Za darmo

Ma conversion; ou le libertin de qualité

Tekst
0
Recenzje
Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

– Je suppose, me dit Mylord B, qui est à côté de moi, Mme Rosette prêter son tripe à moi pour deux guinées? – Milord, vous parlez d'or; mais, sacrebleu! prenez-y garde; je crains qu'il ne soit farci.

Ah! million de devil, laisse-moi donc rire… Un provincial qui assure Colombe de son très profond respect; elle tient son sérieux à ravir… Mais la bougresse fait les yeux mourants… Foutre! je crois bien: d'Orbigny la branle pendant ce temps-là.

– Ecoute, Hortense, dit le comte, qui va à Rome (il est un peu saoul pour son voyage), tu m'as donné la chaude-pisse; c'est en règle… Non, je ne m'en plains pas, c'est le bonbon du métier; mais, foutre! tu l'as donnée à mes laquais; ces bougres-là me font des représentations, et cela me ruine… Elle joue la désolée, lui donne un démenti; il était près d'elle; ma foi! il lui arrache un chauffoir qui portait les livrées du printemps… Pouah! nous nous sauvons, et ils se raccommodent.

Mimi donna des bals; on joua; les chevaliers d'industrie abondèrent; on ruina des jeunes gens et de vieux enfants. Mimi ne fut pas heureuse; enfin, en deux mois, nous mangeâmes bijoux, vaisselle, diamants, argent, meubles, jusqu'aux chevaux, quoiqu'ils fussent bien maigres.

Sur ces entrefaites, un maître boucher demanda à l'entretenir; ce gaillard-là était fait aux bêtes à cornes; je ne voulus pas nuire à ma charmante; je me retirai pour m'attacher à la Violette.

Tu connais cette jolie petite; elle est faite comme un ange, pétrie de la main des Grâces, le plus beau teint, la peau la plus fine, la gorge ravissante. à toutes ces perfections, elle joint le talent de tromper un entreteneur mieux que personne qui vive, un gentil jargon, un air enfantin… Fiez-vous-y!

Cette bougresse-là s'était laissée encaser l'été dernier; je lui fis comprendre que son Léandre, n'ayant pour toute fortune que du gazon (encore était-il monté en herbe), le produit ne valait pas le diable. Ils se quittèrent mal, comme c'est l'usage; un financier la prit, la meubla. Pour le pansement, il n'y entendait rien. Que diable! il fallait bien que quelqu'un s'en chargeât; ce quelqu'un-là fut moi. Le monsieur était asthmatique et goutteux: il avait les doigts à nodus et crocus: c'est l'étiquette; au reste, magnifique seigneur, laid comme un diable, mais parlant d'or. Chaque visite annonçait un présent. Ma foi! dans peu nous devînmes opulents. Ma déesse voulait un carrosse: je ne fus point de cet avis (il aurait fallu mettre à bas le mien), mais nous ne nous refusions aucune des petites commodités du luxe, le tout aux dépens du vilain. J'étais très féal commensal du ménage. De crainte d'accident, je convins avec Violette qu'elle me présenterait comme son frère, selon l'usage. Un jour donc que notre Crésus avait dîné chez elle, j'entre en frac, veste et culotte blanches, bien retapé, et avec un air décontenancé, comme un laquais qui cherche condition.

– Ah! bonjour, mon ami. – J'ai l'honneur d'être, Monsieur, le vôtre. – Que fais-tu? – (je crus que le bougre allait me demander où j'avais porté la livrée.) Monsieur, je suis tapissier, pour vous servir. – Sais-tu bien lire et écrire? – Oh! monsieur, j'ai été trois ans à l'école, et, sans me flatter… – J'ai des bontés pour ta soeur; sois sage, et j'en aurai pour toi… – (il me met deux louis dans la main…) Il est réellement joli, ma reine; il a tes yeux… Ca n'est pas dégourdi! – Oh! pour cela, non, dit-elle; il est d'un neuf à m'impatienter. – As-tu une maîtresse?… (vois comme je branle la jambe en tournant mon chapeau et rougissant…) – Monsieur, vous avez bien de la bonté: j'aimerais bien la fille à notre maître; mais c'est qu'il y a un vieux singe qui lui donne dans les yeux parce qu'il a des écus. – iI est donc bien vieux? – Ah! monsieur, presque autant que vous. – Hou! dit-il, en grondant, ton frère n'est qu'un sot… C'est bon; c'est bon, adieu… Je me retire, et, foutre! au bout de trois jours mon nom était inscrit sur le livre des femmes.

