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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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La prise d'Ulm avait achevé la défaite des Autrichiens et ouvert à l'empereur les portes de Vienne; mais les Russes s'avançaient à marches forcées au secours de leurs alliés. Sa Majesté se porta à leur rencontre; et le 1er décembre, les deux armées ennemies se trouvèrent en face l'une de l'autre. Par un de ces hasards qui n'étaient faits que pour l'empereur, le jour de la bataille d'Austerlitz était aussi le jour anniversaire du couronnement.

Je ne sais plus pourquoi il n'y avait pas à Austerlitz de tente pour l'empereur; les soldats lui avaient dressé avec des branches une espèce de baraque, avec une ouverture dans le haut pour le passage de la fumée. Sa Majesté n'avait pour lit que de la paille; mais elle était si fatiguée, la veille de la bataille, après avoir passé la journée à cheval sur les hauteurs du Santon, qu'elle dormait profondément quand le général Savary, un de ses aides-de-camp, entra pour lui rendre compte d'une mission dont il avait été chargé. Le général fut obligé de toucher l'épaule de l'empereur et de le pousser pour l'éveiller. Alors il se leva et remonta à cheval pour visiter ses avant-postes. La nuit était profonde, mais tout à coup le camp se trouva illuminé comme par enchantement. Chaque soldat mit une poignée de paille au bout de sa baïonnette, et tous ces brandons se trouvèrent allumés en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. L'empereur parcourut à cheval toute sa ligne, adressant la parole aux soldats qu'il reconnaissait. «Soyez demain, mes braves, tels que vous avez toujours été, leur disait-il, et les Russes sont à nous, nous les tenons!» L'air retentissait des cris de vive l'empereur! et il n'y avait officier ni soldat qui ne comptât pour le lendemain sur une victoire.

Sa Majesté, en visitant la ligne d'attaque où les vivres manquaient depuis quarante-huit heures, (car on n'avait distribué dans cette journée qu'un pain de munition pour huit hommes), vit, en passant de bivouac en bivouac, des soldats occupés à faire cuire des pommes de terre sous la cendre. Se trouvant devant le 4e régiment de ligne dont son frère était colonel, l'empereur dit à un grenadier du 2e bataillon, en prenant et mangeant une des pommes de terre de l'escouade: «Es-tu content de ces pigeons-là?—Hum! çà vaut toujours mieux que rien; mais ces pigeons-là, c'est bien de la viande de carême.—Eh bien, mon vieux,» reprit Sa Majesté en montrant aux soldats les feux de l'ennemi, «aide-moi à débusquer ces b…-là, et nous ferons le mardi-gras à Vienne.»

L'empereur revint, se recoucha et dormit jusqu'à trois heures du matin. Le service était rassemblé autour d'un feu de bivouac, près de la baraque de Sa Majesté; nous étions couchés sur la terre, enveloppés dans nos manteaux, car la nuit était des plus froides. Depuis quatre jours je n'avais pas fermé l'œil, et je commençais à m'endormir quand, sur les trois heures, l'empereur me fit demander du punch; j'aurais donné tout l'empire d'Autriche pour reposer une heure de plus. Je portai à Sa Majesté le punch que je fis au feu du bivouac; l'empereur en fit prendre au maréchal Berthier, et je partageai le reste avec ces messieurs du service. Entre quatre et cinq heures, l'empereur ordonna les premiers mouvemens de son armée. Tout le monde fut sur pied en peu d'instans et chacun à son poste; dans toutes les directions on voyait galoper les aides-de-camp et les officiers d'ordonnance, et au jour la bataille commença.

Je n'entrerai dans aucun détail sur cette glorieuse journée qui, suivant l'expression de l'empereur lui-même, termina la campagne par un coup de tonnerre. Pas une des combinaisons de Sa Majesté n'échoua, et en quelques heures les Français furent maîtres du champ de bataille et de l'Allemagne tout entière. Le brave général Rapp fut blessé à Austerlitz, comme dans toutes les batailles où il a figuré. On le transporta au château d'Austerlitz, et le soir, l'empereur alla le voir et causa quelque temps avec lui. Sa Majesté passa elle-même la nuit dans ce château.

