Menace Principale

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OK. C’était ce qu’il allait faire.

— Tu es prêt ? dit une voix. Tous les autres montent à bord de l’hélicoptère.

Luke leva les yeux. Mark Swann se tenait dans l’embrasure de la porte. C’était toujours un peu étonnant de voir Swann. Avec sa queue de cheval, ses lunettes d’aviateur, le peu de barbe en bataille qu’il avait au menton et les tee-shirts rock’n’roll qu’il semblait toujours porter, il aurait quasiment pu porter une pancarte au cou : PAS MILITAIRE.

Luke hocha la tête.

— Oui. Je suis prêt.

Swann souriait. Non, en fait, il était tout à fait radieux, comme un gamin à Noël. C’était une réaction surprenante quand on se préparait à survoler l’Amérique du Nord dans des conditions difficiles puis à s’user les nerfs à se battre contre un ennemi inconnu.

— Je viens d’apprendre comment ils vont nous emmener là-bas, dit Swann. Tu ne me croirais pas. C’est absolument incroyable.

— Je ne savais même pas que tu venais, dit Luke.

Si possible, Swann sourit encore plus qu’avant.

— Maintenant, je viens.

CHAPITRE SIX

5 septembre 2005

8 h 30, Heure de Moscou (minuit trente, Heure de l’Est)

L’Aquarium

Quartier général de la Direction Générale des Renseignements (GRU)

Aérodrome de Khodynka

Moscou, Russie

— Quelles nouvelles de notre ami ? demanda l’homme nommé Marmilov.

Il était assis à son bureau dans une pièce sans fenêtre du sous-sol et il fumait une cigarette. Un cendrier en céramique était posé devant lui sur le bureau en acier vert. Même si on était tôt le matin, il y avait déjà cinq mégots de cigarettes dans le cendrier. Une tasse de café (avec une goutte de whisky, du Jameson, importé d’Irlande) se trouvait aussi sur le bureau.

Le matin, cet homme fumait et buvait du café noir. C’était comme ça qu’il commençait sa journée. Il portait un costume sombre et ses cheveux dégarnis étaient rabattus sur le sommet de sa tête, durcis et fixés par de la laque. Chez cet homme, tout était angles durs et os pointus. Il ressemblait presque à un épouvantail, mais ses yeux étaient vifs et rien ne leur échappait.

Il occupait ce poste depuis longtemps et avait vu beaucoup de choses. Il avait survécu aux purges des années 1980 et, quand le changement était arrivé dans les années 1990, il y avait également survécu. Le GRU lui-même était resté en grande partie intact, à la différence de son pauvre petit frère, le KGB. Le KGB avait été démantelé et jeté aux quatre vents.

Le GRU était aussi grand et puissant que toujours, sinon plus, et Oleg Marmilov, cinquante-huit ans, y avait longtemps joué un rôle capital. Le GRU était une pieuvre, la plus grande des agences de renseignement russes, et elle plongeait ses tentacules dans les opérations spéciales, les réseaux d’espions du monde entier, l’interception des communications, les assassinats politiques, la déstabilisation des gouvernements, le trafic de drogue, la désinformation, la guerre psychologique et les opérations sous fausse bannière, sans oublier le déploiement de 25 000 soldats d’élite des Spetsnaz.

Marmilov était une pieuvre qui vivait à l’intérieur de la pieuvre. Il avait des tentacules à tellement d’endroits que, parfois, si un subordonné venait lui apporter un rapport, il avait un trou de mémoire avant de se dire :

— Ah oui, ça. Est-ce que ça se passe bien ?

Cependant, certaines de ses activités ne lui échappaient jamais.

Fixé sur son bureau, il y avait un poste de télévision. Pour un Américain de l’âge adéquat, ce poste aurait paru semblable aux téléviseurs à pièces qui avaient autrefois équipé les stations de bus interurbains du pays entier.

