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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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CHAPITRE XXIV

Marie-Louise et Joséphine.—Simplicité de la jeune impératrice.—Elle se croit malade.—M. Corvisart.—Pilules de mie de pain et de sucre.—Locutions germaniques de Marie-Louise.—Tendresse de Napoléon.—Sévère étiquette.—Bonne grâce de l'impératrice.—Caen.—Acte de bienfaisance.—Cherbourg.—Une descente au fond du bassin de Cherbourg.—Baptême du roi de Rome.—Le cortége impérial.—Souvenirs de fête.—L'empereur montre son fils aux assistans.—Banquet et concert à l'hôtel-de-ville.—Paroles bienveillantes.—Le Tibre à Paris.—L'aéronaute Garnerin.—La province.—Le Puy-de-Dôme enflammé.—La mer toute en feu dans le port de Flessingue.—Encore des fêtes.—La route de Saint-Cloud.—Les fontaines d'orgeat et de groseille.—Des arbrisseaux pour lampions.—Madame Blanchard.—L'aérostat.—La grande étoile et les petites étoiles.—Féerie.—Les colombes.—L'orage.—L'empereur et le maire de Lyon.—Les courtisans.—Les musiciens.—Le prince Aldobrandini.—Le prince et la princesse Borghèse.—Les gens à mauvais présages.—Les femmes sans souliers.—Point de voitures.—Trait de galanterie et de bonté de M. de Rémusat.

Napoléon avait coutume de comparer Marie-Louise à Joséphine, en accordant à celle-ci tous les avantages de l'art et des grâces, et en attribuant à celle-là les charmes de la simplicité, de la modestie et de l'innocence. Quelquefois même cette simplicité avait quelque chose d'enfantin. Je n'en citerai qu'une anecdote qui m'est venue de bonne part. La jeune impératrice, se croyant malade, consulta M. Corvisart; celui-ci s'aperçut bien que l'imagination seule était frappée, et que ce pouvait bien être quelque vapeur de jeune femme. Aussi se contenta-t-il d'ordonner pour tout traitement une préparation de pilules composées de mie de pain et de sucre, et il en fit prendre à l'impératrice. Marie-Louise s'en trouva mieux; elle en remercia M. Corvisart, qui ne jugea pas à propos, comme on peut bien le croire, de la mettre dans la confidence de sa petite supercherie.

Élevée dans une cour allemande, et n'ayant appris le français qu'avec des maîtres, Marie-Louise parlait cette langue avec la difficulté qu'on éprouve d'ordinaire à s'exprimer dans un idiome étranger. Parmi les locutions vicieuses dont elle se servait quelquefois, et qui dans sa bouche gracieuse n'étaient pas sans charmes, celle-ci m'a particulièrement frappé, parce qu'elle revenait fort souvent: Napoléon, qu'est-ce que, veux-tu?

L'empereur montrait la plus grande affection à sa jeune épouse, et toutefois il la soumettait à toutes les règles de l'étiquette; ce à quoi l'impératrice se prêtait de la meilleure grâce. Au mois de mai 1811, Leurs Majestés firent un voyage dans les départemens du Calvados et de la Manche, et y furent reçues par les villes avec enthousiasme. L'empereur marqua son séjour à Caen par des dons, des grâces, des actes de bienfaisance. Plusieurs jeunes gens appartenant à de bonnes familles obtinrent des sous-lieutenances; cent trente mille francs furent consacrés à différentes aumônes. De Caen, Leurs Majestés se rendirent à Cherbourg. Le lendemain de leur arrivée, l'empereur sortit à cheval, de bon matin, visita les hauteurs de la ville, s'embarqua sur différens vaisseaux, et à toute heure la foule se pressa sur son passage, en criant Vive l'empereur! Le jour suivant Sa Majesté tint plusieurs conseils, et le soir elle visita tous les établissemens de la marine, et descendit au fond du bassin creusé dans le roc pour recevoir des vaisseaux de ligne et qui devait être couvert de cinquante-cinq pieds d'eau. Dans ce brillant voyage l'impératrice eut sa part dans l'enthousiasme des habitans, et en retour, dans les différentes réceptions qui eurent lieu, elle fit un gracieux accueil aux autorités du pays. J'insiste à dessein sur ces détails; ils prouvent que la joie causée par la naissance du roi de Rome n'était pas concentrée à Paris, mais qu'au contraire la province sympathisait merveilleusement avec la capitale.

