Za darmo

Ma confession

Tekst
0
Recenzje
Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

V

C'est surtout ce sentiment qui m'attirait au suicide.

«Mais, peut-être, n'ai-je pas remarqué ou n'ai-je pas compris quelque chose? – me disais-je souvent. Il n'est pas possible que cet état de désespoir soit naturel aux hommes.»

Et je cherchais une explication à toutes ces questions dans toutes ces connaissances acquises par les hommes.

Et je cherchais douloureusement et longtemps, et non par curiosité oisive; je ne cherchais pas avec indolence, mais je cherchais péniblement, obstinément, des journées et des nuits entières; je cherchais comme un homme qui se perd et cherche à se sauver; et je ne trouvais rien.

Je cherchais dans toutes les sciences et non seulement je ne trouvais pas, mais je fus convaincu que tous ceux qui ont cherché comme moi dans la science n'ont rien trouvé non plus. Et non seulement ils n'ont rien trouvé, mais ils ont reconnu clairement que la même chose, qui me menait au désespoir – l'absurdité de la vie – est le seul, l'incontestable savoir accessible à l'homme.

Je cherchais partout et, grâce à ma vie passée dans l'étude et aussi à cause de mes relations avec le monde des savants, les savants de toutes sciences m'accueillirent et ne refusèrent pas de m'ouvrir toutes leurs connaissances, non pas par les livres seulement, mais par des conversations; et ainsi je compris tout ce que la science répond à la question de la vie.

Longtemps je ne pus croire que la science ne réponde rien de plus que ce qu'elle répond. Pendantbien longtemps, en considérant le ton grave et sérieux des sciences exactes, qui ne s'occupent guère du problème de la vie humaine, il me paraissait qu'elles renfermaient quelque chose que je ne comprenais pas.

Pendant longtemps je m'inclinais devant le savoir et je pensais que si les réponses n'étaient pas conformes à mes questions, ce n'était pas la faute de la science, mais celle de mon ignorance. Ce n'était pas une affaire de plaisanterie pour moi, mais la chose sérieuse de toute ma vie et, que je le voulusse ou non, je fus amené à la conviction que mes questions ne sont que des questions légitimes, qui servent de hase à tout savoir et que ce ne sont pas elles, non plus que moi, qui sont fautifs, mais la science, si elle a la prétention d'y répondre.

Ma question, celle qui, à cinquante ans, me conduisait au suicide, était des plus simples: elle est dans l'âme de tout homme, depuis l'enfant stupide jusqu'au plus sage vieillard; sans elle, la vie est impossible, comme je l'ai éprouvé moi-même.

Voici en quoi elle consistait:

– Qu'est-ce qui sortira de ce que je fais aujourd'hui? de ce que je ferai demain? Qu'est-ce qui sortira de toute ma vie?

On peut encore la formuler ainsi:

– Pourquoi dois-je vivre? pourquoi dois-je faire quelque chose?

Ou encore autrement:

– Y a-t-il dans la vie un but qui ne se détruise pas par la mort inévitable qui m'attend?

A cette même question diversement exprimée, je cherchai une réponse dans le savoir de l'homme. Et j'ai trouvé que, relativement à cette question, toutes les sciences de l'humanité se divisent, pour ainsi dire, en deux hémisphères aux deux extrémités opposées desquelles se trouvent deux pôles: l'un négatif, l'autre positif; mais que ni à l'un, ni à l'autre pôle, il n'y a de réponse aux questions de la vie.

Toute une série de sciences semblent même ne pas admettre cette question, bien qu'elles répondent clairement et précisément à leurs propres objections: ce sont une série de connaissances expérimentées, et au point culminant se trouvent les mathématiques.

Une autre série de connaissances admettent la question, mais n'y répondent pas: ce sont une série de sciences théoriques, et à leur point culminant se tient la métaphysique.

Depuis ma première jeunesse, les sciences métaphysiques m'intéressaient beaucoup. Dans la suite, les sciences mathématiques et naturelles m'attirèrent aussi, et jusqu'au moment où cette question se posa clairement devant moi, grandissant toujours et exigeant impérieusement une solution, jusqu'à ce temps je me contentais de ce semblant de réponse que la science peut donner.