Sur l’écran, on voyait des vidéos en direct de caméras de sécurité tourner en boucle. Marmilov supposait qu’il y avait peut-être trente secondes de retard à l’affichage. À ce détail près, la vidéo montrait le moment présent.

Il faisait noir dans la vidéo, la nuit était tombée, mais Marmilov y voyait assez bien. Un escalier métallique montait le long d’un côté d’une plate-forme pétrolière. Il y avait un groupe de huttes usées en aluminium sur un terrain froid et aride. Il y avait un port minuscule sur une mer gelée avec un petit brise-glace robuste à quai. Il ne semblait y avoir personne dans la vidéo.

Marmilov leva les yeux vers l’homme qui se tenait devant son bureau.

— Alors ? Des nouvelles ?

Le visiteur était un jeune homme qui, bien que vêtu d’un costume d’homme d’affaires civil terne et mal coupé, semblait aussi se tenir au garde-à-vous. Il regardait fixement quelque chose qui se trouvait sans doute dans un horizon lointain au lieu de l’homme qui était assis un mètre devant lui.

— Oui, monsieur. Notre contact a transmis le message selon lequel un groupe de commandos a été choisi. La plupart d’entre eux se réunissent déjà à l’aérodrome de Deadhorse, en Alaska. Plusieurs autres, qui représentent la supervision civile du projet, sont en route par avion supersonique et arriveront dans quelques heures.

L’homme s’interrompit.

— De là, cette force d’assaut mettra sans doute très peu de temps à se déployer.

— Quelle est la fiabilité de ces renseignements ? dit Marmilov.

L’homme haussa les épaules.

— Ils viennent d’une réunion secrète qui a eu lieu à la Maison-Blanche elle-même. Cette réunion était peut-être une ruse, bien évidemment, mais nous ne le croyons pas. Le Président y assistait avec des membres du commandement militaire.

— Connaissons-nous la méthode d’attaque ?

L’homme hocha la tête.

— Nous pensons qu’ils vont déployer des hommes-grenouilles qui nageront jusqu’à l’île artificielle, émergeront de sous la glace puis passeront à l’attaque.

Marmilov y réfléchit.

— L’eau doit être très froide.

L’homme hocha la tête.

— Oui.

— Cela me semble être une mission très difficile.

Alors, le jeune homme afficha un très léger sourire.

— Les hommes-grenouilles porteront des équipements sous-marins encombrants conçus pour les protéger du froid et nos renseignements suggèrent qu’ils porteront leurs armes dans des paquets étanches. Ils espèrent créer un effet de surprise pour que des plongeurs d’élite hautement qualifiés effectuent une attaque furtive. Les prévisions météo disent que le temps sera très mauvais et que voler deviendra difficile. Pour autant que nous sachions, aucune attaque simultanée par la mer ou par les airs n’est prévue.

— Est-ce que nos amis peuvent les repousser ? dit Marmilov.

— Si on les avertit de leur approche et s’ils connaissent la méthode d’attaque, il est possible que nos amis les attendent et les tuent tous. Après ça …

L’homme haussa les épaules.

— Bien sûr, les Américains frapperont fort, mais ça ne sera pas notre problème.

Oleg Marmilov rendit son sourire au jeune homme. Il tira une autre bouffée intense de sa cigarette.

— Exceptionnel, dit-il. Tenez-moi au courant des développements.

— Bien sûr.

Marmilov désigna l’écran qui se trouvait sur son bureau.

— Et puis, naturellement, je suis un grand fan de sport. Quand l’action commencera, j’en regarderai chaque seconde à la télévision.

CHAPITRE SEPT

Minuit quarante-cinq, Heure de l’Est (8 h 45, Heure de l’Alaska, 4 septembre)

Le ciel au-dessus de la Péninsule Supérieure du Michigan

L’avion expérimental traversait le ciel noir à toute vitesse.

Luke n’était jamais monté dans un avion de ce type. Cet appareil était entièrement inhabituel. Quand l’équipe de l’EIS s’en était approché sur le tarmac, ses feux avaient été éteints, pas seulement ceux de l’appareil lui-même, mais aussi ceux de toutes les pistes ou des aéroports voisins. L’avion avait été prisonnier d’une l’obscurité presque totale.

