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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Peu de jours après ces réjouissances, Leurs Majestés passèrent en revue dans le bois de Boulogne, les régimens de la garde impériale hollandaise, que l'empereur avait nouvellement mandés à Paris. Pour célébrer leur bienvenue, Sa Majesté fit placer de distance en distance, dans les allées du bois, des tonneaux de vin, défoncés par un bout, où chaque soldat venait puiser à discrétion. Cette munificence impériale eut des suites fâcheuses et qui auraient pu devenir funestes. Les soldats hollandais, plus accoutumés à la bière forte qu'au vin, mais pourtant fort avides de cette dernière boisson, en prirent outre mesure, et les têtes s'échauffèrent à un degré inquiétant. Ils commencèrent d'abord par quelques rixes, soit entre eux, soit avec les curieux qui les observaient de trop près. Puis un orage étant survenu tout à coup et les promeneurs de Saint-Cloud et des environs se hâtant de rentrer dans Paris, en traversant le bois de Boulogne, les Hollandais, dans un état à peu près complet d'ivresse, se mirent à battre le bois, arrêtant toutes les femmes qui se présentaient, et menant fort rudement les hommes dont la plupart étaient accompagnées. En un instant ce ne fut dans tout le bois que cris de terreur, vociférations, juremens et batailles sans nombre. Quelques personnes effrayées reculèrent jusqu'à Saint-Cloud, où était l'empereur, qui ne fut pas plus tôt informé de ce désordre qu'il ordonna de faire marcher patrouilles sur patrouilles, pour mettre les Hollandais à la raison. Sa Majesté était fort en colère, et disait: «A-t-on jamais vu rien de pareil à ces grosses têtes? Les voilà sens dessus dessous pour deux verres de vin!» En dépit de cette espèce de plaisanterie, l'empereur n'était pas sans inquiétude. Il vint se placer à la grille du parc, vis-à-vis du pont, et adressa lui-même des recommandations aux officiers et aux soldats qui allaient travailler à rétablir l'ordre. Malheureusement la nuit était trop avancée pour que l'on pût distinguer sur quels points il fallait se diriger, et Dieu sait comment cela aurait fini, si l'officier d'une des patrouilles n'avait pas eu l'heureuse idée de s'écrier: «L'empereur, voilà l'empereur!» Les hommes du piquet répétèrent après lui: «Voilà l'empereur!» en chargeant les Hollandais les plus mutins. Et telle était la terreur qu'inspirait à ces soldats étrangers le nom seul de Sa Majesté, que des milliers d'hommes armés, ivres et furieux, se dispersèrent devant ce seul nom, et regagnèrent leurs quartiers le plus vite et le plus secrètement qu'ils purent. On en arrêta quelques-uns, qui furent sévèrement punis.

J'ai déjà dit que l'empereur s'occupait assez souvent de la toilette de l'impératrice, et même de celle de ses dames. En général il aimait que toutes les personnes qui l'entouraient fussent bien vêtues, et même avec luxe. Cependant il donna vers ce temps un ordre dont j'admirai la sagesse. Devant un jour tenir sur les fonts de baptême, avec Sa Majesté l'impératrice, des enfans de ses grands-officiers, et prévoyant que les parens ne manqueraient pas de faire assaut de magnificence dans la toilette de leurs nouveau-nés, l'empereur ordonna que les enfans à baptiser n'auraient pas d'autre habillement qu'un long habit de lin. Cette prudente mesure épargna tout à la fois la bourse et l'amour-propre des parens. Je remarquai dans cette cérémonie que l'empereur avait quelque peine à prêter l'attention nécessaire aux questions de l'officiant. Habituellement l'empereur était d'une assez grande distraction pendant les offices de l'église, qui pourtant n'étaient pas longs: car ils ne duraient jamais plus de douze à quinze minutes; encore m'a-t-on assuré que Sa Majesté demanda s'il n'aurait pas été possible de les dire en moins de temps. Il se mordait les ongles, prenait du tabac plus souvent que de coutume, et regardait sans cesse autour de lui, tandis qu'un prince de l'église se donnait fort inutilement la peine de tourner les feuillets du livre de Sa Majesté, de manière à la tenir au courant.

