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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Le chambellan de jour y entrait pour prendre les ordres de Leurs Majestés, mais après en avoir fait demander la permission par un huissier.

Lorsque Leurs Majestés ne se trouvaient pas dans le grand appartement de représentation, les officiers du service d'honneur de Leurs Majestés et les pages pouvaient le traverser et communiquer pour leur service.

L'appartement ordinaire de l'empereur se divisait en appartement d'honneur et appartement intérieur.

L'appartement d'honneur se composait d'une salle des gardes, d'un premier salon et d'un second salon.

L'appartement intérieur se composait d'un cabinet de travail, d'un arrière-cabinet, d'un bureau topographique, et d'une chambre à coucher.

Les huissiers faisaient le service de l'appartement d'honneur, et les valets de chambre celui de l'appartement intérieur.

Dans la salle des gardes se tenaient les pages de service, un sous-officier du piquet de la garde à cheval. Il n'y entrait aucun domestique. Un portier d'appartement en tenait la porte.

Le colonel-général de service, les grands-officiers de la couronne, l'aide-de-camp de jour, le préfet de service, entraient de droit dans le premier salon.

Le chambellan de jour faisait entrer dans le premier salon ou dans celui que lui désignait Sa Majesté, les personnes admises à son audience, ou appelées pour affaires de service et travailler.

Lorsque le chambellan de jour avait besoin de prévenir Sa Majesté qui se trouvait dans son appartement intérieur, il traversait le salon de l'empereur, et frappait à la porte de l'appartement intérieur: cependant, lorsqu'il ne s'agissait que d'annoncer à Sa Majesté l'arrivée d'un officier de sa maison, ou d'un ministre qu'elle avait fait demander, il suffisait que le chambellan de jour en prévînt l'huissier de service qui annonçait à Sa Majesté. Le chambellan avait soin de faire entrer ces personnes dans le salon de l'empereur, afin que Sa Majesté les y trouvât lorsqu'elle sortait de son appartement intérieur.

L'aide-de-camp, le préfet et l'écuyer de service qui avaient à prendre les ordres de Sa Majesté ou à la prévenir pour leur service, pouvaient le faire directement, sans passer par l'intermédiaire du chambellan.

Le préfet et l'écuyer qui venaient annoncer à Sa Majesté qu'elle était servie, ou que ses voitures et chevaux étaient prêts, lorsqu'elle était dans son appartement intérieur, pouvaient même le dire à l'huissier de service, afin de déranger le moins possible l'empereur.

Un gardien du porte-feuille tenait la porte de l'arrière-cabinet; le gardien du porte-feuille ne laissait entrer dans l'arrière-cabinet que par ordre de l'empereur, la personne qui en avait obtenu le droit.

Personne ne pouvait traverser le cabinet dans lequel Sa Majesté travaillait ordinairement, à moins d'y être appelé par l'empereur.

—–
REPAS

Lorsque Leurs Majestés voulaient manger en grand couvert, la table était placée sur une estrade et sous un dais avec deux fauteuils; les portes de la salle où elle était placée étaient tenues par des huissiers.

S'il y avait des invitations à faire, le grand-maître des cérémonies en était chargé; il prévenait le grand-maréchal du palais de la distribution des tables et des personnes qui devaient s'y asseoir, ainsi que de la pièce dans laquelle on devait se réunir, et de l'heure.

Le grand-maréchal du palais prenait les ordres de Leurs Majestés pour le moment du service, et les transmettait au premier préfet, qui veillait à leur exécution.

Le préfet de service envoyait lui-même à l'office et à la cuisine, et il en faisait apporter en ordre tout ce qui était nécessaire pour le service, qu'il faisait placer sur la table en sa présence.

Le couvert de l'empereur était placé à droite, celui de l'impératrice à gauche; la nef et le cadenas de l'empereur à droite de son couvert; la nef et le cadenas de l'impératrice, à la gauche de son couvert, sur la table même.

