Menace Principale

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Donc, au lieu d’être préparé, le groupe tout entier allait effectuer la mission à l’aveuglette. Pire encore, l’équipe de Luke était censée être la supervision civile mais participait à une mission sous-marine en eau gelée, chose pour laquelle elle n’avait aucun entraînement. Très peu de soldats américains étaient entraînés à plonger en eau gelée.

— Toute cette histoire, dit Murphy, me paraît être un foutoir complet.

Luke n’était pas sûr d’être complètement d’accord, mais il comprenait que Murphy devait encore penser que c’étaient les mauvaises décisions de Luke qui avaient provoqué la mort de toute leur équipe d’assaut en Afghanistan.

Si Murphy, Ed ou même Swann ou Trudy décidaient qu’ils refusaient cette mission, Luke comprendrait. Il fallait qu’ils prennent leurs propres décisions. Il ne pouvait pas décider à leur place.

Soudain, il se dit qu’il aurait dû parler à Becca avant de partir en mission. Maintenant, c’était trop tard.

— Nous devrions arriver dans moins de deux heures, dit l’homme le plus âgé en regardant sa montre.

Il regarda Donaldson, qui tenait encore la combinaison orange épaisse. Alors, il fit un geste circulaire avec sa main, comme des aiguilles qui avanceraient rapidement sur une pendule.

— Je suggère que tu commences cette démonstration maintenant.

CHAPITRE HUIT

9 h 15, Heure de Moscou (22 h 15, Heure de l’Alaska, 4 septembre)

L’Aquarium

Quartier général de la Direction Générale des Renseignements (GRU)

Aérodrome de Khodynka

Moscou, Russie

Une fumée bleue s’élevait vers le plafond.

— Il y a beaucoup de mouvement, dit le dernier visiteur.

Il s’agissait d’un homme ventru qui portait l’uniforme du Ministère de l’Intérieur. Sa voix trahissait une certaine anxiété. Cela n’avait rien à voir avec le timbre de la voix, qui ne tremblait ni ne se brisait. Si on avait les oreilles qu’il fallait pour l’entendre, on constatait que cet homme avait peur.

— Oui, dit Marmilov. Vous seriez-vous attendus à ce qu’ils restent inactifs ?

Le bureau n’avait pas de fenêtres, mais la lumière avait changé à mesure que la matinée avait progressé. À présent, les cheveux tombants et durcis de Marmilov ressemblaient à une sorte de casque en plastique foncé. Les lumières du dessus paraissaient si brillantes que c’était comme si Marmilov et son invité avaient été assis dans le désert à midi et comme si le soleil avait jeté des ombres profondes dans les fissures sculptées dans la pierre antique du visage de Marmilov.

Parfois, les gens se demandaient pourquoi un homme aussi influent choisissait de diriger son empire à partir de ce tombeau, sous ce bâtiment terne, croulant et vieux si éloigné du centre de Moscou. Marmilov savait que cela les étonnait parce que les hommes, surtout les hommes puissants ou ceux qui espéraient le devenir, lui posaient souvent cette question même.

— Pourquoi ne pas vous trouver un bureau tranquille en haut, Marmilov ?

Ou alors :

— Un homme comme vous, dont le mandat surpasse de loin le GRU, pourquoi ne pas vous faire transférer au Kremlin, avec une bonne vue sur la Place Rouge et la possibilité de contempler les réussites de notre histoire et les grands hommes qui nous ont précédés ? Ou peut-être pour seulement regarder les jolies filles qui passent ? Ou, au minimum, pour avoir une chance de voir le soleil ?

Alors, Marmilov souriait et disait :

— Je n’aime pas le soleil.

— Et les jolies filles ? disaient parfois ses persécuteurs amicaux.

Alors, Marmilov secouait la tête.

— Je suis un vieil homme. Ma femme me suffit.