À la fin de la cérémonie du baptême dont je viens de parler, l'empereur dit, en se frottant les mains, à quelques intimes qui l'entouraient:—«Avant peu, messieurs, nous aurons, j'espère, un autre enfant à baptiser.» Ces paroles de Sa Majesté furent accueillies avec toute la joie qu'elles étaient faites pour inspirer. Au reste, on commençait depuis quelque temps à s'entretenir dans le château de la grossesse de l'impératrice. Sa Majesté n'étant pas devenue grosse aussitôt après son mariage, cela ne laissait pas que d'inquiéter et chagriner l'empereur. Sa première femme n'avait pu lui donner un héritier, et de là surtout était venu le divorce; fallait-il s'attendre au même malheur de la part de l'impératrice Marie-Louise? Car pour douter de lui-même, l'empereur n'en avait aucune raison; tout au contraire, il avait eu deux fois les honneurs de la paternité. Ces idées le rendaient de temps en temps assez triste, et il consultait souvent ses médecins. Ces messieurs s'occupèrent de rechercher la cause du retard apporté aux vœux les plus ardens de l'empereur, et découvrirent que cela tenait à la fréquence des bains que prenait l'impératrice. L'empereur lui en parla; elle cessa d'en prendre, et l'on apprit bientôt l'heureuse nouvelle de sa grossesse. Le jardin particulier (à Fontainebleau, où se trouvaient alors Leurs Majestés) était sous mes fenêtres, et je vis plusieurs fois l'impératrice se promener, soutenue par ses femmes, et souffrant des maux de cœur dont tout le monde se réjouissait.

CHAPITRE XXIII

Grossesse de Marie-Louise.—Ce qu'on en pensait dans le public.—Premières douleurs.—Tout le palais est en émoi.—M. Dubois.—Agitation de l'empereur.—Napoléon se met au bain.—M. Dubois entre tout défait dans la salle du bain.—Paroles de l'empereur.—Il monte à l'appartement de Marie-Louise.—Les ferremens.—Paroles de Marie-Louise.—L'Empereur écoute avec angoisse à la porte de l'appartement.—Madame de Montesquiou.—Le roi de Rome vient au monde.—Joie paternelle de l'empereur.—Ce qu'il me dit.—On tire le canon.—Spectacle que présentent les rues de Paris.—Le vingt-deuxième coup.—Madame Blanchard.—Des pages servant de courriers.—Paris aux sixième et septième étages.—Les poëtes.—Les étoffes.—La cérémonie de l'ondoiement.—Encore madame Blanchard.—Le ballon tombé.—Tout un village déplorant la mort d'un aéronaute qui est à Paris en pleine santé.—Doutes sur la grossesse de Marie-Louise.—Napoléon accusé de libertinage.—Son amour pour les enfans.—Mon fils meurt du croup.—Paroles de l'empereur.—Ma femme à la Malmaison.—Trait de bonté de Joséphine.—Consolation.

La grossesse de Marie-Louise avait été exempte d'accident, et promettait une heureuse délivrance. Ce moment était attendu par l'empereur avec une impatience à laquelle la France tout entière s'associait depuis long-temps. C'était alors une chose curieuse à observer que l'état de l'esprit public, au commencement du mois de mars, quand le peuple, incertain encore du sexe de l'enfant qui devait naître, formait toutes sortes de conjectures, et faisait des vœux ardens et unanimes pour que cet enfant fût un fils, qui recueillît le vaste héritage de la gloire impériale. Le 19 mars, à sept heures du soir, l'impératrice sentit les premières douleurs. Dès ce moment tout le palais fut en émoi. On fit part de cette nouvelle à l'empereur; il envoya tout de suite chercher M. Dubois, qui demeurait au château depuis quelque temps, et dont les soins étaient si précieux en cette circonstance. Toute la maison particulière de l'impératrice, ainsi que madame de Montesquiou, était dans l'appartement. L'empereur, sa mère, ses sœurs, MM. Corvisart, Bourdier, Yvan, étaient dans un salon voisin.

