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La Comédie humaine – Volume 08. Scènes de la vie de Province – Tome 04

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– Merci, mon cher camarade, je me suis dit tout cela, s'écria Séchard; mais je te suis obligé de me montrer tant de prudence et de sollicitude!.. Il ne s'agit pas de moi dans cette entreprise. A moi, douze cents francs de rente me suffiraient, et mon père doit m'en laisser au moins trois fois autant quelque jour… Je vis par l'amour et par ma pensée!.. une vie céleste… Il s'agit de Lucien et de ma femme; c'est pour eux que je travaille…

– Allons, signe-moi ce pouvoir, et ne t'occupe plus que de ta découverte. Le jour où il faudra te cacher à cause de la contrainte par corps, je te préviendrai la veille; car il faut tout prévoir. Et laisse-moi te dire de ne laisser pénétrer chez toi personne de qui tu ne sois sûr comme de toi-même.

– Cérizet n'a pas voulu continuer le bail de l'exploitation de mon imprimerie, et de là sont venus nos petits chagrins d'argent. Il ne reste donc plus chez moi que Marion, Kolb, un Alsacien qui est comme un caniche pour moi, ma femme et ma belle-mère…

– Écoute, dit Petit-Claud, défie-toi du caniche…

– Tu ne le connais pas, s'écria David. Kolb, c'est comme moi-même.

– Veux-tu me le laisser éprouver?..

– Oui, dit Séchard.

– Allons, adieu; mais envoie-moi la belle madame Séchard, un pouvoir de ta femme est indispensable. Et, mon ami, songe bien que le feu est dans tes affaires, dit Petit-Claud à son camarade en le prévenant ainsi de tous les malheurs judiciaires qui allaient fondre sur lui.

– Me voilà donc un pied en Bourgogne et un pied en Champagne, se dit Petit-Claud après avoir reconduit son ami David Séchard jusqu'à la porte de l'Étude.

En proie aux chagrins que cause le manque d'argent, aux peines que lui donnait l'état de sa femme, assassinée par l'infamie de Lucien, David cherchait toujours son problème!.. Or, tout en allant de chez lui chez Petit-Claud, il avait mâché par distraction une tige d'ortie qu'il avait mise dans de l'eau pour arriver à un rouissage quelconque des tiges employées comme matière de sa pâte. Il voulait remplacer les divers brisements opérés par la macération par le tissage, enfin par l'usage de tout ce qui devient fil, linge, chiffon. Quand il alla par les rues, assez content de sa conférence avec son ami Petit-Claud, il se trouva dans les dents une boule de pâte: il la prit sur sa main, l'étendit et vit une bouillie supérieure à toutes les compositions qu'il avait obtenues; car le principal inconvénient des pâtes obtenues des végétaux est un défaut de liant. Ainsi la paille donne un papier cassant, quasi métallique et sonore. Ces hasards-là ne sont rencontrés que par les audacieux chercheurs des causes naturelles!

– Je vais, se disait-il, remplacer par l'effet d'une machine et d'un agent chimique l'opération que je viens de faire machinalement.

Et il apparut à sa femme dans la joie de sa croyance à un triomphe.

– Oh! mon ange, sois sans inquiétude! dit David en voyant que sa femme avait pleuré. Petit-Claud nous garantit pour quelques mois de tranquillité. L'on me fera des frais; mais, comme il me l'a dit en me reconduisant: – Tous les Français ont le droit de faire attendre leurs créanciers, pourvu qu'ils finissent par leur payer capital, intérêts et frais!.. Eh! bien, nous payerons…

– Et vivre!.. dit la pauvre Ève qui pensait à tout.

– Ah! c'est vrai, répondit David en portant la main à son oreille par un geste inexplicable et familier à presque tous les gens embarrassés.

– Ma mère gardera notre petit Lucien et je puis me remettre à travailler, dit-elle.

