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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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On a dit que Sa Majesté prenait beaucoup de tabac, que, pour en prendre plus vite et plus souvent, elle en mettait dans une poche de son gilet, doublée de peau pour cet usage; ce sont autant d'erreurs: l'empereur n'a jamais pris du tabac que dans ses tabatières, et quoiqu'il en consommât beaucoup, il n'en prenait que très-peu. Il approchait sa prise de ses narines comme simplement pour la sentir, et la laissait tomber ensuite. Il est vrai que la place où il se trouvait en était couverte; mais ses mouchoirs, témoins irrécusables en pareille matière, étaient à peine tachés, bien qu'ils fussent blancs et de batiste très-fine; certes ce ne sont pas là les marques d'un priseur. Souvent il se contentait de promener sous son nez sa tabatière ouverte pour respirer l'odeur du tabac qu'elle contenait. Ses boîtes étaient étroites, ovales, à charnières, en écaille noire, doublées en or, ornées de camées ou de médailles antiques en or et en argent. Il avait eu des tabatières rondes, mais comme il fallait deux mains pour les ouvrir, et que dans cette opération il laissait tomber tantôt la boîte, tantôt le couvert, il s'en était dégoûté. Son tabac était râpé fort gros, et se composait ordinairement de plusieurs sortes de tabacs mélangées ensemble. Souvent il s'amusait à en faire manger aux gazelles qu'il avait à Saint-Cloud. Elles en étaient très-friandes, et quoiqu'on ne peut plus sauvages pour tout le monde, elles s'approchaient sans crainte de Sa Majesté.

L'empereur n'eut qu'une seule fois fantaisie d'essayer de la pipe; voici à quelle occasion: l'ambassadeur persan (ou peut-être l'ambassadeur turc qui vint à Paris sous le consulat) avait fait présent à sa Majesté d'une fort belle pipe à l'orientale. Il lui prit un jour envie d'en faire l'essai, et il fit préparer tout ce qu'il fallait pour cela. Le feu ayant été appliqué au récipient, il ne s'agissait plus que de le faire se communiquer au tabac, mais à la manière dont Sa Majesté s'y prenait, elle n'en serait jamais venue à bout. Elle se contentait d'ouvrir et de fermer alternativement la bouche, sans aspirer le moins du monde. «Comment diable! s'écria-t-elle enfin, cela n'en finit pas.» Je lui fis observer qu'elle s'y prenait mal, et lui montrai comment il fallait faire. Mais l'empereur en revenait toujours à son espèce de bâillement. Ennuyé de ses vains efforts, il finit par me dire d'allumer la pipe. J'obéis et la lui rendis en train. Mais à peine en eut-il aspiré une bouffée, que la fumée qu'il ne sut point chasser de sa bouche, tournoyant autour du palais, lui pénétra dans le gosier, et ressortit par les narines et par les yeux. Dès qu'il put reprendre haleine, «Ôtez-moi cela! quelle infection! oh les cochons! le cœur me tourne.» Il se sentit en effet comme incommodé pendant au moins une heure, et renonça pour toujours à un plaisir «dont l'habitude, disait-il, n'était bonne qu'à désennuyer les fainéans.»