Ou bien dans le domaine des sciences positives, je me disais:

– Tout se développe, se différencie, marche vers la complication et l'amélioration, et il y a des lois qui guident cette marche. Toi, tu es une partie de l'entier. Ayant compris l'entier autant que possible et ayant compris la loi du développement, tu comprendras aussi ta place dans cet entier, tu te comprendras toi-même.

Malgré toute la honte que me coûte cet aveu, il y a eu un temps où j'avais l'air de me contenter de cela.

Mes muscles grandissaient et se fortifiaient. Ma mémoire s'enrichissait. La capacité de la pensée et de la compréhension s'augmentait. Je croissais et me développais, et, sentant cette croissance en moi-même, il était tout naturel pour moi de croire que c'était justement dans la loi de tout l'univers que je trouverais la solution de ce problème de ma vie. Mais le temps est venu où ma croissance s'est arrêtée. Je sens que je ne me développe plus et même que je me rétrécis. Mes muscles s'affaiblissent. Mes dents tombent, et je sens que cette loi, non seulement ne m'explique rien, mais qu'il n'y a jamais eu et qu'il n'a pu exister pareille loi, et que j'avais pris pour une loi ce que j'avais trouvé en moi-même pendant un certain temps de ma vie.

Je me reportai alors plus sévèrement à la définition de cette loi, et je compris clairement que des lois du développement en général ne pouvaient pas exister. Je compris clairement que dire «Dans l'espace et le temps infini, tout se développe, s'améliore, se complique, se différencie», c'était ne rien dire. Tout cela ne sont que des mots sans portée, puisque, dans l'infini, il n'y a ni complication, ni simplicité, ni avant, ni après, ni pire, ni mieux.

Mais le principal est que la question qui m'était personnelle: «que suis-je avec mes désirs?» restait toujours et absolument sans réponse.

Et je compris que ces connaissances sont très intéressantes, très attrayantes, mais qu'elles sont précises et claires en proportions inverses de leur application aux problèmes de la vie. Moins elles sont applicables aux questions de la vie, plus elles sont précises et claires. Plus elles tendent à donner des solutions aux questions de la vie, moins elles sont claires ou attrayantes.

Si l'on se tourne vers les sciences qui tendent à conclure sur les grandes questions de la vie, – vers la physiologie, la psychologie, la biologie, la sociologie, – on y trouve une pauvreté d'esprit stupéfiante, une prétention non justifiée à résoudre des questions sur lesquelles elles ne sont pas compétentes. Elles n'aboutissent qu'à mettre le penseur en contradiction perpétuelle avec les autres penseurs et souvent avec lui-même.

Si l'on s'adresse aux sciences qui ne s'occupent pas de la solution des questions de la vie, mais qui répondent à ses questions scientifiques et spéciales, alors, on s'émerveille de la force de l'esprit humain, tout en sachant d'avance qu'il n'a rien à répondre aux questions de la vie.

Ces sciences ignorent ouvertement la question de la vie.

Elles disent:

– A ce que tu es, et pourquoi tu vis, nous n'avons pas de réponses et nous ne nous en occupons pas; mais si tu as besoin de connaître les lois de la lumière et des compositions chimiques, les lois du développement des organismes, si tu as besoin de connaître les lois des corps, leur forme et la relation des chiffres et des grandeurs, si tu as besoin de connaître les lois de ton esprit, alors, pour tout cela, nous avons des réponses claires, précises et incontestables.

En général, le rapport des sciences expérimentales à la question de la vie peut être exprimée ainsi:

QUESTION: Pourquoi est-ce que je vis?

RÉPONSE: Dans l'espace infiniment grand, dans le temps infiniment long, les portions infiniment petites changent de phases dans la complication infinie, et lorsque tu comprendras les lois de ces changements tu comprendras pourquoi tu vis.

