Notre Honneur Sacré

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CHAPITRE SIX

12 décembre

13:40, heure d’Israël (06:40, heure normale de l’Est)

Tel-Aviv, Israël

Les nouvelles étaient mauvaises.

La jeune femme était assise sur un banc du parc, à regarder ses jumeaux – une fille et un garçon – jouer sur la balançoire. Non loin s’érigeait la barre d’appartements de seize étages où elle vivait. Il n’y avait personne alentour aujourd’hui, le parc était quasiment vide.

C’était inhabituel pour un après-midi de printemps, mais guère surprenant vu les circonstances. Presque tout le pays devait être scotché devant sa télé ou son écran d’ordinateur.

La nuit dernière, Daria Shalit, une soldate de Tsahal âgée de 19 ans, avait été portée disparue après une échauffourée avec des terroristes du Hezbollah qui avaient lancé une attaque surprise le long de la frontière nord. Les sept autres soldats de la patrouille – que des hommes – étaient morts au combat. Mais pas Daria. Daria avait juste disparu.

Des troupes de Tsahal avaient poursuivi les terroristes au Liban. Quatre Israéliens de plus étaient morts à cette occasion. Onze jeunes hommes – la crème de la jeunesse d’Israël – avaient péri en une heure. Mais ce n’était pas ce qui consumait le pays.

Du jour au lendemain, le destin de Daria était devenu une obsession nationale. Quand la femme fermait les yeux, elle voyait la jolie frimousse et les brillants yeux noirs de Daria, qui souriait en faisant des pitreries avec sa mitraillette, qui souriait en posant en bikini avec ses amis sur une plage de la Méditerranée, qui souriait en recevant son diplôme scolaire. Si belle et toujours rayonnante, comme si son avenir était assuré, telle une promesse qu’elle était certaine de recevoir.

À présent, la femme fermait les yeux et laissait les larmes couler sur ses joues. Elle se couvrit le visage de la main, espérant que ses enfants ne la verraient pas pleurer. Elle avait le cœur brisé pour une fille qu’elle n’avait jamais rencontrée mais qu’elle connaissait d’une certaine façon aussi bien que si Daria était sa propre sœur.

Les journaux réclamaient du sang, exigeaient l’anéantissement complet du peuple libanais. De violentes disputes avaient éclaté à la Knesset au cours de la nuit, tandis que le gouvernement proférait des menaces, exigeait la libération de la jeune fille, mais ne prenait aucune mesure immédiate. La rage enflait, prête à exploser.

Quelques heures plus tôt, le bombardement avait commencé.

Les jets israéliens pilonnaient le sud du Liban, le bastion du Hezbollah, jusqu’à Beyrouth au nord. Chaque fois que les annonces passaient à la télévision, les voisins de la femme dans son immeuble poussaient des cris et des acclamations.

– Tuez-les tous ! braillait un vieil homme sur un ton qui ressemblait à du triomphe, mais bien sûr n’en était pas. (Elle avait clairement perçu sa voix rauque à travers les murs fins comme du papier.) Tuez-les jusqu’au dernier !

Sur ce, la femme avait emmené ses enfants dehors.

À présent elle était assise dans ce parc, à pleurer en silence, se laisser aller, faire sortir son chagrin, ses oreilles restant attentives aux appels et aux cris de ses deux enfants. Ses enfants innocents allaient devenir adultes, entourés d’ennemis qui se réjouiraient de voir leur gorge tranchée et leur chair saigner à blanc.

– Qu’est-ce qu’on va faire ? chuchota la femme. Qu’est-ce qu’on va faire ?

La réponse lui vint sous la forme d’un nouveau son, bas et lointain au début, mêlé aux bruits que faisaient ses enfants. Mais bientôt il s’approcha et s’amplifia, encore et encore. C’était un son qu’elle ne connaissait que trop bien.

Les sirènes d’alerte aérienne.

Ses yeux s’écarquillèrent.