Lorsque tout était prêt, le premier préfet en avertissait le grand-maréchal du palais qui en prévenait Leurs Majestés.

Leurs Majestés se rendaient dans la salle où le repas était préparé dans l'ordre suivant: les pages de service; un aide des cérémonies; les préfets de service; le premier préfet et un maître des cérémonies; le grand-maréchal du palais et le grand-maître des cérémonies; l'impératrice; son premier écuyer et son premier chambellan; l'empereur; le colonel-général de service; le grand-chambellan et le grand-écuyer; le grand-aumônier.

Leurs Majestés étant arrivées à la table, le grand-chambellan devait présenter à laver à l'empereur. Le grand-écuyer lui offrait le fauteuil; le grand-maréchal du palais prenait une serviette dans la nef et la présentait à Sa Majesté.

Le premier préfet, le premier écuyer et le premier chambellan de l'impératrice, remplissaient les mêmes fonctions près de Sa Majesté.

Le grand-aumônier venait sur le devant de la table, bénissait le dîner et se retirait.

Les pages faisaient le service. Les carafes d'eau et de vin, à l'usage de Leurs Majestés, étaient placées sur un plat d'or, le verre sur un autre plat et à la droite de leurs couverts.

Lorsque l'empereur demandait à boire, le premier préfet versait l'eau et le vin dans le verre, qui était offert à Sa Majesté par le grand-maréchal.

Les mêmes fonctions étaient remplies pour le service de Sa Majesté l'impératrice, par son premier écuyer et par le préfet de service qui était placé à sa droite.

Les maîtres-d'hôtel posaient les plats, découpaient les mets et faisaient offrir à Leurs Majestés par les pages.

Le grand-chambellan faisait verser devant lui le café dans la tasse destinée à l'empereur, un page la lui remettait sur un plat d'or, et il l'offrait à Sa Majesté.

Le premier chambellan de l'impératrice offrait de même le café à Sa Majesté.

Après le repas, le grand-maréchal prenait la serviette des mains de l'empereur; le premier préfet, de celles de l'impératrice.

Le grand-écuyer, et le premier écuyer de l'impératrice retiraient les fauteuils de Leurs Majestés, le grand-chambellan donnait à laver à l'empereur, le premier chambellan à l'impératrice.

Si, dans la salle où mangeaient Leurs Majestés, il était servi d'autres tables, le service en était fait par les maîtres-d'hôtel et la livrée.

Quand Leurs Majestés voulaient manger dans l'appartement intérieur, elles désignaient le lieu et les individus qui devaient les servir. Il n'y avait aucune étiquette ni personne du service d'honneur.

Avant le coucher de Leurs Majestés, le préfet de service prenait les ordres de Leurs Majestés pour l'heure à laquelle elles voulaient déjeuner.

FIN DU TOME SECOND

TOME TROISIÈME

INTRODUCTION DU TROISIÈME VOLUME

Le public a bien voulu accueillir les Mémoires de Constant avec tout l'intérêt que l'éditeur les avait jugés capables d'exciter. Parmi les plus curieux passages de la première livraison, le spirituel journal du Voyage à Mayence a été traité avec une faveur particulière. L'auteur de ce journal, depuis la publication des deux premiers tomes des Mémoires de Constant, a fait à l'éditeur l'honneur de lui adresser une lettre; et comme cette lettre renferme une juste réclamation, l'éditeur a pensé ne pouvoir mieux y faire droit qu'en la mettant sous les yeux du public.

«Paris, 10 mai 1830.
»Monsieur,

»Je viens de trouver avec étonnement dans les Mémoires de Constant le journal d'un voyage que j'ai fait avec Joséphine.

»Les feuilles que j'écrivais rapidement chaque soir étaient mises en ordre et copiées, dans les villes où nous séjournions, par ma femme de chambre, qui écrivait fort bien; il est probable qu'elle en aura gardé une copie.