Le retour à Paris de Leurs Majestés y ramena les réjouissances et les fêtes; la cérémonie du baptême du roi de Rome et les fêtes dont elle fut accompagnée furent célébrées à Paris avec une pompe digne de leur objet. Elles eurent pour spectateur la population de Paris tout entière, augmentée d'une foule prodigieuse d'étrangers de toutes les classes.

À quatre heures, le sénat partit de son palais, le conseil-d'état des Tuileries, le Corps-Législatif de son palais; la cour de cassation, la cour des comptes, le conseil de l'université, la cour impériale, du lieu ordinaire de leurs séances; le corps municipal de Paris et les députations des quarante neuf bonnes villes, de l'Hôtel-de-Ville. À leur arrivée dans l'église métropolitaine, ces corps furent placés par les maîtres et aides des cérémonies, suivant leur rang, à droite et à gauche du trône, depuis le chœur jusqu'au milieu de la nef. Le corps diplomatique se rendit à cinq heures à la tribune qui lui avait été destinée.

À cinq heures et demie, le canon annonça le départ de Leurs Majestés du palais des Tuileries; le cortége impérial était d'une magnificence éblouissante; la superbe tenue des troupes, la richesse et l'élégance des voitures, l'éclat des costumes offraient un spectacle ravissant. Ces acclamations du peuple qui retentissaient au passage de Leurs Majestés; ces maisons tapissées de festons et de draperies, ces drapeaux flottans aux fenêtres; cette longue file de voitures dont l'attelage et les ornemens augmentaient successivement de magnificence, et se suivaient comme dans un ordre hiérarchique; cet immense appareil d'une fête qu'animaient un sentiment vrai et des idées d'avenir, tout cela s'est profondément gravé dans ma mémoire, et occupe souvent encore les longs loisirs du vieux serviteur d'une famille qui a disparu. La cérémonie du baptême s'accomplit avec une pompe et une solennité inusitées. Après le baptême, l'empereur prit son auguste fils entre ses bras, et le montra aux assistans; aussitôt les acclamations, qui jusqu'alors avaient été comprimées par la sainteté de la cérémonie et la majesté du lieu, éclatèrent de toutes parts. Les prières achevées, Leurs Majestés se rendirent à l'Hôtel-de-Ville à huit heures du soir, et y furent reçues par le corps municipal. Un concert brillant et un banquet somptueux leur avaient été offerts par la ville de Paris. La décoration de la salle du banquet offrait les armes des quarante-neuf bonnes villes, Paris, Rome, Amsterdam placées les premières; les quarante-six autres par ordre alphabétique. Le banquet terminé, Leurs Majestés allèrent prendre place dans la salle du concert; après le concert, elles se rendirent dans la salle du trône, où toutes les personnes invitées faisaient cercle. L'empereur la parcourut en s'adressant avec affabilité, quelquefois même avec familiarité, au plus grand nombre des personnes qui le composaient, et dont chacune ne manqua pas de retenir les paroles bienveillantes qui lui furent adressées. Enfin, avant de se retirer, Leurs Majestés furent invitées à passer dans le jardin factice qui avait été formé au dessus de la cour de l'Hôtel-de-Ville. La décoration en était très-élégante; au fond du jardin, le Tibre était figuré par d'abondantes eaux, dont le cours était disposé avec beaucoup d'art et répandait une douce fraîcheur. Leurs Majestés quittèrent l'Hôtel-de-Ville vers onze heures et demie, et rentrèrent aux Tuileries à la lueur des illuminations les plus élégantes et des emblèmes lumineux du goût le plus délicat. Le temps le plus serein et la plus douce température avaient favorisé cette belle journée.

L'aéronaute Garnerin, parti de Paris à six heures et demie du soir, descendit le lendemain matin à Maule, département de Seine-et-Oise. Après y avoir pris quelque repos, il remonta en ballon et continua sa route.