Ses enfants s’étaient arrêtés de jouer. Ils la fixaient à travers le terrain de jeu. Les sirènes hululaient fort maintenant.

FORT.

– Maman !

Elle sauta du banc et courut vers ses petits. Il y avait un abri antibombes sous leur immeuble, à un quart de kilomètre.

– Courez ! hurla-t-elle. Courez vers l’immeuble !

Mais les gosses ne bougeaient pas. Elle fonça vers eux et les prit dans ses bras. Puis elle courut avec eux cramponnés à elle, un dans chaque bras. Durant quelques instants, elle ignora les limites de ses forces. Elle filait sur le trottoir avec ses deux précieux paquets, tous deux en pleurs, tandis que les sirènes autour d’eux hurlaient de plus en plus fort. Le souffle de la femme était râpeux à ses oreilles.

L’immeuble se dressait de plus en plus près. De partout des gens, invisibles quelques instants plus tôt, accouraient vers lui.

Un autre bruit éclata soudain – un bruit si fort, si aigu que la femme crut que ses tympans allaient éclater. Elle leva les yeux et vit un missile traverser le ciel, venant du nord. Il frappa les étages supérieurs de son immeuble.

Sous l’impact, la terre trembla sous ses pieds. Le monde parut tournoyer autour d’elle au moment où le sommet du bâtiment fut soufflé par une explosion massive, éparpillant des débris de béton dans les airs. Combien de personnes dans ces appartements ? Combien de morts ?

Elle perdit l’équilibre et tomba, renversant ses deux enfants par terre. Elle rampa sur eux et les couvrit de son corps juste avant que ne survienne l’onde de choc. Puis une grêle de débris se mit à pleuvoir, petits éclats et cailloux tranchants, poussière étouffante, restes de vieillards et d’infirmes qui n’avaient pas pu quitter leur appartement à temps.

Les sirènes ne cessaient pas. Survint la stridence assourdissante d’un autre missile qui passa juste au-dessus de sa tête, suivie par l’explosion et l’écroulement de sa cible, non loin.

Les sirènes hurlaient et hurlaient et hurlaient.

Un autre missile suraigu se fit entendre. Il sifflait dans ses oreilles. Toute sa peau se couvrit de chair de poule. Elle serre ses enfants contre elle, de plus en plus fort. Le bruit était trop puissant. Cela n’avait plus aucun sens. C’était au-delà de l’ouïe, monstrueux au-delà de toute perception humaine – ses sens crièrent grâce face à lui.

La femme hurla de concert avec le missile, mais elle semblait ne faire aucun bruit. Elle ne pouvait pas lever les yeux. Elle ne pouvait pas bouger. Elle sentait son ombre au-dessus d’elle, masquant la lumière du jour.

Alors une nouvelle lumière l’enveloppa, une lumière aveuglante.

Puis ce fut les ténèbres.

CHAPITRE SEPT

06:50, heure normale de l’Est

Résidence de la Maison-Blanche

Washington DC

Le soleil du matin s’infiltrait à travers les stores, mais Luke ne voulait pas se lever. Il était couché sur le dos dans le grand lit, la tête sur les oreillers. Susan, la présidente des États-Unis, était allongée sous les draps à ses côtés, sa tête reposant sur la poitrine de Luke, ses courts cheveux blonds étalés sur sa peau nue. Il remarqua quelques mouchetures grises que sa styliste avait manquées. À moins que ce ne soit à dessein – chez un homme, un peu de cheveux gris indiquaient l’expérience, le sérieux, la gravité.

Elle respirait profondément.

– Tu es réveillée ? chuchota-t-il.

Il sentit le sourire de Susan sur sa peau.

– Bien sûr, idiot. Je suis réveillée depuis plus d’une heure.

– À quoi tu penses ? s’enquit Luke.

– À quoi toi tu penses ? Là est la question.

– Eh bien, je suis inquiet.