– Ève! ô mon Ève! s'écria David, les larmes aux yeux, en prenant sa femme et la serrant sur son cœur, Ève! à deux pas d'ici, à Saintes, au seizième siècle, un des plus grands hommes de la France, car il ne fut pas seulement l'inventeur des émaux, il fut aussi le glorieux précurseur de Buffon, de Cuvier, il trouva la géologie avant eux, ce naïf bonhomme! Bernard de Palissy souffrait la passion des chercheurs de secrets, mais il voyait sa femme et ses enfants, tout un faubourg contre lui. Sa femme lui vendait ses outils… Il errait dans la campagne, incompris!.. pourchassé, montré au doigt!.. Mais, moi, je suis aimé…

– Bien aimé, répondit Ève avec une sainte et placide expression.

– On peut souffrir alors tout ce qu'a souffert ce pauvre Bernard de Palissy, l'auteur des faïences d'Écouen, et que Charles IX excepta de la Saint-Barthélemy, qui fit enfin à la face de l'Europe, vieux, riche et honoré, des cours publics sur sa science des terres, comme il l'appelait.

– Tant que mes doigts auront la force de tenir un fer à repasser, tu ne manqueras de rien! s'écria la pauvre femme avec l'accent du dévouement le plus profond. Dans le temps que j'étais première demoiselle chez madame Prieur, j'avais pour amie une petite fille bien sage, la cousine à Postel, Basine Clerget; eh! bien, Basine vient de m'annoncer, en m'apportant mon linge fin, qu'elle succède à madame Prieur: j'irai travailler chez elle!..

– Ah! tu n'y travailleras pas long-temps! répondit Séchard. J'ai trouvé…

Pour la première fois la sublime croyance au succès, qui soutient les inventeurs et leur donne le courage d'aller en avant dans les forêts vierges du pays des découvertes, fut accueillie par Ève avec un sourire presque triste, et David baissa la tête par un mouvement funèbre.

– Oh! mon ami, je ne me moque pas, je ne ris pas, je ne doute pas! s'écria la belle Ève en se mettant à genoux devant son mari. Mais je vois combien tu avais raison de garder le plus profond silence sur tes essais, sur tes espérances. Oui, mon ami, les inventeurs doivent cacher le pénible enfantement de leur gloire à tout le monde, même à leurs femmes!.. Une femme est toujours femme. Ton Ève n'a pu s'empêcher de sourire en t'entendant dire: J'ai trouvé!.. pour la dix-septième fois depuis un mois.

David se mit à rire si franchement de lui-même qu'Ève lui prit la main et la baisa saintement. Ce fut un moment délicieux, une de ces roses d'amour et de tendresse qui fleurissent au bord des plus arides chemins de la misère et quelquefois au fond des précipices.

Ève redoubla de courage en voyant le malheur redoubler de furie. La grandeur de son mari, sa naïveté d'inventeur, les larmes qu'elle surprit parfois dans les yeux de cet homme de cœur et de poésie, tout développa chez elle une force de résistance inouïe. Elle eut encore une fois recours au moyen qui lui avait déjà si bien réussi. Elle écrivit à monsieur Métivier d'annoncer la vente de l'imprimerie en lui offrant de le payer sur le prix qu'on en obtiendrait et en le suppliant de ne pas ruiner David en frais inutiles. Devant cette lettre sublime Métivier fit le mort: son premier commis répondit qu'en l'absence de monsieur Métivier il ne pouvait pas prendre sur lui d'arrêter les poursuites. Telle n'était pas la coutume de son patron en affaires. Ève proposa de renouveler les effets en payant tous les frais, et le commis y consentit, pourvu que le père de David Séchard donnât sa garantie par un aval. Ève se rendit alors à pied à Marsac, accompagnée de sa mère et de Kolb. Elle affronta le vieux vigneron, elle fut charmante, elle réussit à dérider cette vieille figure; mais, quand, le cœur tremblant, elle parla de l'aval, elle vit un changement complet et soudain sur cette face soûlographique.