Deux jours après, l'empereur François vint trouver Sa Majesté et lui demander la paix. Avant la fin de décembre un traité fut conclu, d'après lequel l'électeur de Bavière et le duc de Wurtemberg, alliés fidèles de l'empereur Napoléon, furent créés rois. En retour de cette élévation dont elle était l'unique auteur, Sa Majesté demanda et obtint pour le prince Eugène, vice-roi d'Italie, la main de la princesse Auguste-Amélie de Bavière.

Pendant son séjour à Vienne, l'empereur avait établi son quartier-général à Schœnbrunn, dont le nom est devenu célèbre par plusieurs séjours de Sa Majesté, et qui, dit-on, est encore aujourd'hui, par une singulière destinée, la résidence de son fils.

Je ne saurais assurer si ce fut pendant ce premier séjour à Schœnbrunn que l'empereur fit la rencontre extraordinaire que je vais rapporter. Sa Majesté, en costume de colonel des chasseurs de la garde, montait tous les jours à cheval. Un matin qu'il se promenait sur la route de Vienne, il vit arriver dans une voiture ouverte un ecclésiastique et une femme baignée de larmes qui ne le reconnut pas. Napoléon s'approcha de la voiture, salua cette dame, et s'informa de la cause de son chagrin, de l'objet et du but de son voyage. «Monsieur, répondit-elle, j'habitais dans un village à deux lieues d'ici, une maison qui a été pillée par des soldats, et mon jardinier a été tué. Je viens demander une sauve-garde à votre empereur qui a beaucoup connu ma famille, à laquelle il a de grandes obligations.—Quel est votre nom, madame?—De Bunny; je suis fille de M. de Marbœuf, ancien gouverneur de la Corse.—Je suis charmé, madame, reprit Napoléon, de trouver une occasion de vous être agréable. C'est moi qui suis l'empereur.» Madame de Bunny resta tout interdite. Napoléon la rassura et continua son chemin en la priant d'aller l'attendre à son quartier-général. À son retour, il la reçut et la traita à merveille, lui donna pour escorte un piquet de chasseurs de sa garde, et la congédia heureuse et satisfaite.

Dès que la bataille d'Austerlitz avait été gagnée, l'empereur s'était empressé d'envoyer en France le courrier Moustache, pour en annoncer la nouvelle à l'impératrice. Sa Majesté était au château de Saint-Cloud. Il était neuf heures du soir, lorsqu'on entendit tout à coup pousser de grands cris de joie, et le bruit d'un cheval qui arrivait au galop. Le son des grelots et les coups répétés du fouet annonçaient un courrier. L'impératrice, qui attendait avec une vive impatience des nouvelles de l'armée, s'élance vers la fenêtre et l'ouvre précipitamment. Les mots de victoire et d'Austerlitz frappent son oreille. Impatiente de savoir les détails, elle descend sur le perron, suivie de ses dames. Moustache lui apprend de vive voix la grande nouvelle, et remet à Sa Majesté la lettre de l'empereur. Joséphine, après l'avoir lue, tira un superbe diamant qu'elle avait au doigt, et le donna au courrier. Le pauvre Moustache avait fait au galop plus de cinquante lieues dans la journée, et il était tellement harassé qu'on fut obligé de l'enlever de dessus son cheval. Il fallut quatre personnes pour procéder à cette opération, et le transporter dans un lit. Son dernier cheval, qu'il avait sans doute encore moins ménagé que les autres, tomba mort dans la cour du château.