Violette se donnait cependant au diable, son monsieur l'ennuyait horriblement; je cherchais à la dédommager les nuits, car monsieur ne découchait jamais à cause de sa chaste épouse, bonne diablesse d'ailleurs, mais qui le rossait tant soit peu. Deux manières de fouterie divertissaient surtout ma princesse, et comme j'en suis l'inventeur, je veux te les détailler.

Après les deux premiers coups, car il faut que l'on soit bien en train, saisissez votre belle à travers le corps, couchez-la sur vous en diagonale très peu inclinée; vous passerez votre bras gauche dans le vide que sa position produira nécessairement et la main repliée vient branler le téton gauche; elle sera foutue en levrette, cela est clair, mais sa tête, penchée sur la vôtre, vous donnera le moyen de lui tenir langue en bouche, et la main droite s'appuiera sur le clitoris… Imagine-toi tout cela qui part à la fois; le mouvement parallèle des deux charnières, celui des deux poignets, la langue qui trotte, les dents qui mordent… Les femmes les plus froides partent, c'est un fait; juge d'une jeune salamandre! Je puis dire sans vanité que peu de putains sont manégées comme Violette, et qu'elle a fait honneur à mon invention.

Et je ne passerais pas à la postérité!… Ingrats mortels! vous accordez à des bavards qui vous ennuient des prix, des lauriers immortels… Et moi, rien? Un plat faiseur de panégyriques, un fastidieux dissertateur se place dans un fauteuil… Ah! pardieu! si ce n'est que cela, je le laisse entre ses bras pour me jeter dans ceux de Violette… Mais, à la honte de la France, il n'y a point de prix pour ceux qui foutent le mieux. Partisans de la population, bande-à-l'aise économistes, est-ce un foutu calcul de morts et de naissances qui donnera des enfants à l'Etat? Tous vos abbés, ennuyeux raisonneurs, et qui manquent de couilles, ont des pensions, tandis que j'use mon vit sans fruits et sans honneur. J'ai vu la guerre au pain dans ma triste patrie; j'ai vu (chose incroyable! ) six mille soldats réduire cinquante paysans armés de sacs à farine. Qui avait ameuté tous ces gens-là? Qui avait fait descendre des montagnes du nord ces nouveaux sicambres?… Vos livres, vos foutus livres! Eh! mordieu! si, au lieu d'un maître d'école, on eût mis dans chaque village un juré en fouterie, les paysans, grimpés sur leurs bêtes, n'auraient point pensé à venir manger les petits pains de la capitale… Autrefois Apollon touchait sa lyre avec un vit. Hélas! il ne bande plus, sa main l'a remplacé!… Eh! que me foutent à moi cent volumes de fadaises académiques, magnifiquement reliés en veau, comme leurs auteurs, enterrés dans une poussière froide et soporifique? Mon livre est un con, je le feuillette de mille manières, et le résultat de mes problèmes est aussi gai que glorieux… Je propose donc une académie, moi qui ne respire que la gloire de ma patrie. Chaque récipiendaire doit être inventeur d'une posture au moins; je fonde dix places ecclésiastiques en faveur d'un beau cardinal et des prélats amateurs; le bas clergé et les moines seront reçus comme associés libertins; chaque année, il y aura un prix accordé à la plus belle manière de foutre et une médaille d'or pour celui qui l'aura le mieux employée; les juges seront une duchesse, une intendante, une fille d'opéra, toutes trois putains, comme il est ordinaire et convenable. Les modèles ne manqueront pas… Alors on verra fleurir le priapisme, qui vaut bien le déisme. Le secrétaire ne s'avisera pas d'être impuissant, et l'on fera des contes physiques au lieu de contes moraux… Mais, foutre! revenons à nos moutons; il y a de l'analogie, c'est toujours un animal à toison.

