sur la route, et le 4 d'août nous étions de retour dans la capitale de la Saxe. Les voyageurs qui n'avaient vu cette belle ville que dans un temps de paix auraient eu de la peine à la reconnaître; d'immenses travaux l'avaient métamorphosée en ville de guerre; de nombreuses batteries étaient élevées aux environs pour pouvoir dominer la rive opposée de l'Elbe. Tout prit une attitude guerrière; et les occupations de l'empereur devinrent multipliées et pressées au point qu'il resta près de trois jours sans sortir de son cabinet.

 

Cependant, au milieu des préparatifs de guerre, tout se disposait à célébrer, le 10 d'août, la fête de l'empereur, que l'on avait avancée de cinq jours, parce que, ainsi que je crois l'avoir fait observer, l'armistice expirait précisément le jour anniversaire de la Saint-Napoléon; et l'on peut dire qu'avec son caractère belliqueux la reprise des hostilités n'était pas pour l'empereur un bouquet de fête qu'il fût tenté de dédaigner.

Comme à Paris, il y eut à Dresde spectacle gratis la veille de la fête de l'empereur. Les acteurs du Théâtre-Français jouèrent deux comédies le 9 à cinq heures du soir; et cette représentation fut la dernière, la Comédie française ayant immédiatement après reçu l'ordre de retourner à Paris. Le lendemain, le roi de Saxe, accompagné de tous les princes de sa famille, se rendit à neuf heures du matin au palais Marcolini, pour y présenter ses hommages à l'empereur; ensuite il y eut grand-lever comme aux Tuileries, une revue dans laquelle l'empereur inspecta une partie de sa garde, plusieurs régimens, et quelques troupes saxonnes qui furent invitées à dîner par les troupes françaises. Ce jour-là, on aurait pu sans trop d'exagération comparer la ville de Dresde à une vaste salle à manger. En effet, pendant que Sa Majesté dînait en grand couvert au palais du roi de Saxe, où toute la famille de ce prince se trouvait réunie, tout le corps diplomatique était assis à la table de M. le duc de Bassano; M. le baron Bignon, envoyé de France à Varsovie, traitait tous les Polonais de distinction présens à Dresde; M. le comte Daru donnait un grand dîner aux autorités françaises; le général Friant aux généraux français et saxons; et le baron de Serra, ministre de France à Dresde, aux chefs des colléges saxons. Enfin cette journée de dîners fut couronnée par un souper de près de deux cents couverts, que le général Henri Durosnel, gouverneur de Dresde, donna le soir même à la suite d'un bal magnifique dans l'hôtel de M. de Serra.

À notre retour de Mayence à Dresde, j'avais appris que la maison du général Durosnel était le lieu de rendez-vous de la haute société, tant parmi les Saxons que parmi les Français. Pendant l'absence de Sa Majesté, le général, profitant de ses loisirs, donna des fêtes, et entre autres une aux acteurs et aux actrices de la Comédie française. Je me rappelle même à ce sujet une anecdote comique que l'on me raconta alors. Sans manquer aux bienséances ni à la politesse, Baptiste cadet, me dit-on, contribua beaucoup à l'agrément de la soirée. Il s'y présenta sous le nom de milord Bristol, diplomate anglais, se rendant au congrès de Prague. Son déguisement était si vrai, son accent si naturel, et son flegme si imperturbable, que plusieurs personnes de la cour de Saxe y furent prises de la meilleure foi du monde. Cela ne m'étonna pas, et je vis par là que le talent de Baptiste cadet pour les mystifications n'avait rien perdu depuis le temps où il me divertissait si fort aux déjeuners du colonel Beauharnais. Que de choses déjà depuis cette époque!