Rien de tout cela n’était vrai. La femme de Marmilov habitait à cinquante kilomètres de la ville, dans une propriété campagnarde qui datait d’avant la Révolution. Il ne la voyait presque jamais et cela les arrangeait tous les deux. Au lieu de passer du temps avec sa femme, il logeait dans une suite d’hôtel moderne au Ritz Carlton de Moscou et il se repaissait d’un flux ininterrompu de jeunes femmes qu’on emmenait directement à sa porte. Il les commandait comme n’importe quel service en chambre.

Il avait entendu dire que les filles, et pour ce qu’il en savait leurs proxénètes aussi, l’appelaient Comte Dracula. Le surnom le faisait sourire. Il n’aurait pas pu en trouver un plus apte lui-même.

S’il restait dans le sous-sol de ce bâtiment et ne déménageait pas au Kremlin, c’était parce qu’il ne voulait pas voir la Place Rouge. Même s’il aimait la culture russe plus que tout, pendant sa journée de travail, il ne voulait pas que ses actions soient contaminées par des rêves du passé et il ne voulait surtout pas qu’elles soient entravées par les réalités malheureuses et les demi-mesures du temps présent.

Marmilov était concentré sur l’avenir. Il était prêt à tout pour cela.

Il y avait de la grandeur dans l’avenir. Il y avait de la gloire dans l’avenir. L’avenir russe surpasserait puis ridiculiserait les désastres pitoyables du présent et peut-être même les victoires du passé.

L’avenir arrivait et il était son créateur. Il était son père et aussi son accoucheur. Pour l’imaginer pleinement, il ne pouvait pas se permettre de se laisser distraire par des messages et des idées conflictuels. Il avait besoin d’une vision pure et, pour y parvenir, il valait mieux fixer un mur nu que regarder par la fenêtre.

— Non, jamais je n’aurais imaginé ça d’eux, dit le gros homme, Viktor Ulyanov, mais je crois qu’il y a des hommes de notre cercle qui ont peur de cette activité.

Marmilov haussa les épaules.

— Bien sûr.

Il y avait toujours des gens qui s’inquiétaient plus de sauver leur propre peau que de créer de plus beaux lendemains pour le peuple.

— Et il y en a qui croient que, quand le Président …

Le Président !

Marmilov faillit rire. Le Président était un ralentisseur sur la route qui mènerait ce pays à la grandeur. Il était un obstacle, et un petit, en plus. Depuis que ce Président avait pris la succession de son mentor alcoolique Yelstin, la comédie pitoyable qu’était devenue la Russie s’était aggravée au lieu de s’améliorer.

Président de quoi ? Président d’un tas de détritus !

Comme le disait le dicton, il fallait que le Président surveille ses arrières ou il trouverait bientôt un couteau planté dedans.

— Oui ? dit Marmilov. Ils croient que, quand le Président … quoi ?

— Trouvera, dit Ulyanov.

Marmilov hocha la tête et sourit.

— Oui ? Quand il trouvera … que se passera-t-il ?

— Il y aura une purge, dit Ulyanov.

Dans le nuage de fumée, Marmilov contempla Ulyanov en clignant des yeux. Est-ce que cet homme plaisantait ? Le plus drôle, ce ne serait pas que Poutine découvre leurs manigances et que cela mène à une purge. Si c’était mal géré, cela mènerait à une purge, bien sûr. Non, le plus drôle, ce serait qu’Ulyanov et d’autres hommes sans nom se mettent soudain à envisager ce genre de chose à un stade aussi tardif de leurs préparations.

— Le Président découvrira le pot aux roses quand il sera trop tard, déclara simplement Marmilov. C’est le Président lui-même qui sera victime d’une purge.

Ulyanov et tous ceux dont il était le représentant devaient le savoir. C’était ce qu’avait prévu le plan dès le début.

— Ils craignent que nous ne préparions un bain de sang, dit Ulyanov.

Marmilov souffla de la fumée dans l’air.

— Mon cher ami, nous ne préparions rien. Le bain de sang est déjà préparé. Il l’est depuis des années.