»Depuis, j'avais réuni les souvenirs de ce voyage à ceux d'une partie de ma vie; mais je n'étais nullement décidée à les publier.

»Je crois qu'une femme peut amuser son imagination avec sa plume, comme elle exerce ses doigts avec un crayon ou un pinceau; mais je pense qu'elle ne doit jamais mettre le public dans la confidence de ses pensées et de ses sentimens qui ne peuvent intéresser que ses amis et sa famille.

»La publication que vous venez de faire, et surtout le désir de rétablir dans toute sa vérité un fait énoncé par M. Constant en parlant du motif qui m'a fait quitter la cour, me déterminent, Monsieur, à vous envoyer la totalité de ces souvenirs.

»Je vous autorise à les publier, si vous pensez que des faits si peu intéressans, écrits avec si peu de soin, puissent trouver place dans la seconde partie des Mémoires que vous venez de faire paraître.

»Lorsque je voulus donner ma démission, j'écrivis à Joséphine, qui en fut aussi étonnée qu'affligée (si je dois croire ce qu'elle eut la bonté de me dire). Aussitôt ma lettre reçue, elle m'envoya chercher par le général Fouller pour m'assurer qu'elle ne voulait pas l'accepter. Plus de quinze jours s'écoulèrent entre celui où ma démission fut donnée et le moment où elle fut acceptée par l'empereur.

»J'ignore si c'est dans l'instant qu'il l'accepta qu'il eut connaissance de ce journal; mais l'expression de congé, employée par l'auteur des Mémoires qui viennent de paraître chez vous, n'en est pas moins inexacte.

»Au reste, j'y attache bien peu d'importance, et je ne rectifie ce fait qu'à cause de cette inexactitude.»

»Recevez, Monsieur, l'assurance de
ma parfaite considération,
La Baronne de V*****

L'éditeur sent combien il a de grâces à rendre à madame la baronne de *** pour l'autorisation qu'elle a consenti à lui donner d'associer aux souvenirs de Constant ceux d'une des premières dames du palais de l'impératrice Joséphine. Ces deux publications ainsi faites ensemble ont paru à l'éditeur de nature à se prêter réciproquement du relief. Toutefois, ce n'est point parce qu'il lui aurait semblé piquant de mettre en regard l'une des époques différentes, deux voyages en Angleterre. Elle a vu la cour du prince de Galles, et une régence qui ne manquait pas, sous le rapport des mœurs, de points de comparaison avec la joyeuse régence du duc d'Orléans. Enfin, pendant son second séjour à Londres, madame la baronne *** y a vu tous les scandales du procès et de la mort de la reine Caroline.

 

Ce simple énoncé suffira sans doute pour mettre le lecteur à même de juger de l'intérêt qu'il doit s'attendre à rencontrer dans les souvenirs de madame la baronne ***.

MÉMOIRES DE CONSTANT.
SOUVENIRS

D'UNE DAME
DU PALAIS IMPÉRIAL

CHAPITRE PREMIER

Avertissement de l'auteur.—Isolement des jeunes femmes pendant la révolution.—Ma naissance et mes parens.—Le général D..... mon père.—Le baron de V… mon mari.—Une première imprudence.—Sage prévoyance de mon père.—Le général D..... à l'armée du Nord.—Déférence de Carnot pour mon père.—Carnot dans le cabinet du général D.....—Conduite de Carnot envers mon père.—Carnot le sauve de l'exil.—Amour-propre de Carnot.—Mallet du Pan et le Mercure de Genève.—Les représentans du peuple en mission à Besançon.—Bernard de Saintes.—Son hôtel;—son costume;—ses manières.—Brusquerie tout à coup suivie de politesse.—Le jacobin de bonne compagnie.—Effrayante proposition de Bernard de Saintes et explication de ses prévenances.—M. Briot, aide-de-camp de Bernard de Saintes.—Arrivée de Robespierre le jeune à Besançon.—Comment je fus délivrée des poursuites de Bernard de Saintes.—Je me rends à Paris.—Danger des châteaux en Espagne.—Les plaisirs de Paris après la terreur.—Première représentation d'Olympie.—La première robe de velours.—Un triomphe de toilette.—Sages maximes de La Rochefoucault et de M. de Ségur.—Vie de dissipation.—Mes démarches pour obtenir le rappel de mon mari.—Retour de mon père à Paris.—Relations de mon père avec madame de Staël.—Susceptibilité extrême de madame de Staël.—Mon père me présente chez cette dame.—Réflexion, sur une pensée de madame Necker.—Danger des périphrases.