Violette a les plus beaux cheveux de la terre, et la manie de se les faire foutre. – Foutre en cheveux? – Oui, mon doux bougre, cela vous étonne?… Même en aisselles, en yeux… en oreilles… Pour en tétons, elle a beau faire, sa gorge est trop dure et trop séparée; c'est bon pour Aimé. Mais la perle, la voici. La petite messaline s'étendait tout de son long, les jambes bien ouvertes, et moi, mettant les pieds où je devais avoir la tête, je la foutais en bouche, puis, la tête entre ses cuisses, je la gamahuchais d'importance; pardieu! tu rirais si tu pouvais être témoin de cette scène; ce mouvement double de tête et de culs est impayable.

Cependant, M. Duret fournissait aux appointements, et je mangeais d'autant. Nos sociétés de débauche, dont il n'était pas, m'amusaient assez. Un beau matin, je vais demander à déjeuner à une jolie coquine de notre intimité. Les valets sont toujours au diable, et je pénètre jusqu'à la chambre à coucher sans obstacle. Un bruit très significatif m'apprend qu'on est en affaire. Je me retirais, quand j'entends… Assez!… Assez!… Ah! Revérend!… Assez! Ah!… foutre!… Bougre de moine!… Ah! tu me feras mourir. – Par le cordon de Saint François, répond le cafard, je veux achever ma douzaine… Foutre! Il est des nôtres. Je saisis une écuelle pleine de rôtie sucrée. Je me campe en sentinelle, en attendant qu'il ait chanté sa litanie; alors, ouvrant le rideau: – Père en Dieu, lui dis-je bien humblement, ne voudrez-vous pas ce julep? Vous me paraissez échauffé du sermon… quel vit, mon ami, quel vit! Ah! Pardieu! celui du turc n'y ferait rien… Qui fut sot, sinon père Ambroise, provincial de son ordre? Il était chargé d'une mission, et jamais pareil goupillon n'a exorcisé Monsieur Satan… – Ecoute, mon révérend, lui dis-je, je suis bon diable, soyons amis, rassure-toi et buvons un coup. Père Ambroise tope à la proposition, se remet de son trouble; Alexandrine sonne, et le déjeuner nous apparaît. – Foutre! dit le moine en rut, voilà, mon cher, voilà cependant l'effet de nos garces de robes. Sous ce froc que j'abhorre, nous cachons des vits de fer et des coeurs de poule, par la crainte des supplices affreux qui nous attendent. – Comment! des supplices pour avoir foutu une jolie femme? – Eh! foutre! non, c'est pour la bêtise de se laisser prendre sur le fait. Nous sommes à peu près les plus honnêtes d'entre les capuchonnaires; toujours pères à grandes manches furent honorés par les femmes, peut-être moins par les maris, quoique, sacredieu! nous rendions de grands services dans un ménage. Tant que la peccadille est secrète, nous n'avons rien à redouter; le cas mis au jour, on nous séquestre. – Comment, vous expédiez votre monde? – Ma foi! autant vaut: nous les campons in pace. Moi-même, sacredieu! qui suis bon diable, j'ai enseveli dans un cachot un jeune père qui s'était fait pincer chez la Dumas. Nous ne vivons que d'aumônes. L'hypocrisie nous est donc salutaire et nécessaire. Mille plats bougres, autant de vieilles putains qui veulent aimer Dieu, parce que le monde ne les souffre plus, entretiennent notre fainéantise. Mille fraudes, mille tours de passe-passe nous aident à leur escroquer de l'or, qui, décorant les autels de la superstition, alimente les suppôts des vices; car, foutre! je suis de bon compte: à commencer par moi, nous ne valons rien. – Cependant, père, vous êtes avancé pour votre âge. – Cela est vrai; mais, écoutez pourquoi: j'entrai à dix-neuf ans dans le cloître, des fanatiques m'avaient monté la tête; je voyais le diable en propre personne qui me talonnait, j'avais peur de ses cornes… (j'en ai tant planté depuis que je me suis familiarisé avec les ornements de ce pays-là…) Au nom de la sainte obéissance, on m'encula; j'étais grand et bien fait, je devins le bardache à la mode de la communauté; mon vit ne tarda point à se porter à ce degré d'éminence où vous le voyez. Les contrôleurs ambulants de la sacrée hiérarchie faisaient la recrue pour le collège de Rome; notre père général se mourait de consomption, on l'avait mis au con pour se refaire… Foutue viande (n'en déplaise à madame) pour un italien! Mais il avait épuisé l'Italie; j'étais beau a parte ante et a parte poste (cela veut dire de cul et de tête). Notre gardien me présenta (le pauvre bougre est mort de chagrin de ce sacrifice). Le visiteur me prit la mesure, et je fut agréé. Amené à sa révérence éminente, elle me tourna le cul; c'est la marque d'honneur, et j'entrai en exercice. Sacredieu! c'était un fier puant; il était large comme un muid, mais j'étais de taille; je devins son mignon. Il fut grand inquisiteur, de Tolède; je le suivis. Ah! foutre, la bonne vie! C'est là qu'il me fut permis de connaître les cons. Le bon pays que l'Espagne! Il y a bien des fleurs à cueillir; souvent elles sont blanches, mais un moine ne doit pas être si délicat. Je ne vous détaillerai pas tout ce dont je fus témoin; combien de jolies filles nous avons enfermées comme juives et foutues comme chrétiennes! Nos culottes leur servaient de san benito, et l'absolution se donnait à coups de vit. Ce qui me fâche, c'est qu'on en ait fait brûler une douzaine qui s'avisèrent de faire les étroites ou qui voulurent jaser… Oh! la discrétion est une belle chose!… Père Nicole mourut de la mort des saints: de la vérole; je rendis quelques services au cardinal Porto-Correro; on me fit vicaire et de là provincial. La vie de bougre m'ennuyait. Paris fourmille en cristallines; d'ailleurs, monté en grade, je n'avais plus rien à craindre; j'ai donc suivi mon goût: j'ai foutu, je fous, je foutrai; voilà mon histoire et ma conclusion.