Ici, dans la tanière de Marmilov, un ordinateur portable avait fait son apparition sur son bureau comme un champignon à côté de la petite télévision. La télévision montrait encore les vidéos en circuit fermé des caméras de sécurité de la plate-forme pétrolière. L’ordinateur portable montrait la traduction en russe des transcriptions des communications américaines interceptées.

Les Américains resserraient l’étau autour de la plate-forme pétrolière capturée. Un cercle de bases avancées temporaires apparaissaient sur la banquise à quelques kilomètres de la plate-forme. Les équipes d’opérations secrètes étaient sur un pied d’alerte et se préparaient à frapper. Un jet supersonique expérimental avait reçu le droit d’atterrir à Deadhorse il y avait peut-être trente minutes de cela.

Les Américains étaient prêts à frapper.

— Le but n’a jamais été de garder la plate-forme très longtemps, dit Marmilov. C’est pour cela que nous avons utilisé un intermédiaire. Nous savions que les Américains reprendraient ce qui leur appartient.

— Certes, dit Ulyanov, mais la même nuit ?

Marmilov haussa les épaules.

— C’est plus tôt que prévu, mais le résultat sera le même. Leurs premières équipes d’assaut tomberont sur un désastre. Un bain de sang, comme vous dites. Plus il sera grand, mieux ce sera. Leur hypocrisie environnementale sera dévoilée au grand jour et le monde aura l’occasion de se souvenir de leurs crimes de guerre pas si lointains que ça.

— Et quelles seront les répercussions de cette affaire ? dit Ulyanov.

Marmilov prit une autre longue bouffée de sa cigarette. C’était comme le souffle de la vie elle-même. Oui, même ici en Russie, même ici dans le sanctuaire de Marmilov, on ne pouvait plus ignorer les faits. Les cigarettes étaient mauvaises pour la santé. La vodka était mauvaise pour la santé. Le whisky était mauvais pour la santé. Mais alors, si tel était le cas, pourquoi Dieu les avait-il tous rendus si agréables ?

Il expira.

— Cela reste à voir, bien sûr, et cela dépendra des organes de presse qui couvriront l’événement dans chaque pays, mais les premières dépêches seront bien évidemment en notre faveur. En général, je soupçonne que les événements donneront une image plutôt mauvaise des Américains, puis, un peu plus tard, de notre cher Président.

 

Il s’interrompit et y réfléchit juste un peu plus.

— La vérité, et les événements le confirmeront à mesure qu’ils arriveront, est que, plus la situation sera désastreuse, meilleure sera notre position.

CHAPITRE NEUF

23 h 05, Heure de l’Alaska (4 septembre)

Camp sur la Banquise de la Marine Américaine ReadyGo

À neuf kilomètres au nord de la Réserve Faunique Nationale de l’Arctique

À trois kilomètres à l’ouest de la plate-forme pétrolière Martin Frobisher

Mer de Beaufort

Océan Arctique

— Pas question, mec. Je ne peux pas faire ça.

La nuit était noire. À l’extérieur du petit dôme modulaire, le vent hurlait. Une pluie gelée tombait dehors. La visibilité se détériorait. Dans un moment, elle frôlerait le zéro.

Luke était fatigué. Il avait pris un cachet de Dexedrine quand l’avion avait atterri et un autre quelques moments auparavant, mais aucun d’eux n’avait encore fait effet.

Toute cette mission ressemblait à une erreur. Ils avaient traversé le continent à une allure folle, à une vitesse supersonique, la mission était sur le point de démarrer et, maintenant, un de ses hommes refusait d’y aller.

— Ça ne me convient pas du tout.

C’était Murphy qui parlait. Qui d’autre ?

Murphy ne voulait pas partir à l’aventure.