L'empereur ne mettait dans ses vêtemens d'autre recherche que celle de la finesse de l'étoffe et de la commodité. Ses fracs, ses habits et la redingote grise si fameuse, étaient des plus beaux draps de Louviers. Sous le consulat, il portait, comme c'était alors la mode, les basques de son habit extrêmement longues. Plus tard, la mode ayant changé, on les porta plus courtes, mais l'empereur tenait singulièrement à la longueur des siennes, et j'eus beaucoup de peine à le décider à y renoncer. Ce ne fut même que par une supercherie que j'en vins tout-à-fait à bout. À chaque nouvel habit que je faisais faire pour Sa Majesté, je recommandais au tailleur de raccourcir les pans d'un bon pouce, jusqu'à ce qu'enfin, sans que l'empereur s'en aperçût, ils ne furent plus ridicules. Il ne renonçait pas plus aisément sur ce point que sur tous les autres, à ses anciennes habitudes, et il voulait surtout ne pas être gêné: aussi parfois ne brillait-il pas par l'élégance. Le roi de Naples, l'homme de France qui se mettait avec le plus de recherche et presque toujours avec le meilleur goût, se permettait quelquefois de le plaisanter doucement sur sa toilette. «Sire, disait-il à l'empereur, Votre Majesté s'habille trop à la papa. De grâce, sire, donnez à vos fidèles sujets l'exemple du bon goût.—Ne faut-il pas, pour vous plaire, répondait l'empereur, que je me mette comme un muscadin, comme un petit-maître, enfin comme sa majesté le roi de Naples et des Deux-Siciles? Je tiens à mes habitudes, moi.—Oui, sire, et à vos habits tués, ajouta une fois le roi.—Détestable! s'écria l'empereur, cela est digne de Brunet;» et ils rirent un instant de ce jeu de mots, tout en le déclarant tel que l'avait jugé l'empereur.

Cependant ces discussions sur la toilette s'étant renouvelées à l'époque du mariage de Sa Majesté avec l'impératrice Marie-Louise, le roi de Naples pria l'empereur de permettre qu'il lui envoyât son tailleur. Sa Majesté, qui cherchait en ce moment tous les moyens de plaire à sa jeune épouse, accepta l'offre de son beau-frère. Le même jour, je courus chez Léger, qui habillait le roi Joachim, et l'amenai avec moi au château, en lui recommandant de faire les habits qu'on allait lui demander le moins gênans qu'il se pourrait, certain que j'étais d'avance que, tout au contraire de M. Jourdain, si l'empereur n'entrait pas dedans avec la plus grande aisance, il ne les prendrait pas. Léger ne tint aucun compte de mes avis; il prit ses mesures fort justes. Les deux habits qu'il fit étaient parfaitement faits, mais l'empereur les trouva incommodes. Il ne les mit qu'une fois, et Léger fut dès ce jour dispensé de travailler pour Sa Majesté. Une autre fois, long-temps avant cette époque, il avait commandé un fort bel habit de velours marron, avec boutons en diamans. Il descendit ainsi vêtu au cercle de sa majesté l'impératrice, mais avec une cravate noire. L'impératrice Joséphine lui avait préparé un col de dentelle magnifique, mais toutes mes instances n'avaient pu le décider à le mettre.

Les vestes et les culottes de l'empereur étaient toujours de casimir blanc. Il en changeait tous les matins. On ne les lui faisait blanchir que trois ou quatre fois. Deux heures après qu'il était sorti de sa chambre, il arrivait très-souvent que sa culotte était toute tachée d'encre, grâce à son habitude d'y essuyer sa plume, et d'arroser tout d'encre autour de lui, en secouant sa plume contre sa table. Cependant, comme il s'habillait le matin pour toute la journée, il ne changeait pas pour cela de toilette et restait en cet état le reste du jour. J'ai déjà dit qu'il ne portait jamais que des bas de soie blancs. Ses souliers, très-légers et très-fins, étaient doublés de soie. Tout le dedans de ses bottes était garni de futaine blanche. Lorsqu'il sentait à une de ses jambes quelque démangeaison, il se frottait avec le talon du soulier ou de la botte dont l'autre jambe était chaussée, ce qui ajoutait encore à l'effet de l'encre éparpillée. Les boucles de ses souliers étaient d'or, ovales, simples ou à facettes. Il en portait aussi en or, aux jarretières. Jamais sous l'empire je ne lui ai vu porter de pantalons.