 

Nous l'arrosâmes. – Mais, père, les dévotes vous paient? – Foutre! sans doute: j'en ai, moi qui vous parle, pour cent pistoles par mois, sans compter le casuel; je dirige cons et consciences. – Comment, la confession?… – Foutaise! c'est là qu'on instruit une belle fille, que l'on tranquillise une scrupuleuse madame, et qu'en sortant de l'église on lui donne pour pénitence l'avant-goût du bordel. – (le sacré bougre de cafard me faisait frémir, malgré ma scélératesse.) Mais, père, on ne croit donc à rien chez vous? (je le savais bien, et je ne crois pas plus qu'eux, apparemment; mais je voulais approfondir la monstruosité de ces gens-là.) – Eh! mon ami, vous êtes bougrement bête pour un homme du monde. Qui diable peut croire aux singeries qu'il invente? Je me fous de Scot comme de Saint Augustin. Bien intriguer, bien boire, bien foutre… et vogue la galère! La dévotion nous rapporte, nous en dégoisons; nous amusons les vieilles, nous branlons les jeunes. – Pardieu, père, c'est bien pensé, voilà des maximes très évangéliques; mais vous oubliez un grand point: l'instruction et l'intendance des familles. – Foutre! C'est là où nous brillons; la nation bigote, gent imbécile, quoique traîtresse, nous est dévouée, je vous l'ai déjà dit; nos armes, dans le commencement, sont la persuasion, la douceur, les inspirations du très-haut; nous nous insinuons en serpents, nous élevons sur la base de l'humilité le triomphe de l'orgueil. D'abord complaisants, bientôt despotes, nos avis deviennent des décisions, des oracles auxquels il n'est pas permis de résister; et n'avons-nous pas fabriqué les foudres du père éternel pour punir les réfractaires? Voilà comment, en captivant les consciences, en faisant peur de Belzébut (moins méchant que nous cependant), nous sommes les maîtres des secrets, des biens d'une famille. Il y a dans une maison une jolie fille, je veux la foutre, elle ne le veut pas; son arrêt est prononcé, un couvent la fera gémir de son trop de vertu… On veut marier sa soeur, son amant lui plaît, mais il me déplaît à moi, parce qu'il me méprise, ou seulement quelquefois parce que je veux faire le mal pour le mal: cela divertit le coeur d'un moine; je répands des bruits sourds: il ne croit ni à l'échine de Saint Pantaléon, ni à la culotte de Saint Bonaventure; c'est un impie; il est exclu; il se met à la raison, il paie, il devient orthodoxe autant que Saint Dominique. Le fils unique est un jeune homme de la plus belle espérance; il a de l'esprit, de l'élévation, des talents; son père, dur comme tous les dévots (quoiqu'ils ne soient pas les seuls), le laisse manquer d'argent, le met hors d'état de se soutenir; il cherche des moyens, que sais-je? La fougue de l'âge le pousse à quelques sottises. Je conseille le sceptre de fer, il le sait, il me déteste: bon! Cela vient à mes vues. Tout en feignant de l'excuser, je le rends plus coupable; je le fais déshériter, enfermer, périr, tout cela pour la plus grande gloire de Dieu, et le barbare idiot, que je bride par le nez, croit avoir gagné le ciel, qu'il fait frémir ainsi que la nature… Une femme aimable et jolie est l'épouse d'un vieux coquin; l'espoir d'assouvir une vengeance déjà criminelle, une haine odieuse par son motif et ses effets, sa lubricité impuissante, ou tel autre objet aussi louable, l'ont poussé à son infirme et débile décrépitude. Les jours de cette beauté s'écoulent dans les pleurs, ses nuits dans les