Sa cellule avait une forme bizarre. L’avion était très étroit et son nez penchait comme le bec qu’un oiseau plonge dans l’eau pour boire. Les stabilisateurs arrières avaient une forme triangulaire bizarre que Luke n’avait jamais vue et qu’il ne comprenait pas vraiment.

À l’intérieur, la cabine était aussi organisée de manière inhabituelle. Au lieu d’être semblable à celle d’un jet typique de chef d’entreprise ou du Pentagone, ou même de l’EIS, avec des sièges baquets et des tables escamotables, elle ressemblait au salon d’une maison privée.

Il y avait un long sofa transversal le long d’un mur et son dossier bloquait l’endroit où, normalement, il devait y avoir des petits hublots ovales. Il y avait deux sièges inclinables face au sofa et, entre le sofa et les fauteuils, on voyait une table en bois lourde qui, semblable à une table basse, était boulonnée au sol. Chose encore plus étrange, juste en face du sofa, il y avait une grosse télévision à écran plat qui cachait l’endroit où l’autre rangée de hublots devait être.

De plus, à la gauche de l’endroit où Luke était assis sur le sofa, il y avait une épaisse cloison en verre. Une porte en verre était découpée au milieu de la cloison. De l’autre côté de la cloison, il y avait une autre cabine pour passagers qui, elle, contenait des sièges qui rappelaient plus un petit jet pour passagers typique. Finalement, le plus étrange, c’était que deux hommes étaient assis à l’intérieur de cette autre cabine, en train de discuter de quelque chose et de regarder l’écran d’un ordinateur portable.

La cloison en verre était apparemment insonorisée, parce que, même si les hommes semblaient être en train de parler normalement, Luke n’entendait rien de ce qu’ils disaient. Les hommes avaient tous deux les cheveux coupés en brosse et une attitude de militaire. L’un d’eux portait une veste et une cravate et l’autre un tee-shirt et un jean. L’homme en tee-shirt était grand et bien musclé.

 

— C’est un avion supersonique, dit Swann.

Il était assis sur le sofa avec Luke, de l’autre côté de Trudy Wellington, qui était assise entre eux et étudiait des documents sur son ordinateur portable. L’existence même de cet avion semblait exciter Swann d’une façon que Luke ne comprenait pas réellement.

— Il est supersonique, mais ce n’est pas un avion de combat. C’est un jet pour passagers. Depuis que les Français ont abandonné le Concorde et les Russes le Tupolev, personne au monde n’avoue fabriquer des jets à passagers supersoniques.

— J’imagine que quelqu’un a travaillé sur celui-là, dit Luke.

Assis sur un des sièges inclinables, Murphy désigna la cloison en verre de la tête.

— Je me demande qui sont les singes derrière la porte numéro trois.

Le grand Ed Newsam, avachi comme une grosse montagne dans l’autre siège inclinable, hocha lentement la tête.

— T’es pas le seul, mec.

— Aucune importance, dit Swann.

Il désigna l’écran de télévision qui se trouvait en face du sofa. À ce moment-là, l’écran montrait une image d’un avion qui contournait la frontière nord des États-Unis au-dessus de l’État du Michigan. En bas de l’écran, des chiffres indiquaient l’altitude, l’équivalent en vitesse sol et le temps qui restait jusqu’à la destination.

— Regardez ces chiffres. Altitude 5486 mètres. Vitesse sol 2500 kilomètres par heure, environ Mach 2, deux fois la vitesse du son. Après un peu plus de trente minutes en l’air, il ne nous restera que deux heures et demie de plus. C’est absolument stupéfiant pour un jet de cette taille qui, à mon avis, doit avoir un profil à peu près semblable à celui d’un Gulfstream typique. Imaginez-vous la poussée que cet appareil doit apporter pour surmonter la résistance de l’air ? Je n’ai même pas entendu de bang supersonique.