Les provinces rivalisèrent de magnificence avec la capitale pour célébrer les fêtes de la naissance et du baptême du roi de Rome. Tout ce qu'on avait pu imaginer de plus ingénieux, soit en emblèmes, soit en illuminations, avait été exécuté pour donner plus de pompe à ces fêtes. Chaque ville avait été guidée, dans sa manière de rendre hommage au nouveau roi, soit par sa situation géographique, soit par sa destination particulière. Ainsi à Clermont-Ferrand un feu immense avait été allumé à dix heures du soir sur la cime du Puy-de-Dôme, à une hauteur de plus de cinq mille pieds. Plusieurs départemens purent jouir toute la nuit de ce majestueux et singulier spectacle. Dans le port de Flessingue, les bâtimens furent couverts de flammes et de pavillons de toutes couleurs. Le soir, l'escadre fut entièrement illuminée; des milliers de fanaux, suspendus aux mâts, aux vergues, aux cordages, offraient un coup d'œil ravissant. Tout à coup, au signal d'une fusée partie du vaisseau amiral, tous les bâtimens vomirent à la fois des gerbes de feu qui faisaient succéder à une nuit profonde l'éclat du jour le plus vif, et dessinaient majestueusement ces masses imposantes, répétées par l'eau de la mer unie comme une glace.

Nous ne faisions que passer d'une fête à une autre: c'était étourdissant. Les réjouissances du baptême furent en effet suivies d'une fête donnée par l'empereur dans le parc réservé de Saint-Cloud. Dès le matin, la route de Paris à Saint-Cloud était couverte d'équipages et de gens à pied. La fête avait lieu dans le parc fermé. L'orangerie, dont toutes les caisses décoraient le devant du château, était ornée de riches tentures. Des temples, des kiosques s'élevaient dans les bosquets. Toute l'avenue de marronniers était décorée de guirlandes en verres de couleurs. Des fontaines d'orgeat, de groseille avaient été distribuées de manière à ce que toutes les personnes de la fête pussent s'y rafraîchir. Des tables élégamment servies étaient dressées dans l'allée. Tout le parc était illuminé par des pots à feu cachés dans les arbrisseaux des massifs.

Madame Blanchard avait reçu l'ordre de se tenir prête à partir à neuf heures et demie, au signal qui lui serait donné. À neuf heures, l'aérostat étant rempli, elle monta dans sa nacelle. On la conduisit à l'extrémité du bassin des cygnes, en face du château; jusqu'au moment du départ elle fut maintenue dans cette position, et à une hauteur qui dépassait celle des arbres les plus élevés; de façon que, pendant plus d'une demi-heure, elle put être vue de tous les spectateurs qui assistaient à la fête. À neuf heures trente-cinq minutes, une fusée, partie du château, ayant donné le signal qu'on attendait, les cordes qui retenaient le ballon furent coupées, et aussitôt on vit l'intrépide aéronaute s'élever majestueusement dans les airs devant l'assemblée réunie dans la salle du trône. Parvenue à une certaine hauteur, elle mit le feu à une étoile en artifice d'une grande dimension, suspendue autour de la nacelle, dont elle occupait le centre. Cette étoile, qui, pendant sept à huit minutes, lançait de ses pointes et de ses angles une grande quantité d'autres petites étoiles, produisit l'effet le plus extraordinaire. C'était la première fois qu'on voyait une femme s'élever hardiment dans les airs, entourée de feux d'artifice: elle paraissait se promener sur un char de feu à une hauteur immense. Je me croyais dans un palais de fées. Toute la partie des jardins que parcoururent Leurs Majestés présentait un coup d'œil dont il est impossible de se faire une idée. Les illuminations étaient dessinées avec un goût parfait; les jeux offraient une grande variété, et de nombreux orchestres cachés dans les arbres ajoutaient encore à l'enchantement. À un signal donné, trois colombes partirent du haut d'une colonne surmontée d'un vase de fleurs, et vinrent offrir à Leurs Majestés plusieurs devises très-ingénieuses. Plus loin des paysans allemands dansaient des valses sur une pelouse charmante, et couronnaient de fleurs le buste de sa majesté l'impératrice. Des bergers et des nymphes de l'Opéra exécutaient des danses. Enfin un théâtre avait été élevé au milieu des arbres, afin d'y représenter la Fête de village, divertissement composé par M. Étienne, et mis en musique par Nicolo. L'empereur et l'impératrice assistaient sous un dais à ce spectacle, quand tout à coup il survint une pluie abondante qui mit en émoi tous les spectateurs. Leurs Majestés ne s'aperçurent pas d'abord de la pluie, protégées qu'elles étaient par le dais. L'empereur causait alors avec le maire de la ville de Lyon. Celui-ci se plaignait du peu d'écoulement des étoffes de cette ville. Napoléon, voyant tomber une pluie effroyable, dit à ce fonctionnaire: «Je vous réponds que demain il y aura des commandes considérables.»