Le camp temporaire sur la banquise, qui correspondait en gros à une dizaine de dômes modulaires imperméables posés sur une plaque de glace flottante, avait jailli comme tant de champignons après une pluie printanière, apparemment au cours des deux heures précédentes. C’était un camp dans une série de camps semblables qui entouraient la plate-forme pétrolière à une distance confortable. S’ils avaient installé plusieurs camps ici, en périphérie, c’était au cas où les terroristes auraient été en train de les observer. Cette activité avait pour but de les empêcher de savoir d’où la contre-attaque allait venir.

À l’intérieur de chaque dôme, un trou rectangulaire avait été découpé dans la glace. Il avait environ la taille et la forme d’un cercueil. Ici, la glace mesurait entre soixante et quatre-vingt-dix centimètres d’épaisseur. Un pont constitué d’une substance synthétique semblable à du bois avait été fixé autour de chaque trou. Des lumières de plongée avaient été installées sous l’eau et donnaient au trou une couleur bleue étrange. Une nouvelle couche de glace se formait déjà à la surface de l’eau.

Luke et Ed portaient leurs combinaisons étanches en néoprène et ils étaient assis sur des chaises près du trou. Brooks Donaldson faisait la même chose. Chaque homme était préparé par deux assistants, des hommes de la marine américaine en polaire qui s’occupaient à les faire entrer dans leur équipement. Luke était assis, immobile, pendant qu’un homme montait son gilet stabilisateur autour de son torse.

— Comment vous paraît-il ? demanda l’homme.

— Gros, pour être honnête.

— Effectivement, il est gros.

Luke n’avait pas encore les mains dans ses gants. Il n’arrêtait pas de toucher la fermeture Éclair étanche qui lui traversait la poitrine. Elle était serrée et dure à tirer. Il fallait qu’elle le soit. Là-dessous, l’eau était froide. La fermeture Éclair fermait bien la combinaison. Cependant, cela signifiait qu’elle serait dure à ouvrir quand ils atteindraient la destination.

— Comment voulez-vous que j’ouvre ce truc ? dit-il.

— Grâce à l’adrénaline, dit un des assistants. Quand ça commence à chauffer, les hommes s’arrachent quasiment ces combinaisons à mains nues.

Ed rit. Il regarda Luke. Son regard indiquait qu’il ne trouvait pas ça très drôle.

— Eh ben, dit-il.

Murphy ne riait pas du tout. Il était venu ici avec eux depuis Deadhorse, mais il n’avait même pas commencé à revêtir la combinaison.

— C’est un piège mortel, Stone, dit-il. C’est comme la dernière fois.

— Tu n’as rien à me prouver, dit Luke. Ni à moi ni à qui que ce soit d’autre. Personne n’est forcé d’y aller. Ce n’est pas du tout comme la dernière fois.

La dernière fois.

C’était la fois où ils avaient été tous les deux dans la Force Delta, dans l’est de l’Afghanistan. Luke était le chef de section et il n’avait pas refusé d’obéir à un lieutenant colonel obsédé par la gloire qui avait mené tout le monde, à l’exception de Luke et de Murphy, à sa mort.

C’était vrai. Il aurait pu annuler la mission. C’étaient ses hommes et ils ne devaient aucune fidélité au lieutenant colonel. Si Luke avait dit non, la mission se serait arrêtée, mais il aurait risqué la cour martiale pour insubordination. Il aurait risqué toute sa carrière militaire, une carrière qui, assez bizarrement, avait quand même pris fin cette nuit-là.

Murphy regarda Ed.

— Pourquoi y vas-tu ?

Ed haussa les épaules.

— J’aime l’excitation.

Murphy secoua la tête.

— Regarde ce trou, mec. C’est comme si quelqu’un avait creusé ta tombe. Si on met un cercueil là-dedans, tu es prêt pour l’enterrement.

Murphy n’était pas un lâche. Luke le savait. Pendant leur période dans la Force Delta, Luke avait participé à au moins une dizaine de batailles avec lui. Il avait été avec lui à Montréal, pendant la fusillade au cours de laquelle ils avaient sauvé la vie à Lawrence Keller et fait condamner les assassins du Président David Barrett. Il s’était même bagarré à coups de poings avec Murphy sur la flamme éternelle de John F. Kennedy. Murphy était un dur.