Il s’arrêta pendant une seconde et regarda autour de lui.

— Avez-vous entendu quelque chose ?

Personne ne lui répondit. Tous les autres semblaient songer à la destination, la mission et la nature mystérieuse des deux hommes qui se tenaient dans l’autre pièce. La façon dont ils atteindraient le théâtre des opérations était hors propos. Pour Luke, cet avion n’était qu’un autre jouet de grand garçon, probablement trop cher.

Cependant, Swann adorait ses jouets.

— Il faut noter quelque chose à propos de notre trajectoire de vol. Nous allons vers la région arctique de l’Alaska et le moyen le plus efficace de s’y rendre est de loin de passer dans l’espace aérien canadien et de traverser le cœur du pays en diagonale vers le nord-ouest. Pourtant, au lieu de ça, nous allons longer la frontière. Pourquoi ?

— Parce que nous aimons l’inefficacité ? dit Ed Newsam en souriant.

Swann ne remarqua même pas le trait d’humour de son collègue. Il secoua la tête.

— Non. C’est parce que, si nous traversons le Canada, nous devrons expliquer aux autorités canadiennes ce qu’est cet appareil qui vole au-dessus de leur espace aérien à deux fois la vitesse du son. Même si les Canadiens font partie de nos alliés les plus proches, nous ne devons pas leur dévoiler l’existence de cet avion. Donc, je pense qu’il est top-secret.

— En fait, dit Trudy sans lever les yeux de son ordinateur, nous devrons traverser le Canada à un moment ou à un autre. L’Alaska n’est pas attaché au reste des États-Unis.

Swann regarda fixement Trudy.

— Aïe, dit Ed. Cours de géographie. Ça a dû faire mal.

— Pouvons-nous parler d’autre chose ? dit Murphy. S’il vous plaît ?

Luke regarda Trudy Wellington, qui était assise à côté de lui. Elle était lovée sur le sofa dans sa position habituelle, les jambes glissées sous le corps. Elle aurait pu être assise sur son sofa chez elle, en train de manger du pop-corn et sur le point de commencer à regarder un film. Ses cheveux frisés pendaient et elle avait ses lunettes rouges au bout du nez. Elle faisait défiler un écran.

— Trudy ? dit Luke.

Elle leva les yeux.

— Oui ?

— Que faisons-nous ici ?

Elle le regarda fixement. Elle écarquilla ses yeux grands et ronds, surprise.

— Aide-nous autant que possible, dit-il. Qui sont les terroristes, que veulent-ils, pourquoi ont-ils attaqué une plate-forme pétrolière et pourquoi maintenant ?

— Est-ce que ça vous aidera ? dit-elle. Je veux dire, pour la mission ?

Luke haussa les épaules.

— C’est possible. Il me semble que nous ne savons rien et que personne ne semble avoir envie de nous renseigner ne serait-ce qu’un peu.

— Ou de nous parler, d’ailleurs, dit Murphy, qui fixait encore les hommes de l’autre côté de la vitre.

— OK, dit Trudy. Je vais commencer par le plus facile. Je vais vous expliquer pourquoi ils ont attaqué une plate-forme pétrolière et pourquoi ils l’ont fait maintenant. Ensuite, je vous soumettrai des hypothèses très vagues sur qui ils sont et sur ce qu’ils veulent.

Luke hocha la tête.

— Nous sommes tout ouïe.

— Je vais supposer que vous ne connaissez rien à la situation, dit Trudy.

Ed Newsam était tellement avachi sur sa chaise qu’on aurait dit qu’il allait glisser par terre.

— Ça, c’est probablement l’hypothèse la moins risquée que j’aie entendue de toute la journée.

Trudy sourit.