 

L'empereur tint bon à sa place pendant une grande partie de l'orage. Les courtisans, couverts d'étoffes de soie et de velours, la tête découverte, recevaient la pluie d'un air riant. Les pauvres musiciens, trempés jusqu'aux os, ne pouvaient déjà plus tirer aucun son de leurs instrumens, dont la pluie avait brisé ou détendu les cordes; il était temps que cela finît. L'empereur donna le signal du départ, et se retira.

Ce jour-là, le prince Aldobrandini, qui, en sa qualité de premier écuyer de Marie-Louise, accompagnait l'impératrice, fut fort heureux de trouver à emprunter un parapluie par-dessus un mur de séparation, afin de mettre Marie-Louise à couvert. On fut fort mécontent dans le groupe où cet emprunt se fit, de ce que le parapluie n'eût pas été rendu. Ce soir-là, le prince Borghèse et la princesse Pauline faillirent tomber dans la Seine avec leur voiture, en revenant à leur maison de campagne de Neuilly. Les personnes qui se plaisaient à tirer des présages, et celles surtout qui, en très-petit nombre, voyaient d'un œil chagrin les joies de l'empire, ne manquèrent pas de remarquer que toutes les fêtes données à Marie-Louise avaient toujours été troublées par quelque accident. On parlait avec affectation du bal donné par le prince de Schwartzenberg à l'occasion des épousailles de Leurs Majestés, et de l'incendie qui consuma la salle de danse, et de la mort tragique de plusieurs personnes, notamment de la sœur même du prince. On tirait de ce rapprochement de mauvais augures; les uns par malveillance, et pour miner l'enthousiasme inspiré par la haute fortune de Napoléon; les autres par une superstitieuse crédulité; comme s'il y avait eu matière à un rapprochement sérieux entre un incendie qui coûte la vie à plusieurs personnes, et l'accident fort ordinaire d'un orage en juin, qui flétrit des toilettes, et mouille jusqu'aux os des milliers de spectateurs.

C'était un coup d'œil tout-à-fait amusant pour celui qui n'avait pas de colifichets à gâter, et qui ne courait que le risque de s'enrhumer, que de voir ces pauvres femmes, noyées par la pluie, se sauver de côtés et d'autres, avec ou sans cavalier, et chercher des abris qui n'existaient nulle part.

Quelques-unes furent assez heureuses pour trouver de modestes parapluies; mais la plupart virent les fleurs de leur tête tomber abattues par la pluie, ou leurs garnitures, toutes dégouttantes d'eau, traîner par terre, à faire pitié. Quand il fallut retourner à Paris, les voitures manquaient. Les cochers avaient pensé prudemment que la fête durerait jusqu'au jour, et ne s'étaient pas mis en peine d'attendre les gens toute la nuit. Les personnes à équipages ne pouvaient en profiter; l'encombrement étant tel que la circulation en était devenue presque impossible. Plusieurs dames s'égarèrent, et retournèrent à Paris à pied; d'autres perdirent leurs chaussures, et c'était peine alors de voir de jolis petits pieds dans la boue. Heureusement il n'arriva que peu ou point d'accidens. Le médecin et le lit réparèrent tout. Mais l'empereur rit beaucoup de cette aventure, et il dit que cela ferait gagner les fabricans.