En livrant ces mémoires au public, je n'ai pas la prétention de croire que je puisse exciter son attention par les événemens qui ont rempli ma vie; mais les rapports que j'ai eus avec des personnes qui ont fixé long-temps ses regards peuvent l'intéresser en fournissant à sa curiosité quelques circonstances de leur vie privée.

Si j'ai parlé de moi, on me le pardonnera peut-être en faveur du motif.

J'ai désiré, que mon exemple ne fût pas sans utilité pour quelques jeunes femmes jouissant du funeste avantage de leur liberté. Puissent-elles se convaincre qu'en recherchant l'indépendance, elles ne recueilleront que le malheur!

La nature, en nous créant plus faibles que les hommes, a voulu nous faire sentir le besoin d'être guidées et protégées par eux.

Un malheur de la révolution (et ce n'est pas un des moindres) est l'isolement où sont restées beaucoup de jeunes femmes, pendant un grand nombre d'années, par l'émigration de leurs maris; isolement qui leur a fait contracter la dangereuse habitude de se conduire par leur seule volonté.

Je suis née dans une province où mes parens occupaient un rang distingué. Mon père, le général D…, y était entouré de considération; ma mère y vit encore, jouissant de l'estime générale, juste récompense d'une longue vie passée dans la pratique de toutes les vertus.

Très-jeune encore, je fus demandée en mariage par le baron de V… Ses parens possédaient une grande fortune; leur fils unique fut élevé dans l'idée que cette fortune était peut-être encore plus considérante qu'elle ne l'était en effet, ce qui arrive fort souvent par les flatteries que les valets; n'épargnent pas à l'enfance d'un jeune maître destiné à avoir un rang dans le monde. Cette confiance, jointe à l'extrême bonté de son cœur, ne lui permit jamais de refuser un service, non seulement à un ami, mais cette obligeance s'étendait jusqu'aux simples connaissances. Cette facilité de caractère, dont beaucoup de personnes abusèrent, lui fit accorder sa signature, comme cautionnement, pour des sommes assez considérables. J'étais trop jeune alors pour que mes conseils pussent préserver mon mari du danger de se livrer ainsi à la bonté de son cœur.

Bientôt l'émigration l'entraîna loin de moi. Capitaine de cavalerie, il dut suivre les officiers de son régiment..

Aussitôt que son émigration fut connue, plusieurs des porteurs de cautionnemens qu'il avait donnés si généreusement vinrent me trouver. Ils désiraient que j'ajoutasse ma signature à la sienne; je le fis avec cette légèreté, cette imprévoyance si commune à la jeunesse. J'aurais cru manquer à M. de V… en refusant mon approbation à ce qu'il avait fait.

Cette première imprudence a eu des suites funestes pour moi.

Mon père avait prévu les suites désastreuses de l'émigration; son esprit si juste en avait; calculé toutes les conséquences. Il avait cherché à retenir mon mari près de lui. Il lui disait quelquefois: «Vous partez pour revenir; il est bien plus simple de rester. Qui quitte la partie la perd.» Ses conseils étaient restés sans effet.