— L’Océan Arctique fond, dit-elle. Les gens, les nations, les médias et les grandes entreprises parlent tous des effets à long terme du réchauffement climatique ou se demandent même s’il existe. Chez une grande majorité des scientifiques, l’avis général est qu’il existe. Personne n’est forcé d’être d’accord avec eux mais, ce qui est indéniable, c’est que les calottes glaciaires polaires, qui sont restées majoritairement gelées depuis le début de l’histoire humaine telle qu’on la connaît, sont maintenant en train de fondre rapidement et de plus en plus vite.

— Effrayant, dit Mark Swann. C’est la fin du monde tel que nous le connaissons.

— Et ça me va très bien, ajouta Murphy.

Trudy haussa les épaules.

— Laissons cela. Restons-en à ce que nous savons. Or, ce que nous savons, c’est que, tous les ans, l’Océan Arctique est recouvert de moins de glace que l’année d’avant. Bientôt, peut-être pendant notre vie, il ne gèlera plus du tout. La couverture de glace est déjà plus fine et elle couvre une surface inférieure pendant une partie plus courte de l’année qu’elle ne l’a jamais fait d’après nos connaissances.

— Et cela signifie que … dit Luke.

— Cela signifie que l’Arctique s’ouvre. Des voies de navigation qui n’avaient jamais existé vont être disponibles pour le commerce. De ce côté du monde, il s’agit du Passage du Nord-Ouest qui se fraye un chemin entre les îles canadiennes et que le Canada considère comme faisant partie de son territoire souverain. De l’autre côté du Arctique, il s’agit du Passage du Nord-Est, qui suit la côte nord de la Russie et que la Russie considère comme faisant partie de ses eaux territoriales. En particulier, quand la glace s’ouvrira vraiment, le Passage du Nord-Est russe deviendra la voie de navigation la plus courte et la plus rapide entre les usines asiatiques et les marchés de consommateurs d’Europe.

— Et si les Russes la contrôlent … commença Murphy.

Trudy hocha la tête.

— Exact. Ils contrôleront une grande partie du commerce mondial. Ils pourront le taxer, faire payer des droits de douane et les ports russes qui ont surtout été des avant-postes gelés pendant des siècles pourraient soudain devenir des escales débordantes d’activité.

— Et s’ils le désiraient, ils pourraient …

Trudy hochait encore la tête.

— Oui. Ils pourraient fermer cette voie de navigation. De plus, le Passage du Nord-Ouest est un peu risqué. Si on regarde une carte, il fait vraiment partie du Canada, mais les États-Unis veulent le revendiquer, ce qui pourrait créer des tensions entre deux pays voisins alliés depuis longtemps et partenaires commerciaux.

— Donc, tu penses que les Russes … commença Ed.

Trudy leva une main.

— En fait, ce n’est pas tout. Huit pays entourent l’Océan Arctique : les États-Unis, le Canada et la Russie bien sûr, mais aussi la Suède, la Norvège, l’Islande, la Finlande et le Danemark. Le Danemark est important parce qu’il possède le territoire du Groenland. Enfin, ici, il y a un problème beaucoup plus important : on pense que jusqu’à un tiers des réserves mondiales non exploitées de pétrole et de gaz naturel sont situées sous la glace de l’Arctique.

Ils la regardèrent tous.

— Tout le monde veut ces carburants fossiles. Des pays qui n’ont aucune raison valable de revendiquer des terres arctiques, comme la Grande-Bretagne et la Chine, se mêlent aussi de cette affaire en cherchant à créer des alliances et à obtenir des droits de forage. La Chine a commencé à dire qu’elle était un pays presque arctique. La Grande-Bretagne a commencé à parler souvent de ses partenaires dans l’Arctique.

— Cela ne nous explique pas qui a fait ça, dit Luke.

Trudy secoua la tête et ses bouclettes s’agitèrent très légèrement.

— Non. Comme je l’ai dit, j’ai commencé par le plus facile. Pourquoi attaquer une plate-forme pétrolière située dans l’Arctique et pourquoi maintenant ? La réponse est que la course aux ressources naturelles de l’Arctique est ouverte et que ça va être une course violente. Des gens vont se faire tuer, tout comme c’est arrivé depuis que le pétrole a été découvert dans le Moyen-Orient au début du vingtième siècle. L’Arctique est une poudrière émergente où se déchaînera la concurrence entre les grandes puissances et, par conséquent, la violence sinon même la guerre. Ça vient.

