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Mémoires de Hector Berlioz

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Le succès du Requiem fut complet, en dépit de toutes les conspirations, lâches ou atroces, officieuses et officielles, qui avaient voulu s'y opposer.

Je parlais tout à l'heure des conditions auxquelles M. le ministre de la guerre avait consenti à le faire exécuter. Les voici: «Je donnerai, m'avait dit l'honorable général Bernard, dix mille francs pour l'exécution de votre ouvrage, mais cette somme ne vous sera remise que sur la présentation d'une lettre de mon collègue le ministre de l'intérieur, par laquelle il s'engagera à vous payer d'abord ce qui vous est dû pour la composition du Requiem d'après l'arrêté de M. de Gasparin, et ensuite ce qui est dû aux choristes pour les répétitions qu'ils firent au mois de juillet dernier, et au copiste.»

Le ministre de l'intérieur s'était engagé verbalement envers le général Bernard à acquitter cette triple dette. Sa lettre était déjà rédigée, il n'y manquait que sa signature. Pour l'obtenir, je restai dans son antichambre, avec l'un de ses secrétaires armé de la lettre et d'une plume, depuis dix heures du matin jusqu'à quatre heures du soir. À quatre heures seulement, le ministre sortit et le secrétaire l'accrochant au passage, lui fit apposer sur la lettre sa tant précieuse signature. Sans perdre une minute, je courus chez le général Bernard qui, après avoir lu avec attention l'écrit de son collègue, me fit remettre les dix mille francs.

J'appliquai cette somme tout entière à payer mes exécutants; je donnai trois cents francs à Duprez, qui avait chanté le solo du Sanctus, et trois cents autres francs à Habeneck, l'incomparable priseur, qui avait usé si à propos de sa tabatière. Il ne me resta absolument rien. J'imaginais que j'allais être enfin payé par le ministre de l'intérieur, qui se trouvait doublement obligé d'acquitter cette dette par l'arrêté de son prédécesseur, et par l'engagement qu'il venait de contracter personnellement envers le ministre de la guerre. Sancta simplicitas! comme dit Méphistophélès; un mois, deux mois, trois mois, quatre mois, huit mois se passèrent sans qu'il me fût possible d'obtenir un sou. À force de sollicitations, de recommandations des amis du ministre, de courses, de réclamations écrites et verbales, les répétitions des choristes et les frais de copie furent enfin payés. J'étais ainsi débarrassé de l'intolérable persécution que me faisaient subir depuis si longtemps tant de gens fatigués d'attendre leur dû, et peut-être préoccupés à mon égard de soupçons dont l'idée seule me fait encore monter au front la rougeur de l'indignation.

Mais moi, l'auteur du Requiem, supposer que j'attachasse du prix au vil métal! fi donc! c'eût été me calomnier! Conséquemment on se gardait bien de me payer. Je pris la liberté grande, néanmoins, de réclamer dans son entier l'accomplissement des promesses ministérielles. J'avais un impérieux besoin d'argent. Je dus me résigner de nouveau à faire le siége du cabinet du directeur des Beaux-Arts; plusieurs semaines se passèrent encore en sollicitations inutiles. Ma colère augmentait, j'en maigrissais, j'en perdais le sommeil. Enfin, un matin j'arrive au ministère, bleu, pâle de fureur, résolu à faire un esclandre, résolu à tout. En entrant chez M. XX: «Ah ça, lui dis-je, il paraît que décidément on ne veut pas me payer! – Mon cher Berlioz, répond le directeur, vous savez que ce n'est pas ma faute. J'ai pris tous les renseignements, j'ai fait de sévères investigations. Les fonds qui vous étaient destinés ont disparu, on leur a donné une autre destination. Je ne sais dans quel bureau cela s'est fait. Ah! si de pareilles choses se passaient dans le mien!.. – Comment! les fonds destinés aux beaux-arts peuvent donc être employés hors de votre département sans que vous le sachiez?.. votre budget est donc à la disposition du premier venu?.. mais peu m'importe! je n'ai point à m'occuper de pareilles questions. Un Requiem m'a été commandé par le ministre de l'intérieur au prix convenu de trois mille francs, il me faut mes trois mille francs. – Mon Dieu, prenez encore un peu de patience. On avisera. D'ailleurs il est question de vous pour la croix. – Je me f… de votre croix! donnez-moi mon argent. – Mais… – Il n'y a pas de mais, criai-je, en renversant un fauteuil, je vous accorde jusqu'à demain à midi, et si à midi précis je n'ai pas reçu la somme, je vous fais à vous et au ministre un scandale comme jamais on n'en a vu! Et vous savez que j'ai les moyens de le faire, ce scandale.» Là-dessus M. XX bouleversé, oubliant son chapeau, se précipite par l'escalier qui conduisait chez le ministre, et je le poursuis en criant: «Dites-lui bien que je serais honteux de traiter mon bottier comme il me traite, et que sa conduite à mon égard acquerra bientôt une rare célébrité72