Mon père était du nombre de ceux qui avaient cru à la possibilité de réformer les abus qu'on reprochait au gouvernement; mais bientôt son âme, si belle, si noble, s'indigna des moyens employés pour y parvenir. Placé par le grade élevé qu'il occupait, et par la supériorité de ses talens, à la tête du corps du génie, il ne put rester dans l'ombre dont il aimait à s'entourer. Il fut appelé à l'armée du Nord; il prit rapidement Bréda, Gertruidemberg. Ayant ouvert les portes de la Hollande par la prise de ces deux places importantes, il demanda et obtint de revenir soigner sa santé.

Il vivait très-retiré à Paris, au milieu d'un petit cercle d'amis; mais bientôt la tourmente révolutionnaire les dispersa presque tous.

À cette époque, Carnot, qui avait servi sous ses ordres, et qui admirait autant son génie qu'il respectait son noble caractère, venait, presque chaque jour, discuter dans son cabinet ces plans de campagne qui lui furent attribués.

Mon père avait cru à la possibilité d'une réforme, il l'avait désirée de bonne foi; les moyens qu'on employa lui étant odieux, il ne voulut plus servir. Mais quand Carnot venait le consulter, quand ses conseils pouvaient, en épargnant le sang des soldats, les conduire à la victoire, il discutait son opinion avec autant de franchise et de chaleur que s'il se fût agi d'une cause pour laquelle il eût été dévoué.

La conduite de Carnot fut parfaitement honorable envers mon père; ce dernier, vif, emporté, incapable de transiger avec sa conscience, l'accablait souvent de reproches sur ses opinions politiques; il discutait si vivement avec lui à ce sujet, que souvent il l'avait vu quitter son cabinet après des scènes si vives entre eux qu'il était persuadé que deux heures après on viendrait l'arrêter.

Bien loin de là, lorsque la loi du 27 germinal fut rendue, pour renvoyer de Paris et des places fortes tous les nobles, mon père allait monter dans sa voiture lorsqu'il vit accourir Carnot, qui lui apportait une réquisition du comité du salut public (c'était alors le seul moyen d'exception). Il l'en remercia; mais empressé de quitter Paris à cette désastreuse époque, il n'en profita pas, et se retira dans les montagnes du Jura, où il avait quelques propriétés.

En parlant de Carnot, je dois faire mention d'un fait qui prouvera que des hommes de beaucoup de talent peuvent être susceptibles de faiblesse et d'amour-propre.

J'ai dit plus haut que la plupart des plans attribués au général Carnot étaient l'ouvrage de mon père; mais ce dernier était loin de s'en enorgueillir: quand on lui demandait son opinion, ses conseils, il les donnait avec la franchise, la bonne foi qu'on devait attendre de sa loyauté; mais loin de s'en vanter, il eût été fâché qu'on en parlât. Je ne sais donc pas comment Mallet du Pan, qui rédigeait à Genève le journal le Mercure, put avoir connaissance de ces faits, à moins que ce ne fût par quelque indiscrétion de ma part; mais on vit un jour dans un des numéros de ce journal un article ainsi conçu:

Tous les plans de campagne qui ont été attribués au général Carnot, et lui ont fait beaucoup d'honneur, sont l'ouvrage du général D…

Si le fait n'eût été exact, il est probable que Carnot n'y eût fait aucune attention; mais il était vrai, et il s'en affligea, plus même qu'il n'aurait dû le faire. Dans la suite, il ne put jamais se défendre de montrer à mon père un peu de susceptibilité à ce sujet.

À l'époque dont je viens de parler, pendant que mon père résidait à Paris, j'habitais la ville de B…; cette ville était soumise aux jacobins, qui la gouvernaient de concert avec les représentans du peuple qu'on y envoyait successivement en mission. L'un d'eux, Bernard de Saintes, venait de faire afficher dans toutes les rues de longues listes de tous les parens d'émigrés ou suspects, auxquels il était ordonné de se rendre en prison sous trois jours.

Le contenu ayant surpassé le contenant, il avait fallu transformer trois couvens en prisons pour les recevoir.

Ma mère voulut tenter de fléchir Bernard de Saintes en lui demandant de permettre que sa maison me servît de prison avec un gardien.