Luke sourit. Trudy semblait toujours avoir les réponses mais, parfois, il fallait la pousser un peu pour qu’elle communique ses conclusions.

— Donc … c’était qui ?

Cependant, elle n’était pas prête à jouer à ce jeu-là. Elle se contenta de secouer à nouveau la tête.

— Impossible de le dire avec certitude. Il y a plus d’acteurs que les pays impliqués. Il y a des groupes indigènes répartis partout dans l’Arctique, comme les Esquimaux, les Aléoutes , les Inuits et beaucoup d’autres. Tous ces groupes craignent ce regain d’intérêt pour l’Arctique. Ils craignent de perdre leurs terres, leur culture et leurs droits de chasse traditionnels. Ils ont peur qu’il ne se produise des marées noires et d’autres catastrophes écologiques. En général, les peuples indigènes ont surtout eu des mauvaises expériences avec les pays puissants et les grandes entreprises. Ils se méfient beaucoup de ce qui arrive et certains des groupes sont déjà radicalisés.

— Mais sont-ils assez nombreux et assez bien entraînés …

— Bien sûr que non, dit Trudy, pas sans aide extérieure, mais nous ne pouvons pas supposer qu’ils agissent seuls. Il y a des dizaines de groupes écologistes, dont plusieurs sont aussi radicalisés. Il y a les grandes entreprises, surtout les compagnies pétrolières, qui manœuvrent pour être bien placées. Il y a les pays du Moyen-Orient qui se demandent si l’exploration pétrolière dans l’Arctique va les plonger dans la pauvreté. Enfin, bien sûr, il y a la Russie et la Chine.

— La bannière, dit Luke.

— Oui. Sur la bannière, il est dit que l’Amérique est un mélange d’hypocrites et de menteurs. Ça ne nous dit pas grand-chose, mais la simplicité et la syntaxe malmenée du message suggèrent que les gens qui ont fabriqué la bannière ne sont pas anglophones de naissance. Pourtant, le professionnalisme apparent de l’attaque suggère que ces gens-là ont au moins un niveau élevé d’entraînement, notamment en climat froid, et probablement une expérience de combat.

Luke voyait où elle voulait en venir.

— La plus grande partie des pays de l’Arctique sont soit nos alliés proches, comme le Canada, la Norvège et la Suède, ou ont avec nous des relations allant de l’amitié à la neutralité, comme l’Islande, le Danemark et la Finlande. De plus, je ne crois pas que les Russes ou les Chinois nous attaqueraient directement, surtout pas après tous les troubles qui ont eu lieu récemment. Cependant, seraient-ils capables de financer et d’entraîner un intermédiaire, un groupe qui se sent privé de ses droits par nous ou qui considère qu’il va l’être ?

 

Elle s’interrompit.

— Bien sûr qu’ils le seraient, dit Swann.

Trudy hocha la tête.

— Tout à fait d’accord.

— Donc, ce serait un nouveau groupe radical anti-américain, une sorte d’Al-Qaïda de l’Arctique ?

Trudy haussa les épaules.

— Je ne saurais le dire avec certitude. Ça pourrait être un groupe indigène armé et entraîné ou plusieurs groupes de cette sorte. Ça pourrait être un groupe de suprémacistes blancs du vieux monde Viking, qui espèrent rétablir la gloire du monde scandinave. Bon sang, ça pourrait même être des séparatistes québécois. Je ne sais pas.

À la gauche de Luke, la porte en verre qui menait à l’autre cabine pour passagers s’ouvrit. Les deux hommes entrèrent.

— Bonnes hypothèses, Mme Wellington, dit l’aîné des deux hommes. Elles sont probablement fausses mais, en tant que scénarios, elles sont quand même très bonnes.