Elle se redressa sur un coude et se tourna pour le regarder. Comme toujours, il fut ébloui par sa beauté. Ses yeux étaient bleu pâle, et sur ses traits il devinait la femme qui s’étalait sur les couvertures des magazines plus de vingt ans auparavant. Elle rajeunissait, reculait vers cette époque. Il l’aurait presque juré – depuis le peu de temps qu’ils étaient ensemble, elle paraissait un peu plus jeune presque chaque jour.

Elle esquissa un demi-sourire et plissa les yeux, sceptique.

– Luke Stone est inquiet ? L’homme qui démantèle les réseaux terroristes d’un seul geste de la main ? L’homme qui renverse les dirigeants despotiques et arrête les tueurs de masse de la même façon, tout ça avant le petit-déjeuner ? De quoi Luke Stone pourrait-il bien être inquiet ?

Il secoua la tête et sourit malgré lui.

– Arrête avec ça.

À vrai dire, il était plus qu’inquiet. Les choses se compliquaient. Il était déterminé à rétablir sa relation avec Gunner. Ça se passait bien – mieux qu’il n’aurait pu l’espérer – mais les grands-parents de Gunner avaient toujours la garde de l’enfant. Luke commençait à penser que ça valait mieux. Une bataille pour reprendre la garde contre les parents riches et haineux de Becca serait longue, interminable et affreuse. Et que gagnerait-il ? Luke grenouillait toujours dans le monde de l’espionnage. S’il emménageait avec Luke, Gunner finirait par passer beaucoup de temps seul. Pas de conseils, pas de supervision, ç’aurait l’air pourri comme arrangement.

Puis il y avait la situation de Susan. Elle était présidente des États-Unis. Elle avait sa propre famille, et techniquement parlant, elle était toujours mariée. Pierre, son mari, savait à propos de Luke, et avait l’air content pour eux. Mais ils gardaient ça secret pour tout le monde.

De qui se moquait-il ? Ils ne gardaient rien secret.

Son équipe de sécurité rapprochée savait tout de lui – c’était leur travail de le savoir. Ce qui signifiait qu’il y avait déjà une rumeur qui croissait et se répandait au sein du Secret Service. Il franchissait le cordon de sécurité pour entrer ici tard le soir, deux, parfois trois nuits par semaine. Ou bien il émargeait en tant qu’invité l’après-midi, mais ne signait jamais sa sortie. Ceux qui contrôlaient la vidéosurveillance le voyaient entrer et sortir de la Résidence, et prenaient note du moment où il le faisait. Le chef savait qu’il cuisinait pour deux, et les serveuses qui apportaient les plats étaient deux vieilles dames corpulentes qui lui souriaient, le badinaient et l’appelaient « Monsieur Luke ».

 

La cheffe de cabinet de Susan le savait, ce qui signifiait que Kurt Kimball le savait sans doute également, et Dieu seul savait où la rumeur pouvait se propager à partir de là.

Tous ceux qui savaient à propos de Luke avaient de la famille, des amis, des connaissances. Ils avaient leurs gargotes favorites au petit-déjeuner, ou leurs cafétérias au déjeuner, ou leurs bars préférés où ils régalaient les habitués de récits de la vie à la Maison-Blanche.

La question posée hier par la journaliste laissait entendre que la rumeur s’était déjà propagée. Il y avait eu une fuite, un appel d’un membre du personnel mécontent au Washington Post ou à CNN, à l’origine d’un cirque médiatique général et permanent.

Luke ne désirait pas cela. Il ne voulait pas voir Gunner sous le feu des projecteurs. Il ne voulait pas voir son garçon chaperonné par le Secret Service partout où il allait. Il ne voulait pas voir les médias le suivre ou camper devant son école.

Luke ne désirait pas non plus toute cette attention pour lui-même. Il faisait mieux son travail s’il pouvait rester dans l’ombre. Il lui fallait toute liberté pour opérer, à la fois pour lui et pour son équipe.