Cette fois, j'avais découvert le défaut de la cuirasse du ministre. M. XX, dix minutes après, revint avec un bon de trois mille francs sur la caisse des beaux-arts. On avait trouvé de l'argent… Voilà comment les artistes doivent quelquefois se faire rendre justice à Paris. Il y a encore d'autres moyens plus violents que je les engage à ne pas négliger…

Plus tard l'excellent M. de Gasparin, ayant ressaisi le portefeuille de l'intérieur, sembla vouloir me dédommager des insupportables dénis de justice que j'avais endurés à propos du Requiem, en me faisant donner cette fameuse croix de la Légion d'honneur que l'on m'avait en quelque sorte voulu vendre trois mille francs, et dont, alors qu'on me l'offrait ainsi, je n'aurais pas donné trente sous. Cette distinction banale me fut accordée en même temps qu'au grand Duponchel, alors directeur de l'Opéra, et à Bordogui le plus maître de chant des maîtres de chant de l'époque.

Quand ensuite le Requiem fut gravé, je le dédiai à M. de Gasparin, d'autant plus naturellement qu'il n'était plus au pouvoir.

Ce qui rend piquante au plus haut degré la conduite du ministre de l'intérieur à mon égard dans cette affaire, c'est qu'après l'exécution du Requiem, quand, ayant payé les musiciens, les choristes, les charpentiers qui avaient construit l'estrade de l'orchestre, Habeneck et Duprez et tout le monde, j'en étais encore au début de mes sollicitations pour obtenir mes trois mille francs, certains journaux de l'opposition me désignant comme un des favoris du pouvoir, comme un des vers à soie vivant sur les feuilles du budget, imprimaient sérieusement qu'on venait de me donner pour le Requiem trente mille francs.

Ils ajoutaient seulement un zéro à la somme que je n'avais pas reçue. C'est ainsi qu'on écrit l'histoire.

XLVII

Exécution du Lacrymosa de mon Requiem à Lille. – Petite couleuvre pour Cherubini. – Joli tour qu'il me joue. – Venimeux aspic que je lui fais avaler. – Je suis attaché à la rédaction du Journal des Débats. – Tourments que me cause l'exercice de mes fonctions de critique

Quelques années après la cérémonie dont je viens de raconter les péripéties, la ville de Lille ayant organisé son premier festival, Habeneck fut engagé pour en diriger la partie musicale. Par un de ces caprices bienveillants qui étaient assez fréquents chez lui, malgré tout, et peut-être pour me faire oublier, s'il était possible, sa fameuse prise de tabac, il eut l'idée de proposer au comité du festival, entre autres fragments pour le concert, le Lacrymosa de mon Requiem. On avait placé également dans ce programme le Credo d'une messe solennelle de Cherubini. Habeneck fit répéter mon morceau avec un soin extraordinaire et l'exécution, à ce qu'il paraît, ne laissa rien à désirer. L'effet aussi en fut, dit-on, très-grand, et le Lacrymosa, malgré ses énormes dimensions, fut redemandé à grands cris par le public. Il y eut des auditeurs impressionnés jusqu'aux larmes. Le comité lillois ne m'ayant pas fait l'honneur de m'inviter, j'étais resté à Paris. Mais après le concert, Habeneck, plein de joie d'avoir obtenu un si beau résultat avec une œuvre si difficile, m'écrivit une courte lettre ainsi conçue ou à peu près:

