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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Pendant le Voyage de Hollande, on avait appris à Leurs Majestés que la première dent du roi de Rome venait de percer. Ce premier travail de la dentition n'avait point altéré la santé de l'auguste enfant.

Dans une des petites villes de la Nord-Hollande, les notables demandèrent à l'empereur la permission de lui présenter un vieillard âgé de cent un ans. Il ordonna qu'on le fît venir. C'était un vieillard encore vert, qui avait servi jadis dans les gardes du stathouder; il présenta une pétition où il suppliait l'empereur d'exempter de la conscription un de ses petits-fils, l'appui de sa vieillesse. Sa Majesté lui fit répondre par un interprète qu'on ne le priverait pas de son petit-fils, et le maréchal Duroc fut chargé de laisser au pauvre vieillard un témoignage de la libéralité impériale. Dans une autre petite ville de la Frise, les autorités firent à l'empereur cette singulière allocution: «Sire! nous avions peur de vous voir avec toute la Cour; vous êtes presque seul, nous ne vous en verrons que mieux et plus à notre aise. Vive l'empereur!» L'empereur applaudit à cette loyale félicitation, et il en fit à l'orateur de touchans remercîmens. Après ce long voyage, passé dans des fêtes, des revues et des pompes de tout genre, où l'empereur, sous un air d'amusemens, avait fait de profondes observations sur la situation morale, commerciale et militaire de la Hollande, observations qui se résolurent, à son retour à Paris et dans le pays même, en sages et utiles décrets, Leurs Majestés quittèrent la Hollande, en passant par Harlem, La Haye, Rotterdam, où elles furent accueillies, comme dans le reste de la Hollande, par des fêtes. Elles traversèrent le Rhin, visitèrent Cologne-la-Chapelle, et arrivèrent à Saint-Cloud dans les premiers jours de novembre 1811.»

CHAPITRE II

Marie-Louise.—Son portrait.—Ce qu'elle était dans l'intérieur et en public.—Ses relations avec les dames de la cour.—Son caractère.—Sa sensibilité.—Son éducation.—Elle détestait le désœuvrement.—Comment elle est instruite des affaires publiques.—L'empereur se plaint de sa froideur avec les dames de la cour.—Comparaison avec Joséphine.—Bienfaisance de Marie-Louise.—Somme qu'elle consacre par mois aux pauvres.—Napoléon ému de ses traits de bienfaisance.—Journée de Marie-Louise.—Son premier déjeuner.—Sa toilette du matin.—Ses visites à madame de Montebello.—Elle joue au billard.—Ses promenades à cheval.—Son goûter avec de la pâtisserie.—Ses relations avec les personnes de son service.—Le portrait de la duchesse de Montebello retiré de l'appartement de l'impératrice quand l'empereur était au château.—Portrait de l'empereur François.—Le roi de Rome.—Son caractère.—Sa bonté.—Mademoiselle Fanny Soufflot.—Le petit roi.—Albert Froment.—Querelle entre le petit roi et Albert Froment.—La femme en deuil et le petit garçon.—Anecdote.—Docilité du roi de Rome.—Ses accès de colère.—Anecdote.—L'empereur et son fils.—Les grimaces devant la glace.—Le chapeau à trois cornes.—L'empereur joue avec le petit roi sur la pelouse de Trianon.—Le petit roi dans la salle du conseil.—Le petit roi et l'huissier.—Un roi ne doit pas avoir peur.—Singulier caprice du roi de Rome.

Marie-Louise était une fort belle femme. Elle avait une taille majestueuse, de la noblesse dans le port, beaucoup de fraîcheur dans le teint, les cheveux blonds, les yeux bleus, et pleins d'expression; ses pieds et ses mains faisaient l'admiration de la cour, mais elle avait peut-être un peu trop d'embonpoint. Elle en perdit un peu pendant son séjour en France; aussi est-il vrai de dire qu'elle gagna d'autant en grâce et en beauté.