Toujours, par suite de la fidélité de l'empereur à ses anciennes habitudes, son cordonnier, dans les premiers temps de l'empire, était le même qui l'avait chaussé lorsqu'il était à l'école militaire. Depuis ce temps il le chaussait toujours d'après ses premières mesures, sans lui en prendre de nouvelles; aussi ses souliers comme ses bottes étaient toujours mal faits et sans grâce. Long-temps il les porta pointus; je gagnai qu'ils fussent faits en bec de canne, comme c'était la mode. Ses anciennes mesures se trouvèrent à la fin trop petites, et j'obtins de Sa Majesté qu'elle s'en ferait prendre d'autres. Je courus aussitôt chez son cordonnier: c'était un grand simple qui avait succédé à son père. Il n'avait jamais vu l'empereur, quoiqu'il travaillât pour lui, et fut tout stupéfait d'apprendre qu'il fallait paraître devant Sa Majesté; la tête lui en tournait. Comment oserait-il se présenter devant l'empereur? Quel costume fallait-il prendre? Je l'encourageai et lui dis qu'il lui fallait un habit noir à la française, avec la culotte, l'épée, le chapeau, etc. Il se rendit ainsi panaché aux Tuileries. En entrant dans la chambre de Sa Majesté, il fit un profond salut, et demeura fort embarrassé. «Ce n'est pas vous, dit l'empereur, qui me chaussiez à l'école militaire?—Non, Votre Majesté l'empereur et roi, c'était mon père.—Et pourquoi n'est-ce plus lui?—Sire l'empereur et roi, parce qu'il est mort.—Combien me faites-vous payer mes souliers?—Votre Majesté l'empereur et roi les paye dix-huit francs.—C'est bien cher.—Votre Majesté l'empereur et roi les paierait bien plus cher si elle voulait.» L'empereur rit beaucoup de cette niaiserie et se fit prendre mesure. Les rires de Sa Majesté avaient complétement déconcerté le pauvre homme; lorsqu'il s'approcha, le chapeau sous le bras, et en faisant mille saluts, son épée se prit dans ses jambes, fut rompue en deux et le fit tomber sur les genoux et sur les mains. C'était à n'y pas tenir, aussi les rires de Sa Majesté redoublèrent; enfin l'honnête cordonnier, débarrassé de sa brette, prit plus aisément mesure à l'empereur, et se retira en faisant beaucoup d'excuses.

Tout le linge de corps de Sa Majesté était de toile extrêmement belle, marqué d'un N couronné. Dans le commencement, il ne portait point de bretelles; il finit par s'en servir, et il en trouvait l'usage très-commode. Il portait sur la peau des gilets de flanelle d'Angleterre. L'impératrice Joséphine lui avait fait faire pour l'été douze gilets de cachemire.

Beaucoup de personnes ont cru que l'empereur avait une cuirasse sous ses habits dans ses promenades et à l'armée; le fait est matériellement faux; jamais Sa Majesté n'a endossé une cuirasse, ni rien de semblable, pas plus sous ses habits que dessus.

L'empereur ne portait jamais de bijoux; il n'avait dans ses poches ni bourse ni argent, mais seulement son mouchoir, sa tabatière et sa bonbonnière.

 

Il ne portait à ses habits qu'un crachat et deux croix, celle de la Légion-d'Honneur et celle de la Couronne-de-Fer. Sous son uniforme et sur sa veste, il avait un cordon rouge dont les deux bouts ne se voyaient qu'à peine. Quand il y avait cercle au château, ou qu'il passait une revue, il mettait ce grand cordon sur son habit.

Son chapeau, dont il sera inutile de décrire la forme tant qu'il existera des portraits de Sa Majesté, était de castor, extrêmement fin et très-lèger; le dedans en était doublé de soie et ouaté. Il n'y portait ni glands, ni torsades, ni plumes, mais simplement une ganse étroite de soie plate qui soutenait une petite cocarde tricolore.

L'empereur avait plusieurs montres de Bréguet et de Meunier; elles étaient fort simples, à répétions, sans ornemens ni chiffre, le dessus couvert d'une glace, la boîte en or. M. Las Cases parle d'une montre recouverte des deux côtés d'une double boîte en or, marquée du chifre B, et qui n'a jamais quitté l'empereur. Je ne lui en ai pas connu de pareille, et pourtant j'étais dépositaire de tous les bijoux; je l'ai même été, durant plusieurs, années, des diamans de la couronne. L'empereur cassait souvent sa montre en la jetant à la volée, comme je l'ai dit plus haut, sur un des meubles de sa chambre à coucher. Il avait deux réveils faits par Meunier, un dans sa voiture, l'autre au chevet de son lit. Il les faisait sonner avec une petite ganse de soie verte; il en avait bien un troisième, mais il était vieux et mauvais, et ne pouvait servir. C'est celui-là qui avait appartenu au grand Frédéric, et qu'il avait apporté de Berlin.