Et il ne voulait pas que cette attention se porte sur Susan. Il ne le souhaitait pas, pour leur propre relation. La situation était chaude et pesante en ce moment, mais il n’imaginait pas que cela puisse durer sous le regard constant des médias.

Or il était impossible d’aborder ces questions avec elle. C’était une optimiste indécrottable, elle était déjà sous les feux des médias de toute façon, et elle était gorgée d’endorphines. Sa réponse était toujours une variante de « Oh, on va arranger ça ».

– Qu’est-ce qui vous inquiète, monsieur Luke ? demanda Susan.

– Ce qui m’inquiète… commença-t-il. (Il secoua de nouveau la tête.) Je crains de tomber amoureux.

Son sourire à mille watts illumina la chambre.

– Je sais, dit-elle. N’est-ce pas génial ?

Elle l’embrassa longuement, puis bondit hors du lit comme une adolescente. Il la regarda trottiner nue dans la pièce vers sa penderie. Elle avait toujours un corps d’adolescente.

Enfin, presque.

– J’aimerais te faire rencontrer mes filles, annonça-t-elle. Elles viennent en ville la semaine prochaine pour passer Noël.

– Super, répondit-il. (Cette idée lui retourna lentement l’estomac.) Qu’est-ce qu’on va leur dire à mon sujet ?

– Elles savent qui tu es : une sorte de superhéros. James Bond version mal rasé et sans costard. Je veux dire, tu as sauvé la vie de Michaela il y a quelques années à peine.

– On n’a jamais été vraiment présentés…

– Quand même. Tu es comme un oncle pour elles.

À cet instant, le téléphone sur la table de chevet se mit à sonner. Il émettait un drôle de bruit, moins une sonnerie qu’un bourdonnement. On aurait dit un moine enrhumé psalmodiant une méditation. De plus, il s’allumait en bleu à chaque sonnerie. Luke détestait ce téléphone.

– Tu veux que je décroche ? demanda-t-il.

Elle sourit et secoua la tête. Il la regarda retraverser la pièce, d’un pas plus vif cette fois. Un bref instant, il imagina un autre monde, dans lequel ils n’auraient pas leurs emplois. Merde, peut-être même un monde où tous deux seraient chômeurs. Dans ce monde, elle retournerait direct au lit avec lui.

Elle empoigna le téléphone.

– Bonjour…

Son expression changea tandis qu’elle écoutait la voix à l’autre bout de la ligne. Toute sa joie s’évanouit. L’éclat dans ses yeux se ternit, son sourire s’effaça. Elle prit un grand souffle et laissa échapper un long soupir.

– Okay, conclut-elle. Je serai en bas dans quinze minutes.

Elle raccrocha.

– Des ennuis ? s’enquit Luke.

Elle le regarda, ses yeux exprimant quelque chose – peut-être une vulnérabilité – que les masses n’avaient jamais vu à la télé.

– Quand est-ce qu’il n’y a pas d’ennuis ? rétorqua-t-elle.

CHAPITRE HUIT

07:30, heure normale de l’Est

Salle de crise

Maison-Blanche, Washington DC

L’ascenseur s’ouvrit et Luke pénétra dans l’ovoïde salle de crise.

Le grand Kurt Kimball, qui se tenait à l’autre bout de la salle, son crâne chauve tout luisant, le repéra aussitôt. D’habitude, Kurt menait ces réunions d’une main de fer. Il avait une telle maîtrise des affaires du monde, profonde, naturelle et encyclopédique, que les gens avaient tendance à le suivre.

– Agent Stone, dit-il. Content que vous puissiez vous joindre à nous de si bon matin.

Y avait-il un soupçon de sens caché, voire de sarcasme, dans sa déclaration ? Luke décida de ne pas relever. Il haussa les épaules.

– La présidente m’a appelé. Je suis venu aussi vite que possible.

Il promena son regard dans la salle.