CHAPITRE XII

Retour de l'empereur à Paris.—Aventure en montant la côte de Meaux.—Une jeune fille se jette dans la voiture de l'empereur.—Rude accueil, et grâce refusée. Je reconnais mademoiselle de Lajolais.—Le général Lajolais deux fois accusé de conspiration.—Arrestation de sa femme et de sa fille.—Rigueurs exercées contre madame de Lajolais.—Résolution extraordinaire de mademoiselle de Lajolais.—Elle se rend seule à Saint-Cloud et s'adresse à moi.—Je fais parvenir sa demande à sa majesté l'impératrice.—Craintes de Joséphine.—Joséphine et Hortense font placer mademoiselle de Lajolais sur le passage de l'empereur.—Attention et bonté des deux princesses.—Constance inébranlable d'un enfant.—Mademoiselle de Lajolais en présence de l'empereur.—Scène déchirante.—Sévérité de l'empereur.—Grâce arrachée.—Évanouissement.—Soins donnés à mademoiselle de Lajolais par l'empereur.—Les généraux Wolff et Lavalette la reconduisent à son père.—Entrevue du général Lajolais et de sa fille.—Mademoiselle de Lajolais obtient aussi la grâce de sa mère.—Elle se joint aux dames bretonnes pour solliciter la grâce des compagnons de George.—Exécution retardée.—Démarche infructueuse.—Avertissement de l'auteur.—Le jeune Destrem demande et obtient la grâce de son père.—Faveur inutile.—Passage de l'empereur par Saint-Cloud, au retour d'Austerlitz.—M. Barré, maire de Saint-Cloud.—L'arc barré et la plus dormeuse des communes.—M. Je prince de Talleyrand et les lits de Saint-Cloud.—Singulier caprice de l'empereur.—Petite révolution au château.—Les manies des souverains sont epidémiques.

L'empereur ayant quitté Stuttgard, ne s'arrêta que vingt-quatre heures à Carlsruhe, et quarante-huit heures à Strasbourg; de là jusqu'à Paris il ne fit que des haltes assez courtes, sans se presser toutefois, et sans demander aux postillons cette rapidité extrême qu'il avait coutume d'en exiger.

Pendant que nous montions la côte de Meaux, et que l'empereur lui-même, fortement occupé de la lecture d'un livre qu'il avait dans les mains, ne faisait aucune attention à ce qui se passait sur la route, une jeune fille se précipita sur la portière de Sa Majesté, s'y cramponna malgré les efforts, assez faibles à la vérité, que les cavaliers de l'escorte tentèrent pour l'éloigner, l'ouvrit et se jeta dans la voiture de l'empereur. Tout cela fut fait en moins de temps que je n'en mets à le dire. L'empereur, on ne peut plus surpris, s'écria: «Que diable me veut cette folle?» Puis reconnaissant la jeune demoiselle après avoir mieux examiné ses traits, il ajouta avec une humeur bien prononcée: «Ah! c'est encore vous! vous ne me laisserez donc jamais tranquille?» La jeune fille, sans s'effrayer de ce rude accueil, mais non sans verser beaucoup de larmes, dit que la seule grâce qu'elle était venue implorer pour son père était qu'on le changeât de prison, et qu'il fût transporté du château d'If, où l'humidité détruisait sa santé, à la citadelle de Strasbourg. «Non, non, s'écria l'empereur, n'y comptez pas. J'ai bien autre chose à faire que de recevoir vos visites. Que je vous accorde encore cette demande, et dans huit jours vous en aurez imaginé quelqu'autre.» La pauvre demoiselle insista avec une fermeté digne d'un meilleur succès; mais l'empereur fut inflexible. Arrivé au haut de la côte, il dit à la jeune fille: «J'espère que vous allez descendre, et me laisser poursuivre mon chemin. J'en suis bien fâché, mais ce que vous me demandez est impossible.» Et il la congédia sans vouloir l'entendre plus long-temps.

 

Pendant que cela se passait, je montais la côte à pied, à quelques pas de la voiture de Sa Majesté, et lorsque, cette désagréable scène étant terminée, la jeune personne, forcée de s'éloigner sans avoir rien obtenu, passa devant moi en sanglotant, je reconnus mademoiselle de Lajolais, que j'avais déjà vue dans une circonstance semblable, mais où sa courageuse tendresse pour ses parens avait été suivie d'une meilleure réussite.

Le général de Lajolais avait été arrêté, ainsi que toute sa famille, au 18 fructidor. Après avoir subi une détention de vingt-huit mois, il avait été jugé à Strasbourg par un conseil de guerre, sur l'ordre qu'en donna le premier consul, et acquitté à l'unanimité.