Ou bien dans le domaine théorique, je me disais:

– Toute l'humanité vit et se développe d'après les principes spirituels de l'idéal qui la guident. L'idéal s'exprime dans la religion, dans la science, dans l'art, dans la forme du gouvernement. Cet idéal devient plus beau et plus élevé; l'humanité marche vers les régions supérieures. Moi, je suis une partie de l'humanité et, par conséquent, ma vocation consiste à coopérer à la connaissance et à la réalisation de ce qui est l'idéal pour l'humanité. Et tant que dura l'affaiblissement de mon esprit, je me contentai de cette réponse; mais, dès que la question de la vie s'éleva clairement en moi, toute cette théorie s'écroula du coup. Sans tenir compte du manque de précision inconsciente, grâce auquel les résultats obtenus par l'étude sur une petite partie de l'humanité passent pour des principes généraux, sans tenir compte des contradictions flagrantes entre les partisans d'opinions différentes sur l'idéal de l'humanité, la bizarrerie, pour ne pas dire la sottise de cette opinion, consiste en ce que, pour répondre à la question qui se pose devant chaque homme: «Que suis-je?» – ou: «Pourquoi est-ce que je vis?» – ou: «Que dois-je faire?» – l'homme doit avant tout répondre à cette question: «Qu'est-ce que la vie de toute l'humanité?» Or, cette humanité lui est inconnue. Il n'en connaît qu'une toute petite partie, limitée à une toute petite période de temps. Pour pouvoir comprendre ce qu'il est, l'homme doit comprendre avant tout ce qu'est cette mystérieuse humanité faite d'individus tout pareils à lui, quoique ne se comprenant pas eux-mêmes.

Je dois avouer qu'il y eut un temps où je croyais à ce principe.

C'était le temps où je poursuivais un idéal favori qui justifiât mes caprices. A cet effet, je m'efforçais d'inventer une théorie telle que je pusse envisager ces caprices comme une loi de l'humanité. Mais, du moment où la question de la vie se souleva en moi, dans toute sa clarté, la vérité de cette réponse se dissipa comme une vapeur dans les airs. Et je compris que, de même que dans les sciences positives, il y a des sciences vraies et des demi-sciences, qui tendent à fournir des réponses aux questions qui ne leur sont pas proposées; – je compris aussi que dans ce domaine il y a tout une série de connaissances plus détaillées qui tâchent de répondre aux questions qui ne relèvent pas d'elles. Les demi-sciences de ce domaine, les sciences juridiques, historiques, sociales, qui tendent à résoudre la question de l'humanité, le font de pure imagination, d'une façon fantaisiste et chacune à sa manière.

 

Mais, de même que dans le domaine des sciences positives l'homme qui demande sincèrement: «Comment dois-je vivre?» ne peut pas se contenter de la réponse: «Etudie dans l'espace infini les changements infinis d'après le temps et la complication des parties infiniment petites, et alors tu comprendras ta vie»; de même un homme sincère ne peut non plus se contenter de la réponse: «Etudie la vie de toute l'humanité, dont nous ne pouvons connaître ni le commencement ni la fin et dont la plus grande partie est inconnue; alors tu comprendras ta vie.»

Il en est de même dans les demi-sciences expérimentales. Et plus ces demi-sciences s'éloignent de leur enseignement propre, plus elles sont pleines d'obscurité et d'indécision, de sottise et de contradiction.

Le problème d'une science positive est une succession de causes, de phénomènes matériels.

La science expérimentale n'a qu'à introduire la question de la cause finale et il en sort – une absurdité.

Le problème de la science théorique est d'essayer de comprendre l'essence de la vie sans en envisager les causes. Mais il n'y a qu'à pousser l'investigation jusqu'aux phénomènes de cause considérés comme phénomènes sociaux, historiques, et on n'obtient qu'une absurdité.

La science expérimentale ne donne une signification positive et ne montre la grandeur de l'esprit humain que lorsqu'elle n'introduit pas dans ses investigations la cause finale. Et, au rebours, la science théorique n'est une science et ne montre la grandeur de l'esprit humain que lorsqu'elle écarte complètement les questions du rituel des phénomènes de causes et lorsqu'elle n'envisage l'homme que par rapport à la cause finale.

Cette science dans ce domaine dont elle est le pôle – est la métaphysique ou philosophie.

Cette science pose nettement la question:

– Que suis-je, et qu'est l'univers? Et pourquoi suis-je et pourquoi est tout l'univers?