privations et les sanglots; trop heureuse encore si elle n'est obligée de recevoir des caresses dégoûtantes, qui, en outrageant ses appas, révoltent son coeur; de souffrir un supplice réel en corps comme en esprit, puisque jamais elle n'embrasse qu'une ombre… Ah! la jolie position pour moi, cafard effronté, libertin audacieux… mon projet est formé; elle se rendra à mes désirs; je l'immolerai à ma passion, ou elle est perdue, infâme, déshonorée. Goûts innocents, plaisirs permis, bienséances nécessaires, pensées, paroles, actions même indifférentes, gestes, regards, joie ou tristesse, tout sera empoisonné; si elle n'est pas ma complice, elle sera ma victime; elle vivra souillée à ses propres yeux ou périra dans les chagrins et couverte d'opprobres publics… Mais, foutre! buvons un coup. Ami, in vino veritas… Sacredieu! n'allez pas révéler le secret de l'église, vous vous en repentiriez… – Qui, moi, mon père? et comment, s'il vous plaît. Je ne dépends pas de vous autres. – Vous n'en dépendez pas? Foutre! nous allons voir… Je suppose un instant que vous ayez été assez sot ou assez malavisé pour nous insulter: vous êtes foutu, mon ami. – Halte-là! scélérat de moine, s'écrie Alexandrine; tu fous comme un ange, mais ton coeur est atroce; tu me fais horreur; je me sauve, je ne veux pas t'entendre davantage. – Morveuse, dit père Ambroise, cela ne sait pas son pain manger; va-t'en, va-t'en, je ne bande plus… (nous continuons.) crois-tu que nous t'attaquerons à force ouverte? Pauvre sot, tu te sauverais, tu nous démasquerais. Non, nous commençons par nous informer de tous les gens estimables que tu connais; nous choisissons les plus faibles, dont la molle vertu, soumise aux préjugés, se fait des monstres exprès pour les combattre. On fait ton éloge. C'est bien dommage que tant de qualités soient gâtées par tel et tel défaut (il sera toujours dirigé suivant la manie de l'auditeur bénévole); on sème ainsi peu à peu la froideur, on te suit pied à pied, on ne laisse échapper aucune occasion. – Mais je ne donnerai aucune prise sur moi. – Tu ne sais que ça! On te calomniera… Tu veux obtenir une place, former un établissement. Lettres anonymes, inventées par le diable, qui en fit présent au premier cénobite, voleront de tous côtés. Nos partisans les répandront, les proclameront en secret, en les commettant; les envieux les adopteront avidement et les mettront en crédit; tes ennemis (tout homme en a, et ceux de mérite plus que les autres) enchériront. – Mais je me défendrai peut-être. – Sans doute, je crois même que tu persuaderas cent personnes qui te connaîtront particulièrement, mais la voix publique sera toujours contre toi, et à peine trente ans de vie te suffiront-ils pour effacer l'impression qui t'aura perdu… Va, va, nous suivons à la lettre la maxime que l'ami Machiavel nous a léguée: Calomniez toujours, il reste au moins la cicatrice; et la méthode est infaillible. – Ma foi, père, je suis ravi, extasié; je ne vous croyais pas si habiles. – Bon, bon, reprend le papelard, ce ne sont là que nos éléments… Et si je te dévoilais les ressorts de cette politique qui nous a fait pendant si longtemps commander à la terre en rois des rois, et faire disparaître à notre gré les souverains du trône ou du séjour des vivants… – Ah! père, de grâce, apprenez-moi de si belles choses! Pardieu! Qui sait? peut-être me ferais-je cordelier. – Tu pourrais, foutre! plus mal t'adresser. Mais, écoute…