– Si je laissais à mon fils la liberté de mettre la main à mes lèvres, au bord de ma caisse, il la plongerait jusqu'au fond de mes entrailles!.. s'écria-t-il. Les enfants mangent tous à même dans la bourse paternelle. Et comment ai-je fait, moi? Je n'ai jamais coûté un liard à mes parents. Votre imprimerie est vide. Les souris et les rats sont seuls à y faire des impressions… Vous êtes belle, vous, je vous aime; vous êtes une femme travailleuse et soigneuse. Mais mon fils!.. Savez-vous ce qu'est David?.. Eh! bien, c'est un fainéant de savant. Si je l'avais lairré comme on m'a lairré, sans se connaître aux lettres, et que j'en eusse fait un ours, comme son père, il aurait des rentes… Oh! c'est ma croix, ce garçon-là, voyez-vous! Et, par malheur, il est bien unique, car sa retiration n'existera jamais! Enfin il vous rend malheureuse… (Ève protesta par un geste de dénégation absolue.) – Oui, reprit-il en répondant à ce geste, vous avez été obligée de prendre une nourrice, le chagrin vous a tari votre lait. Je sais tout, allez! vous êtes au tribunal et tambourinés par la ville. Je n'étais qu'un ours, je ne suis pas savant, je n'ai pas été prote chez messieurs Didot, la gloire de la typographie; mais jamais je n'ai reçu de papier timbré! Savez-vous ce que je me dis en allant dans mes vignes, les soignant et récoltant, et faisant mes petites affaires?.. Je me dis: – Mon pauvre vieux, tu te donnes bien du mal, tu mets écu sur écu, tu lairreras de beaux biens, ce sera pour les huissiers, pour les avoués… ou pour les chimères… pour les idées… Tenez, mon enfant, vous êtes mère de ce petit garçon, qui m'a eu l'air d'avoir la truffe de son grand-père au milieu du visage quand je l'ai tenu sur les fonts avec madame Chardon, eh! bien, pensez moins à Séchard qu'à ce petit drôle-là… Je n'ai confiance qu'en vous… Vous pourriez empêcher la dissipation de mes biens… de mes pauvres biens…

– Mais, mon cher papa Séchard, votre fils sera votre gloire, et vous le verrez un jour riche par lui-même et avec la croix de la Légion-d'Honneur à la boutonnière…

– Qué qui fera donc pour cela? demanda le vigneron.

– Vous le verrez! Mais, en attendant, mille écus vous ruineraient-ils?.. Avec mille écus vous feriez cesser les poursuites… Eh! bien, si vous n'avez pas confiance en lui, prêtez-les-moi, je vous les rendrai, vous les hypothéquerez sur ma dot, sur mon travail…

– David Séchard est donc poursuivi? s'écria le vigneron étonné d'apprendre que ce qu'il croyait une calomnie était vrai. Voilà ce que c'est que de savoir signer son nom!.. Eh mes loyers!.. Oh! il faut, ma petite fille, que j'aille à Angoulême me mettre en règle et consulter Cachan, mon avoué… Vous avez joliment bien fait de venir… Un homme averti en vaut deux!

 

Après une lutte de deux heures, Ève fut obligée de s'en aller, battue par cet argument invincible: – Les femmes n'entendent rien aux affaires. Venue avec un vague espoir de réussir, Ève refit le chemin de Marsac à Angoulême presque brisée. En rentrant, elle arriva précisément à temps pour recevoir la signification du jugement qui condamnait Séchard à tout payer à Métivier. En province, la présence d'un huissier à la porte d'une maison est un événement; mais Doublon venait beaucoup trop souvent depuis quelque temps pour que le voisinage n'en causât pas. Aussi Ève n'osait-elle plus sortir de chez elle, elle avait peur d'entendre des chuchotements à son passage.

– Oh! mon frère, mon frère! s'écria la pauvre Ève en se précipitant dans son allée et montant les escaliers, je ne puis te pardonner que s'il s'agissait de ta…

– Hélas, lui dit Séchard, qui venait au-devant d'elle, il s'agissait d'éviter son suicide.

– N'en parlons donc plus jamais, répondit-elle doucement. La femme qui l'a emmené dans ce gouffre de Paris est bien criminelle!.. et ton père, mon David, est bien impitoyable!.. Souffrons en silence.

Un coup frappé discrètement arrêta quelque tendre parole sur les lèvres de David, et Marion se présenta remorquant à travers la première pièce le grand et gros Kolb.