Pourtant, Murphy ne voulait pas y aller. Luke voyait qu’il avait peur. C’était peut-être parce que Murphy n’avait pas l’entraînement pour ça. Ou alors, c’était peut-être juste parce que …

— OK, les gars, écoutez !

Un homme costaud en polaire de la Marine venait d’entrer dans le dôme. Pendant une fraction de seconde, quand il avait écarté les lourdes tentures en vinyle qui servaient de sas avec l’extérieur, le vent avait hurlé. L’homme avait le visage rouge vif à cause du froid.

— D’après ce qu’on me dit, on vous a tous briefés à Deadhorse.

L’homme s’interrompit. Il regarda le siège vide où Murphy aurait dû être assis. Alors, il regarda Murphy.

Murphy secoua la tête.

— Je n’y vais pas.

L’homme haussa les épaules.

— Comme vous voulez, mais cette opération est top-secret. Si vous n’y allez pas, vous ne pouvez pas entendre ce que je vais dire.

— Je fais partie de l’équipe civile de supervision, dit Murphy.

L’homme secoua la tête.

— Selon mes ordres, deux membres de l’équipe civile de supervision sont au centre de contrôle de Deadhorse et le reste de l’équipe est en combinaison et va avec les Marines.

Il leva ses mains vides comme pour dire : C’est tout ce que j’ai.

— Si vous n’êtes pas au centre de contrôle et si vous n’êtes pas en combinaison, je ne crois pas que vous faites partie de l’équipe.

Murphy secoua la tête et soupira.

— Et merde.

D’un mouvement des épaules, il mit une lourde parka verte par-dessus son épaisse combinaison de travail.

— Murph, dit Luke, appelle Swann et Trudy. Ils te feront monter dans un hélicoptère.

Le nouvel arrivant secoua la tête.

— Les hélicoptères n’ont pas le droit de décoller. La tempête arrive dans toute sa force. Nous ne pouvons pas nous permettre d’accidents en extérieur. La mission est assez dure comme ça.

Murphy jura à voix basse et sortit par là où l’homme venait d’entrer. Le vinyle battit dans le vent, qui hurla à nouveau. L’homme regarda Murphy partir, puis se tourna vers les trois plongeurs restants.

— Bon, dit-il. C’est une plongée sous la glace, la nuit, pendant une tempête, dans un environnement sous plafond. J’ai du mal à imaginer plus difficile, comme mission. Il y a un an, nous avons perdu deux plongeurs expérimentés dans un environnement sous glace similaire, mais c’était pendant une plongée d’entraînement en journée, il n’y avait pas de tempête et ils étaient attachés à leur base. OK ? Vous devez savoir ça.

— Est-ce qu’ils se dirigeaient vers un combat avec armes à feu ? dit Ed.

L’homme le regarda sans répondre. Il n’était pas d’humeur à plaisanter. Luke se sentait plutôt comme lui. Cette situation n’avait rien de drôle.

— Comme vous le comprenez probablement, ce n’est pas une plongée attachée. Pendant une grande partie de votre nage, la glace au-dessus de vos têtes sera gelée et compacte. Il faudra éviter d’entrer en contact avec elle. Il faudra rester cinq mètres au-dessous, puis conserver une flottabilité nulle et une bonne assiette.

Il y avait quatre engins porte-nageurs à ses pieds. En gros, c’étaient des petites torpilles électriques à batterie. Chaque plongeur devait tenir la poignée d’un véhicule d’une main et la propulsion l’emmènerait à destination beaucoup plus vite et avec beaucoup moins d’effort que s’il avait dû nager lui-même.

L’homme en saisit un dans ses deux bras.

— Qui d’entre vous a déjà utilisé un de ces appareils ?

Les trois mains se levèrent toutes.

L’homme hocha la tête.