Ultramoderne, l’endroit était bien plus qu’une salle de conférence : il était aménagé pour une utilisation maximale de l’espace, avec de grands écrans encastrés dans les murs tous les soixante centimètres, et un écran de projection géant sur le mur du fond, au bout de la table. Des tablettes de fins micros sortaient de plots dans la table de conférence – ils pouvaient être renfoncés dans la table si les participants souhaitaient utiliser leur propre matériel.

Tous les moelleux fauteuils en cuir de la table étaient occupés – quelques uniformes militaires, plusieurs complets-vestons. La plupart des personnes étaient des fonctionnaires du gouvernement d’âge moyen et en surpoids qui passaient beaucoup de temps assis dans des chaises confortables à déjeuner. Ces fauteuils ressemblaient à celui du capitaine du poste de pilotage d’un vaisseau spatial traversant la galaxie. De grands bras, un cuir profond, un dossier haut, ergonomiquement correct avec un support lombaire.

Les sièges le long des murs – de petites chaises en lin rouge à dossier bas – étaient occupés par de jeunes assistants et des secrétaires encore plus jeunes, la plupart d’entre eux buvant des cafés dans des gobelets en polystyrène, tapant des messages sur des tablettes ou murmurant dans des téléphones.

Susan était assise dans un fauteuil en cuir au bout le plus proche de la table oblongue. Elle portait un tailleur bleu à rayures. Elle avait croisé sa jambe droite sur la gauche, et se penchait pour écouter ce que lui disait un jeune assistant. Luke s’efforça de ne pas la fixer.

Au bout d’un moment, elle leva les yeux et lui adressa un signe de tête.

– Agent Stone, merci d’être venu.

– Bien sûr, madame la présidente, opina Luke.

Kurt tapa dans ses grandes mains, comme si l’arrivée de Luke était le signal qu’il attendait. Cela produisit un bruit semblable à un gros livre tombant sur un sol de pierre.

– Mesdames et messieurs ! Votre attention, s’il vous plaît.

La salle devint silencieuse. Ou presque. Deux militaires assis à la table de conférence continuaient de parler entre eux, penchés l’un vers l’autre.

Kurt tapa de nouveau dans ses mains : CLAP, CLAP.

Tous deux le regardèrent. Il leva les mains, comme pour dire : « Vous avez fini ? »

Enfin la pièce plongea dans le silence.

Kurt fit un signe à une jeune femme assise sur sa gauche. Luke l’avait déjà vue bien des fois. Elle était l’indispensable assistante de Kurt, quasiment un appendice supplémentaire. Elle avait des cheveux auburn coupés court et au carré comme Susan – la coiffure au carré de Susan faisait fureur chez les jeunes femmes ces derniers temps. Elle n’était pas non plus passée inaperçue chez les rédacteurs de magazines et les émissions people. Les critiques l’appelaient la « coupe Hopkins » s’ils aimaient ça, le « casque Hopkins » s’ils n’aimaient pas. Cependant, ils semblaient tous s’entendre sur le nom à donner aux femmes qui se coiffaient ainsi : l’Armée de Susan.

Luke appréciait celle-ci. Il n’avait pas de coupe au carré, mais il supposait faire également partie de l’Armée de Susan.

– Amy, voyons ça, dit Kurt. Israël et le Liban, s’il te plaît.

À l’écran, des icônes jaunes et bleues représentant des explosions se mirent à apparaître sur tout le sud du Liban, s’éparpillant au nord jusqu’aux limites sud de Beyrouth, de plus en plus éparses à mesure qu’elles remontaient vers le nord.

– Il y a quelques heures, les forces aériennes israéliennes ont lancé une campagne de bombardements, attaquant les systèmes de tunnels et les fortifications du Hezbollah le long de la Ligne Bleue, ainsi que les quartiers au sud de Beyrouth aux mains du Hezbollah. Ce n’est pas une surprise, en fait le gouvernement de Yonatan Stern nous l’a télégraphié la nuit dernière.