– Madame, dit-elle, Kolb et moi nous avons su que monsieur et madame étaient bien tourmentés; et, comme nous avons à nous deux seize cents francs d'économies, nous avons pensé qu'ils ne pouvaient pas être mieux placés qu'entre les mains de madame…

– Te matame, répéta Kolb avec enthousiasme.

– Kolb, s'écria David Séchard, nous ne nous quitterons jamais, porte mille francs à compte chez Cachan, l'avoué, mais en demandant une quittance; nous garderons le reste. Kolb, qu'aucune puissance humaine ne t'arrache un mot sur ce que je fais, sur mes heures d'absence, sur ce que tu pourras me voir rapporter, et quand je t'enverrai chercher des herbes, tu sais, qu'aucun œil humain ne te voie… On cherchera, mon bon Kolb, à te séduire, on t'offrira peut-être des mille, des dix mille francs pour parler…

– On m'ovrirait pien tes millions, queu cheu ne tirais bas une motte! Est-ce que che nei gonnais boind la gonzigne milidaire?

– Tu es averti, marche, et va prier monsieur Petit-Claud d'assister à la remise de ces fonds chez monsieur Cachan.

– Ui, fit l'Alsacien, chesbère edre assez riche ein chour pire lui domper sire le gazaquin, à ced ôme te chistice! Ch'aime bas sa visache!

– C'est un bon homme, madame, dit la grosse Marion, il est fort comme un Turc et doux comme un mouton. En voilà un qui ferait le bonheur d'une femme. C'est lui pourtant qui a eu l'idée de placer ainsi nos gages, qu'il appelle des caches! Pauvre homme! s'il parle mal, il pense bien, et je l'entends tout de même. Il a l'idée d'aller travailler chez les autres pour ne nous rien coûter…

– On deviendrait riche uniquement pour pouvoir récompenser ces braves gens-là, dit Séchard en regardant sa femme.

Ève trouvait cela tout simple, elle n'était pas étonnée de rencontrer des âmes à la hauteur de la sienne. Son attitude eût expliqué toute la beauté de son caractère aux êtres les plus stupides, et même à un indifférent.

– Vous serez riche, mon cher monsieur, vous avez du pain de cuit, s'écria Marion, votre père vient d'acheter une ferme, il vous en fait, allez! des rentes…

Dans la circonstance, ces paroles dites par Marion pour diminuer en quelque sorte le mérite de son action, ne trahissaient-elles pas une exquise délicatesse?

Comme toutes les choses humaines, la procédure française a des vices. Néanmoins, de même qu'une arme à deux tranchants, elle sert aussi bien à la défense qu'à l'attaque. En outre, elle a cela de plaisant, que si deux avoués s'entendent (et ils peuvent s'entendre sans avoir besoin d'échanger deux mots, ils se comprennent par la seule marche de leur procédure!) un procès ressemble alors à la guerre comme la faisait le premier maréchal de Biron à qui son fils proposait au siége de Rouen un moyen de prendre la ville en deux jours. – Tu es donc bien pressé, lui dit-il, d'aller planter nos choux. Deux généraux peuvent éterniser la guerre en n'arrivant à rien de décisif et ménageant leurs troupes, selon la méthode des généraux autrichiens que le Conseil Aulique ne réprimande jamais d'avoir fait manquer une combinaison pour laisser manger la soupe à leurs soldats. Maître Cachan, Petit-Claud et Doublon se comportèrent encore mieux que des généraux autrichiens, ils se modelèrent sur un Autrichien de l'Antiquité, sur Fabius Cunctator!

Petit-Claud, malicieux comme un mulet, eut bientôt reconnu tous les avantages de sa position. Dès que le payement des frais à faire était garanti par le grand Cointet, il se promit de ruser avec Cachan, et de faire briller son génie aux yeux du papetier, en créant des incidents qui retombassent à la charge de Métivier. Mais, malheureusement pour la gloire de ce jeune Figaro de la Basoche, l'historien doit passer sur le terrain de ses exploits comme s'il marchait sur des charbons ardents. Un seul mémoire de frais, comme celui fait à Paris, suffit sans doute à l'histoire des mœurs contemporaines. Imitons donc le style des bulletins de la Grande-Armée; car, pour l'intelligence du récit, plus rapide sera l'énoncé des faits et gestes de Petit-Claud, meilleure sera cette page exclusivement judiciaire.