Nous nous rendîmes chez lui pour solliciter cette faveur. Il occupait un très-bel hôtel qui avait été bâti pour le dernier intendant.

Son costume, composé d'une veste qu'on appelait alors carmagnole, ainsi que le bonnet de laine rouge qui couvrait sa tête, contrastait bien singulièrement avec la beauté des appartemens dans lesquels il nous reçut.

C'était un homme de quarante-cinq ans, d'une, figure fort commune, dont le premier abord me parut effrayant par la brusquerie et la grossièreté, de ses manières. Mais bientôt il parut s'adoucir et nous laissa l'espérance qu'il accorderait à ma mère sa demande, sans le promettre cependant positivement; il nous retint assez long-temps et nous accompagna jusqu'au perron de l'hôtel.

En sortant, nous nous regardâmes avec surprise et effroi; nous n'osions nous communiquer nos craintes, et nous ne savions comment expliquer cette transition subite d'une extrême brusquerie à une politesse qui était loin, sans doute, d'être parfaite; mais relative au ton qui l'avait précédée, elle avait de quoi nous surprendre.

Cet étonnement cessa le lendemain pour faire place aux craintes les plus vives.

J'avais rencontré quelquefois dans le monde un adjudant-général, frère de M. de Vaublanc; c'était un jacobin de bonne compagnie, ou pour mieux dire un jacobin par peur. Ses manières contrastaient singulièrement avec le ton du jour; vainement il voulait les mettre en harmonie avec celles des gens dont il s'était entouré, les anciennes habitudes faisaient taire les nouvelles.

Il portait le nom de Viennot, n'osant pas porter celui de son frère, connu par des opinions très opposées à celles qu'il professait alors.

Il ne venait pas chez moi, et je fus très-surprise de le voir entrer le lendemain de l'audience de Bernard; il était confus, embarrassé, et ne savait comment aborder le sujet qui l'amenait.

Enfin, après quelques phrases générales d'intérêt sur ma situation, sur les dangers qui menaçaient les femmes d'émigrés, il me dit que Bernard, veuf, père de plusieurs enfans, désirait se remarier, que la veille je lui avais plu, qu'il avait conçu le désir de me sauver les dangers de ma situation en m'épousant. Cette idée me parut si singulière, si folle, que je ne pus m'empêcher d'en rire, et de lui demander si le représentant ignorait que j'eusse un mari vivant. Ne riez point, me dit tristement M. Viennot, je me suis chargé de cette commission, parce que je pressentais votre refus, et que je connaissais tous les malheurs qu'il peut attirer sur vous, sur vos parens et surtout sur votre père, qui se trouve à Paris, sous la hache révolutionnaire. J'ai cru, sans trop oser l'espérer, que peut-être je pourrais adoucir les mesures qui seront la suite de ce refus. L'idée de mon père compromis par cette fantaisie de Bernard eut bientôt réprimé ma gaîté.

M. Viennot voyant à quel point j'en étais affectée, voulut insister et plaider de nouveau la mauvaise cause dont il s'était chargé; mais je ne le laissai pas poursuivre, je l'assurai que je connaissais trop bien mon père pour croire qu'il voulût racheter sa vie par l'infamie de sa fille; que quant à moi, j'étais résignée à tout. En cherchant à vaincre ma résolution, je vis très-clairement qu'il m'approuvait dans le fond de son cœur.

 

Il retourna rendre compte de sa mission; mais j'ai dû croire qu'il ne fut pas parfaitement véridique dans son rapport, et qu'il laissa à Bernard de Saintes l'espérance de faire changer ma résolution; car je fus laissée chez ma mère, même sans gardiens.

Je savais que le représentant devait partir le lendemain pour une inspection dans le département. Il devait être absent quinze jours; son départ me rendit un peu de sécurité. Pendant le cours de sa tournée, il envoya deux fois M. Briot, qui faisait les fonctions d'aide-de-camp près de lui, pour me parler de son amour, ou, pour mieux dire, de ses suprêmes volontés.