Tu n'ignores pas qu'il fut un temps où la crasse ignorance enveloppa le monde; le fanatisme et la superstition régnèrent en souverains sur ces siècles heureux… Age à jamais mémorable et fortuné où le froc commandait au diadème, où les Bernard, les François, les Dominique, puissants en voix, en poumons et en scélératesse, savaient émouvoir, exalter la bile de l'imbécile chrétienté! Prophètes audacieux et menteurs, ils entassèrent des millions de croisés dans les sables de l'Egypte et de la Palestine, et l'Europe, à leur premier signe ébranlée contre l'Asie, courut y chercher de vastes tombeaux, tandis que les crédules habitants, devenus nos vassaux, laissaient dans nos mains assez de dépouilles pour élever la vraie Jérusalem, la Jérusalem immortelle et puissante, où devaient pulluler tous les vices de l'oisiveté, tous les crimes de l'ambition et de la cupidité!

Alors tout moine était saint, tout homme un peu éclairé, au-dessus de son siècle, excommunié. La liberté n'est plus; nous poursuivons son ombre jusqu'au fond de l'âme, jusqu'au fond de la pensée…

Heureux temps! Ils changèrent hélas!…

La philosophie parut; non pas cette tracassière verbeuse qui se traîne encore en rampant dans la poussière de l'école, mais cette lumière vive et fatale qui a dissipé les vapeurs du fanatisme et brisé les hochets de la superstition; tels que les oiseaux de nuit, nous fûmes blessés de l'éclat du jour. Il nous terrassa, nous courûmes nous cacher dans ces asiles que le vulgaire respectait encore; le rayon vengeur nous y suivit; on démêla nos trames; on dévoila nos ressorts; on approfondit notre politique; on démasqua nos moeurs et nos vices. L'univers conjuré se réunit pour nous abattre; nous étions perdus… Son mépris nous sauva, notre métropole nous soutint.

Il est une puissance dont l'orgueil excessif et les prétentions sans bornes en imposent, quoique son autorité soit précaire et factice. Artificieuse autant qu'opiniâtre et politique, sa force est dans sa faiblesse. L'ignorance lui a donné l'être; l'astuce et la fourberie l'ont accrue; les dissensions des princes et les intérêts anarchiques dont elle a su profiter l'ont rendue formidable; la persévérance et la hauteur l'ont maintenue; ses excès l'ont affaiblie; l'art et la souplesse la soutiennent: son chef, longtemps modérateur impérieux d'une aristocratie puissante, ne doit son crédit qu'à nous, milice enthousiaste, ardente, immortelle et toujours renaissante; perdus pour la chose publique, isolés, d'esprit et de coeur, du reste des humains, notre unique intérêt est notre agrandissement, qui fait la gloire de ce vicaire fanatique. C'est sur nous qu'il fonde son empire. Aussi sommes-nous ses enfants autant chéris que dévoués.