* * *

Le plus jeune des deux portait un jean et un tee-shirt. Le jean moulait ses jambes musclées. Le tee-shirt moulait sa poitrine musclée. Sur le devant du tee-shirt, deux mots étaient imprimés en très petits caractères blancs sur fond noir.

DURCISSEZ.

— Les gars, je suis le capitaine Brooks Donaldson, du Naval Special Warfare Development Group des États-Unis, que l’on appelle parfois le DEVGRU et souvent le SEAL Team Six.

Il tenait une épaisse combinaison de plongée orange avec tous ses équipements, dont le casque, les gants et les bottes. Étrangement pour un membre des Marines, il venait de poser une canette de soda sur la table. Luke la regarda fixement. C’était un soda au gingembre, de la marque D. Peck.

— Je veux vous parler un peu d’hypothermie, à vous tous. Il est important que nous y pensions. Malgré tout ce que nous savons sur le gel et sa physiologie, personne ne peut prédire avec exactitude à quelle vitesse et qui l’hypothermie frappera, et si elle frappera de façon mortelle. Nous savons qu’elle est plus susceptible de tuer les hommes que les femmes et qu’elle tue plus souvent les gens minces et bien musclés, ce qui correspond à tout le monde dans cette pièce, que les gens qui ont beaucoup de graisses corporelles. Elle pardonne le moins aux gens qui ignorent ses effets. En d’autres termes, si vous n’êtes pas préparés à l’affronter et si vous ne savez pas quoi faire contre elle, elle peut facilement vous tuer.

Luke n’aimait déjà pas la direction que prenait ce discours. Personne ne lui avait dit qu’il allait devoir porter une combinaison de plongée, lutter contre l’hypothermie ou fréquenter des Marines qui buvaient des sodas. Donaldson montra la combinaison de plongée qu’il avait en main.

— Cette combinaison est votre première protection contre l’hypothermie. Cette combinaison de démonstration est orange alors que, pour l’opération, vos combinaisons seront noires, mais cela ne doit pas vous distraire. Imaginez seulement que celle-ci est noire. Qu’elles soient orange ou noires, ou violettes ou roses, ou de quelque autre couleur, ces combinaisons-là sont à la pointe du progrès et ce sont probablement les meilleures combinaisons d’immersion en eau froide de notre époque. Elles vous protégeront aussi bien contre la noyade que contre l’hypothermie. Leurs fonctionnalités comprennent un harnais de levage et une sangle de sécurité, des gants isolés à cinq doigts qui offrent chaleur et dextérité, un coussin gonflable pour la tête, un masque protecteur et un dispositif d’étanchéité faciale, des poignets et des chevilles ajustables, un néoprène ignifuge de 5 mm, un sifflet de salut, une poche légère et des couvre-chaussures antidérapants à semelle épaisse. Cela dit, il est un peu difficile de les mettre et de les enlever en pleine tempête. Donc, je vais vous montrer comment le faire.

Tous les occupants de la cabine le regardaient fixement.

— Avez-vous des questions avant que je commence ?

Murphy leva une main.

— Oui, Agent …

— Murphy.

— Oui, Agent Murphy, allez-y.

Murphy jeta un coup d’œil à la canette de soda au gingembre posée sur la table. Il prit un air très légèrement renfrogné. Murphy était un Irlandais du Bronx. Luke n’était pas certain de ce que Murphy pensait exactement de ce soda au gingembre, mais il semblait vraiment ne pas approuver sa présence.

— De quoi parlons-nous, ici ?

Donaldson parut confus.

— De quoi parlons-nous ? Que voulez-vous dire ?

Murphy hocha la tête. Il désigna la combinaison de plongée orange.

— Je parle de ça. Pourquoi nous expliquez-vous son fonctionnement ? Nous ne sommes pas des Marines. Nous n’avons aucune pratique de l’eau. Newsam, Stone et moi, nous venons tous de la Force Delta. Assauts aéroportés. Avant d’entrer dans la Force Delta, j’appartenais aux 75ème bataillon des Rangers, Stone aussi, Newsam, lui …

Il s’interrompit et regarda Ed. Ed était tellement avachi sur sa chaise que, s’il continuait, il allait couler par terre.