Telle elle était à l'extérieur. Dans ses rapports avec les personnes qui formaient sa société la plus habituelle, elle était affable et expansive: alors tout le bonheur qu'elle ressentait dans la liberté de ces entretiens se peignait sur sa figure, qui s'animait et prenait une grâce infinie. Mais dans les occasions où elle devait représenter, elle devenait extrêmement timide. Le beau monde semblait l'isoler d'elle-même: et comme les personnes qui ne sont point naturellement hautes ont toujours mauvaise grâce à le paraître, ainsi Marie-Louise, qui était toujours très-embarassée dans les jours de réception, donnait lieu souvent à des remarques peu justes; car, comme je l'ai dit, sa froideur au fond venait d'une excessive timidité.

Dans les premiers momens de son arrivée en France, Marie-Louise avait plus que jamais cet air d'embarras. Cela se conçoit facilement de la part d'une princesse qui se trouvait si subitement transportée dans une nouvelle société dont il fallait prendre les usages et affecter les goûts. Et puis, quoique sa haute position dût naturellement appeler le monde à elle, cependant force lui était de l'aller chercher un peu elle-même. C'est ce qui explique la gêne de ses premières relations avec les dames de la cour. Mais quand les rapprochemens de ce genre devinrent plus fréquens et que la jeune impératrice eut fait ses choix dans tout l'abandon de son cœur, alors les grands airs de froideur ne furent plus gardés que pour les grands jours. Marie-Louise était d'un caractère calme, réfléchi. Il fallait peu de chose pour donner l'éveil à sa sensibilité; et cependant, quoique facile à s'émouvoir, elle était peu démonstrative. L'impératrice avait reçu une éducation très-soignée. Son esprit était cultivé et ses goûts fort simples. Elle avait tous les talens d'agrément: elle détestait ces heures fades passées dans le désœuvrement. Aussi aimait-elle à s'occuper, parce que ses goûts l'y portaient, et puis parce qu'elle voyait dans le bon emploi des heures le seul moyen de chasser l'ennui. Je crois que c'était bien la femme qui convenait à l'empereur. Elle aimait trop son intérieur pour se mêler jamais aux intrigues politiques, et très-souvent elle n'avait connaissance des affaires publiques, elle impératrice et reine, que par la voie des journaux. L'empereur, au sortir de ses journées agitées, ne devait trouver un peu de délassement que dans un intérieur paisible, et qui le rappelât au bonheur d'être en famille. Une femme intrigante, une causeuse politique lui eût cassé la tête.

Cependant l'empereur se plaignit quelquefois du peu d'amabilité que la nouvelle impératrice témoignait aux dames de la cour. Il souffrait de son excessive réserve dans un pays où l'on pèche peut-être par l'excès contraire; c'est qu'il songeait un peu au temps passé, à l'impératrice Joséphine, dont l'inaltérable gaîté faisait le charme de la cour. Il devait être frappé du contraste, mais n'y avait-il pas un peu d'injustice dans le fond de sa pensée? L'impératrice Marie-Louise était fille d'empereur, et n'avait jamais vu et connu que des courtisans, et point de gens du peuple. Aussi ses sympathies n'allaient pas au-delà des murs du palais de Vienne. Elle était arrivée un beau jour aux Tuileries, au milieu d'un peuple qu'elle n'avait jamais vu qu'habillé en soldat: c'est pourquoi la raideur de ses manières, avec les personnes de la brillante société de Paris, me semblait jusqu'à un certain point excusable. Il paraît en outre que l'on habituait l'impératrice à un rigorisme de franchise et de naturel tout-à-fait déplacé. À force de lui répéter d'être naturelle, on avait empêché chez elle cet abandon dans les formes, si convenable de la part des grands, que l'on ne va trouver qu'autant qu'ils vous appellent à eux. L'impératrice Joséphine aimait le peuple parce qu'elle en avait fait partie. En montant sur un trône, sa bonté communicative eut tout à gagner, car elle trouva à s'étendre plus au large.