M. de Rémusat, si bon, si empressé à rendre service, s'oubliant pour les autres, était parvenu à se procurer un parapluie. Il rencontra ma femme et ma belle-mère, qui se sauvaient comme les autres. Il les prit chacune sous un bras, et les ramena au palais sans le moindre dommage. Pendant une heure il fit ainsi le voyage du palais au parc, et du parc au jardin, et il eut le bonheur d'être utile à un grand nombre de dames, dont il garantit les toilettes d'une entière déconfiture. Ce fut un trait de galanterie dont on lui sut généralement un gré infini, parce qu'il s'y mêlait un sentiment de bonté touchante.

CHAPITRE XXV

1811 et 1812.—Réflexions.—Fête de l'impératrice.—Trianon.—Route de Paris à Trianon.–Les gens de cour et les gens du peuple se coudoyant à la fête.—Le public des fêtes—Tout Paris à Versailles.—Les grandes allées de Versailles et les petits salons de Paris.—La pluie.—Les lampions et les femmes.—L'impératrice adresse de gracieuses paroles aux dames.—M. Alissan de Chazet.—Une promenade de Leurs Majestés dans le parc du Petit-Trianon.—L'Île-d'Amour.—Féerie.—Barques montées par des amours.—Musique qui vient on ne sait d'où.—Un tableau flamand en action.—Toutes les provinces de l'empire sont représentées à cette fête.—Marie-Louise.—Elle parlait peu aux hommes de son service.—Son maître-d'hôtel.—Dans son intérieur elle était bonne et douce.—Sa froideur pour madame de Montesquiou.—Ce qu'on disait à ce sujet.—Froideur réciproque entre madame de Montesquiou et la duchesse de Montebello.—Crainte d'une rivale.—La duchesse de Montebello.—Visites que lui fait l'impératrice.—Reproche que faisait Joséphine à madame de Montebello.—Mécontentement sourd des dames du palais.—Joséphine et madame de Montesquiou.—Le roi de Rome est conduit à Bagatelle et présenté à Joséphine.—Joie de cette princesse.—Son désintéressement.—Elle baigne l'auguste enfant de ses larmes.—Ce que Joséphine me dit à ce sujet.—La nourrice du roi de Rome.—Marie-Louise et son fils.—Marie-Louise et Joséphine.—Anecdote d'intérieur.—Le baiser sur la joue essuyé avec un mouchoir.—Répugnance de Marie-Louise pour la chaleur et les odeurs.

Cette année semblait être celle des fêtes. Je m'y suis arrêté avec plaisir, parce qu'elle précéda une année qui fut celle des malheurs. 1811 et 1812 offrent un contraste frappant. Toutes ces fleurs qui furent prodiguées aux fêtes du roi de Rome et de son auguste mère couvraient un abîme; tout cet enthousiasme se changea en deuil quelques mois plus tard; jamais fêtes plus brillantes ne furent suivies de plus éclatans revers. Laissons-nous donc aller encore aux charmes des dernières réjouissances qui précédèrent 1812. Ce sont des souvenirs dont j'ai besoin d'être fortifié avant d'entrer dans cette époque de sacrifices sans profit, de sang versé sans conserver ni conquérir, de gloire sans résultat. Le 25 août, la fête de l'impératrice fut célébrée à Trianon. Dès le matin, la route de Paris à Trianon était couverte d'un nombre immense de voitures et de gens à pied. Le même sentiment poussait la cour, la bourgeoisie, le peuple au délicieux rendez-vous de la fête. Tous les rangs étaient confondus, tout allait pêle-mêle; je n'ai jamais vu de foule plus singulièrement bigarrée, présenter un plus touchant mélange de toutes les conditions. D'ordinaire, le public de ces sortes de fêtes n'est guère que d'une classe du peuple, et quelque peu de bourgeoisie modeste; voilà tout: rarement des gens à équipages, plus rarement encore des gens de cour. Ici, il y avait de tout. Ils n'était si petites gens qui ne pussent se donner la satisfaction de coudoyer une comtesse ou quelque autre noble habitante du faubourg Saint-Germain. Tout Paris semblait être dans Versailles. Cette ville si belle, mais d'une beauté si triste, qui depuis le dernier roi, semblait être veuve de sa population; ces rues larges où l'on ne voit personne, ces places dont la moindre contiendrait tous les habitans de Versailles, et qui contenaient à peine les courtisans du grand roi, cette magnifique solitude qu'on appelle Versailles, avait été peuplée tout à coup par le capitale: les maisons particulières ne pouvaient contenir la foule qui arrivait de toute part; le parc était inondé d'une multitude de promeneurs de tout sexe et de tout âge; dans ces immenses allées on se marchait sur les pieds, on manquait d'air sur ce vaste plateau si aëré; on était gêné sur ce théâtre d'une grande fête publique, comme on l'est dans les bals qu'on donne dans ces petits salons de Paris qui ont été construits pour une douzaine de personnes, et où la vanité en entasse cent cinquante.