— 82ème Aéroporté, dit Ed.

— Aéroporté, dit Murphy. Compris ? Vous pouvez nous montrer cette combinaison jusqu’à ce que nous atterrissions, et toute la semaine prochaine, ça ne nous transformera pas en plongeurs.

— J’ai fait de la plongée, dit Ed.

Murphy le regarda fixement. Même s’il n’en était pas sûr, Luke pensait qu’il n’avait jamais vu personne fixer Ed comme cela. Murphy était un véhicule qui ne connaissait pas la marche arrière.

— Merci, dit-il. Ton expérience de plongée dans les épaves d’Aruba m’aide vraiment à expliquer mon point de vue.

Ed sourit et haussa les épaules.

Le membre des Marines hocha la tête.

— Je comprends ce que vous me dites, mais cette opération est sous-marine. Nous amerrirons à un camp temporaire qui est en cours de construction sur une plaque de glace qui flotte à environ deux kilomètres et demi de la plate-forme pétrolière. Je croyais que vous étiez au courant.

Luke secoua la tête.

— C’est la première fois qu’on nous le dit.

— Il est impossible de se rendre là-bas en bateau, dit Donaldson. Nous devons supposer que nos adversaires surveillent tous les points d’approche. Ils semblent avoir accès à des armes lourdes. Si un bateau se fraye un chemin dans la glace pour approcher de cette plate-forme pétrolière, il sera violemment attaqué.

— Pouvons-nous arriver par le ciel ? dit Luke.

Donaldson secoua la tête.

— Ce serait encore pire. La météo prévoit qu’une tempête va traverser cette zone dans les quelques prochaines heures. Je vous promets qu’il vaut mieux éviter de sauter en parachute au milieu d’une tempête arctique. De plus, même si le ciel s’éclaircissait, ils pourraient vous abattre sans difficulté pendant votre descente. Vous seriez des cibles faciles. Il n’y a qu’un moyen d’aller là-bas. C’est d’arriver sous la glace et de les prendre par surprise.

Il s’interrompit.

— Et puis, nous allons avoir besoin de toute la surprise possible. Même si nous attaquons violemment, il faut que nous gardions au moins un des attaquants en vie.

— Pourquoi ? dit Ed.

Donaldson haussa les épaules.

— Il faut que nous sachions ce que veulent ces hommes, ce qu’est leur plan et s’ils ont agi seuls. Il faut en apprendre un maximum sur eux. Comme ils ne vont sans doute pas nous laisser de manifeste et comme personne n’a revendiqué cette attaque jusque-là, nous devons supposer que la seule façon d’obtenir ces informations est de capturer au moins un de ces hommes, et de préférence plus d’un.

Luke aimait de moins en moins cette mission. Ils allaient approcher par-dessous la glace et, quand ils remonteraient, ils devraient capturer quelqu’un. Et si c’étaient des djihadistes qui ne se rendaient pas ? Et s’ils se battaient jusqu’au dernier souffle ?

L’opération entière paraissait organisée à la va-vite et mal conçue. Cela dit, c’était inévitable. Comment aurait-elle pu être bien conçue alors que le plan était de reprendre la plate-forme pétrolière la même nuit où elle avait été attaquée, à peine quelques heures plus tard, en fait ?

Ils n’avaient aucune information sur les attaquants. Il n’y avait eu aucune communication. Ils ne savaient pas d’où ils venaient, ce qu’ils voulaient, quelles armes ou quelles autres compétences ils avaient. Ils ne savaient pas ce que les attaquants feraient s’ils étaient eux-mêmes attaqués. Est-ce qu’ils tueraient tous les otages ? Est-ce qu’ils se suicideraient en faisant sauter la plate-forme ? Personne ne le savait.