Bonne comme elle l'était, l'impératrice Marie-Louise devait chercher à faire des heureux. On parlera long-temps de sa bienfaisance, et surtout de sa manière délicate de faire le bien. Tous les mois elle prenait sur les fonds affectés à sa toilette dix mille francs pour les pauvres. Ses aumônes ne se bornaient pas là; elle accueillit toujours avec un vif intérêt ceux qui lui parlèrent de malheureux à soulager. À l'empressement qu'elle mettait à écouter les solliciteurs, il semblait qu'on l'eût rappelée tout à coup à un devoir; et pourtant on n'avait fait que toucher la corde sensible de son cœur.

Je ne sache pas que l'on ait jamais éprouvé d'elle un refus dans les demandes de ce genre. L'empereur était profondément ému toutes les fois qu'il venait à connaître un acte de bienfaisance de l'impératrice.

À huit heures du matin on ouvrait les rideaux et les persiennes à moitié dans l'appartement de l'impératrice Marie-Louise; on lui donnait les journaux qu'elle parcourait. Ensuite on lui servait du chocolat ou du café, avec une espèce de pâtisserie que l'on nomme conque; elle faisait ce premier déjeuner dans son lit. À neuf heures Marie-Louise se levait, faisait sa toilette du matin, et recevait les personnes qui avaient droit au petites entrées. Tous les jours, en l'absence de l'empereur, l'impératrice montait dans l'appartement de madame de Montebello. À onze heures, elle déjeunait presque toujours seule et s'occupait de musique ou de petits ouvrages: quelquefois elle jouait au billard. À deux heures elle montait à cheval ou en voiture avec madame de Montebello, sa dame d'honneur, et suivie de son service, qui se composait du chevalier d'honneur et de quelques dames du palais. En rentrant dans ses appartemens, après la promenade, elle prenait un léger repas de pâtisserie et de fruits. Après avoir pris ses leçons de dessin, de peinture et de musique, elle commençait sa grande toilette. De six à sept heures elle dînait avec l'empereur, ou en son absence avec madame de Montebello. Le dîner se composait d'un seul service. La soirée se passait ou en réceptions ou en concerts, spectacles, etc. L'impératrice se retirait à onze heures. Une de ses femmes couchait toujours dans l'appartement qui précédait la chambre à coucher; et c'était devant cette dame que l'empereur devait passer, quand il voulait coucher avec Marie-Louise.

 

Les habitudes de l'impératrice étaient quelquefois dérangées, quand l'empereur était présent; mais, seule, l'impératrice était ponctuelle dans tout et faisait exactement les mêmes choses aux mêmes heures. Son service particulier paraissait lui être fort attaché. Elle était froide et grave; mais on la trouvait bonne et juste.

En l'absence de l'empereur, le portrait de la duchesse de Montebello ornait la chambre de l'impératrice, avec tous ceux de la famille impériale d'Autriche. Au retour de l'empereur, le portrait de la duchesse était retiré. Pendant la guerre qui eut lieu entre l'empereur et les empereurs d'Autriche et de Russie, le portrait de François II fut enlevé de l'appartement de sa fille par les ordres de Sa Majesté, et fut, je pense, mis en pénitence dans quelque endroit caché.

Le roi de Rome était un très-bel enfant; mais il ressemblait moins à l'empereur que le fils d'Hortense. Ses traits offraient un mélange fort agréable de ceux de son père et de sa mère. Je ne l'ai connu que dans sa première enfance. Ce qu'on remarquait le plus en lui à cet âge, c'était une grande bonté et beaucoup d'attachement pour les personnes qui l'entouraient. Il aimait beaucoup une jeune et jolie personne, fille d'une première dame, mademoiselle Fanny Soufflot, qui ne le quittait presque pas; il voulait toujours la voir parée; il demandait à l'impératrice Marie-Louise ou à sa gouvernante, madame la comtesse de Montesquiou, quelques colifichets qui lui semblaient jolis, et qu'il voulait donner à sa jeune amie. Il lui faisait promettre de le suivre à la guerre quand il serait grand, et lui disait de ces mots charmans qui peignent un bon cœur.