L'empereur entrait fréquemment, encourageant sa jeune épouse. Dans l'intérieur du palais, l'attente était vive, passionnée, bruyante. C'était à qui aurait la première nouvelle de l'accouchement.

Les douleurs, qui avaient été faibles pendant toute la nuit, se calmèrent tout-à-fait à cinq heures du matin. M. Dubois, ne voyant rien qui annonçât un accouchement très-prochain, le dit à l'empereur, qui renvoya tout le monde, et alla se mettre au bain.

L'anxiété qu'il éprouvait lui avait rendu nécessaire ce moment de repos; il était tout ému. Il me dit combien l'impératrice souffrait: «Mais, ajouta-il, elle est pleine de force et de courage.»

L'impératrice, accablée de fatigue, dormit quelques instans. De vives douleurs l'éveillèrent; elles augmentèrent toujours, sans amener la crise exigée par la nature, et M. Dubois acquit la triste certitude que l'accouchement serait difficile et laborieux. Il y avait à peine un quart d'heure que Sa Majesté était au bain, lorsqu'il se fait annoncer, et entre dans l'appartement, la figure toute décomposée. Il dit à l'empereur que sur mille accouchemens, un seul se présentait comme celui de l'impératrice; qu'il craignait de ne pouvoir sauver la mère en même temps que l'enfant. «Allons donc, dit l'empereur, ne perdez pas la tête, M. Dubois; sauvez la mère, ne pensez qu'à la mère: je vous suis.» L'empereur sortit précipitamment du bain, me laissant à peine le temps de l'essuyer. Il passa sa robe de chambre, et descendit. Je sus qu'il embrassa tendrement l'impératrice, lui recommanda de prendre courage, et lui tint la main pendant quelque temps. Mais ne pouvant résister à son émotion, il se retira dans un salon voisin, et là, prêtant l'oreille au moindre bruit, tremblant de crainte, il passa un quart d'heure dans des angoisses cruelles. Il fallut employer les ferremens. Marie-Louise s'en aperçut, et dit avec une douloureuse amertume: «Parce que je suis impératrice, faut-il donc me sacrifier?» Madame de Montesquiou, qui lui tenait la tête, lui dit: «Courage, madame; j'ai passé par là; je vous assure que vos précieux jours ne sont pas en danger.»

Le travail dura vingt-six minutes, et fut très-douloureux. L'enfant s'était présenté par les pieds; il fallut de grands efforts pour lui dégager la tête. L'empereur attendait dans le cabinet de toilette, pâle comme la mort, et paraissant hors de lui. Enfin l'enfant vint au monde. L'empereur alors se précipita dans l'appartement, embrassant l'impératrice avec une extrême tendresse, sans même jeter un regard sur l'enfant, que l'on croyait mort. En effet il resta sept minutes sans donner aucun signe de vie. On lui souffla quelques gouttes d'eau-de-vie dans la bouche; on le frappa légèrement du plat de la main sur tout le corps; on le couvrit de serviettes chaudes. Enfin il poussa un cri.

 

L'empereur s'élança des bras de l'impératrice pour embrasser ce fils dont la naissance était pour lui la dernière et la plus haute faveur de la fortune. Il paraissait au comble de la joie; il quittait alternativement la mère pour le fils et le fils pour la mère, et ne pouvait se rassasier de la vue de l'un et de l'autre. Quand il remonta dans l'appartement pour s'habiller, son visage respirait la joie. En m'apercevant, il me dit: «Eh bien! Constant, nous avons un gros garçon! il s'est joliment fait tirer l'oreille, par exemple.» Il l'annonçait ainsi à toutes les autres personnes qu'il rencontrait. C'est dans ses effusions de joie domestique que j'ai pu apprécier combien cette grande âme, que l'on ne croyait sensible qu'à la gloire, sentait profondément les jouissances de la famille.