Les épées de Sa Majesté étaient fort simples la monture en or, avec un hibou sur le pommeau.

L'empereur s'était fait faire deux épées semblables à celle qu'il portait le jour de la bataille d'Austerlitz. Une de ces épées fut donnée à l'empereur Alexandre, ainsi qu'on le verra plus tard, et l'autre au prince Eugène en 1814. Celle que l'empereur avait à Austerlitz, et sur laquelle il avait fait graver le nom et la date de cette mémorable bataille, devait être enfermée dans la colonne de la place Vendôme. Sa Majesté l'avait encore, je crois, à Sainte-Hélène.

Il avait aussi plusieurs sabres qu'il avait portés dans ses premières campagnes, et sur lesquels on avait fait graver le nom des batailles où il s'en était servi. Ils furent distribués à divers officiers-généraux par sa majesté l'empereur. Je parlerai plus tard de cette distribution.

Lorsque l'empereur devait quitter sa capitale pour rejoindre ses armées ou pour une simple tournée dans les départemens, jamais on ne savait bien précisément le moment de son départ. Il fallait d'avance envoyer sur diverses routes un service complet pour la chambre, la bouche, les écuries; quelquefois ils attendaient trois semaines, un mois, et quand Sa Majesté était partie, on faisait revenir les services restés sur les routes qu'elle n'avait point parcourues. J'ai souvent pensé que l'empereur en usait ainsi pour déconcerter les calculs de ceux qui épiaient ses démarches, et dérouter les politiques. Le jour qu'il devait partir personne que lui ne le savait; tout se passait comme à l'ordinaire. Après un concert, un spectacle, ou tout autre divertissement qui avait réuni un grand nombre de personnes, Sa Majesté disait à son coucher: «Je pars à deux heures.» Quelquefois c'était plus tôt, quelquefois plus tard, mais on partait toujours à l'heure qu'elle avait fixée. À l'instant l'ordre était transmis par chacun des chefs de service; tout se trouvait prêt dans le temps marqué, mais on laissait le château sens dessus dessous. J'ai tracé ailleurs un tableau de la confusion qui précédait et suivait immédiatement, au château, le départ de l'empereur. Partout où logeait Sa Majesté, en voyage, elle faisait payer, avant de partir, la dépense de sa maison et la sienne; elle faisait des présens à ses hôtes et donnait des gratifications aux domestiques de la maison. Le dimanche, l'empereur se faisait dire la messe par le desservant du lieu et donnait toujours vingt napoléons, quelquefois plus, selon les besoins des pauvres de la commune. Il questionnait beaucoup les curés sur leurs ressources, sur celles de leurs paroissiens, sur l'esprit et la moralité de la population, etc. Il ne manquait que rarement à demander le nombre des naissances, des décès, des mariages, et s'il y avait beaucoup de garçons et de filles en âge d'être mariés. Si le curé répondait d'une manière satisfaisante et s'il n'avait pas été trop long-temps à dire sa messe, il pouvait compter sur les bonnes grâces de Sa Majesté; son église et ses pauvres s'en trouvaient bien, et pour lui-même l'empereur lui laissait à son départ, ou lui faisait expédier un brevet de chevalier de la Légion-d'Honneur. En général, Sa Majesté aimait qu'on lui répondît avec assurance et sans timidité; elle souffrait même la contradiction; on pouvait sans aucun risque lui faire une réponse inexacte, cela passait presque toujours, elle y faisait peu d'attention, mais elle ne manquait jamais de s'éloigner de ceux qui lui parlaient en hésitant et d'une manière embarrassée.