On avait laissé auprès du petit roi (comme il se nommait lui-même) un jeune enfant appartenant aussi à une première dame: c'était, je crois, Albert Froment. Un matin qu'ils jouaient ensemble dans le jardin sur lequel ouvrait l'appartement du roi à Saint-Cloud, mademoiselle Fanny les veillant sans gêner leurs jeux, Albert voulait la brouette du roi; celui-ci résiste, et Albert le frappe. Le roi lui dit aussitôt: «Si on te voyait! mais je ne le dirai pas.» Je crois ce trait caractéristique.

Un jour il était aux fenêtres du château avec sa gouvernante, s'amusant beaucoup à voir passer le monde, et montrant du doigt à sa gouvernante ce qui attirait le plus son attention. En regardant au bas de ses fenêtres, il aperçut une femme en deuil qui tenait par la main un petit garçon de trois à quatre ans, aussi en deuil. Ce petit enfant tenait à la main une pétition qu'il montrait de loin au prince, et paraissait le supplier de la recevoir. Ces vêtemens noirs intriguèrent fort le jeune prince. Il demanda à sa gouvernante pourquoi ce pauvre petit était habillé tout en noir.—«Sans doute, c'est que son papa est mort,» lui répondit la gouvernante. L'enfant manifesta un vif désir de parler au petit solliciteur. Madame de Montesquiou, qui avait surtout à cœur de favoriser dans son jeune élève cette disposition à la bonté, donna ordre qu'on fît monter la mère et l'enfant. Cette femme était la veuve d'un brave homme qui avait été tué dans la dernière campagne. Cette perte l'avait mise dans la misère; elle sollicitait une pension de l'empereur. Le jeune prince prit la pétition, et promit de la remettre à son papa. Le lendemain il va présenter ses devoirs à son père comme à l'ordinaire, et lui remet toutes les pétitions de la veille dont il était chargé; une seule fut remise à part: c'était celle de son petit protégé. «Papa, dit-il à son père, voici une pétition d'un petit garçon dont le papa est mort à cause de toi; donne-lui une pension.» Napoléon ému embrassa son fils. Le brevet de la pension fut expédié dans la journée. C'est là sans contredit le trait d'une âme de bien bonne heure excellente.

Sa première éducation d'enfance fut très-facile. Madame de Montesquiou avait pris sur lui un grand empire: elle le devait à la manière tout à la fois douce et grave dont elle le reprenait, quand il faisait quelque faute. L'enfant était généralement docile; cependant il avait quelquefois de violens accès de colère. Sa gouvernante avait adopté un moyen excellent pour l'en corriger: c'était de demeurer impassible, laissant se calmer d'elles-mêmes ses petites fureurs. Quand l'enfant revenait à lui, une observation faite avec sévérité et onction en faisait un petit Caton pour tout le reste de la journée. Un jour qu'il se roulait à terre en poussant de grands cris, sans vouloir écouter les remontrances de sa gouvernante, celle-ci ferma les fenêtres et les contrevents. L'enfant, que ce changement imprévu de décoration étonne, oublie ce qui l'avait contrarié, et lui demande pourquoi elle agissait ainsi. «C'est de peur qu'on ne vous entende, répondit-elle; croyez-vous que les Français voudraient d'un prince comme vous, s'ils savaient que vous vous mettez ainsi en colère?—«Crois-tu qu'on m'ait entendu? s'écria-t-il; j'en serais bien fâché. Pardon, maman Quiou (c'est ainsi qu'il l'appelait); je ne le ferai plus.»

L'empereur aimait passionnément son fils; il le prenait dans ses bras toutes les fois qu'il le voyait, l'enlevait violemment de terre, puis l'y ramenait, puis l'enlevait encore, s'amusant beaucoup de sa joie. Il le taquinait, le portait devant une glace, et lui faisait souvent mille grimaces dont l'enfant riait jusqu'aux larmes. Lorsqu'il déjeunait, il le mettait sur ses genoux, trempait un doigt dans la sauce, le lui faisait sucer, et lui en barbouillait le visage. La gouvernante grondait, l'empereur riait plus fort, et l'enfant, qui prenait plaisir au jeu, demandait dans sa joie bruyante que son père réitérât. C'était là le bon moment pour faire arriver les pétitions au château. Elles étaient toujours bien accueillies, grâce au crédit tout puissant du petit médiateur.