Fraudes pieuses, spectacles indécents, farces coupables étaient autrefois révérés; mais leur règne a passé. Eh bien! Notre marche en est devenue plus secrète et plus sûre. Nous avions à nous venger; du fond de nos asiles, nous soufflâmes la discorde, nous fomentâmes ces guerres civiles qui ont inondé de sang l'Europe déchirée; nos libelles, nos sermons séditieux, les séductions du confessionnal nous suffirent pour aiguiser les poignards, et grâce à nos efforts, il fut universellement reconnu qu'il est permis, qu'il est saint de tuer un hérétique, c'est-à-dire notre ennemi: ainsi le père massacra son fils; ainsi le fils arracha à son père la vie qu'il en avait reçue; les forfaits ont produit des martyrs; nous dévastâmes de fertiles contrées, nous versâmes sans danger des flots de sang. Nul mortel dévoué à notre vengeance ne put se dérober à nos coups. Ici, les fils de Saint Dominique font périr le dernier des Valois; là, ceux d'Ignace immolent Henri, que des philosophes osent encore pleurer; les bûchers, le fer, les poisons, nous servent tour à tour; les victimes s'amoncellent, les bourreaux et les assassins sont fatigués; les prisons regorgent d'innocents, et nous de sang, d'or et de volupté… Mais nous ne sommes pas rassasiés. L'esprit de commerce, qui s'est venu joindre à celui de domination, nous prodigue en vain les trésors du nouveau monde, dévasté par notre art et aussi bien que celui-ci; notre avidité s'en irrite, et nos moeurs n'en sont pas adoucies; le calme règne en apparence, mais il n'est que simulé; nous sentons que nos richesses survivent à notre crédit; les ambitieux promoteurs du despotisme, qui, cependant, haïssaient les rois, sont anéantis; il nous faut bien rester dans le silence, mais non pas dans l'inaction. Nos complots se lient, nos trames s'ourdissent, nos ennemis nous attaquent avec les armes du ridicule, ils s'abusent sur leur prétendue supériorité: nous nous réservons bien d'autres ressources, nous minons sans bruit; tu es jeune, tu verras le fruit de nos travaux. Une révolution, éloignée peut-être, mais certaine, menace de nouveau le monde; nous foulerons aux pieds ces hommes superbes qui osent nous dédaigner, nous commanderons encore… Puissions-nous replonger les humains dans la barbarie, anéantir les sciences, arracher jusqu'au germe funeste de cette philosophie perfide qui nous abreuve d'humiliations, élever enfin sur tant de ruines le nouvel édifice de notre grandeur! Alors un sceptre de fer régira l'univers, soumis à nos caprices, dévoué à nos plaisirs. Nous disposerons, en sultans, des mères, des femmes, des filles de nos esclaves, et nous amènerons ces âmes avilies au point de regarder comme un bien leur déshonneur… Va, ces jours de gloire et de félicité s'avancent plus rapidement que ne le croient nos imprudents ennemis. Ils n'osent pas tenter le seul moyen de les reculer, celui de casser notre sainte milice et la hiérarchie puissante sous les drapeaux de laquelle nous servons, de nous arracher surtout ces richesses immenses qui nous rendent tout possible. Non, nous ne craignons rien de ce siècle vénal; nous payons des protecteurs qui deviendront nos esclaves: ils nous rendront au centuple ce qu'ils nous auront coûté. – Par la sambleu! père, voilà qui est sublime! Quelle immensité de vues! Quelle étendue de scélératesse! Quels mystères d'iniquités… (je m'arrête, car père Ambroise s'apercevait qu'il avait trop parlé et fronçait le sourcil; pour le dérider, j'attrape Alexandrine, qui dansait au milieu de la chambre…) Père, voulez-vous connaître le vrai type de la destinée des empires, l'instrument des révolutions, la boussole de l'univers?… Le voilà, dis-je, en mettant en évidence le con rebondi de la belle; c'est là que viennent aboutir les intrigues du sacerdoce, la morgue du sultan, le faste du mogol, les caprices du despote, les fureurs du tyran, les délires ambitieux du conquérant, les richesses des deux hémisphères!…

 

Foutre! je me sauve au milieu de la période, car père Ambroise m'enlève Alexandrine, et la jette sur son lit pour aboutir aussi.

Je rentre chez Violette; le chagrin m'y attendait: une régie avait chassé M Duret des fermes générales. Nous, nous n'avions rien à ménager, nous devions (nous, c'est-à-dire elle). Je lui conseillai de vendre ses meubles pour payer, et je me retirai pour ne pas gêner le déménagement.