Cependant l'empereur, voyant que rien ne pouvait plus retarder la reprise des hostilités, avait aussitôt divisé ses deux cent mille hommes d'infanterie en quatorze corps d'armée, dont le commandement fut donné aux maréchaux Victor, Ney, Marmont, Augereau, Macdonald, Oudinot, Davoust et Gouvion-Saint-Cyr75, le prince Poniatowski, et les généraux Reynier, Rapp, Lauriston, Vandamme et Bertrand. Les quarante mille hommes de cavalerie formèrent six grandes divisions sous les ordres des généraux Nansouty, Latour-Maubourg, Sébastiani, Arrighi, Milhaud et Kellermann; et, comme je l'ai déjà dit, le roi de Naples eut le commandement de la garde impériale. En outre on vit dans cette campagne apparaître pour la première fois sur nos champs de bataille les gardes d'honneur, troupe d'élite recrutée dans les familles les plus riches et les plus considérables, et qui s'élevait à plus de dix mille hommes séparés en deux divisions sous le simple titre de régimens, dont l'un était commandé par le général comte de Pully, et l'autre, si je ne me trompe, par le général Ségur. Cette jeunesse, naguère oisive, adonnée au repos et aux plaisirs, devint en peu de temps une excellente cavalerie, qui se signala en plusieurs occasions, et notamment à la bataille de Dresde, dont j'aurai bientôt à parler.

On a vu précédemment quelle était la force de l'armée française. L'armée combinée des alliés ennemis s'élevait à quatre cent vingt mille hommes d'infanterie, et sa cavalerie n'était guère moindre de cent mille chevaux, sans compter un corps d'armée de réserve de quatre-vingt mille Russes prêt à sortir de la Pologne sous les ordres du général Beningsen. Ainsi les soldats étrangers étaient contre les nôtres dans une proportion plus grande que celle de deux contre un.

À cette époque de l'entrée en campagne, l'Autriche venait de se déclarer contre nous. Ce coup, bien qu'attendu, frappa vivement l'empereur; il s'en expliqua souvent devant toutes les personnes qui avaient l'honneur de l'approcher. M. de Metternich, ai-je entendu dire, l'en avait presque prévenu dans les dernières entrevues que ce ministre avait eues à Dresde avec Sa Majesté; mais l'empereur avait long-temps répugné à croire que l'empereur d'Autriche ferait cause commune avec les coalisés du nord contre sa fille et son petit-fils. Enfin tous les doutes furent levés par l'arrivée de M. le comte Louis de Narbonne, qui revint de Prague à Dresde, porteur de la déclaration de guerre de l'Autriche. Chacun prévit dès lors que la France compterait bientôt pour ennemis tous les pays que ses troupes n'occuperaient plus. L'événement ne justifia que trop cette prévision. Cependant tout n'était pas désespéré, et nous n'avions pas encore été obligés de prendre la défensive.

CHAPITRE XIV

L'empereur marchant à la conquête de la paix.—Le lendemain du départ et le champ de bataille de Bautzen.—Murat à la tête de la garde impériale et refus des honneurs royaux.—L'empereur à Gorlitz.—Entrevue avec le duc de Vicence.—Le gage de paix et la guerre.—Blücher en Silésie.—Violation de l'armistice par Blücher.—Le général Jomini au quartier-général de l'empereur Alexandre.—Récit du duc de Vicence.—Première nouvelle de la présence de Moreau.—Présentation du général Jomini à Moreau.—Froideur mutuelle et jugement de l'empereur.—Prévision de Sa Majesté sur les transfuges.—Deux traîtres.—Changemens dans les plans de l'empereur.—Mouvemens du quartier-général.—Mission de Murat à Dresde.—Instructions de l'empereur au général Gourgaud.—Dresde menacée et consternation des habitans.—Rapport du général Gourgaud.—Résolution de défendre Dresde.—Le général Haxo envoyé auprès du général Vandamme.—Ordres détaillés.—L'empereur sur le pont de Dresde.—La ville rassurée par sa présence.—Belle attitude des cuirassiers de Latour-Maubourg.—Grande bataille.—L'empereur plus exposé qu'il ne l'avait jamais été.—L'empereur mouillé jusqu'aux os.—Difficulté que j'éprouve à le déshabiller.—Le seul accès de fièvre que j'aie vu à Sa Majesté.—Le lendemain de la victoire.—L'escorte de l'empereur brillante comme aux Tuileries.—Les grenadiers passant la nuit à nettoyer leurs armes.—Nouvelles de Paris.—Lettres qui me sont personnelles.—Le procès de Michel et de Reynier.—Départ de l'impératrice pour Cherbourg.—Attentions de l'empereur pour l'impératrice.—Soins pour la rendre populaire.—Les nouvelles substituées aux bulletins.—Lecture des journaux.