L'empereur, dans ses tendresses, était quelquefois plus enfant que son fils. Le jeune prince n'avait encore que quatre mois, que son père mettait sur ce joli nourrisson son chapeau à trois cornes. L'enfant pleurait assez ordinairement; alors l'empereur l'embrassait avec une force et un plaisir qu'il n'appartient qu'à un père tendre de ressentir. Il lui disait: «Quoi, sire, vous pleurez! Un roi, un roi pleure! fi donc; comme cela est vilain!» Il avait un an, quand un jour, à Trianon, sur la pelouse, devant le château, je vis l'empereur qui avait placé la ceinture de son épée sur l'épaule du roi et son chapeau sur sa tête. Il se mettait à quelque distance, tendant les bras à l'enfant, qui marchait jusqu'à lui en chancelant. Quelquefois ses petits pieds s'embarrassaient dans l'épée de son père. Il fallait voir alors avec quel empressement Sa Majesté étendait les bras pour lui éviter une chute.

Une fois, dans son cabinet, l'empereur était couché sur le tapis; le roi, à cheval sur ses jambes, montait par saccades jusqu'au visage de son père, et alors il l'embrassait. Une autre fois l'enfant vint dans le salon du conseil, qui était fini. Les conseillers et les ministres y étaient encore. Le roi courut dans les bras de son père sans faire attention à d'autres qu'à lui. L'empereur lui dit: «Sire, vous n'avez pas salué ces messieurs.» L'enfant se retourna, salua avec grâce, et son père l'enleva dans ses bras. Quand il venait voir l'empereur, il courait dans les appartemens de manière à laisser madame de Montesquiou loin derrière lui. Il disait à l'huissier du cabinet: «Ouvrez-moi, je veux voir papa.» L'huissier lui répondait: «Sire, je ne puis ouvrir.—Mais je suis le petit roi.—Non, sire, je n'ouvrirai pas.» Pendant ce moment, sa gouvernante arrivait, et, fier alors de sa protection, il disait: «Ouvrez, le petit roi le veut.»

Madame de Montesquiou avait fait ajouter aux prières que l'enfant faisait soir et matin ces mots: «Mon Dieu, inspirez à papa de faire la paix pour le bonheur de la France.» Un jour que l'empereur assistait au coucher de son fils, il fit la même prière. L'empereur l'embrassa, ne dit rien, mais sourit d'une manière pleine de bonté en regardant madame de Montesquiou.

L'empereur disait au roi de Rome quand il était effrayé de son bruit et de ses grimaces: «Comment! comment! un roi ne doit pas avoir peur.»

Je me rappelle encore une anecdote sur le jeune fils de l'empereur qui m'a été racontée par Sa Majesté elle-même un soir que j'étais à la déshabiller comme de coutume. L'empereur en riait de tout son cœur. «Vous ne vous douteriez pas, me dit-il, de la singulière récompense que mon fils a demandée à sa gouvernante pour avoir été bien sage. Ne voulait-il pas qu'elle lui permît d'aller barbotter dans la boue!» Le fait était vrai, et prouve, ce me semble, que les grandeurs dont on environne le berceau des princes, ne suffisent point pour détruire ce qu'il y a souvent de bizarre dans les caprices de l'enfance.