Plus tard, lorsqu'éclata la conjuration des généraux Pichegru, Moreau, George Cadoudal, et de MM. de Polignac, de Rivière, etc., le général de Lajolais, qui en faisait partie, fut condamné à mort avec eux; sa femme et sa fille furent transférées de Strasbourg à Paris par la gendarmerie. Madame de Lajolais fut mise au secret le plus rigoureux; et sa fille, séparée d'elle, se réfugia chez des amis de sa famille. C'est alors que cette jeune personne, âgée à peine de quatorze ans, déploya un courage et une force de caractère inconnus dans un âge aussi tendre. Lorsqu'elle apprit la condamnation à mort de son père, elle partit à quatre heures du matin, sans avoir fait part de sa résolution à personne, seule, à pied, sans guide, sans introducteur, et se présenta tout en larmes au château de Saint-Cloud, où était l'empereur. Ce ne fut pas sans beaucoup de peine qu'elle parvint à en franchir l'entrée; mais elle ne se laissa rebuter par aucun obstacle, et arriva jusqu'à moi. «Monsieur, me dit-elle, on m'a promis que vous me conduiriez tout de suite à l'empereur (je ne sais qui lui avait fait ce conte); je ne vous demande que cette grâce, ne me la refusez pas, je vous en supplie!» Touché de sa confiance et de son désespoir, j'allai prévenir sa majesté l'impératrice.

Celle-ci, tout émue de la résolution et des larmes d'une enfant si jeune, n'osa pourtant pas lui prêter sur-le-champ son appui, dans la crainte de réveiller la colère de l'empereur, qui était grande contre ceux qui avaient trempé dans la conspiration. L'impératrice m'ordonna de dire à la jeune de Lajolais qu'elle était désolée de ne pouvoir rien faire pour elle en ce moment; mais qu'elle eût à revenir à Saint-Cloud le lendemain à cinq heures du matin; qu'elle et la reine Hortense aviseraient au moyen de la placer sur le passage de l'empereur. La jeune fille revint le jour suivant à l'heure indiquée. Sa majesté l'impératrice la fit placer dans le salon vert. Là elle épia pendant dix heures le moment où l'empereur, sortant du conseil, traverserait cette salle pour passer dans son cabinet.

L'impératrice et son auguste fille donnèrent des ordres pour qu'on lui servît à déjeuner et ensuite à dîner; elles vinrent elles-mêmes la prier de prendre quelque nourriture, mais leurs instances furent inutiles. La pauvre enfant n'avait pas d'autre pensée ni d'autre besoin que d'obtenir la vie de son père. Enfin à cinq heures après midi l'empereur parut; sur un signe que l'on fit à mademoiselle de Lajolais pour lui montrer l'empereur, qu'entouraient quelques conseillers d'état et des officiers de sa maison, elle s'élança vers lui; c'est alors qu'eut lieu une scène déchirante qui dura fort long-temps. La jeune fille se traînait aux genoux de l'empereur, le conjurant, les mains jointes et dans les termes les plus touchans, de lui accorder la grâce de son père. L'empereur commença d'abord par la repousser et lui dire du ton le plus sévère: «Votre père est un traître, c'est la seconde fois qu'il se rend coupable envers l'état, je ne puis rien vous accorder.» Mademoiselle de Lajolais répondit à cette sortie de Sa Majesté: «La première fois, mon père a été jugé et reconnu innocent; cette fois-ci c'est sa grâce que j'implore!» Enfin l'empereur, vaincu par tant de courage et de dévouement, et un peu fatigué d'ailleurs d'une séance que la persévérance de la jeune fille semblait encore disposée à prolonger, céda à ses prières, et la vie du général de Lajolais fut sauvée.

Épuisée de fatigue et de faim, sa fille tomba sans connaissance aux pieds de l'empereur; il la releva lui-même, lui fit donner des soins, et la présentant aux personnes témoins de cette scène, il la combla d'éloges pour sa piété filiale.

Sa Majesté donna ordre aussitôt qu'on la reconduisît à Paris, et plusieurs officiers supérieurs se disputèrent le plaisir de l'accompagner. Les généraux Wolff, aide-de-camp du prince Louis, et Lavalette, furent chargés de ce soin, et la conduisirent à la Conciergerie auprès de son père. Entrée dans son cachot, elle se précipita à son cou pour lui annoncer la grâce qu'elle venait d'arracher, mais accablée par tant d'émotions elle fut hors d'état de prononcer une seule parole, et ce fut le général Lavalette qui annonça au prisonnier ce qu'il devait à la courageuse persistance de sa fille… Le lendemain, elle obtint par l'impératrice Joséphine la liberté de sa mère qui devait être déportée48.