Ce jeune homme, qui fut depuis du conseil des cinq-cents, avait trop d'esprit, trop de délicatesse pour se rendre l'interprète des menaces de Bernard. Tout en les transmettant, il approuvait ma conduite, et s'effrayait pour moi du prochain retour du représentant.

Je fus sauvée de tous les malheurs que je redoutais par l'arrivée de Robespierre le jeune, envoyé en mission extraordinaire dans ce département.

Un courrier fut envoyé à Bernard pour venir justifier sa conduite, qui (je ne sais sous quel rapport) était désapprouvée par le comité du salut public.

Il arriva et descendit de voiture dans le lieu des séances des jacobins; après une discussion qui dura toute la journée et une partie de la nuit, il succomba, et fut forcé de céder la place à Robespierre; il partit de suite, et je fus alors délivrée de toutes mes craintes. Comme je l'ai dit plus haut, mon père avait quitté Paris lors de la loi du 27 germinal; nous nous étions retirés à la campagne, où nous fûmes heureusement oubliés pendant tout le reste de cette époque de terreur.

Aussitôt qu'on put se montrer avec quelque sécurité, je vins à Paris, avec l'espérance de faire rayer M. de V… de la liste des émigrés.

Quelques personnes de ma connaissance, en sacrifiant beaucoup d'argent, avaient pu obtenir de rentrer en France, je voulais tenter le même moyen. Mon père ne put pas m'accompagner, sa santé n'était pas très-bonne; je vins seule à Paris, je m'y trouvai entourée d'une société entièrement nouvelle pour moi et étrangère à ma famille: les parens de mon mari étaient émigrés.

Mariée très-jeune, n'ayant habité que bien peu de temps avec M. de V… avant son émigration, je n'avais que très-peu de connaissance du monde, m'étant retirée à la campagne après son émigration. J'y entrais sans une main amie pour me soutenir et me protéger; j'y apportais une imagination vive, souvent égarée dans la sphère indéfinie des rêves chimériques, et dont les idées n'étaient pas toujours limitées par de sages probabilités.

C'est bien le cas ici de dire aux mères qu'elles ne sauraient trop combattre dans les jeunes filles cette habitude frivole et dangereuse de créer des châteaux en l'air, de s'abandonner à ces rêveries vagues, indéterminées, dont le moindre inconvénient est le mépris des choses réelles.

Hélas! à cet âge heureux on se laisse aisément séduire par les lueurs douces de l'espérance, ce prestige s'introduit facilement dans un cœur innocent; mais si on trouve quelques plaisirs dans cette source toujours abondante de sensations nouvelles, on y trouve plus de maux encore.

À l'époque à laquelle je vins à Paris, il semblait que les malheurs qu'on venait d'y éprouver eussent laissé une soif de plaisir dans toutes les classes de la société; on eût dit que chacun y était piqué de la tarentule.

Les bals se succédaient chaque jour; aimant la danse avec passion, je n'en manquais pas un.

Vers cette époque, on donna la première représentation d'Olympie, mauvais opéra qui n'eut que cette seule représentation. J'y parus avec une robe de velours noir et beaucoup de diamans. C'était une nouveauté: depuis la révolution les femmes ne portaient pas de velours; j'eus même beaucoup de peine, pour satisfaire cette fantaisie, à m'en procurer. Cette toilette très-remarquable fut applaudie du parterre et des loges. Il n'en fallut pas davantage pour mettre à la mode celle qui la portait. Combien de gens de ma société, qui n'avaient jamais pensé à me remarquer, qui le lendemain étaient à mes pieds! L'opinion du parterre leur avait appris le mérite de ma figure. Pourquoi alors n'ai-je pas ouvert le livre des Maximes de M. de La Rochefoucault? j'y aurais vu que la femme qui mérite la meilleure réputation est celle qui n'en a point.