À l’écran, de grandes icônes rouges, de la même forme que les premières, apparurent sur Israël, peut-être une quinzaine en tout. Un instant plus tard, d’autres icônes rouges plus petites, telles de minuscules étoiles, se dispersèrent au nord d’Israël. Il y en avait des dizaines.

– Peu après qu’Israël a commencé ses frappes aériennes, le Hezbollah a lancé des missiles sur Israël. Ce n’est pas inhabituel, surtout s’il y a échange de tirs entre les deux forces. La guerre de 2006 avait suivi plus ou moins la même trajectoire. Mais un problème est survenu. Dans l’intervalle, le Hezbollah a augmenté sa puissance de feu.

S’afficha une photo d’un grand missile sur une plateforme de lancement mobile.

– Voici un missile Fateh-200. C’est une arme construite en Iran, un missile à longue portée et à têtes multiples, doté d’un puissant impact. Lancé depuis le Liban, il peut frapper presque n’importe où en Israël, à part peut-être le désert du Néguev au sud, faiblement peuplé. Il possède des systèmes de contrôle et de guidage sophistiqués, qui donnent pour la première fois au Hezbollah une capacité de frappes précises.

Kurt marqua une pause.

– D’après ce qu’on a pu collecter, il apparaît désormais que le Hezbollah possède le Fateh-200. On pense qu’ils ont tiré entre vingt et trente de ces missiles jusqu’à présent, chacun comportant jusqu’à douze têtes. Ils ont ciblé des infrastructures civiles et militaires dans des agglomérations à travers Israël, y compris Tel-Aviv, la limite ouest de Jérusalem et le centre d’Haïfa, entre autres. Le système de défense antimissiles à moyenne portée d’Israël, dénommé Fronde de David, a contré en plein ciel la moitié voire les deux tiers de ces missiles. Mais ça n’a pas suffi. Plusieurs quartiers civils ont été frappés et de nombreux bâtiments détruits. Une tête est tombée à moins d’un kilomètre de la Knesset, le parlement israélien, pendant qu’il était en séance.

– Combien de pertes humaines actuellement ? s’enquit Haley Lawrence, le secrétaire à la Défense.

– Jusqu’à présent, on n’a que les chiffres officiels publiés. Plus de 4000 civils tués, des milliers de blessés, panique et destructions largement répandues. Aucun chiffre n’a été publié sur les pertes militaires, mais les Israéliens ont mobilisé pour une guerre totale, rappelant tous les réservistes et les vétérans valides des guerres passées. Ils ont considérablement intensifié le bombardement du Liban, sans doute en vue de détruire le plus de Fateh-200 possible avant qu’ils ne soient lancés.

– Est-ce que ça marche ? intervint Luke – qui connaissait déjà la réponse.

Kurt secoua la tête.

– On n’en sait rien. J’en doute. À l’heure actuelle, le Hezbollah lance toujours des roquettes et de petits missiles non guidés sur le nord d’Israël, démontrant que leurs capacités de représailles existent encore. Nous pensons qu’ils réservent les Fateh-200 pour l’instant, mais qu’ils reprendront leurs tirs au moment de leur choix.

« Israël a reproché publiquement à l’Iran d’avoir fourni ces nouveaux missiles au Hezbollah. Selon toute vraisemblance, cette accusation est exacte. Le Hezbollah est un pion de l’Iran. Il y a trente minutes, Israël a menacé d’attaquer l’Iran si un autre Fateh-200 ou un missile similaire était lancé sur le territoire israélien.

Kurt fit une nouvelle pause.

– Dix minutes plus tard, l’Iran a informé les Israéliens qu’ils allaient contrer toute attaque israélienne par des armes nucléaires. Dans la même déclaration, ils ont indiqué que toute attaque israélienne serait un motif pour l’Iran de lancer des armes nucléaires sur la base aérienne américaine de Doha, au Qatar, ainsi que sur le grand complexe de l’ambassade américaine à Bagdad.