— Bien. Normalement, nous utilisons des engins porte-nageurs sous-marins Mark 8. Chacun d’eux porte de deux à quatre hommes, mais nous n’avons pas pu les amener ici à temps et, dans cet environnement, il est difficile de les déployer. Donc, nous utiliserons ceux qu’on tient à la main. D’accord ?

Il s’interrompit, mais personne ne dit un seul mot. La situation était ce qu’elle était. Peu importait s’ils étaient d’accord ou pas.

— Regardez votre boussole. Vous irez droit vers l’est. Vous avez dix-sept autres hommes …

Il regarda à nouveau la chaise vide de Murphy.

— Vous avez seize autres hommes là-dessous. Suivez le mouvement. Ce groupe est le groupe de supervision, donc, vous resterez à l’arrière. Si vous perdez vos repères, si vous vous égarez, le chemin de retour est directement à l’ouest. Là-dessous, ce camp est aussi lumineux qu’un arbre de Noël, donc, dirigez-vous tout simplement vers les lumières.

Il leva un casque étanche, avec sa visière et son masque.

— Votre équipement de tête permet les communications radio bidirectionnelles. Bavardez le moins possible. Écoutez les chefs qui sont à l’avant. La visibilité va être basse. Vos oreilles pourront vous sauver, mais votre bouche pourra vous tuer.

Il les regarda tous d’un air sévère.

— Pas de secours aérien. Pas de secours amphibie. Ça pourrait être chaud. Gardez un œil au-dessus de vous. Quand vous verrez une ouverture, vous serez presque arrivés. Quand vous atteindrez le bord de la glace d’au-dessus, éteignez vos lampes frontales. L’idée, messieurs, est de les prendre par surprise.

L’homme leva une mitrailleuse MP5 avec un chargeur pré-installé. L’arme était emballée sous un épais film plastique translucide. Il leva un paquet de trois grenades, emballées de la même façon.

— Ces choses sont déjà protégées contre les éléments. Elles sont étanches à cent pour cent. Quand vous débarquerez, utilisez vos couteaux pour couper le plastique.

Il sourit puis secoua la tête.

— Si nécessaire, utilisez aussi vos couteaux pour vous libérer de ces combinaisons.

Luke jeta un coup d’œil à Ed. Ed fit une grimace, une drôle d’expression faciale que Luke ne l’avait jamais vu faire auparavant. On aurait dit un enfant d’école primaire quand l’instituteur proposait que la classe entonne des chants de Noël.

Les assistants qui se tenaient derrière Ed levèrent son casque, puis le laissèrent s’installer sur sa tête. Le souffle d’Ed embua la visière.

Les assistants qui se tenaient derrière Luke se préparèrent à en faire autant.

— Avez-vous des questions ? dit l’homme devant eux.

Dans quoi s’est-on fourrés ? pensa Luke.

— Bien. Dans ce cas, exécution.

* * *

Murphy était de mauvaise humeur.

— J’en ai marre de cette mission, Swann. Je n’ai jamais aimé les gars de la Marine et, maintenant, je ne les aime vraiment pas.

Ici, les communications fonctionnaient correctement malgré la tempête. Swann lui avait expliqué pourquoi, mais Murphy n’avait pas tout écouté. C’était en partie dû aux antennes intégrées à ces dômes, et aussi aux signaux satellites qui pénétraient la couverture nuageuse qui bougeait vite et les précipitations, plus le cryptage inviolable qui faisait la notoriété de Swann …

 

Bref.

Il attendait le décalage pendant que le signal allait de relais en relais pour que les terroristes ne puissent pas le repérer et les espionner.

Murphy en avait marre, il était irrité. Il n’était pas plongeur. Stone et Newsam n’étaient pas plongeurs, eux non plus. Les Marines bénéficiaient d’un entraînement avec des équipes de plongeurs d’élite en eau froide de Norvège et de Suède depuis plusieurs années. Entre temps, non préparée, l’EIS avait été ajoutée à cette mission comme une sorte de décoration de capot tape-à-l’œil.