Après avoir obtenu la vie de son père et la liberté de sa mère, comme je viens de le rapporter, mademoiselle de Lajolais voulut encore travailler à sauver leurs compagnons d'infortune condamnés à mort. Elle se joignit aux dames bretonnes, que le succès qu'elle avait déjà obtenu avait engagées à solliciter sa coopération, et elle courut avec elles à la Malmaison pour demander ces nouvelles grâces.

Ces dames avaient obtenu que l'exécution des condamnés fût retardée de deux heures; elles espéraient que l'impératrice Joséphine pourrait fléchir l'empereur; mais il fut inflexible, et cette généreuse tentative resta sans succès. Mademoiselle de Lajolais revint à Paris avec la douleur de n'avoir pu arracher quelques malheureux de plus aux rigueurs de la loi.

J'ai déjà dit deux choses que je me crois obligé de rappeler en cet endroit: la première, c'est que, loin de m'assujettir à rapporter les événemens dans leur ordre chronologique, je les écrirais à mesure qu'ils viendraient s'offrir à ma mémoire; la seconde, c'est que je considère comme une obligation et un devoir pour moi de raconter tous les actes de l'empereur qui peuvent servir à le faire mieux connaître, et qui ont été oubliés, soit involontairement, soit à dessein, par ceux qui ont écrit sa vie. Je crains peu que l'on m'accuse sur ce point de monotonie, et que l'on m'adresse le reproche de ne faire qu'un panégyrique; mais si cela arrivait à quelqu'un, je dirais: Tant pis pour qui s'ennuie au récit des bonnes actions! Je me suis engagé à dire la vérité sur l'empereur, en bien comme en mal; tout lecteur qui s'attend à ne trouver dans mes mémoires que du mal sur le compte de l'empereur, comme celui qui s'attendrait à n'y trouver que du bien, fera sagement de ne pas aller plus loin, car j'ai fermement résolu de raconter tout ce que je sais. Ce n'est pas ma faute si les bienfaits accordés par l'empereur ont été tellement nombreux que mes récits devront souvent tourner à sa louange.

J'ai cru bon de faire ces courtes observations avant de rapporter ici une autre grâce accordée par Sa Majesté à l'époque du couronnement, et que l'aventure de mademoiselle de Lajolais m'a rappelée.

Le jour de la première distribution dans l'église des Invalides de la décoration de la Légion-d'Honneur, et au moment où, cette imposante cérémonie étant terminée, l'empereur allait se retirer, un très-jeune homme vint se jeter à genoux sur les marches du trône en criant: Grâce! grâce pour mon père! Sa Majesté, touchée de sa physionomie intéressante et de sa profonde émotion, s'approcha de lui et voulut le relever; mais le jeune homme se refusait à changer d'attitude, et répétait sa demande d'un ton suppliant. «Quel est le nom de votre père?» lui demanda l'empereur.—«Sire, répondit le jeune homme pouvant à peine se faire entendre, il s'est fait assez connaître, et les ennemis de mon père ne l'ont que trop calomnié auprès de Votre Majesté; mais je jure qu'il est innocent. Je suis le fils de Hugues Destrem.—Votre père, Monsieur, s'est gravement compromis par ses liaisons avec des factieux incorrigibles; mais j'aurai égard à votre demande. M. Destrem est heureux d'avoir un fils qui lui est si dévoué.» Sa Majesté ajouta encore quelques paroles consolantes, et le jeune homme se retira avec la certitude que son père serait gracié. Malheureusement le pardon accordé par l'empereur arriva trop tard: M. Hugues Destrem, qui avait été transporté à l'île d'Oléron après l'attentat du 3 nivôse, auquel il n'avait pourtant pris aucune part, mourut dans cet exil, avant d'avoir reçu la nouvelle que les sollicitations de son fils avaient obtenu un plein succès.

À notre retour de la glorieuse campagne d'Austerlitz, la commune de Saint-Cloud, si favorisée par le séjour de la cour, avait décidé qu'elle se distinguerait dans cette circonstance, et s'efforcerait de prouver tout son amour pour l'empereur.