CHAPITRE III

L'abbé Geoffroy reçoit les étrivières.—Mot de l'empereur à ce sujet.—M. Corvisart.—Sa franchise.—Il tient à ce qu'on observe ses ordonnances.—L'empereur l'aimait beaucoup.—M. Corvisart à la chasse pendant que l'empereur est pris de violentes coliques.—Ce qu'il en arrive.—Crédit de M. Corvisart auprès de l'empereur.—Il parle chaudement pour M. de Bourrienne.—Réponse de Sa Majesté.—Le cardinal Fesch.—Sa volubilité.—Mot de l'empereur.—Ordre que me donne Sa Majesté avant le départ pour la Russie.—M. le comte de Lavalette.—Les diamans.—Joséphine me fait demander à la Malmaison.—Elle me recommande d'avoir soin de l'empereur.—Elle me fait promettre de lui écrire.—Elle me donne son portrait.—Réflexion sur le départ de la grande armée.—Quelle est ma mission.—Le transfuge.—On l'amène devant l'empereur.—Ce que c'était.—Discipline russe.—Fermentation de Moscou.—Barclay.—Kutuzof.—La classe marchande.—Kutuzof généralissime.—Son portrait.—Ce que devient le transfuge.—L'empereur fait son entrée dans une ville russe, escorté de deux Cosaques.—Les Cosaques descendus de cheval.—Ils boivent de l'eau-de-vie comme de l'eau.—Murat.—D'un mouvement de son sabre il fait reculer une horde de Cosaques.—Les sorciers.—Platof.—Il fait fouetter un sorcier.—Relâchement dans la police des bivouacs français.—Mécontentement de l'empereur.—Sa menace.—Promenade de Sa Majesté avant la bataille de la Moskowa.—Encouragemens donnés à l'agriculture.—L'empereur monte sur les hauteurs de Borodino.—La pluie.—Contrariété de l'empereur.—Le général Caulaincourt.—Mot de l'empereur.—Il se donne à peine le temps de se vêtir.—Ordre du jour.—Le soleil d'Austerlitz.—On apporte à l'empereur le portrait du roi de Rome.—On le montre aux officiers et aux soldats de la vieille garde.—L'empereur malade.—Mort du comte Auguste de Caulaincourt.—Il avait quitté sa jeune épouse peu d'heures après le mariage.—Ce que l'empereur disait des généraux morts à l'armée.—Ses larmes en apprenant la mort de Lannes.—Mot de Sa Majesté sur le général Ordener.—L'empereur parcourt le champ de bataille de la Moskowa.—Son emportement en entendant les cris des blessés.—Anecdote.—Exclamation de l'empereur pendant la nuit qui suivit la bataille.

Tout le monde a connu l'abbé Geoffroy de satirique mémoire, et ces feuilletons qui faisaient le désespoir des auteurs et des acteurs les plus en vogue à cette époque. Il fallait que cet impitoyable Aristarque se fût voué de bien bon cœur à cette profession épineuse, car il y alla quelquefois pour lui, non pas de sa vie, ce que bien des gens peut-être auraient désiré, mais au moins de sa santé et de son repos. Il est bon sans doute de s'attaquer à qui peut répliquer avec la plume; alors les conséquences de la lutte ne vont pas au delà du ridicule qui en résulte souvent pour les deux adversaires. Mais l'abbé Geoffroy ne remplissait qu'une des deux conditions en vertu desquelles on peut être critique méchant; il avait beaucoup de fiel dans le style, mais il n'était pas homme d'épée. Or on sait qu'il est tels gens devant qui il est bon de se présenter avec ces deux argumens.