Partout où l'empereur se trouvait résider, il y avait toujours de service, le jour comme la nuit, un page et un aide-de-camp qui couchaient sur des lits de sangle. Il y avait aussi dans l'antichambre un maréchal-des-logis et un brigadier des écuries pour aller, quand il le fallait, faire avancer les équipages qu'on avait soin de tenir toujours prêts à marcher; des chevaux tout sellés et bridés, et des voitures attelées de deux chevaux sortaient des écuries au premier signe de Sa Majesté. On les relevait de service toutes les deux heures, comme des sentinelles.

J'ai dit tout à l'heure que Sa Majesté aimait les promptes réponses et celles qui annonçaient de la vivacité dans l'esprit. Voici deux anecdotes qui me paraissent venir à l'appui de cette assertion.

L'empereur passant un jour une revue sur la place du Carrousel, son cheval se cabra, et dans les efforts que fit Sa Majesté pour le retenir, son chapeau tomba à terre; un lieutenant (son nom était, je crois, Rabusson), aux pieds duquel le chapeau était tombé, le ramassa et sortit du front de bandière pour l'offrir à Sa Majesté. «Merci, capitaine,» lui dit l'empereur encore occupé à calmer son cheval.—«Dans quel régiment, sire?» demanda l'officier. L'empereur le regarda alors avec plus d'attention, et s'apercevant de sa méprise, dit en souriant: «Ah! c'est juste, Monsieur; dans la garde.» Le nouveau capitaine reçut peu de jours après le brevet qu'il devait à sa présence d'esprit, mais qu'il avait auparavant bien mérité par sa bravoure et sa capacité.

À une autre revue, Sa Majesté aperçut dans les rangs d'un régiment de ligne un vieux soldat dont le bras était décoré de trois chevrons. Elle le reconnut aussitôt pour l'avoir vu à l'armée d'Italie, et s'approchant de lui:—«Eh bien! mon brave, pourquoi n'as-tu pas la croix? tu n'as pourtant pas l'air d'un mauvais sujet.—Sire, répondit la vieille moustache avec une gravité chagrine, on m'a fait trois fois la queue pour la croix.—On ne te la fera pas une quatrième,» reprit l'empereur; et il ordonna au maréchal Berthier de porter sur la liste de la plus prochaine promotion le brave, qui fut en effet bientôt chevalier de la Légion-d'Honneur.

CHAPITRE IV

Le pape quitte Rome pour venir couronner l'empereur.—Il passe le Mont-Cénis.—Son arrivée en France.—Enthousiasme religieux.—Rencontre du pape et de l'empereur.—Finesses d'étiquette.—Respect de l'empereur pour le pape.—Entrée du pape à Paris.—Il loge aux Tuileries.—Attentions délicates de l'empereur, et reconnaissance du Saint-Père.—Le nouveau fils aîné de l'église.—Portrait de Pie VII.—Sa sobriété non imitée par les personnes de sa suite.—Séjour du pape à Paris.—Empressement des fidèles.—Visite du pape aux établissemens publics.—Audiences du pape, dans la grande salle du musée.—L'auteur assiste à une de ces réceptions.—La bénédiction du pape.—Le souverain pontife et les petits enfans.—Costume du Saint-Père.—Le pape et madame la comtesse de Genlis.—Les marchands de chapelets.—Le 2 décembre 1804.—Mouvement dans le château des Tuileries.—Lever et toilette de l'empereur.—Les fournisseurs et leurs mémoires.—Costume de l'empereur, le jour du sacre.—Constant remplissant une des fonctions du premier chambellan.—Le manteau du sacre et l'uniforme de grenadier.—Joyaux de l'impératrice.—Couronne, diadème et ceinture de l'impératrice.—Le sceptre, la main de justice et l'épée du sacre.—MM. Margueritte, Odiot et Biennais, joailliers.—Voiture du pape. Le premier camérier et sa monture.—Voiture du sacre.—Singulière méprise de Leurs Majestés.—Cortége du sacre.—Cérémonie religieuse.—Musique du sacre.—M. Lesueur et la marche de Boulogne.—Joséphine couronnée par l'empereur.—Le regard d'intelligence.—Le couronnement et l'idée du divorce.—Chagrin de l'empereur et ce qui le causait.—Serment du sacre.—La galerie de l'archevêché.—Trône de Leurs Majestés.—Illuminations.—Présens offerts par l'empereur à l'église de Notre-Dame.—La discipline et la tunique de saint Louis.—Médailles du couronnement de l'empereur.—Réjouissances publiques.