Et, depuis qu'elle existe, elle répond toujours de la même manière. Que ce soit l'idée, la substance, l'esprit, ou la volonté que la philosophie désigne par le nom essence – essence de la vie qui est en moi et dans tout ce qui existe, – le philosophe répète toujours que l'essence est, – et que moi – je suis justement cette essence; mais pourquoi elle est, il ne le sait pas et ne répond pas s'il est un penseur sincère.

Je demande:

– Pourquoi cette essence est? Que sortira-t-il de ce qu'elle est ou de ce qu'elle sera?..

Et la philosophie, non seulement ne répond pas, mais c'est justement cela qu'elle-même demande.

Si elle est la vraie philosophie, tout son travail ne consiste qu'à poser clairement cette question. Et si elle tient fermement à son problème, elle ne peut répondre autrement qu'à la question: «que suis-je et qu'est tout le monde? – tout et rien» – et à la question: «pourquoi? – je ne sais pas.»

Ainsi j'aurai beau tourner et retourner les questions théoriques de la philosophie, je ne recevrai pas même un semblant de réponse, non pas que, dans une sphère nette et expérimentée comme l'est la sienne, la réponse ne puisse se rapporter à ma question. Au contraire, le travail spirituel qui est son objet la porte justement vers ma question; mais il n'y a pas de réponse, si ce n'est la même question présentée sous une forme beaucoup plus compliquée.

VI

Pendant que je cherchais la réponse à la question de la vie, j'éprouvais tout à fait le même sentiment qu'éprouve l'homme qui s'est égaré dans la forêt. Ayant débouché sur une clairière, il grimpa sur un arbre et vit clairement des espaces illimités, mais pas une seule maison; et il comprit qu'il ne pouvait s'en trouver. Il alla alors dans l'épaisseur du bois, dans les ténèbres; mais, là encore, nulle trace de refuge!

J'errais ainsi dans la forêt des connaissances humaines, parmi les lueurs des sciences mathématiques et expérimentales, qui, tout en me découvrant des horizons lumineux, ne pouvaient me fournir aucun abri. Je vaguais au milieu de l'obscurité des connaissances théoriques, toujours plus sombres à mesure que je m'y enfonçais, jusqu'à ce que je fusse enfin persuadé qu'il n'y avait et qu'il ne pouvait pas y avoir d'issue.

En étudiant les côtés positifs de la science, j'avais compris que je ne faisais que détourner mes yeux de la question. Malgré tout l'attrait et la clarté des horizons qui s'ouvraient devant moi, malgré tout le charme qu'il y a à se plonger dans l'infini de ces connaissances, je compris désormais que ces connaissances m'étaient d'autant plus claires qu'elles m'étaient moins nécessaires et utiles à la solution du problème que je poursuivais.

– Eh bien, – me disais-je, – je sais tout ce que la science veut savoir si obstinément; mais sur ce chemin il n'y a pas de réponse à la question du sens de ma vie. D'autre part, dans le domaine théorique, – malgré, ou justement parce que son objet est strictement dirigé vers la réponse à ma question, – il n'y a pas d'autre réponse que celle que je me donnais à moi-même: « – Quel est le sens de ma vie? – Nul»; ou: « – Qu'est-ce qui sortira de ma vie? – Rien», ou: « – Pourquoi existe tout ce qui existe et pourquoi est-ce que j'existe? – Parce que tu existes.»

M'adressant à un côté des connaissances humaines, je recevais une quantité infinie de réponses précises sur ce que je ne demandais pas: sur la composition chimique des étoiles, sur le mouvement du soleil vers la constellation d'Hercule, sur l'évolution des espèces et de l'homme, sur les formes infiniment petites, impondérables parties de l'éther; mais à ma question: «Quel est le sens de la vie?» je recevais pour toute réponse dans ce domaine de la science: «Tu es ce qui s'appelle la vie; tu es une agrégation accidentelle de molécules. La transformation de ces parties et leur influence mutuelle s'appelle la vie. Cette agrégation tiendra quelque temps, puis l'action réciproque de ces parties cessera: et ce que tu appelles vie cessera également, comme aussi toutes les questions que tu te poses – tu es une petite boule de «quelque chose» qui s'est accidentellement amassé. La petite boule se consume en fermentant, et cette fermentation de petites boules s'appelle la vie. La boule éclatera – et la fermentation finira de même que toutes les questions.» C'est ainsi que répondent les sciences positives et elles ne peuvent répondre autrement si elles restent logiques avec leur point de départ.