Peut-être des intentions pures, un cœur droit, m'auraient fait apprécier cette maxime tout ce qu'elle vaut; j'aurais répété avec M. de Ségur que celle dont il y a le plus de bien à dire est celle dont on parle le moins, et j'aurais cherché l'obscurité, hors de laquelle il n'existe presque jamais de bonheur pour les femmes. Mais ces sages réflexions furent alors perdues pour moi.

Mes parens et ceux de mon mari fournissaient libéralement à mes dépenses: on cita bientôt mon élégance, mon bon goût.

On me voyait partout, au bois de Boulogne, au bal, au spectacle.

Au milieu de cette vie de dissipation, je ne négligeais aucune des démarches qui pouvaient amener la radiation de M. de V…; mais elles avaient toutes été infructueuses. Je crus que la présence de mon père à Paris pourrait en assurer le succès; et je joignis mes sollicitations à celles du général Milet-Mureau, qui venait d'être nommé ministre de la guerre, et qui devait l'appeler à Paris. Nous eûmes beaucoup de peine à le déterminer à accepter. Sa retraite lui était chère, et la culture de son jardin avait remplacé tous les rêves de l'ambition; cependant il céda à mes prières, et à l'espérance qu'il conçut que la radiation de mon mari pouvait être le prix de sa complaisance, par les rapports qu'elle lui donnerait avec les membres du directoire. Il vint habiter avec moi un hôtel, rue du Bac, à l'angle de la rue de Varennes. Cet hôtel touchait à celui de madame de Staël. L'amitié qui existait entre le comte Louis de Narbonne et mon père avait dû établir des relations de société entre ce dernier et madame de Staël, qui était l'amie intime du comte Louis. En se retrouvant logé si près d'elle, ces relations se renouvelèrent, et nous la voyions très-souvent. Il y eut à cette époque une réaction des jacobins qui n'eut heureusement que peu de durée, mais assez cependant pour que les journaux rédigés dans le sens de leur opinion insultassent chaque jour madame de Staël et Benjamin Constant.

Il est extraordinaire que cette femme célèbre, si supérieure à toute cette coterie révolutionnaire, ait pu être aussi sensible qu'elle l'était à tous ces misérables sarcasmes. Mais il est vrai de dire que chaque jour, lorsque ses journaux lui arrivaient, elle en avait presque des convulsions de rage: après quelques heures elle se calmait pour recommencer le lendemain les mêmes agitations.

J'accompagnais souvent mon père chez madame de Staël. J'ai rencontré dans le cours de ma vie quelques personnes de beaucoup d'esprit, mais je n'ai jamais trouvé dans aucune une conversation aussi brillante et une telle richesse de pensées.

Madame de Staël ne cherchait jamais un mot; toujours celui qui peignait le mieux son idée se présentait sans effort, sans affectation. À cet égard, sa conversation valait mieux que ses écrits; en les lisant on se souvenait quelquefois de ce précepte de sa mère madame Necker, qui prétend que lorsqu'un auteur a le choix de plusieurs expressions, il doit toujours donner la préférence à celle qui présente plus d'un sens, et qui laisse quelque chose à faire à l'imagination du lecteur. Ce principe me paraît tout-à-fait faux.

Des auteurs d'un génie supérieur peuvent, en suivant ce précepte, rendre leur style plus poétique; la richesse, l'abondance de leurs pensées leur feront pardonner cette innovation; mais combien cette école est dangereuse pour les mauvais écrivains qui voudront se traîner sur leurs traces!

Je citerai un exemple de mon opinion, et je choisirai parmi les ouvrages d'un des auteurs que j'admire le plus, le vicomte de Chateaubriand. Il semble qu'il se plaise quelquefois à laisser à son lecteur le plaisir de le deviner, et celui de s'applaudir de son entendement quand il l'a bien compris. Beaucoup de lieux, de villes, de choses, en remplacement de leur nom propre, en reçoivent de lui un relatif. Il arrive que quelques ignorans le prennent pour le véritable.