J'ai toujours aimé la musique; je fis le même soir connaissance avec la Guimard. Cette bougresse-là est laide et joue comme une cuisinière; mais sa voix est belle, et quand elle ne chante pas faux, elle fait plaisir; d'ailleurs elle fout comme une enragée. Ma réputation abrégea le cérémonial: je convins de six coups par jour; elle cassa aux gages son porteur d'eau qu'elle avait éreinté, laissa reposer ses laquais et son coiffeur, et nous nous accordâmes à faire bourse commune (bien entendu que je n'y mettrais rien). Elle donnait des concerts, recevait des compagnes qui la grugeaient en la détestant, des musiciens d'assez mauvaise compagnie, et des gens de qualité amateurs qui n'ont pas même le mérite d'être bons.

J'étais à causer un après-souper avec un virtuose célèbre et charmant compositeur Cambini; nous parlions de la révolution de la musique en France; je l'écoutais avec avidité et je m'instruisais; tout à coup, un de ces messieurs nous aborde.

– Quoi! vous parlez composition! Pardieu! sans me flatter, je suis d'une bonne force. – Je n'en doute point, lui dis-je en jetant un coup d'oeil sur l'artiste, et je serais fort aise que vous nous donniez, à monsieur et à moi, quelques leçons. – Volontiers, volontiers; moi, je ne refuse jamais mes soins. – Par exemple, monsieur veut composer un opéra, et il me demande le poème. – Sa musique est faite, apparemment? – Non pas. – Comment? Tant pis, jamais la musique ne va bien, quand on la compose pour des paroles; cela gêne un musicien et l'empêche de peindre; son imagination est refroidie. – Mais, monsieur, il me semble… – Il vous semble mal. Un orchestre, morbleu! un orchestre, voilà tout ce qu'il faut; suivez le moline, cela s'appelle faire un opéra; les paroles ne sont jamais d'accord avec la musique; mais aussi cela n'arrête point les effets… moi, je tiens pour les effets; ai-je raison, Cambini? – Monsieur le marquis, cependant, quand on veut exprimer un sentiment, l'amour, par exemple… – Oui, il faut du chromatique, beaucoup de fausses quintes; on relève cela par l'accord parfait; de là on passe dans le ton relatif par la tierce mineure; appuyez-moi une septième diminuée; si le mode est mineur, grimpez au majeur; semez-moi des bémols, accords de tierce, dominante, sexte et les doubles octaves… Pardieu! l'on module dans un tour de main… As-tu de la fureur dans ton opéra? – Beaucoup, monsieur le marquis. – Ah! pardieu! tu vas voir: mesure à quatre temps, battue bien ferme; pour le récitatif, ad libitum, avec accompagnement obligé; ensuite, un choeur en fugue, à deux sujets bien sortants l'un et l'autre, parce que cela marque la dispute, le conflit de juridiction; surtout que cela crie comme le diable (il faut que l'on entende un choeur peut-être), ensuite un grand silence; c'est imposant, ça, hein?… Un trois-temps bien tendre, pour faire le contraste, tu m'entends bien? Il n'y aurait pas de mal d'y mettre des timbales; ensuite le héros se fâche en allégro, avec quatre bémols à la clef; il faut qu'il fasse une tenue de dix mesures pour lui rassurer la poitrine; pendant ce temps-là, l'orchestre va le diable; puis ton héros fait des roulades pour se reposer; il veut qu'on l'entende… Eh! non, morbleu! que l'orchestre l'écrase! Et si ce diable de Legros perce encore, on y mettra du tonnerre… Ah! ce que je te recommande, c'est une basse bien ronflante, que tout cela marche… – Et mes airs de danse, monsieur le marquis? – Oh! pour cela il nous faut du noble: un beau grand morceau de flûte, avec des variations, pour la commodité de Salentin, et puis un point d'orgue avec des roulades; il serait long pour faire un peu gigoter Gardel… tu ne sais pas comment sortir de là? – Ma foi, non. – Un tambourin, mordieu! un tambourin; il n'y a que ça, pour qu'on s'en aille gaiement… Ah! çà! bonsoir… – Ah! cervelle du diable, maudit empoisonneur, coglione, coglione… – Là, là, tout doux, Cambini, lui dis-je… Eh bien! mon ami, voilà qui vous juge, et sans appel encore… Nous rejoignîmes la compagnie, à qui le marquis avait déjà fait confidence de ses bontés pour nous, en briguant des voix pour la première représentation, en cas que l'on suivît ses avis.