Depuis l'instant où le bourdon de Notre-Dame et les cloches des différentes paroisses de Paris s'étaient fait entendre, au milieu de la nuit, jusqu'à celui où le canon annonça l'heureuse délivrance de l'impératrice, une extrême agitation se manifesta dans Paris. Au point du jour, la foule s'était portée vers les Tuileries. Les cours, les quais en étaient encombrés. Chacun attendait avec anxiété le premier coup de canon. Mais ce spectacle curieux n'avait pas seulement lieu aux Tuileries et dans les quartiers avoisinans: à neuf heures et demie on voyait le peuple, dans les rues les plus éloignées du château, sur tous les points de Paris, s'arrêter, compter avec émotion les coups de canon. Le vingt-deuxième coup, qui proclamait la naissance d'un garçon, fut salué par des acclamations générales. Au silence de l'attente, qui avait suspendu comme par enchantement la marche de toutes les personnes répandues dans tous les quartiers de la ville, succéda un mouvement d'enthousiasme difficile à peindre. Dans ce vingt-deuxième coup de canon était toute une dynastie, tout un avenir. Les chapeaux volaient en l'air; on courait au devant les uns des autres, on s'embrassait sans se connaître, en criant: Vive l'empereur! De vieux soldats versaient des larmes de joie, en pensant qu'ils avaient contribué de leurs sueurs et de leurs fatigues à préparer l'héritage du roi de Rome, et que leurs lauriers allaient ombrager le berceau d'une dynastie.

Napoléon, caché derrière un rideau, à une des croisées de l'impératrice, jouissait du spectacle de la joie populaire, et en paraissait profondément attendri. De grosses larmes roulaient dans ses yeux; il vint en cet état embrasser son fils. Jamais la gloire ne lui avait fait verser une larme; mais le bonheur d'être père avait amolli cette âme que les plus éclatantes victoires et les témoignages les plus sincères de l'admiration publique semblaient à peine effleurer. Et en effet si Napoléon fut en droit de croire à sa fortune, ce fut surtout le jour qu'une archiduchesse d'Autriche le rendit père d'un roi, lui qui avait commencé par être cadet d'une famille corse. Au bout de quelques heures, l'événement qu'attendaient avec une égale impatience la France et l'Europe était devenu la fête particulière de toutes les familles.

À dix heures et demie, madame Blanchard partit en ballon de l'École-Militaire, pour répandre dans les villes et dans les villages où elle devait passer la nouvelle de la naissance du roi de Rome.

Le télégraphe annonçait de toute part cet heureux événement, et à deux heures après midi on avait déjà reçu la réponse de Lyon, de Lille, de Bruxelles, d'Anvers, de Brest, et de plusieurs autres grandes villes de l'empire. Cette réponse était, comme on pense, parfaitement d'accord avec les sentimens de la capitale.