Il est évident qu'une telle réponse n'en est pas une, eu égard à ma question. J'ai besoin de savoir le sens de ma vie. M'expliquer qu'elle est une petite partie de l'infini, au lieu de lui donner un sens, c'est en détruire tout sens possible.

Ce compromis entre le savoir expérimental et la théorie pure, d'après lequel le sens de la vie consisterait dans le développement et la coopération à ce développement, ce compromis ne peut, pour cause d'inexactitude et d'obscurité, être compté comme une réponse.

L'autre côté du savoir, le côté théorique, lorsqu'il serre de près sa propre logique, donne et a toujours donné pour réponse directe à ma question:

– Le monde est quelque chose d'infini et d'incompréhensible. La vie humaine est une partie incompréhensible de cet incompréhensible tout.

Je ne veux pas parler de tous ces accommodements entre les sciences théoriques et les sciences expérimentales, lesquels forment tout le bagage des demi-sciences qu'on nomme juridiques, politiques, historiques.

Dans ces sciences également, on introduit irrégulièrement des idées, des développements, des perfectionnements, avec cette différence que tout à l'heure il était question du développement du tout en général, et qu'ici il ne s'agit que de la vie humaine.

L'irrégularité est la même: le développement, la perfection dans l'infini ne peut avoir ni but, ni direction, et ne répond rien à ma question.

Là où la science théorique est précise, dans la vraie philosophie – et non pas dans la philosophie que Schopenhauer nomme la philosophie de profession, laquelle ne sert qu'à classifier tous les phénomènes existants d'après de nouvelles hases philosophiques et à les nommer par de nouveaux noms, – là où le philosophe ne perd pas de vue la question essentielle, la réponse est toujours la même, – réponse donnée par Socrate, Schopenhauer, Salomon, Bouddha.

«Nous ne nous rapprocherons de la vérité qu'autant que nous nous éloignerons de la vie», dit Socrate se préparant à mourir.

«Pourquoi nous, qui aimons la vérité, nous précipitons-nous vers la vie? – Pour nous débarrasser du corps et de tout le mal qui sort de la vie du corps. Si c'est ainsi, comment donc ne pas nous réjouir quand la mort vient à nous?

«Le sage cherche la mort toute sa vie. C'est pourquoi la mort ne l'effraye pas.»

Et voici ce que dit Schopenhauer:

«Ayant compris l'essence intime du monde comme une volonté et n'ayant reçu que l'abjection de cette volonté depuis l'incontestable précipitation des forces obscures de la nature jusqu'à l'activité pleine de la conscience de l'homme, nous ne pourrons absolument pas éviter la conséquence suivante. Avec la libre négation de sa propre volonté, disparaîtront aussi tous ces phénomènes, cette précipitation continuelle et cette traction sans but ni repos par tous les degrés de l'abjection, dans laquelle et à l'aide de laquelle existe l'univers. La variation des formes successives disparaîtra. Disparaîtront aussi avec la forme tous ces phénomènes avec leurs formes générales, l'espace et le temps, et finalement la dernière forme fondamentale – le sujet et l'objet. S'il n'y a pas de volonté, s'il n'y a pas de figuration, il n'y a pas d'univers non plus. Certainement il ne reste devant nous que le néant. Mais ce qui s'oppose à cette transition au néant – notre nature – n'est donc que cette même volonté de l'existence (Wille zum Leben), de laquelle nous consistons ainsi que notre monde. Notre horreur du néant ou bien cette volonté que nous avons tous de vivre veut dire seulement que nous-même nous ne sommes que ce désir de vivre et ne connaissons rien d'autre que ce désir. C'est pourquoi pour nous, qui sommes pleins de volonté, après la destruction complète de la volonté, il ne reste que le néant; mais, au rebours aussi, pour cent chez qui la volonté s'est changée et s'est niée elle-même, pour ceux-là notre monde, si réel avec tous ses soleils et ses voies lactées, n'est aussi que le néant.»