Le maire de Saint-Cloud était M. Barré, homme d'une instruction parfaite et d'une grande bonté; Napoléon l'estimait particulièrement, et aimait à s'entretenir avec lui; aussi fut-il sincèrement regretté de ses administrés, quand la mort le leur enleva.

M. Barré fit élever un arc de triomphe simple, mais noble et de bon goût, au bas de l'avenue qui conduit au palais; on le décora de l'inscription suivante:

À SON SOUVERAIN CHÉRI
LA PLUS HEUREUSE DES COMMUNES

Le soir où l'on attendait l'empereur, M. le maire et ses adjoints, avec la harangue obligée, passèrent une partie de la nuit au pied du monument. M. Barré, qui était vieux et valétudinaire, se retira, mais non sans avoir placé en sentinelle un de ses administrés qui devait l'aller prévenir de la venue du premier courrier. On fit poser une échelle en travers de l'arc de triomphe pour que personne n'y pût passer avant Sa Majesté. Malheureusement l'argus municipal vint à s'endormir: l'empereur arrive sur le matin et passe à côté de l'arc de triomphe, en riant beaucoup de l'obstacle qui l'empêchait de jouir de l'honneur insigne que lui avaient préparé les bons habitans de Saint-Cloud.

Le jour même de l'événement, on fit courir dans le palais un petit dessin représentant les autorités endormies auprès du monument. On n'avait eu garde d'oublier l'échelle qui barrait le passage; on lisait au-dessous l'arc barré, par allusion au nom du maire. Quant à l'inscription, on l'avait travestie de cette manière:

À SON SOUVERAIN CHÉRI
LA PLUS HEUREUSE DES COMMUNES

Leurs Majestés s'amusèrent beaucoup de cette plaisanterie.

La cour étant à Saint-Cloud, l'empereur, qui avait travaillé fort tard avec M. de Talleyrand, invita ce dernier à coucher au château. Le prince, qui aimait mieux retourner à Paris, refusa, donnant pour excuse que les lits avaient une odeur fort désagréable. Il n'en était pourtant rien, et on avait, comme on peut aisément le croire, le plus grand soin du mobilier, tant au garde-meuble que dans les différens palais impériaux. Le motif assigné par M. de Talleyrand avait été donné par hasard; il aurait pu tout aussi bien en assigner un autre. Néanmoins l'observation frappa l'empereur, et le soir, en entrant dans sa chambre, il se plaignit que son lit sentait mauvais. Je l'assurai du contraire, en promettant à Sa Majesté que le lendemain elle serait convaincue de son erreur. Mais loin d'être persuadé, l'empereur, à son lever, répéta que son lit avait une odeur fort désagréable et qu'il fallait absolument le changer. Sur-le-champ on appela M. Charvet, concierge du palais, à qui Sa Majesté se plaignit de son lit et ordonna d'en faire apporter un autre. M. Desmasis, conservateur du garde-meuble, fut aussi mandé; il examine matelas, lits de plume et couvertures, les tourne et retourne en tout sens; d'autres personnes en font autant, et chacun demeure convaincu que le lit de Sa Majesté ne répandait aucune odeur. Malgré tant de témoignages, l'empereur, non parce qu'il tenait à honneur de n'avoir pas le démenti de ce qu'il avait avancé, mais seulement par suite d'un caprice auquel il était assez sujet, persista dans sa première idée et exigea que son coucher fût changé. Voyant qu'il fallait obéir, j'envoyai le coucher aux Tuileries et fis apporter le lit de Paris au château de Saint-Cloud, L'empereur applaudit à ce changement, et quand il fut revenu aux Tuileries, il ne s'aperçut pas de l'échange et trouva très-bon son coucher dans ce château. Ce qu'il y eut de plus plaisant, c'est que les dames du palais ayant appris que l'empereur s'était plaint de son lit, trouvèrent aux leurs une odeur insupportable. Il fallut tout bouleverser, et cela fit une petite révolution. Les caprices des souverains ont quelque chose d'épidémique.

 
48On sait que la peine du général de Lajolais fut commuée en quatre années de détention, dans une prison d'état; que ses biens furent confisqués et vendus, et qu'il mourut au château d'If, bien au delà du terme marqué pour l'expiration de sa captivité. (Note de l'éditeur.)