Assigné, le 3 juillet, au Tribunal de commerce d'Angoulême, David fit défaut; le jugement lui fut signifié le 8.

Le 10, Doublon lança un commandement et tenta, le 12, une saisie à laquelle s'opposa Petit-Claud en réassignant Métivier à quinze jours. De son côté, Métivier trouva ce temps trop long, réassigna le lendemain à bref délai, et obtint, le 19, un jugement qui débouta Séchard de son opposition. Ce jugement, signifié roide le 21, autorisa un commandement le 22, une signification de contrainte par corps le 23, et un procès-verbal de saisie le 24. Cette fureur de saisie fut bridée par Petit-Claud qui s'y opposa en interjetant appel en Cour royale. Cet appel, réitéré le 15 juillet, traînait Métivier à Poitiers.

– Allez! se dit Petit-Claud, nous resterons là pendant quelque temps.

Une fois l'orage dirigé sur Poitiers, chez un avoué de Cour royale à qui Petit-Claud donna ses instructions, ce défenseur à double face fit assigner à bref délai David Séchard, par madame Séchard, en séparation de biens. Selon l'expression du Palais, il diligenta de manière à obtenir son jugement de séparation le 28 juillet, il l'inséra dans le Courrier de la Charente, le signifia dûment, et, le 1er août, il se faisait par-devant notaire une liquidation des reprises de madame Séchard qui la constituait créancière de son mari pour la faible somme de dix mille francs que l'amoureux David lui avait reconnue en dot par le contrat de mariage, et pour le payement de laquelle il lui abandonna le mobilier de son imprimerie et celui du domicile conjugal.

Pendant que Petit-Claud mettait ainsi à couvert l'avoir du ménage, il faisait triompher à Poitiers la prétention sur laquelle il avait basé son appel. Selon lui, David devait d'autant moins être passible des frais faits à Paris sur Lucien de Rubempré, que le Tribunal civil de la Seine, les avait, par son jugement, mis à la charge de Métivier. Ce système, adopté par la Cour, fut consacré dans un arrêt qui confirma les condamnations portées au jugement du Tribunal de commerce d'Angoulême contre Séchard fils, en faisant distraction d'une somme de six cents francs sur les frais de Paris, mis à la charge de Métivier, en compensant quelques frais entre les parties, eu égard à l'incident qui motivait l'appel de Séchard. Cet arrêt signifié, le 17 août, à Séchard fils, se traduisit, le 18, en un commandement de payer le capital, les intérêts, les frais dus, suivis d'un procès-verbal de saisie le 20. Là, Petit-Claud intervint au nom de madame Séchard et revendiqua le mobilier comme appartenant à l'épouse, dûment séparée. De plus, Petit-Claud fit apparaître Séchard père devenu son client. Voici pourquoi.

Le lendemain de la visite que lui fit sa belle-fille, le vigneron était venu voir son avoué d'Angoulême, maître Cachan, auquel il demanda la manière de recouvrer ses loyers compromis dans la bagarre où son fils était engagé.

– Je ne puis pas occuper pour le père lorsque je poursuis le fils, lui dit Cachan, mais allez voir Petit-Claud, il est très-habile, et il vous servira peut-être encore mieux que je ne le ferais…

Au Palais, Cachan dit à Petit-Claud: – Je t'ai envoyé le père Séchard, occupe pour moi à charge de revanche.

Entre avoués, ces sortes de services se rendent en province comme à Paris.

Le lendemain du jour où le père Séchard eut donné sa confiance à Petit-Claud, le grand Cointet vint voir son complice et lui dit: – Tâchez de donner une leçon au père Séchard! Il est homme à ne jamais pardonner à son fils de lui coûter mille francs; et ce débours séchera dans son cœur toute pensée généreuse, s'il en poussait!

– Allez à vos vignes, dit Petit-Claud à son nouveau client, votre fils n'est pas heureux, ne le grugez pas en mangeant chez lui. Je vous appellerai quand il en sera temps.