«Vanité des vanités, – dit Salomon, – vanité des vanités, tout est vanité! Quel avantage l'homme tire-t-il de tout le travail qu'il fait sous le soleil? Une génération passe et une autre génération vient; mais la terre demeure toujours ferme et ce qui a été est ce qui sera; ce qui a été fait est ce qui se fera, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Y a-t-il quelque chose dont on puisse dire: Regarde, cela est nouveau? Cela a déjà été dans les siècles qui ont été avant nous. On ne se souvient plus des choses qui ont précédé; de même, parmi ceux qui viendront à l'avenir, on ne se souviendra point des choses qui seront ci-après. Moi, l'Ecclésiaste, j'ai été roi sur Israël, à Jérusalem, et j'ai appliqué mon cœur à rechercher et à sonder avec sagesse tout ce qui se faisait sous les cieux, ce qui est une occupation fâcheuse que Dieu a donnée aux hommes afin qu'ils s'y occupent. J'ai regardé tout ce qui se fait sous le soleil, et voilà: tout est vanité et tourment d'esprit. J'ai parlé en mon cœur, et j'ai dit: Voici, j'ai grandi et crû en sagesse par-dessus tous ceux qui ont été avant moi sur Jérusalem et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de science; et j'ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse et à connaître les erreurs et la folie; mais j'ai connu que cela était aussi un tourment d'esprit; car où il y a abondance de science, il y a abondance de chagrin; et celui qui s'accroît de la science s'accroît de la douleur.

«J'ai dit en mon cœur: – Allons, que je t'éprouve maintenant par la joie et jouis du bien; mais voilà, cela aussi est vanité. J'ai dit touchant le ris: – Il est insensé, et touchant la joie: – De quoi sert-elle? J'ai recherché en mon cœur le moyen de me traiter délicatement, et que cependant mon cœur s'appliquât à la sagesse et comprît ce que c'est que la folie, jusqu'à ce que je visse ce qu'il est bon aux hommes de faire sous les cieux pendant les jours de leur vie. Je me suis fait des choses magnifiques. Je me suis bâti des maisons; je me suis planté des vignes; je me suis fait des jardins et des vergers, et j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers; je me suis fait des réservoirs d'eau pour en arroser le parc planté d'arbres. J'ai acquis des serviteurs et des servantes, et j'ai eu des serviteurs nés en ma maison, et j'ai eu plus de gros et de menu bétail que tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem. Je me suis amassé de l'argent et de l'or et les plus précieux joyaux des rois et des provinces. Je me suis acquis des chanteurs et des chanteuses, et les délices des hommes, une harmonie d'instruments de musique, même plusieurs harmonies de toutes sortes d'instruments. Je me suis agrandi et je me suis accru plus que tous ceux qui ont été avant moi à Jérusalem, et avec cela ma sagesse est demeurée avec moi. Enfin, je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont demandé, et je n'ai épargné aucune joie à mon cœur; car mon cœur s'est réjoui de tout mon travail, et ç'a été tout ce que j'ai eu de tout mon travail. Mais ayant considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits et tout le travail auquel je m'étais occupé pour le faire, voilà: tout était vanité et tourment d'esprit; de sorte que l'homme n'a aucun avantage de ce qui est sous le soleil. Puis je me suis mis à considérer aussi bien la sagesse que les sottises et la folie, car quel est l'homme qui pourrait suivre un roi en ce qui a déjà été fait? Je reconnus qu'elles toutes ont le même sort. C'est pourquoi j'ai dit en mon cœur. Il m'arrivera comme à l'insensé. Pourquoi donc ai-je été plus sage alors? C'est pourquoi j'ai dit en mon cœur que cela aussi était une vanité. La mémoire du sage ne sera point éternelle, non plus que celle de l'insensé, parce que dans les jours à venir tout sera déjà oublié. Et pourquoi le sage meurt-il de même que l'insensé? C'est pourquoi j'ai haï cette vie, parce que les choses qui se sont faites sous le soleil m'ont déplu, parce que tout est vanité et tourment d'esprit. J'ai aussi haï tout mon travail qui a été fait sous le soleil, parce que je le laisserai à l'homme qui sera après moi. Car qu'est-ce que l'homme a de tout son travail et du tourment de son cœur dont il se fatigue sous le soleil? Car tous ses jours ne sont que douleurs, et son occupation n'est que chagrin; même la nuit son cœur ne repose pas. Cela aussi est une vanité. N'est-ce donc pas le bien de l'homme qu'il mange et qu'il boive, et qu'il fasse que son âme jouisse du fruit de son travail? J'ai vu aussi que cela vient de la main de Dieu.