Pour répondre à l'empressement de la foule qui se pressait continuellement aux portes du palais, afin d'avoir des nouvelles de l'impératrice et de son auguste enfant, il avait été décidé qu'un des chambellans de service se tiendrait du matin jusqu'au soir dans le premier salon du grand appartement, pour recevoir les personnes qui se présenteraient, et leur donner connaissance du bulletin que les médecins de Sa Majesté devaient remettre deux fois par jour. Au bout de quelques heures, des courriers extraordinaires étaient déjà sur toutes les routes, portant aux cours étrangères la nouvelle de l'accouchement de l'impératrice; des pages de l'empereur avaient été chargés de cette mission auprès du sénat d'Italie et des corps municipaux de Milan et de Rome. Des ordres furent donnés dans les villes de guerre et dans les ports, pour qu'on y tirât les mêmes salves qu'à Paris, et pour que les flottes fussent pavoisées. Une belle soirée favorisa les réjouissances particulières de la capitale. Les maisons avaient été spontanément illuminées. Ceux qui cherchent à deviner par les apparences extérieures quelle est la pensée d'un peuple dans des événemens de ce genre, remarquèrent que les derniers étages des maisons situées dans les faubourgs étaient aussi éclairés que les hôtels les plus somptueux et les plus belles maisons de la capitale. Les édifices publics qui, dans d'autres circonstances, se font remarquer, grâce à l'obscurité des maisons environnantes, l'étaient à peine, dans cette profusion de lumières que la reconnaissance publique avait allumées à toutes les fenêtres. Les bateliers donnèrent sur l'eau une fête impromptu qui dura une partie de la nuit, et à laquelle une foule immense prit part du rivage, en témoignant la plus vive joie. Ce peuple, qui depuis trente ans avait passé par tant d'émotions, et qui avait fêté tant de victoires, montrait un enthousiasme aussi vif que s'il se fût agi d'une première fête, ou d'un changement heureux dans sa destinée. Des vers furent chantés ou récités sur tous les théâtres, et il n'y eut forme poétique, depuis l'ode jusqu'à la fable, qui ne fût employée à célébrer l'événement du 20 mars 1811. J'ai appris d'une personne bien instruite qu'une somme de cent mille francs, prélevée sur les fonds particuliers de l'empereur, fut répartie par M. Dequevauvilliers, secrétaire de la comptabilité de la chambre, entre les auteurs des poésies qui furent envoyées aux Tuileries. Enfin, la mode, qui exploite les moindres événemens, donna naissance aux étoffes appelées c…-roi-de-Rome, comme on avait dit dans l'ancien régime c…-Dauphin.

Dans la soirée du 20 mars, à neuf heures, le roi de Rome fut ondoyé dans la chapelle des Tuileries; la cérémonie était magnifique. L'empereur Napoléon, entouré des princes et princesses et de toute sa cour, le plaça au milieu de la chapelle, sur un fauteuil surmonté d'un dais avec un prie-Dieu. On avait placé entre l'autel et la balustrade, sur un tapis de velours blanc, un socle de granit, surmonté d'un magnifique vase de vermeil, formant les fonts baptismaux. L'empereur était grave, mais la tendresse paternelle répandait sur sa figure un air de bonheur; on eût dit qu'il se sentait à moitié soulagé du fardeau de l'empire, en voyant l'auguste enfant qui semblait destiné à le reprendre un jour des mains de son père. Quand il s'approcha des fonts baptismaux, pour présenter l'enfant à l'ondoiement, il y eut un moment de silence et de recueillement religieux, qui faisait un contraste touchant avec la gaîté bruyante qui, au même moment, animait au dehors une foule immense, que le spectacle d'un très-beau feu d'artifice et de magnifiques illuminations avaient amassée de tous les points de Paris dans le voisinage des Tuileries.

Madame Blanchard, qui était partie en ballon une heure après la naissance du roi de Rome, pour en répandre la nouvelle dans les lieux qui se trouvaient sur son passage, était d'abord descendue à Saint-Tiébault, près de Lagny. Mais là, le vent lui ayant manqué, elle était revenue à Paris. Son ballon se releva après son départ, et alla tomber dans un bourg à six lieues plus loin. Les habitans, ne trouvant dans ce ballon que des vêtemens et quelques provisions, ne doutèrent pas que l'intrépide aéronaute n'eût fait naufrage; mais au moment où la nouvelle de sa mort était envoyée à Paris, madame Blanchard y arrivait elle-même, et dissipait toute inquiétude.