Un de ces acteurs, que l'abbé Geoffroy ne gâtait pas précisément par ses éloges, voulut se venger d'une manière piquante, et dont il pût rire long-temps. Un soir, à la sortie du spectacle, prévoyant peut-être ce qui l'attendait dans le feuilleton du lendemain, il ne trouva rien de mieux que d'enlever le terrible Geoffroy à la sortie du spectacle, de le conduire les yeux bandés dans une maison où il lui serait infligé, à lui, maître en l'art d'écrire, une punition d'écolier. Ainsi fut fait: à l'instant où l'abbé regagnait son logis, se frottant peut-être les mains de quelque trait piquant à jeter le lendemain sur le papier, trois ou quatre vigoureux gaillards le saisissent et l'emportent sans mot dire au lieu du supplice. Le même soir l'abbé, bien flagellé, ouvrit les yeux dans le beau milieu de la rue, où il se trouva seul, et fort éloigné de son domicile. L'empereur, à qui on parla de ce tour plaisant, n'en rit pas du tout. Loin de là, il s'emporta, et dit que s'il connaissait l'auteur de cette violence inique, il le ferait punir. «Quand un homme attaque avec la plume, ajouta-t-il, il faut lui répondre de même.» La vérité est d'ailleurs que l'empereur aimait beaucoup Geoffroy, dont il ne voulait pas que les feuilletons fussent soumis à la censure comme ceux des autres journalistes. On disait dans Paris que cette prédilection d'un grand homme pour un critique acerbe venait de ce que les feuilletons du Journal de l'empire, dont on s'occupait beaucoup à cette époque, étaient une utile diversion donnée aux esprits de la capitale. Je ne sais rien de positif à cet égard, mais quand je me rappelle le caractère de l'empereur, qui ne voulait pas que l'on s'occupât de sa politique, ces bruits ne me paraissent pas dénués de fondement.

 

Le docteur Corvisart n'était pas courtisan. Il venait rarement hors des jours de son service: c'était le mercredi et le samedi; il était d'une grande franchise avec l'empereur, tenait fortement à ce que ses ordonnances fussent suivies à la lettre, et usait largement de ce droit qu'ont tous les médecins de gourmander les malades négligens. L'empereur l'aimait particulièrement, et le retenait toujours, paraissant jouir beaucoup de sa conversation. Après le voyage de Hollande, en 1811, un samedi, M. Corvisart vint voir l'empereur, qu'il trouva très-bien portant. Il partit après la toilette et fut de suite à sa campagne pour se livrer au plaisir de la chasse, qu'il aimait prodigieusement. Il avait pour habitude de ne jamais dire chez lui où il allait, afin de n'être pas dérangé pour peu de chose, comme cela lui était déjà arrivé; car du reste le docteur était plein d'obligeance et de dévouement.

Un jour après son déjeuner, qu'il fit comme de coutume fort vite, l'empereur se trouva pris tout à coup de violentes coliques et d'un malaise général; il demanda M. Corvisart, et un courrier fut expédié pour l'aller chercher. Ne le trouvant pas à Paris, il piqua son cheval et courut à la campagne du docteur; mais le docteur était à la chasse, et l'on ne savait de quel côté. Le courrier revint sans le docteur. L'empereur en fut vivement contrarié; il souffrait beaucoup. Enfin il se mit au lit, et Marie-Louise vint passer quelques instans près de lui. M. Ivan, ayant été appelé, donna quelques ordonnances dont l'empereur se trouva bien.

M. Corvisart, inquiet peut-être, vint le lundi au lieu du mercredi. Quand il entra dans la chambre de Napoléon, celui-ci était en robe de chambre, courut à lui, et lui prenant les deux oreilles, lui dit: «Eh bien, Monsieur, si j'étais sérieusement malade, il faudrait donc que je me passasse de vos soins?» M. Corvisart s'excusa, demanda à l'empereur ce qu'il avait ressenti, ce qu'il avait pris, et promit de dire toujours chez lui où il serait, afin qu'on pût le trouver au premier ordre de Sa Majesté, qui fut vite calmée. Le docteur y gagna ainsi, en ce qu'il se corrigea d'une mauvaise habitude. Il est probable que ses malades s'en trouvèrent bien.

M. Corvisart avait un immense crédit auprès de l'empereur. Aussi bien des gens qui le savaient chargeaient de préférence le docteur de pétitions. Il était rare qu'il n'obtînt pas les demandes qu'il faisait quelquefois à l'empereur. Pourtant je l'ai souvent entendu parler chaudement de M. de Bourrienne pour parvenir à lui faire comprendre qu'il était fort attaché à Sa Majesté; mais elle répondait toujours: «Non, Bourrienne est trop Anglais. Au reste, il est bien; je l'ai mis à Hambourg. Il aime l'argent, et il en peut avoir là.»