 

«Pour tout et pour tous la même chose; le même sort au juste et à l'impie, au bon et au méchant, à l'homme honnête et à l'homme malhonnête, à celui qui fait des sacrifices et à celui qui n'en fait pas. Comme au bienfaiteur, ainsi au pécheur; comme à celui qui jure, ainsi à celui qui a peur de la malédiction. Ce qui est mauvais en tout ce qui se fait sous le soleil, c'est qu'il n'y a qu'un sort pour tous et le cœur des fils des hommes est plein de méchanceté. La folie est au fond de leur cœur, de leur vie. Après quoi ils s'en vont chez les morts. Pour celui qui se trouve parmi les vivants il y a encore de l'espoir; de même qu'un chien vivant est plus heureux qu'un lion mort. Les vivants savent qu'ils mourront et les morts ne savent rien. Il n'y a plus de rémunération pour eux, parce que leur souvenir est livré à l'oubli; et leur amour, et leur haine, et leur jalousie sont déjà disparus et il n'y a plus d'honneur pour eux en rien de ce qui se fait sous le soleil.»

C'est ainsi que parle Salomon ou celui qui a écrit ces paroles.

Et voici ce que dit la Sagesse indienne:

Çakia-Mouni, un jeune prince heureux à qui on avait caché les maladies, la vieillesse et la mort, va à la promenade et voit un vieillard affreux, édenté, à l'aspect repoussant.

Le prince, qui ne connaissait pas la vieillesse, s'étonne et demande ce que c'est et pourquoi cet homme est arrivé à une situation si pitoyable, si dégoûtante et si hideuse. Et lorsqu'il entend que c'est le sort de tous, que lui, jeune prince, est inévitablement menacé de la même décrépitude, il ne peut plus aller se promener et retourne à son palais pour réfléchir sur ce sujet.

Et le voilà enfermé tout seul et songeant!

Probablement il se crée quelque consolation, puisque gai et heureux il sort de nouveau.

Mais, cette fois-ci, il rencontre un malade. Il voit un homme épuisé, devenu bleuâtre, tremblant, ayant des yeux troubles. Le prince, à qui on avait caché la maladie, s'arrête et demande ce que c'est.

Et lorsqu'il apprend que c'est la maladie, à laquelle sont sujets tous les hommes et que lui-même, prince bien portant et heureux, peut, dès demain, tomber malade de la même manière, il sent sa disposition à se divertir lui manquer de nouveau. Il ordonne de revenir et cherche la tranquillité. Il la trouve probablement, puisqu'il va se promener pour la troisième fois.

Mais, cette fois-ci, un nouveau spectacle s'offre encore à lui: il voit qu'on porte quelque chose.

– Qu'est-ce?

– Un homme mort.

–Que veut dire mort? demande le prince.

On lui dit que mourir veut dire être ce qu'est devenu cet homme.

Le prince s'approche du mort, ouvre le cercueil et le regarde.

– Qu'est-ce qu'il en sortira après? demande le prince.

On lui dit qu'on le déposera dans la terre.

– Pourquoi?

– Parce qu'il sera sûr qu'il ne sera plus jamais vivant et il ne sortira de lui que vers et puanteur.

– Et c'est le partage de tous les hommes? Sera-ce la même chose avec moi? M'enterrera-t-on et n'y aura-t-il de moi que la puanteur et des vers qui me mangeront!

– Oui.

– Arrière! je ne vais pas me promener et je n'irai plus jamais.

Et Çakia Mouni ne peut trouver de consolation dans la vie et il décide que la vie est un énorme mal. Il emploie toutes les forces de son âme à s'en libérer et à en libérer les autres, de telle sorte qu'après la mort la vie ne se renouvelât pas de quelque manière que ce fût, pour exterminer la vie dans sa racine même.