«Mon cher Berlioz,

»Je ne puis résister au plaisir de vous annoncer que votre Lacrymosa parfaitement exécuté a produit un effet immense.

»Tout à vous,
»Habeneck.»

La lettre fut publiée à Paris par la Gazette musicale. À son retour Habeneck alla voir Cherubini et l'assurer que son Credo avait été très-bien rendu. «Oui! répliqua Cherubini d'un ton sec, mais vous né m'avez pas écrit à moi73

Petite couleuvre innocente, qui lui venait encore à propos de ce diable de Requiem et dont il me fit très-plaisamment avaler la sœur jumelle dans la circonstance suivante.

Une place de professeur d'harmonie étant devenue vacante au Conservatoire, un de mes amis m'engagea à me mettre sur les rangs pour l'obtenir. Sans me bercer d'un espoir de succès, j'écrivis néanmoins à ce sujet à notre bon directeur Cherubini; au reçu de ma lettre, il me fit appeler:

 

« – Vous vous présentez pour la classe d'harmonie?.. me dit-il de son air le plus aimable et de la voix la plus douce qu'il put trouver. – Oui, monsieur. – Ah! c'est qué… vous l'aurez cette classe… votre réputation maintenant… vos relations… – Tant mieux, monsieur, je l'ai demandée pour l'avoir. – Oui, mais… mais c'est qué ça mé tracasse… C'est qué zé voudrais la donner à oun autre. – En ce cas, monsieur, je vais retirer ma demande. – Non, non, zé né veux pas, parcé qué, voyez-vous, l'on dirait qué c'est moi qué zé souis la cause que vous vous êtes retiré. – Alors je reste sur les rangs. – Mais qué zé vous dis qué vous l'aurez, la place, si vous persistez et… zé né vous la destinais pas. – Pourtant comment faire? – Vous savez qu'il faut… il faut… il faut être pianiste pour enseigner l'harmonie au Conservatoire, vous le savez mon ser. – Il faut être pianiste? Ah! j'étais loin de m'en douter. Eh bien, voilà une excellente raison. Je vais vous écrire que n'étant pas pianiste je ne puis pas aspirer à professer l'harmonie au Conservatoire, et que je retire ma demande. – Oui, mon ser. Mais, mais, mais, zé né souis pas la cause de votre… – Non, monsieur, loin de là; je dois tout naturellement me retirer, ayant eu la bêtise d'oublier qu'il faut être pianiste pour enseigner l'harmonie. – Oui, mon ser. Allons, embrassez-moi. Vous savez comme zé vous aime. – Oh! oui, monsieur, je le sais.» Et il m'embrasse en effet, avec une tendresse vraiment paternelle. Je m'en vais, je lui adresse mon désistement et, huit jours après, il fait donner la place à un nommé Bienaimé qui ne joue pas plus du piano que moi.

Voilà ce qui s'appelle un tour bien exécuté! Et j'en ai ri le premier de bon cœur.

Le lecteur doit admirer ma réserve pour n'avoir pas répondu à Cherubini: «Vous ne pourriez donc vous même, monsieur, enseigner l'harmonie?» Car le grand maître, lui non plus, n'était pas du tout pianiste.