De grands préparatifs avaient été faits depuis quatre ou cinq jours dans les jardins délicieux de Trianon. Mais, la veille, le ciel avait été orageux; beaucoup de toilettes, pour lesquelles on s'était pressé, avaient été prudemment serrées; mais, le lendemain, un beau ciel bleu ayant rassuré tout le monde, on était parti pour Trianon, malgré les souvenirs de l'orage qui avait dispersé les spectateurs à la fête de Saint-Cloud. Toutefois, à trois heures, une pluie abondante fit craindre un moment que la soirée ne finît mal. Pluie du soir faisant son devoir, comme dit le proverbe. Il arriva, au contraire, que ce contre-temps ne fit qu'enbellir la fête, en rafraîchissant l'air brûlant d'août, et en abattant une poussière incommode. À six heures le soleil avait reparu, et l'été de 1811 n'eut pas de soirée plus douce ni plus agréable.

Toutes les lignes d'architecture du grand Trianon étaient ornées de lampions de différentes couleurs; dans la galerie, on apercevait six cents femmes brillantes de jeunesse et de parure. L'impératrice adressa de gracieuses paroles à plusieurs d'entre elles, et on fut généralement ravi de l'affabilité et des manières aimables d'une jeune princesse qui n'habitait la France que depuis quinze mois.

À cette fête, comme à toutes les fêtes de l'empire, il ne manqua pas de poëtes pour chanter ceux qui en étaient l'objet. Il y eut spectacle, et on joua une pièce de circonstance, dont je me rappelle parfaitement l'auteur, qui était M. Alissan de Chazet, mais dont j'ai oublié le titre. À la fin de la pièce, les principaux artistes de l'Opéra exécutèrent un ballet qui fut trouvé fort joli. Le spectacle terminé, Leurs Majestés commencèrent leur promenade dans le parc du Petit-Trianon. L'empereur, le chapeau à la main, donnait le bras à l'impératrice, et était suivi de toute la cour. On se rendit d'abord à l'Île-d'Amour. Tous les enchantemens de la féerie, tous ses prestiges s'y trouvaient réunis. Le temple, situé au milieu du lac, était magnifiquement illuminé, et les eaux réfléchissaient les colonnes de feu. Une multitude de barques élégantes sillonnaient en tous sens ce lac, qui semblait enflammé, et étaient montées par un essaim d'amours qui paraissaient se jouer dans les cordages. Des musiciens cachés à bord exécutaient des airs mélodieux; et cette harmonie, à la fois douce et mystérieuse, qui semblait sortir du sein des ondes, ajoutait encore à la magie du tableau et au charme de l'illusion. À ce spectacle succédèrent des scènes d'un autre genre; des scènes champêtres; un tableau flamand en action, avec ses bonnes figures réjouies et sa rustique aisance: des groupes d'habitans de chacune des provinces de France, qui faisaient croire que toutes les parties de l'empire avaient été conviées à cette fête. Enfin les spectacles les plus divers attirèrent tour à tour les regards de Leurs Majestés. Arrivées au salon de Polymnie, elles furent accueillies par un chœur charmant, dont la musique était, si je m'en souviens, de M. Paër, et les paroles du même M. Alissan de Chazet. Enfin, après un souper magnifique qui fut servi dans la grande galerie, Leurs Majestés se retirèrent. Il était une heure du matin.

 

Il n'y eut qu'une voix, dans cette immense assemblée, sur la grâce et la dignité parfaite de Marie-Louise. Cette jeune princesse était en effet charmante, mais avec des singularités plutôt que des taches dans le caractère. J'ai recueilli quelques traits de sa vie domestique qui ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.