Le pape Pie VII avait quitté Rome au commencement de novembre. Sa sainteté, accompagnée par le général Menou, administrateur du Piémont, arriva sur le Mont-Cénis le 15 novembre au matin. On avait jalonné et aplani la route du Mont-Cénis, et tous les points périlleux avaient été garnis de barrières. Le Saint-Père fut complimenté par M. Poitevin-Maissemy, préfet du Mont-Blanc. Après une courte visite à l'hospice, il fit la traversée du mont, dans une chaise à porteurs, escorté d'une foule immense qui se précipitait pour recevoir sa bénédiction.

Le 17 novembre, Sa Sainteté remonta en voiture et fit ainsi le reste du chemin, toujours aussi accompagnée. L'empereur alla au devant du Saint-Père, et ce fut sur la route de Nemours, dans la forêt de Fontainebleau, qu'ils se rencontrèrent. L'empereur descendit de cheval, et les deux souverains rentrèrent à Fontainebleau dans la même voiture. On dit que pour que l'un ne prît point le pas sur l'autre, ils y étaient montés en même temps, Sa Majesté par la portière de droite, Sa Sainteté par la portière de gauche. Je ne sais si l'empereur usa de précautions et de finesses pour éviter de compromettre sa dignité; mais ce que je sais bien, c'est qu'il eût été impossible d'avoir plus d'égards et d'attentions qu'il n'en eut pour le vénérable vieillard. Le lendemain de son arrivée à Fontainebleau, le pape fit son entrée à Paris, avec tous les honneurs que l'on rendait ordinairement au chef de l'empire; un logement lui avait été préparé aux Tuileries, dans le pavillon de Flore; et par suite de la recherche délicate et affectueuse que Sa Majesté avait mise dès le commencement à bien recevoir le Saint-Père, celui-ci trouva son appartement distribué et meublé exactement comme celui qu'il occupait à Rome; il témoigna vivement sa surprise et sa reconnaissance d'une attention que lui-même, dit-on, appela délicatement, toute filiale, voulant faire allusion en même temps au respect que l'empereur lui avait montré en toute occasion, et au nouveau titre de fils aîné de l'église, que Sa Majesté allait prendre avec la couronne impériale.

Chaque matin, j'allais, par ordre de Sa Majesté, demander des nouvelles du Saint-Père. Pie VII avait une noble et belle figure, un air de bonté angélique, la voix douce et sonore; il parlait peu, lentement, mais avec grâce; d'une simplicité extrême et d'une sobriété incroyable; il était indulgent et sans rigueur pour les autres. Aussi, sous le rapport de la bonne chère, les personnes de sa suite ne se piquaient pas de l'imiter, mais profitaient au contraire largement de l'ordre qu'avait donné l'empereur, de fournir tout ce qui serait demandé. Les tables qui leur étaient destinées étaient abondamment et même magnifiquement servies; ce qui n'empêchait pas qu'un panier de chambertin ne fût demandé chaque jour pour la table particulière du pape, qui dînait tout seul et ne buvait que de l'eau.

Le séjour de près de cinq mois que le Saint-Père fit à Paris, fut un temps d'édification pour les fidèles, et Sa Sainteté dut emporter la meilleure idée d'une population qui, après avoir cessé de pratiquer et de voir pendant plus de dix ans les cérémonies de la religion catholique, les avait reprises avec une avidité inexprimable. Lorsque le pape n'était pas retenu dans ses appartemens par la délicatesse de sa santé, pour laquelle la différence du climat, comparé à celui de l'Italie, et la rigueur de la saison l'obligeaient à prendre de grandes précautions, il visitait les églises, les musées et les établissemens d'utilité publique. Quand le mauvais temps l'empêchait de sortir, on présentait à Pie VII, dans la grande galerie du musée Napoléon, les personnes qui demandaient cette faveur. Je fus un jour prié par des dames de ma connaissance de les conduire à cette audience du Saint-Père, et je me fis un plaisir de les accompagner.