Vu la façon dont ce grand gars avait regardé la chaise vide, puis Murphy, puis à nouveau la chaise, il avait de la chance qu’ils aient été dans la même équipe. Autrement, Murphy lui aurait volontiers refait le portrait avec cette chaise.

— Oui, je dois dire que je ne comprends pas, dit finalement Swann. Ici, au centre de contrôle, ce qu’on fait, c’est surtout de la poudre aux yeux. Personne ne veut que des civils supervisent cette mission. Ils veulent qu’on approuve sans discussion. Ils nous ont installés dans notre propre bureau, loin de tous les autres, avec deux ordinateurs et une machine à café.

Murphy sourit. Il imaginait les Marines endurcis et les officiers du JSOC mater Swann, le grand passionné d’informatique à lunettes dégingandé et aux cheveux longs et la jeune et jolie Trudy Wellington et penser …

Rien. À ce stade-là, les moteurs qui alimentaient le cerveau militaire typique s’arrêteraient laborieusement. Rien que la vue de Swann serait l’équivalent d’un morceau de sucre dans le réservoir à essence.

Mettez-les dans une autre pièce, à l’écart de tout le monde.

— Ces gars vont se faire tuer là-bas. J’ai essayé de le dire à Stone mais, à ce moment-là, un imbécile de Marine m’a jeté dehors parce que le briefing était top-secret.

— Où es-tu maintenant ? dit Swann.

Murphy regarda autour de lui. Il était à l’intérieur d’un dôme vide, assis sur une chaise qui, jusqu’à peu, avait dû accueillir un membre des Marines. Le trou dans la glace dégageait une lueur bleue. Il y avait un dôme de commandement quelque part aux alentours et, quand les Marines étaient partis en mission, les assistants avaient dû s’y rendre pour regarder les points sur les écrans des radars se déplacer sous la calotte glaciaire.

— Je suis en enfer, dit Murphy. Dans un enfer gelé.

Il entendit arriver la voix de Trudy. Elle était mélodieuse, comme si des doigts avaient effleuré les touches d’un piano.

— Que veux-tu faire ? dit-elle.

La réponse à cette question était assez simple. Murphy voulait disparaître. Il voulait quitter ce désert arctique, cette atrocité terroriste absurde quelle qu’elle soit, aller à Grand Cayman, prendre ses deux millions et demi de dollars en liquide et disparaître.

Toutefois, c’était plus facile à dire qu’à faire. Il allait falloir des préparations et du temps pour orchestrer une disparition comme ça. Du temps, il n’en avait pas. Don voulait encore qu’il passe six mois à Leavenworth, après quoi il lui accorderait une libération honorable. Entre temps, Wallace Speck était sous les verrous, hors de portée de Murphy, et il pouvait se mettre à dire des choses gênantes à tout moment.

Le pire, ce serait si Murphy arrivait à Leavenworth au moment même où Speck citait son nom.

Naturellement, ce n’étaient pas des choses dont Murphy pouvait parler avec Mark Swann et Trudy Wellington, mais il y en avait d’autres dont il pouvait parler. Swann et Trudy pouvaient l’aider, non pas à partir d’ici, mais à y entrer encore plus.

Stone avait tort. Murphy avait quelque chose à prouver. Il avait toujours quelque chose à prouver. Peut-être pas à Stone et peut-être pas à cet entraîneur Marine à crâne de Cro-Magnon, mais à lui-même. Cette mission l’avait vexé. Ils avaient traversé le pays tout entier à toute vitesse, mais pour quoi ? Une opération foireuse qui était foutue avant même d’avoir commencé. Qui avait organisé ça ? Bip-Bip et Coyote ? C’était l’opération de sauvetage de l’ambassade iranienne, acte deux, avec, cette fois-ci, de la glace à la place du sable.