Donc, au nom de Séchard, Petit-Claud prétendit que les presses étant scellées devenaient d'autant plus immeubles par destination que, depuis le règne de Louis XIV, la maison servait à une imprimerie. Cachan, indigné pour le compte de Métivier, qui, après avoir trouvé à Paris les meubles de Lucien appartenant à Coralie, trouvait encore à Angoulême les meubles de David appartenant à la femme et au père (il y eut là de jolies choses dites à l'audience), assigna le père et le fils pour faire tomber de telles prétentions. «Nous voulons, s'écria-t-il, démasquer les fraudes de ces hommes qui déploient les plus redoutables fortifications de la mauvaise foi; qui, des articles les plus innocents et les plus clairs du Code, font des chevaux de frise pour se défendre! et de quoi, de payer trois mille francs! pris où… dans la caisse du pauvre Métivier. Et l'on ose accuser les escompteurs!.. Dans quel temps vivons-nous!.. Enfin, je le demande, n'est-ce pas à qui prendra l'argent de notre voisin?.. Vous ne sanctionnerez pas une prétention qui ferait passer l'immoralité au cœur de la justice!..» Le tribunal d'Angoulême, ému par la belle plaidoierie de Cachan, rendit un jugement contradictoire entre toutes les parties, qui donna la propriété des meubles meublants seulement à madame Séchard, repoussa les prétentions de Séchard père et le condamna net à payer quatre cent trente-quatre francs soixante-cinq centimes de frais.

– Le père Séchard est bon, se dirent en riant les avoués, il a voulu mettre la main dans le plat, qu'il paye!..

Le 26 août, ce jugement fut signifié de manière à pouvoir saisir les presses et les accessoires de l'imprimerie le 28 août. On apposa les affiches!.. On obtint, sur requête, un jugement pour pouvoir vendre dans les lieux mêmes. On inséra l'annonce de la vente dans les journaux, et Doublon se flatta de pouvoir procéder au récolement et à la vente le 2 septembre.

En ce moment, David Séchard devait, par jugement en règle et par exécutoires levés, bien légalement, à Métivier la somme totale de cinq mille deux cent soixante-quinze francs vingt-cinq centimes non compris les intérêts. Il devait à Petit-Claud douze cents francs et les honoraires, dont le chiffre était laissé, suivant la noble confiance des cochers qui vous ont conduit rondement, à sa générosité. Madame Séchard devait à Petit-Claud environ trois cent cinquante francs, et des honoraires. Le père Séchard devait ses quatre cent trente-quatre francs soixante-cinq centimes et Petit-Claud lui demandait cent écus d'honoraires. Ainsi, le tout pouvait aller à dix mille francs.

A part l'utilité de ces documents pour les nations étrangères qui pourront y voir le jeu de l'artillerie judiciaire en France, il est nécessaire que le législateur, si toutefois le législateur a le temps de lire, connaisse jusqu'où peut aller l'abus de la procédure. Ne devrait-on pas bâcler une petite loi qui, dans certain cas, interdirait aux avoués de surpasser en frais la somme qui fait l'objet du procès? N'y a-t-il pas quelque chose de ridicule à soumettre une propriété d'un centiare aux formalités qui régissent une terre d'un million! On comprendra par cet exposé très-sec de toutes les phases par lesquelles passait le débat, la valeur de ces mots: la forme, la justice, les frais! dont ne se doute pas l'immense majorité des Français. Voilà ce qui s'appelle en argot de Palais mettre le feu dans les affaires d'un homme. Les caractères de l'imprimerie pesant cinq milliers valaient, au prix de la fonte, deux mille francs. Les trois presses valaient six cents francs. Le reste du matériel eût été vendu comme du vieux fer et du vieux bois. Le mobilier du ménage aurait produit tout au plus mille francs. Ainsi, de valeurs appartenant à Séchard fils et représentant une somme d'environ quatre mille francs, Cachan et Petit-Claud en avaient fait le prétexte de sept mille francs de frais sans compter l'avenir dont la fleur promettait d'assez beaux fruits, comme on va le voir. Certes les praticiens de France et de Navarre, ceux de Normandie même, accorderont leur estime et leur admiration à Petit-Claud; mais les gens de cœur n'accorderont-ils pas une larme de sympathie à Kolb et à Marion?