Marie-Louise parlait peu aux hommes de son service. Soit que ce fût une habitude rapportée de la cour d'Autriche, soit crainte de se compromettre avec son accent étranger devant des personnes de condition inférieure, soit enfin timidité ou insouciance, peu de ces personnes ont eu à retenir quelques mots échappés de sa bouche. J'ai entendu dire à son maître-d'hôtel qu'en trois ans elle ne lui adressa pas une seule fois la parole.

Les dames de sa maison s'accordaient à dire que dans son intérieur elle était bonne et douce. Elle aimait peu madame de Montesquiou. C'était un tort: car il n'était soins empressés, attentions, douceurs de toutes sortes, que madame de Montesquiou n'eût pour le roi de Rome. L'empereur seul appréciait cette excellente dame, si parfaite en toutes choses. Comme homme, il appréciait hautement la dignité, la convenance parfaite, l'extrême discrétion de madame de Montesquiou. Comme père, il lui savait un gré infini des soins qu'elle prodiguait à son fils. Chacun expliquait à sa manière la froideur que témoignait à cette dame la jeune impératrice. Il courait à ce sujet plusieurs propos de cour plus ou moins frivoles. Les momens de loisir des dames du palais en étaient fort souvent occupés. Voici ce qui me parut le plus croyable et le plus conforme à la simplicité naïve de Marie-Louise. L'impératrice avait pour dame d'honneur madame la duchesse de Montebello, femme charmante et d'une conduite parfaite. Or, il entrait peu d'amitié dans les rapports de madame de Montesquiou avec madame de Montebello. Celle-ci craignait, dit-on, d'avoir une rivale dans le cœur de son auguste amie; et, en effet, la plus à craindre pour elle, était bien madame de Montesquiou, car cette dame réunissait toutes les qualités qui plaisent et qui font aimer. Née d'une famille illustre, elle avait reçu une éducation distinguée. Elle joignait le ton et les manières de la haute société à une piété solide et éclairée. Jamais la calomnie n'avait osé s'attaquer à sa conduite, aussi noble que régulière. Ce n'est pas qu'on ne l'accusât d'un peu de hauteur; mais cette hauteur était tempérée par une politesse si empressée et une obligeance si gracieuse, qu'on pouvait croire que c'était simplement de la dignité. Elle prenait du roi de Rome les soins les plus tendres et les plus assidus; et certes elle avait droit à une grande reconnaissance de la part de l'impératrice, celle que le dévouement le plus généreux porta plus tard à s'arracher à sa patrie, à ses amis, à sa famille, pour suivre le sort d'un enfant dont toutes les espérances venaient d'être anéanties.

Madame de Montebello avait coutume de se lever fort tard. Le matin, quand l'empereur était absent, Marie-Louise allait s'entretenir avec elle dans sa chambre, et, pour ne pas passer dans le salon où descendaient les dames du palais, elle entrait dans l'appartement de sa dame d'honneur par un cabinet de garde-robe fort obscur, ce qui blessait beaucoup ces dames. J'ai entendu dire à Joséphine que madame de Montebello avait le tort d'instruire la jeune impératrice de plusieurs aventures scandaleuses, vraies ou fausses, attribuées à quelques-unes de ces dames, et qu'une jeune femme, simple et pure, comme l'était Marie-Louise, n'aurait pas dû savoir; que cette circonstance était cause de sa froideur avec les dames de son service, qui, de leur côté, ne l'aimaient pas, et qui faisaient partager leurs sentimens à leurs proches et à leurs amis.

Joséphine aimait tendrement madame de Montesquiou. Comme elles ne pouvaient se voir, elles s'écrivaient; la correspondance dura jusqu'à la mort de Joséphine.