La guerre recommença sans que les négociations fussent précisément rompues, puisque M. le duc de Vicence était encore auprès de M. de Metternich; aussi l'empereur, en montant à cheval, dit-il aux nombreux généraux qui l'entouraient qu'il marchait à la conquête de la paix. Mais quel espoir pouvait-on encore conserver après la déclaration de l'Autriche, et surtout quand on savait que les souverains alliés avaient sans cesse augmenté leurs prétentions à mesure que l'empereur faisait les concessions qui lui étaient demandées? Ce fut à cinq heures de l'après-midi que l'empereur partit de Dresde, s'avançant par la route de Kœnigstein. Le lendemain, il passa la journée à Bautzen, où il examina le champ de bataille théâtre de sa dernière victoire. Là, le roi de Naples, qui n'avait pas voulu qu'on lui rendît les honneurs royaux, vint le rejoindre à la tête de la garde impériale, dont l'aspect était aussi imposant qu'il l'avait jamais été.

Nous arrivâmes le 18 à Gorlitz, où l'empereur trouva le duc de Vicence, qui revenait de Bohême. Il confirma l'empereur dans la nouvelle que Sa Majesté avait déjà reçue à Dresde de la détermination qu'avait prise l'empereur d'Autriche de faire cause commune avec l'empereur de Russie, le roi de Prusse et la Suède contre l'époux de sa fille, de cette princesse qu'il avait donnée à l'empereur comme un gage de paix. Ce fut aussi par M. le duc de Vicence que l'empereur apprit que le général Blücher venait d'entrer en Silésie à la tête d'une armée de cent mille hommes, et que, sans respect pour les conventions les plus sacrées, il s'était emparé de Breslau la veille du jour fixé pour la rupture de l'armistice; que ce même jour le général Jomini, Suisse de naissance, mais tout à l'heure encore au service de France, et chef d'état-major du maréchal Ney, comblé des bontés de l'empereur, venait de déserter son poste pour se rendre au quartier-général de l'empereur Alexandre, qui l'avait accueilli avec toutes les démonstrations d'une vive satisfaction.

Le duc de Vicence entra dans quelques détails sur cette désertion, qui parut affliger Sa Majesté plus que toutes les autres nouvelles. Il lui dit, entre autres choses, que lorsque le général Jomini était arrivé en présence d'Alexandre, il avait trouvé ce monarque entouré de chefs, parmi lesquels on désignait le général Moreau; et ce fut alors que l'empereur reçut la première nouvelle de la présence de Moreau au quartier-général ennemi. M. le duc de Vicence ajouta que l'empereur Alexandre avait présenté le général Jomini à Moreau, que celui-ci l'avait salué froidement, et que Jomini n'avait répondu à ce salut que par une simple inclinaison de tête, après quoi il s'était retiré sans dire un seul mot, et que tout le reste de la soirée il était resté triste et silencieux dans un coin du salon opposé à celui où se tenait Moreau. Cette froideur n'avait point échappé à l'empereur Alexandre; aussi le lendemain à son lever, interpellant l'ex-chef d'état-major du maréchal Ney: «Général Jomini, lui dit-il, d'où vient ce qui s'est passé hier? Il aurait dû, ce me semble, vous être agréable de rencontrer le général Moreau?—Partout ailleurs, Sire.—Comment?—Si j'étais né Français, comme le général, je ne serais pas aujourd'hui dans le camp de Votre Majesté.» M. le duc de Vicence ayant ainsi terminé son rapport à l'empereur, Sa Majesté dit avec un sourire amer: «Je suis sûr que ce misérable Jomini croit avoir fait une belle action! Ah! Caulaincourt, ce sont les transfuges qui me perdront!» Peut-être Moreau, en accueillant lui-même le général Jomini avec froideur, avait-il pensé que s'il eût servi encore dans l'armée française, il n'aurait pas trahi les armes à la main; et, après tout, ce n'est point une chose hors de nature que de voir deux traîtres rougir l'un de l'autre, se faire en même temps illusion sur leur propre trahison, et sans penser que le sentiment qu'ils éprouvent est en même temps celui qu'ils inspirent.