 

Pendant cette guerre, Kolb, assis à la porte de l'allée sur une chaise tant que David n'avait pas besoin de lui, remplissait les devoirs d'un chien de garde. Il recevait les actes judiciaires, toujours surveillés d'ailleurs par un clerc de Petit-Claud. Quand des affiches annonçaient la vente du matériel composant une imprimerie, Kolb les arrachait aussitôt que l'afficheur les avait apposées, et il courait par la ville les ôter en s'écriant: —Les goquins!.. dourman der ein si prafe ôme! Ed ilz abellent ça de la chistice! Marion gagnait pendant la matinée une pièce de dix sous dans une papeterie et l'employait à la dépense journalière. Madame Chardon avait recommencé sans murmurer les fatigantes veilles de son état de garde-malade, et apportait à sa fille son salaire à la fin de chaque semaine. Elle avait déjà fait deux neuvaines, en s'étonnant de trouver Dieu sourd à ses prières, et aveugle aux clartés des cierges qu'elle lui allumait.

Le 2 septembre, Ève reçut la seule lettre que Lucien écrivit après celle par laquelle il avait annoncé la mise en circulation des trois billets à son beau-frère et que David avait cachée à sa femme.

– Voilà la troisième lettre que j'aurai eue de lui depuis son départ, se dit la pauvre sœur en hésitant à décacheter le fatal papier.

En ce moment, elle donnait à boire à son enfant, elle le nourrissait au biberon, car elle avait été forcée de renvoyer la nourrice par économie. On peut juger dans quel état la mit la lecture de la lettre suivante ainsi que David, qu'elle fit lever. Après avoir passé la nuit à faire du papier, l'inventeur s'était couché vers le jour.

«Paris, 29 août.

»Ma chère sœur,

»Il y a deux jours, à cinq heures du matin, j'ai reçu le dernier soupir d'une des plus belles créatures de Dieu, la seule femme qui pouvait m'aimer comme tu m'aimes, comme m'aiment David et ma mère, en joignant à ces sentiments si désintéressés ce qu'une mère et une sœur ne sauraient donner: toutes les félicités de l'amour! Après m'avoir tout sacrifié, peut-être la pauvre Coralie est-elle morte pour moi! pour moi qui n'ai pas en ce moment de quoi la faire enterrer… Elle m'eût consolé de la vie; vous seuls, mes chers anges, pourrez me consoler de sa mort. Cette innocente fille a, je le crois, été absoute par Dieu, car elle est morte chrétiennement. Oh! Paris!.. Mon Ève, Paris est à la fois toute la gloire et toute l'infamie de la France, j'y ai déjà perdu bien des illusions, et je vais en perdre encore d'autres en y mendiant le peu d'argent dont j'ai besoin pour mettre en terre sainte le corps d'un ange!

»Ton malheureux frère,
»Lucien.»

«P. S. J'ai dû te causer bien des chagrins par ma légèreté, tu sauras tout un jour, et tu m'excuseras. D'ailleurs, tu dois être tranquille: en nous voyant si tourmentés, Coralie et moi, un brave négociant à qui j'ai fait de cruels soucis, monsieur Camusot, s'est chargé d'arranger, a-t-il dit, cette affaire.»

– La lettre est encore humide de ses larmes! dit-elle à David en le regardant avec tant de pitié qu'il éclatait dans ses yeux quelque chose de son ancienne affection pour Lucien.

– Pauvre garçon, il a dû bien souffrir, s'il était aimé comme il le dit!.. s'écria l'heureux époux d'Ève.

Et le mari comme la femme oublièrent toutes leurs douleurs, devant le cri de cette douleur suprême. En ce moment, Marion se précipita disant: – Madame, les voilà!.. les voilà!..

– Qui?

– Doublon et ses hommes, le diable, Kolb se bat avec eux, on va vendre.