Un silence de mort plana dans la salle durant quelques secondes. Debout dans un coin, Luke observait les expressions sur les visages. Plusieurs rougissaient, comme s’ils étaient embarrassés. D’autres avaient le regard fixe et la mâchoire qui pendait légèrement.

 

– L’Iran n’a pas d’armes nucléaires, lança quelqu’un. Ce n’est pas possible.

– Tous les accords et traités internationaux stipulent que l’Iran n’est pas une puissance nucléaire, et qu’il n’a pas le droit de le devenir, précisa Kurt. Mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas acquis d’armes nucléaires. Amy, montre-nous l’Iran, s’il te plaît.

Une carte de l’Iran apparut à l’écran. Luke sentit son cœur se serrer. Il était déjà allé en Iran. Ce n’était pas son endroit préféré dans le monde.

– L’État islamique d’Iran est une théocratie musulmane chiite. On sait qu’ils nourrissent l’ambition d’acquérir des armes nucléaires au moins depuis la révolution islamique de 1979.

– Mais s’ils avaient testé une arme nucléaire, on l’aurait su, remarqua Susan.

C’était la première fois qu’elle prenait la parole depuis le début de la réunion.

– Ce serait bien si c’était vrai, rétorqua Kurt. Des installations d’essais souterrains profonds prolifèrent partout dans le monde, très difficiles à repérer et cartographier. Des systèmes avancés de détection des radiations peuvent mesurer des radiations émises dans l’atmosphère, jusqu’à de très faibles quantités. Nous pouvons combiner ça avec notre capacité à mesurer la force et la direction des vents dominants, et déterminer avec une bonne précision d’où proviennent les radiations. Mais quand je dis une bonne précision, je veux dire dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Étant donné la proximité de l’Iran avec le Pakistan – qui est une puissance nucléaire connue et acceptée –, il est difficile de localiser une source de radiations et d’affirmer avec certitude qu’elle se trouve en Iran.

– Mais ces tests ont des signatures sismiques, argua Susan. Presque comme des tremblements de terre.

Kurt hocha la tête.

– Et c’est ce qui rend l’Iran doublement problématique. C’est l’un des endroits les plus actifs sismiquement sur la planète. Les séismes y sont courants et fréquemment dévastateurs. La catastrophe la plus récente s’est produite en 2003, quand un séisme de magnitude 6,6 a tué au moins 23 000 personnes dans la ville de Bam. Mais les catastrophes mises à part, l’activité sismique en Iran est quasiment constante. On la surveille quotidiennement. Écouter un grondement souterrain en Iran, c’est comme écouter les vagues rouler sur une plage. Ça arrive en permanence.

– Qu’est-ce que tu essaies de dire, Kurt ? lança Susan. Dis-le, simplement.

– L’Iran pourrait fabriquer et tester des armes nucléaires, répondit Kurt. Et on pourrait bien ne pas les découvrir.

Une idée s’imposa aussitôt à Luke. C’était juste un de ces trucs : il y a une question, et l’esprit crache la réponse. On n’aime pas la réponse, mais elle est là, évidente.

– Pourquoi n’enverrait-on pas une équipe d’infiltration ? proposa-t-il. Elle pourrait découvrir sur place si c’est du bluff ou non. Si ce n’est pas du bluff, elle repèrerait l’emplacement des armes nucléaires et y faire venir des frappes aériennes.

Certes, il n’avait pas encore en tête le plan tout entier, mais une fois prononcé à voix haute, il devinait que c’était la voix de la sagesse.

– Nous n’avons pas les personnes nécessaires sur place pour ce type de déploiement, remarqua un homme en uniforme kaki. Ça prendrait des semaines, voire des mois…

– Général, je ne suis pas de votre avis, le coupa Luke. Nous aurons des personnes sur place. Ma propre organisation, la Special Response Team, est prête à y aller.