 

La longue galerie du musée était occupée par une double haie d'hommes et de dames. La plupart de celles-ci étaient des mères de famille, et elles avaient leurs enfans autour d'elles ou dans leurs bras, pour les présenter à la bénédiction du Saint-Père. Pie VII arrêtait ses regards sur ces groupes d'enfans avec une douceur et une bonté vraiment angélique. Précédé du gouverneur du musée, et suivi des cardinaux et des seigneurs de sa maison, il s'avançait lentement entre deux rangs de fidèles agenouillés sur son passage; souvent il s'arrêtait pour poser sa main sur la tête d'un enfant, adresser quelques mots à la mère, et donner son anneau à baiser. Son costume était une simple soutane blanche, sans aucun ornement. Au moment où le pape allait arriver à nous, le directeur du musée présenta une dame qui attendait à genoux, comme les autres, la bénédiction de Sa Sainteté. J'entendis M. le directeur nommer cette dame, madame la comtesse de Genlis. Le Saint-Père, après lui avoir tendu son anneau, la releva et lui adressa avec affabilité quelques paroles flatteuses, lui faisant compliment de ses ouvrages et de l'heureuse influence qu'ils avaient exercée sur le rétablissement de la religion catholique en France.

Les marchands de chapelets et de rosaire durent faire leur fortune durant cet hiver. Il y avait des magasins où il s'en débitait plus de cent douzaines par jour. Pendant le mois de janvier seulement, cette branche d'industrie rapporta, dit-on, à un marchand de la rue Saint-Denis, 40,000 fr. de bénéfice net. Toutes les personnes qui se présentaient à l'audience du Saint-Père, ou qui se pressaient autour de lui, dans sa sortie, faisaient bénir des chapelets pour elles-mêmes, pour tous leurs parens et pour leurs amis de Paris ou de la province. Les cardinaux en distribuaient aussi une incroyable quantité, dans leurs visites aux divers hôpitaux, aux hospices, à l'hôtel des Invalides, etc. On leur en demandait même dans leurs visites chez des particuliers.

La cérémonie du sacre de Leurs Majestés avait été fixée au 2 décembre. Le matin de ce grand jour, tout le monde au château fut sur pied de très-bonne heure, surtout les personnes attachées au service de la garde-robe. L'empereur se leva à huit heures. Ce n'était pas une petite affaire que de faire endosser à Sa Majesté le riche costume qui lui avait été préparé pour la circonstance; et pendant que je l'habillais, elle ne se fit pas faute d'apostrophes et de malédictions contre les brodeurs, tailleurs et fournisseurs de toute espèce. À mesure que je lui passais une pièce de son habillement: «Voilà qui est beau, monsieur le drôle, disait-il (et mes oreilles d'entrer en jeu), mais nous verrons les mémoires.» Voici quel était ce costume: bas de soie brodés en or, avec la couronne impériale au dessus des coins; brodequins de velours blanc, lacés et brodés en or; culotte de velours blanc brodée en or sur les coutures, avec boutons et boucles en diamans aux jarretières; la veste, aussi de velours blanc brodée en or, boutons en diamans; l'habit de velours cramoisi, avec paremens en velours blanc, brodé sur toutes les coutures, fermé par devant jusqu'en bas, étincelant d'or. Le demi-manteau aussi cramoisi, doublé de satin blanc, couvrant l'épaule gauche et rattaché à droite sur la poitrine avec une double agrafe en diamans. Autrefois, en pareille circonstance, c'était le grande chambellan qui passait la chemise. Il parait que Sa Majesté ne songea point à cette loi de l'étiquette, et ce fut moi simplement qui remplis cet office, comme j'avais coutume de le faire. La chemise était une des chemises ordinaires de Sa Majesté, mais d'une baptiste fort belle; l'empereur ne portait que de très-beau linge. Seulement on y avait adapté des manchettes d'une superbe dentelle; la cravate était de la mousseline la plus parfaite, et la collerette en dentelle magnifique; la toque en velours noir était surmontée de deux aigrettes blanches; la ganse en diamans, et pour bouton le régent. L'empereur partit ainsi vêtu des Tuileries, et ce ne fut qu'à Notre-Dame qu'il mit sur ses épaules le grand manteau du sacre. Il était de velours cramoisi, parsemé d'abeilles d'or, doublé de satin blanc et d'hermine, et attaché par des torsades en or; le poids en était d'au moins quatre-vingts livres, et quoiqu'il fût soutenu par quatre grands dignitaires, l'empereur en était écrasé. Aussi, de retour au château, il se débarrassa au plus vite de tout ce riche et gênant attirail, et en endossant son uniforme des grenadiers, il répétait sans cesse: «Enfin, je respire!» Il était certainement beaucoup plus à son aise un jour de bataille.