Quoi qu'il en soit, les nouvelles que M. de Caulaincourt donna à l'empereur lui firent faire quelques changemens dans la disposition de ses plans de campagne. Sa Majesté renonça effectivement à se porter de sa personne sur Berlin, ainsi qu'elle avait témoigné l'intention de le faire. L'empereur, reconnaissant la nécessité de savoir avant tout à quoi s'en tenir sur la marche de la grande armée autrichienne, commandée par le prince de Schwartzenberg, pénétra en Bohême; mais, apprenant par les coureurs de l'armée et par les espions que quatre-vingt mille Russes étaient restés du côté opposé, avec un corps considérable de l'armée autrichienne, il revint sur ses pas après quelques engagemens où sa présence décida de la victoire, et le 24 nous nous trouvâmes de nouveau à Bautzen. Sa Majesté envoya de cette résidence le roi de Naples à Dresde pour rassurer le roi de Saxe et les habitans de Dresde, qui savaient l'ennemi aux portes de leur ville. L'empereur leur faisait donner l'assurance que les forces ennemies n'y entreraient pas, puisqu'il était revenu pour en défendre les approches, les engageant toutefois à ne pas se laisser intimider par un coup de main que pourraient tenter quelques détachemens isolés. Murat arriva à propos, car nous apprîmes plus tard qu'alors la consternation était générale dans la ville; mais tel était le prestige attaché aux promesses de l'empereur, que chacun reprit courage en apprenant sa présence.

 

Tandis que le roi de Naples remplissait cette mission, le colonel Gourgaud fut appelé pendant la matinée dans la tente de l'empereur, où je me trouvais alors. «Je serai demain sur la route de Pirna, lui dit Sa Majesté; mais je m'arrêterai à Stolpen. Vous, courez à Dresde; allez ventre à terre; soyez-y cette nuit. Voyez, en arrivant, le roi de Naples, Durosnel, le duc de Bassano, le maréchal Gouvion: rassurez-les tous. Voyez aussi le ministre saxon de Gersdorf; dites-lui que vous ne pouvez pas voir le roi, parce que vous partez tout de suite, mais que je puis demain faire entrer quarante mille hommes dans Dresde, et que je suis en mesure d'arriver avec toute l'armée. Au jour, vous irez chez le commandant du génie; vous visiterez les redoutes et l'enceinte de la ville; et quand vous aurez bien vu, vous reviendrez au plus vite me retrouver à Stolpen. Rapportez-moi le véritable état des choses, ainsi que l'opinion du maréchal Saint-Cyr et du duc de Bassano: allez.» Le colonel partit sur-le-champ au grand galop, n'ayant encore rien pris de la journée.