– Non, non, l'on ne vendra pas, rassurez-vous! s'écria Petit-Claud dont la voix retentit dans la pièce qui précédait la chambre à coucher, je viens de signifier un appel. Vous ne devez pas rester sous le poids d'un jugement qui taxe de mauvaise foi. Je ne me suis pas avisé de me défendre ici. Pour vous gagner du temps, j'ai laissé bavarder Cachan, je suis certain de triompher encore une fois à Poitiers…

– Mais combien ce triomphe coûtera-t-il? demanda madame Séchard.

– Des honoraires si vous triomphez, et mille francs si nous perdons.

– Mon Dieu, s'écria la pauvre Ève, mais le remède n'est-il pas pire que le mal?..

En entendant ce cri de l'innocence éclairée au feu judiciaire, Petit-Claud resta tout interdit, tant Ève était belle.

Le père Séchard, mandé par Petit-Claud, arriva sur ces entrefaites. La présence du vieillard dans la chambre à coucher de ses enfants, où son petit-fils au berceau souriait au malheur, rendit cette scène complète.

– Papa Séchard, dit le jeune avoué, vous me devez sept cents francs pour votre intervention; mais vous les répéterez contre votre fils, en les ajoutant à la masse des loyers qui vous sont dus.

Le vieux vigneron saisit la piquante ironie que Petit-Claud mit dans son accent et dans son air en lui adressant cette phrase.

– Il vous en aurait moins coûté pour cautionner votre fils! lui dit Ève en quittant le berceau pour venir embrasser le vieillard…

David, accablé par la vue de l'attroupement qui s'était fait devant sa maison, où la lutte de Kolb et des gens de Doublon avait attiré du monde, tendit la main à son père sans lui dire bonjour.

– Et comment puis-je vous devoir sept cents francs? demanda le vieillard à Petit-Claud.

– Mais parce que j'ai, d'abord, occupé pour vous. Comme il s'agit de vos loyers, vous êtes vis-à-vis de moi solidaire avec votre débiteur. Si votre fils ne me paye pas ces frais-là vous me les payerez, vous… Mais, ceci n'est rien, dans quelques heures on voudra mettre David en prison, l'y laisserez-vous aller?

– Que doit-il?

– Mais quelque chose comme cinq à six mille francs, sans compter ce qu'il vous doit et ce qu'il doit à sa femme.

Le vieillard, devenu tout défiance, regarda le tableau touchant qui se présentait à ses regards dans cette chambre bleue et blanche: une belle femme en pleurs auprès d'un berceau, David fléchissant enfin sous le poids de ses chagrins, l'avoué qui peut-être l'avait attiré là comme dans un piége; l'ours crut alors sa paternité mise en jeu par eux, il eut peur d'être exploité. Il alla voir et caresser l'enfant, qui lui tendit ses petites mains. Au milieu de tant de soins, l'enfant, soigné comme celui d'un pair d'Angleterre, avait sur la tête un petit bonnet brodé doublé de rose.

– Eh! que David s'en tire comme il pourra, moi je ne pense qu'à cet enfant-là, s'écria le vieux grand-père, et sa mère m'approuvera. David est si savant, qu'il doit savoir comment payer ses dettes.

– Voilà, dit l'avoué d'un air moqueur, la véritable expression de vos sentiments. Tenez, papa Séchard, vous êtes jaloux de votre fils. Écoutez la vérité: vous avez mis David dans la position où il est, en lui vendant votre imprimerie trois fois ce qu'elle valait, et en le ruinant pour vous faire payer ce prix usuraire. Oui, ne branlez pas la tête: le journal vendu aux Cointet et dont le prix a été empoché par vous en entier, était toute la valeur de votre imprimerie… Vous haïssez votre fils parce que vous l'avez dépouillé, parce que vous en avez fait un homme au-dessus de vous. Vous vous donnez le genre d'aimer prodigieusement votre petit-fils pour masquer la banqueroute de sentiments que vous faites à votre fils et à votre bru qui vous coûteraient de l'argent hic et nunc, tandis que votre petit-fils n'a besoin de votre affection que in extremis. Vous aimez ce petit gars-là pour avoir l'air d'aimer quelqu'un de votre famille, et ne pas être taxé d'insensibilité. Voilà le fond de votre sac, père Séchard…