Les joyaux qui servirent au couronnement de Sa Majesté l'impératrice, et qui consistaient en une couronne, un diadème et une ceinture, sortaient des ateliers de M. Margueritte. La couronne était à huit branches qui se réunissaient sous un globe d'or surmonté d'une croix. Les branches étaient garnies de diamans, quatre en forme de feuilles de palmier, et quatre en feuilles de myrte. Autour de la courbure régnait un cordon incrusté de huit émeraudes énormes. Le bandeau qui reposait sur le front étincelait d'améthystes. Le diadème était composé de quatre rangées de perles de la plus belle eau, entrelacées de feuillages en diamans parfaitement assortis, et montés avec un art aussi admirable que la richesse de la matière. Sur le front étaient plusieurs gros brillans, dont un seul pesait cent quarante-neuf grains. La ceinture enfin était un ruban d'or enrichi de trente-neuf pierres roses.

Le sceptre de Sa Majesté l'empereur avait été confectionné par M. Odiot. Il était d'argent, enlacé d'un serpent d'or et surmonté d'un globe sur lequel on voyait Charlemagne assis. La main de justice et la couronne, ainsi que l'épée, étaient d'un travail exquis. La description en serait trop longue. Elles sortaient des ateliers de M. Biennais.

À neuf heures du matin, le pape sortit des Tuileries, pour se rendre à Notre-Dame, dans une voiture attelée de huit chevaux gris pommelés. Sur l'impériale était une tiare avec tous les attributs de la papauté en bronze doré. Le premier camérier de Sa Sainteté, monté sur une mule, précédait la voiture, portant une croix de vermeil.

Il y eut un intervalle d'une heure environ entre l'arrivée du pape à Notre-Dame et celle de Leurs Majestés. Leur départ des Tuileries se fit à onze heures précises et fut annoncé par de nombreuses salves d'artillerie. Leurs Majestés étaient dans une voiture toute éclatante d'or et de peintures précieuses, traînée par huit chevaux de couleur isabelle, caparaçonnés avec une richesse extraordinaire. Sur l'impériale on voyait une couronne soutenue par quatre aigles, les ailes déployées. Les panneaux de cette voiture, objet de l'admiration universelle, étaient en glace, au lieu d'être en bois, de sorte que le fond ressemblait beaucoup au devant. Cette similitude fut cause que Leurs Majestés, en montant, se trompèrent de côté et s'assirent sur le devant; ce fut l'impératrice qui d'abord s'aperçut de cette méprise, dont elle rit beaucoup, ainsi que son époux.

Je n'entreprendrai point la description du cortége, quoique les souvenirs que j'en ai gardés soient encore complets et récens; mais j'aurais trop de choses à dire. Qu'on se figure dix mille hommes de cavalerie d'une superbe tenue, défilant entre deux haies d'infanterie aussi brillante, occupant chacune en longueur un espace de près d'une demi-lieue. Que l'on songe au nombre des équipages, à leur richesse, à la beauté des attelages et des uniformes, à cette multitude de musiciens jouant les marches du sacre au bruit des cloches et du canon; qu'on ajoute l'effet produit par le concours de quatre à cinq cent mille spectateurs; et l'on sera bien loin encore d'avoir une juste idée de cette étonnante magnificence.