Le lendemain, à onze heures du soir, le colonel Gourgaud était de retour auprès de l'empereur, après avoir rempli toutes les conditions de sa mission. Cependant l'armée des alliés était descendue dans la plaine de Dresde, et déjà quelques attaques avaient été dirigées sur les postes avancés. Il résulta des renseignement donnés par le colonel qu'à l'arrivée du roi de Naples, la ville, dans la plus grande consternation, n'avait d'espoir que dans l'empereur. Déjà, en effet, des hordes de cosaques étaient en vue des faubourgs qu'ils menaçaient, et leur apparition avait contraint les habitans de ces faubourgs à chercher un refuge dans l'intérieur de la ville. En sortant, disait le colonel Gourgaud, j'ai vu un village en flammes à une demi-lieue des grands jardins, et le maréchal Gouvion-Saint-Cyr se disposait à évacuer cette position.—Mais enfin, dit vivement l'empereur, quel est l'avis du duc de Bassano?—Sire, M. le duc de Bassano ne pense pas qu'on puisse tenir encore vingt-quatre heures.—Et vous?—Moi, Sire?… Je pense que Dresde sera pris demain, si Votre Majesté n'est pas là.—Puis-je compter sur ce que vous me dites?—Sire, j'en réponds sur ma tête.»

Alors Sa Majesté fait venir le général Haxo, et lui dit, le doigt sur la carte: «Vandamme s'avance par Pirna au delà de l'Elbe. L'empressement de l'ennemi à s'enfoncer jusqu'à Dresde a été extrême; Vandamme va se trouver sur ses derrières. J'avais le projet de soutenir son mouvement avec toute l'armée; mais le sort de Dresde m'inquiète, et je ne veux pas sacrifier cette ville. Je puis m'y rendre en quelques heures, et je vais le faire, quoiqu'il m'en coûte beaucoup d'abandonner un plan qui, bien exécuté, pouvait me fournir les moyens d'en finir tout d'un coup avec les alliés. Heureusement Vandamme est encore en forces suffisantes pour suppléer au mouvement général par des attaques partielles, et qui tourmenteront l'ennemi. Dites-lui donc qu'il se porte de Pirna sur Ghiesubel, qu'il gagne les défilés de Peterswalde, et que, retranché dans ce poste inexpugnable, il attende le résultat de ce qui va se passer sous les murs de Dresde. C'est à lui que je réserve le soin de ramasser l'épée des vaincus. Mais il faut du sang-froid, et ne pas s'occuper de la cohue que feront les fuyards. Expliquez bien au général Vandamme ce que j'attends de lui. Jamais il n'aura une occasion plus belle de gagner le bâton de maréchal.»

Le général Haxo partit à l'instant même; l'empereur fit rentrer le colonel Gourgaud et lui dit de prendre un cheval frais et de retourner à Dresde plus vite qu'il n'en était venu, afin d'annoncer son arrivée: «La vieille garde me précédera, dit Sa Majesté, j'espère qu'ils n'auront pas peur quand ils la verront.»

Le 26 au matin, l'empereur était sur le pont de Dresde, à cheval, et commençait, au milieu des cris de joie de la jeune et de la vieille garde, les dispositions de cette bataille terrible qui dura trois jours.

Il était dix heures du matin quand les habitans de Dresde, réduits au désespoir et parlant hautement de capituler, virent arriver Sa Majesté. La scène changea tout à coup; au plus complet découragement succéda la confiance la plus forte, surtout lorsque les fiers cuirassiers de Latour-Maubourg défilèrent sur le pont, la tête haute et les yeux fixés sur les collines avoisinantes, que les lignes ennemies couronnaient. L'empereur descendit aussitôt au palais du roi, qui se préparait à chercher un asile dans la ville neuve. L'arrivée du grand homme changea ses dispositions. Cette entrevue fut extrêmement touchante.