Murphy était furieux que cette mission semble avoir été si mal et si hâtivement conçue. Que Stone ait accepté d’y aller l’irritait encore plus et, comme Newsam avait accepté lui aussi, l’irritation de Murphy crevait le plafond.

Enfin, que lui, Murphy, n’ait pas pu se résoudre à se glisser dans cette tenue de plongée confinée et à descendre dans ce trou creusé dans la glace comme une tombe ne faisait qu’accroître son humiliation. Sans parler de la façon dont cette brute sans cervelle avait regardé cette chaise …

Murphy serrait et desserrait les mains. Il avait depuis longtemps accepté que, s’il s’était enrôlé dans l’armée puis dans la Force Delta, c’était en partie pour faire quelque chose de constructif avec sa colère.

Il connaissait l’histoire de son pays. Il avait étudié la biographie des tueurs compétents et prolifiques des guerres du passé. Audie Murphy pendant la Seconde Guerre Mondiale. Bloody Bill Anderson pendant la Guerre de Sécession. Dans l’ensemble, ce qui poussait ces hommes à la violence, c’était la rage.

Il imaginait Audie Murphy à Colmar, debout seul sur un tank qui brûlait et en train de faucher des dizaines d’Allemands avec une mitrailleuse de calibre 50 tout en subissant constamment le feu de l’ennemi.

Murphy, Newsam et Stone avaient tous pris des cachets de Dexedrine avant la mission. Murphy avait été fatigué et en avait pris deux. Ils faisaient vigoureusement effet, maintenant. Il sentait son cœur commencer à battre la chamade et sa respiration s’accélérer. Il lui sembla alors que les objets présents à l’intérieur de ce dôme débordaient de détails exquis. Il réprima son envie de se lever et de faire une série de sauts en étoile.

Il pourrait tuer quelqu’un, maintenant, beaucoup de gens, et les Îles Caïmans étaient loin, hors de portée pour le moment. Stone et Newsam venaient de partir pour une version sous-marine de l’expédition Donner, une mission suicidaire dans le froid qui ne pouvait mener qu’à une catastrophe. De plus, là-bas, il y avait un groupe de terroristes qui avaient déjà tué des innocents. Les hommes qui tenaient cette plate-forme pétrolière étaient des salauds et personne ne pleurerait bien longtemps s’ils mouraient.

L’esprit de Murphy commença à s’affoler. Swann et Trudy avaient été confinés dans leur propre bureau et ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Ils étaient tous deux des magiciens de la technologie. Si leurs communications n’avaient pas été isolées … c’était un grand « Si », mais …

— Murph ? Que veux-tu faire ?

Les yeux de Murphy tiraient des rayons laser. Ses mains pouvaient lancer des boules de feu. À présent, il était impossible à arrêter, comme il l’avait toujours été. Pendant toutes ces années de combat, c’était tout juste s’il avait eu une égratignure. C’était stupéfiant comme les choses faisaient soudain sens.

— Je veux un bateau, dit-il sans savoir qu’il allait le dire. Je veux des armes, je veux du soutien par drone et je veux qu’on m’aide à traverser la tempête pour atteindre cette plate-forme pétrolière.

Il s’interrompit. Maintenant, ses pensées progressaient si vite en l’inondant de pures images qu’il arrivait tout juste à les convertir en mots.

— Je veux participer à l’action.

* * *

Luke bondit dans le trou sombre.

Il se laissa tomber à travers une mince couche luisante de glace et arriva dans un monde sous-marin surréaliste. En un instant, l’environnement du dôme, utilitaire et presque semblable à un vestiaire, avait disparu, remplacé par ça …

La mer était bleu foncé et elle disparaissait dans le vide noir au-dessous de lui. Au-dessus de sa tête, la glace était d’un blanc bleuté extrême avec des rectangles luisants de lumière blanc vif là où se trouvaient les dômes, où les trous avaient été découpés dans la glace.

C’était un monde étranger.

Il aurait pu être un astronaute qui évoluait en apesanteur dans l’espace lointain.