Beaucoup de personnes avaient douté de la grossesse de Marie-Louise. Quelques-unes la croyaient feinte; je n'ai jamais pu concevoir les sots raisonnemens que ces personnes firent à ce sujet, et que la malveillance cherchait à répandre dans le public. Mais ce qu'il y a de singulier, et ce qui prouve que c'était, chez le plus grand nombre de ces personnes, mauvaise foi et niaiserie, c'est que d'une part on accusait l'empereur de libertinage, on lui supposait gratuitement un grand nombre d'enfans naturels, et, de l'autre, on le croyait incapable de rendre mère une jeune princesse de dix-neuf ans. La haine fausse ainsi le jugement. Si Napoléon avait eu des enfans naturels, pourquoi n'en pouvait-il avoir de légitimes, surtout avec une jeune épouse qu'on savait généralement d'une santé florissante? Au reste, ce n'était pas le premier, et ce ne fut pas le dernier de ce genre, auquel donna lieu Napoléon. Sa position était trop haute, et sa gloire trop éclatante, pour ne pas inspirer quelquefois des sentimens exagérés, soit en admiration, soit en haine.

Il y eut aussi quelques malveillans qui se plurent à dire que Napoléon était peu capable de sentimens tendres, et que le bonheur d'être père n'allait pas jusqu'au fond de cette âme dévorée d'ambition. Je puis citer entre mille traits une petite anecdote qui me touche particulièrement, et que j'ai d'autant plus de plaisir à raconter que, en même temps qu'elle répond victorieusement aux calomnies dont je parle, elle prouve la bienveillance toute particulière dont m'honorait Sa Majesté. Comme père et comme fidèle serviteur, j'éprouve une satisfaction douce, quoique douloureuse, à la consigner dans ces Mémoires. Napoléon aimait beaucoup les enfans. Un jour il me demanda de lui amener le mien; je sortis pour l'aller chercher. Sur ces entrefaites, M. de Talleyrand fut introduit auprès de l'empereur. La conversation dura long-temps; mon enfant s'ennuyait d'attendre, je le reconduisis près de sa mère. Quelque temps après il fut atteint du croup. Cette cruelle maladie, contre laquelle Sa Majesté avait cru devoir faire un appel spécial à la faculté de Paris, enlevait beaucoup d'enfans à leurs familles. Le mien mourut à Paris: nous étions alors au château de Compiègne. J'en reçus la triste nouvelle au moment de descendre à la toilette. J'étais trop accablé de cette perte pour me rendre à mon devoir. L'empereur fit demander ce qui m'empêchait de venir, et comme on lui rapporta que je venais d'apprendre la mort de mon fils, il dit avec bonté: Ce pauvre Constant! Quelle horrible douleur! Nous autres pères, nous savons ce que c'est!

À quelque temps de là, ma femme alla voir l'impératrice Joséphine à la Malmaison. Cette aimable princesse daigna la recevoir seule dans le petit salon qui précédait la chambre à coucher; elle la fit asseoir auprès d'elle, et essaya de la consoler par de touchantes paroles. Elle dit que ce malheur ne frappait pas que nous; qu'elle-même avait perdu son petit-fils par suite de la même maladie. En disant cela elle se mit à pleurer; car ce souvenir venait de réveiller dans son âme de récentes douleurs. Ma femme baigna de ses larmes les mains de cette excellente princesse. Joséphine ajouta mille choses attendrissantes, tâchant d'alléger ses peines en les partageant, et de ramener ainsi la résignation dans le cœur d'une pauvre mère. Le souvenir de cette bonté adoucit nos anciens chagrins, et j'avoue que c'est tout à la fois un honneur et une consolation pour nous, que de nous rappeler les augustes sympathies que la perte de ce cher enfant excita dans le cœur de Napoléon et dans celui de Joséphine. On ne saura jamais bien tout ce que cette princesse surtout avait de sensibilité et de compassion pour les peines d'autrui, et tout ce que sa belle âme renfermait de trésors de bonté.