Je ne prétends pas entrer dans les détails de ces journées mémorables, où l'empereur se couvrit de gloire et fut exposé à plus de dangers que jamais il n'en avait couru. Pages, écuyers, aides de camp, tombaient morts autour de lui, les balles perçaient le ventre de ses chevaux, mais rien ne pouvait l'atteindre; les soldats le voyaient et redoublaient d'ardeur en redoublant de confiance et d'admiration. Je dirai seulement que le premier jour l'empereur ne rentra au château qu'à minuit, et passa toutes les heures jusqu'au jour à dicter des ordres en se promenant à grands pas; qu'à la pointe du jour il remonta à cheval par le temps le plus affreux, avec une pluie qui dura toute la journée. Le soir l'ennemi était en pleine déroute: alors l'empereur reprit le chemin du palais dans un état épouvantable. Depuis six heures du matin qu'il était à cheval, la pluie n'avait pas cessé un seul instant; aussi était-il si mouillé que l'on pourrait dire sans figure que ses bottes prenaient l'eau par le collet de son habit: elles en étaient entièrement remplies. Son chapeau de castor très-fin était tellement déformé qu'il lui tombait sur les épaules; son ceinturon de buffle était entièrement imprégné d'eau; enfin, un homme que l'on vient de retirer de la rivière n'est pas plus mouillé que l'était l'empereur. Le roi de Saxe, qui l'attendait, le revit dans cet état et l'embrassa comme un fils chéri qui vient d'échapper à un grand danger; cet excellent prince avait les larmes aux yeux en pressant contre son cœur le sauveur de sa capitale. Après quelques mots rassurans et pleins de tendresse de la part de l'empereur, Sa Majesté entra dans son appartement, laissant partout des traces de l'eau qui dégouttait de toutes les parties de ses vêtemens. J'eus beaucoup de peine à le déshabiller. Sachant que l'empereur aimait à se mettre dans le bain après une journée fatigante, j'en avais fait préparer un; mais éprouvant une fatigue extraordinaire, à laquelle se joignait un mouvement de frisson très-caractérisé, Sa Majesté préféra se mettre dans son lit, que je bassinai en toute hâte. À peine l'empereur fut-il couché qu'il fit appeler M. le baron Fain, l'un de ses secrétaires, pour lui faire lire sa correspondance arriérée, qui était très-volumineuse. Ce fut après seulement qu'il prit son bain; il n'y était que depuis quelques minutes, quand il se trouva saisi d'un malaise extraordinaire bientôt suivi de vomissemens, ce qui l'obligea à se remettre au lit. Alors Sa Majesté me dit: «Mon cher Constant, un peu de repos m'est indispensable, voyez à ce qu'on ne me réveille que pour des choses de la plus grande importance; dites-le à Fain.» J'obéis aux ordres de l'empereur, après quoi je me tins dans le salon qui précédait sa chambre à coucher, veillant avec la sévérité d'un factionnaire à ce que personne ne le réveillât ou approchât même de son appartement. Le lendemain matin l'empereur sonna d'assez bonne heure, et j'entrai immédiatement dans sa chambre, inquiet de savoir comment il aurait passé la nuit. Je trouvai l'empereur presque entièrement remis et fort gai; il me dit cependant qu'il avait eu un mouvement de fièvre assez fort, et je dois dire que ce fut à ma connaissance la seule fois que l'empereur ait eu la fièvre, car, pendant tout le temps que j'ai été auprès de lui, je ne l'ai jamais vu assez malade pour garder le lit seulement pendant vingt-quatre heures. Il se leva à son heure ordinaire. Quand il descendit, l'empereur éprouva une vive satisfaction, causée par la bonne tenue du bataillon de service. Ces braves grenadiers, qui la veille lui avaient servi d'escorte, étaient rentrés à Dresde avec lui dans l'état le plus pitoyable: dès le matin nous les vîmes rangés dans la cour du palais, en tenue magnifique, et portant leurs armes brillantes comme en un jour de parade sur la place du Carrousel. Ces braves avaient passé la nuit à se nettoyer et à se sécher autour de grands feux qu'ils avaient allumés à cet effet, ayant ainsi préféré au sommeil et au repos dont ils devaient pourtant avoir grand besoin, la satisfaction de se présenter en bonne tenue aux regards de leur empereur. Un mot d'approbation les payait de leurs fatigues, et l'on peut dire que jamais chef militaire n'a été autant aimé du soldat que l'était Sa Majesté.

75Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr était alors le plus jeune en date des maréchaux de l'empire, ayant reçu le bâton de maréchal sur le champ de bataille pendant la campagne de Moscou, après le combat du 18 août.