Un jour, madame de Montesquiou reçut ordre de l'empereur de conduire le petit roi à Bagatelle. Joséphine y était. Elle avait obtenu la faveur de voir cet enfant, dont la naissance avait couvert l'Europe de fêtes. On sait combien l'amour de Joséphine pour Bonaparte était désintéressé, et de quel œil elle voyait tout ce qui pouvait augmenter, et surtout consolider sa fortune. Il entrait même dans les vœux qu'elle faisait pour lui-même depuis l'éclatante disgrâce du divorce, le désir sincère qu'il fût heureux dans son intérieur, et que sa nouvelle épouse lui donnât cet enfant, ce premier-né de sa dynastie, dont elle n'avait pas pu le rendre père. Cette femme, d'une bonté angélique, qui était tombée dans un long évanouissement en apprenant sa sentence de répudiation, et qui, depuis ce jour fatal, traînait une vie douloureuse dans la brillante solitude de la Malmaison; cette épouse dévouée, qui partageait depuis quinze ans toute la fortune de son époux, et qui avait contribué si puissamment à favoriser son élévation, n'avait pas été la dernière à se réjouir de la naissance du roi de Rome. Elle avait coutume de dire que le désir de laisser une postérité et d'être représentés après notre mort par des êtres qui nous doivent la vie et le rang qu'ils tiennent dans le monde, était un sentiment profondément gravé dans le cœur de l'homme; que ce désir si naturel, et qu'elle-même avait si vivement senti dans son cœur d'épouse et de mère, ce désir d'avoir des enfans qui nous survivent et nous continuent sur la terre, s'augmentait encore quand nous devions leur transmettre une haute fortune; que dans la position particulière de Napoléon, fondateur d'un vaste empire, il était impossible qu'il résistât long-temps à un sentiment qui est au fond de tous les cœurs, et que, s'il est vrai que ce sentiment s'augmente en proportion de l'héritage qu'on doit laisser à ses enfans, nul ne devait l'éprouver plus fortement que Napoléon, parce que nul n'avait encore possédé un pouvoir aussi formidable sur la terre; que le cours de la nature ayant fait de la stérilité dont elle était frappée un mal sans espérance, elle devait la première immoler les sentimens de son cœur au bien de l'état et au bonheur personnel de Napoléon: tristes, mais puissantes raisons que la politique invoquait à l'appui du divorce, et dont cette excellente princesse, dans l'illusion de son dévouement, croyait être convaincue au fond de son cœur.

Le royal enfant lui fut présenté. Je ne sache rien au monde de plus touchant que la joie de cette excellente femme à la vue du fils de Napoléon. Elle fixa d'abord sur lui des regards mouillés de larmes; puis elle le prit dans ses bras, et le pressa contre son cœur avec une inexprimable tendresse. Il n'y avait là ni témoins indiscrets, qui se fissent un plaisir de curiosité irrespectueuse en observant ironiquement les sentimens de Joséphine, ni étiquette ridicule qui glaçât l'expression de cette âme si tendre; c'était une scène de vie bourgeoise; Joséphine y allait de tout cœur. À la façon dont elle caressait cet enfant, on eût dit qu'il s'agissait d'un enfant vulgaire, et non du fils des Césars, comme disaient les flatteurs, non du fils d'un grand homme, dont le berceau venait d'être entouré de tant d'honneurs, et qui était roi en venant au monde. Joséphine le baigna de larmes, et lui dit quelques-uns de ces mots enfantins par lesquels une mère sait se faire comprendre et aimer de son nouveau-né. Il fallut enfin se séparer. L'entrevue avait été courte; mais qu'elle avait été bien remplie par l'âme aimante de Joséphine! Ce fut alors qu'on put juger par sa joie de la sincérité de son sacrifice, en même temps que par quelques soupirs étouffés on put juger de son étendue. Les visites de madame de Montesquiou ne se renouvelèrent que de loin en loin. Joséphine en ressentit un vif chagrin. Mais l'enfant grandissait; un mot indiscret bégayé par lui, un souvenir enfantin, quelque chose de moindre encore pouvait porter ombrage à Marie-Louise, qui redoutait Joséphine. L'empereur voulut s'épargner cette contrariété, qui aurait pu porter atteinte à son bonheur domestique. Il ordonna donc que les visites devinssent plus rares: on finit par les suspendre. J'ai entendu dire à Joséphine que la naissance du roi de Rome la payait de tous ses sacrifices. Jamais le dévouement d'une femme ne fut plus désintéressé ni plus complet.