C'est dans le courant de l'année 1811 que le cardinal Fesch vint le plus souvent dans la chambre de l'empereur. Les discussions qu'ils avaient ensemble me parurent des plus vives. Le cardinal tenait fort à ses opinions, et parlait d'un ton fort haut et avec une grande volubilité. Il ne fallait pas plus de cinq minutes pour que la conversation prît de l'aigreur. Alors j'entendais l'empereur élever la voix en proportion. Assez souvent il y eut entre eux échange de propos amers; et toutes les fois que je voyais arriver le cardinal, je ne pouvais m'empêcher de plaindre l'empereur, qui était toujours fort agité au sortir de ces discussions. Un jour, au moment où le cardinal prenait congé de l'empereur, j'entendis ce dernier lui dire avec aigreur: «Cardinal, vous êtes bien de votre caste.»

Quelques jours avant notre départ pour la Russie, l'empereur me fit appeler dans la journée, et me dit d'aller prendre au trésor le coffre aux diamans et de le déposer dans sa chambre, puis de ne pas m'éloigner, ajoutant qu'il aurait encore besoin de moi. Sur les neuf heures du soir, je fus appelé, et trouvai M. le comte de Lavalette, directeur général des postes, dans la chambre de l'empereur. Sa Majesté ouvrit le coffre devant moi, en examina le contenu, et me dit: «Constant, portez vous-même ce coffre dans la voiture de M. le comte, et restez-y jusqu'à ce qu'il arrive.» La voiture était au grand perron, dans la cour des Tuileries. Je me la fis ouvrir et y entrai. J'attendis jusqu'à onze heures et demie, que M. de Lavalette y arrivât. Il avait passé tout ce temps à causer avec l'empereur. Je ne m'expliquai pas d'où venait cette précaution de donner les diamans à M. de Lavalette. Mais elle n'était sûrement pas sans motif.

Le coffre contenait: le glaive sur le pommeau duquel était monté le régent; la poignée était enrichie de diamans d'un grand prix. Le grand collier de la Légion-d'Honneur, les plaques, la ganse du chapeau, la contre-épaulette, les boutons de l'habit du sacre, les boucles de souliers et de jarretières, tous objets d'un prix immense.

Peu de temps avant notre départ pour la campagne de Russie, l'impératrice Joséphine me fit demander. Je fus de suite à la Malmaison, où cette excellente femme me renouvela les recommandations les plus vives sur les soins à donner à l'empereur pour sa santé et sa sûreté. Elle me fit promettre que, s'il lui arrivait le moindre accident, je lui écrirais; avant tout voulant être certaine de savoir la vérité. Elle pleura beaucoup, me parla constamment de l'empereur; et, après un entretien de plus d'une heure, où elle épancha toute sa sensibilité, elle me fit présent de son portrait peint par Saint sur une tabatière en or. J'avais le cœur serré quand je sortis de cette entrevue. Rien n'était plus touchant en effet que cette femme disgraciée, et pourtant toujours aimante, faisant des vœux pour l'homme qui l'avait abandonnée, et, mieux que cela, s'intéressant à lui comme l'aurait fait l'épouse la plus aimée.

En entrant en Russie, chose dont je parle ici plus selon l'ordre de mes souvenirs que selon l'ordre du temps, l'empereur envoyait sur trois routes différentes des services de gendarmerie d'élite pour préparer à l'avance les logemens, les lits, cantines, etc.. C'était MM. Sarrazin, adjudant lieutenant, Verges, Molène, le lieutenant Pachot. Au surplus je consacrerai plus tard un chapitre entier à notre itinéraire de Paris à Moscou.

Quelque temps avant la bataille de la Moskowa, on amena au camp un homme habillé à la russe, mais qui parlait français; du moins il y avait dans son langage un singulier mélange de russe et de français. Cet homme s'était échappé furtivement des lignes ennemies: quand il s'était aperçu que nos soldats n'étaient plus qu'à une petite distance de lui, il était sorti des rangs, avait jeté son fusil à terre en s'écriant avec l'accent russe fortement prononcé: «Je suis Français.» Nos soldats l'avaient fait prisonnier.