J'ai le regret d'avoir bientôt après, et très-involontairement, blessé mon illustre ami de la façon la plus cruelle. J'assistais, au parterre de l'Opéra, à la première représentation de son ouvrage, Ali Baba. Cette partition, tout le monde en convint alors, est l'une des plus pâles et des plus vides de Cherubini. Vers la fin du premier acte, fatigué de ne rien entendre de saillant, je ne pus m'empêcher de dire assez haut pour être entendu de mes voisins: «Je donne vingt francs pour une idée!» Au milieu du second acte, toujours trompé par le même mirage musical, je continue mon enchère en disant: «Je donne quarante francs pour une idée!» Le finale commence: «Je donne quatre-vingts francs pour une idée!» Le finale achevé, je me lève en jetant ces derniers mots: «Ah! ma foi, je ne suis pas assez riche. Je renonce!» et je m'en vais.

Deux ou trois jeunes gens, assis auprès de moi sur la même banquette, me regardaient d'un œil indigné. C'étaient des élèves du Conservatoire qu'on avait placés là pour admirer utilement leur directeur. Ils ne manquèrent point, je l'ai su plus tard, d'aller le lendemain lui raconter mon insolente mise à prix et mon découragement plus insolent encore. Cherubini en fut d'autant plus outragé qu'après m'avoir dit: «Vous savez comme zé vous aime,» il dut sans doute me trouver, selon l'usage, horriblement ingrat. Cette fois il ne s'agissait plus de couleuvres, j'en conviens, mais d'un de ces venimeux aspics dont les morsures sont si cruelles pour l'amour-propre. Il m'était échappé.

Je crois devoir dire maintenant de quelle façon je fus attaché à la rédaction du Journal des Débats. J'avais depuis mon retour d'Italie, publié d'assez nombreux articles dans la Revue européenne, dans l'Europe littéraire, dans le Monde dramatique (recueils dont l'existence a été de courte durée), dans la Gazette musicale, dans le Correspondant et dans quelques autres feuilles aujourd'hui oubliées. Mais ces divers travaux de peu d'étendue, de peu d'importance, me rapportaient aussi fort peu, et l'état de gêne dans lequel je vivais n'en était que bien faiblement amélioré.

Un jour, ne sachant à quel saint me vouer, j'écrivis pour gagner quelques francs une sorte de nouvelle intitulée Rubini à Calais, qui parut dans la Gazette musicale. J'étais profondément triste en l'écrivant, mais la nouvelle n'en fut pas moins d'une gaieté folle; ce contraste, on le sait, se produit fréquemment. Quelques jours après sa publication, le Journal des Débats la reproduisit, en la faisant précéder de quelques lignes du rédacteur en chef, pleines de bienveillance pour l'auteur. J'allai aussitôt remercier M. Bertin, qui me proposa de rédiger le feuilleton musical du Journal des Débats. Ce trône de critique tant envié était devenu vacant par la retraite de Castil-Blaze. Je ne l'occupai pas d'abord tout entier. J'eus seulement à faire pendant quelque temps la critique des concerts et des compositions nouvelles. Plus tard quand celle des théâtres lyriques me fut dévolue, le Théâtre-Italien resta sous la protection de M. Delécluse où il est encore aujourd'hui, et J. Janin conserva ses droits du seigneur sur les ballets de l'Opéra. J'abandonnai alors mon feuilleton du Correspondant, et bornai mes travaux de critique à ceux que le Journal des Débats et la Gazette musicale voulaient bien accueillir. J'ai même à peu près renoncé aujourd'hui à ma part de rédaction dans ce recueil hebdomadaire, malgré les conditions avantageuses qui m'y ont été faites, et je n'écris dans le Journal des Débats que si le mouvement de notre monde musical m'y oblige absolument74.

Telle est mon aversion pour tout travail de cette nature. Je ne puis entendre annoncer une première représentation à l'un de nos théâtres lyriques sans éprouver un malaise qui augmente jusqu'à ce que mon feuilleton soit terminé.

Cette tâche toujours renaissante empoisonne ma vie. Et cependant, indépendamment des ressources pécuniaires qu'elle me donne et dont je ne puis me passer, je me vois presque dans l'impossibilité de l'abandonner, sous peine de rester désarmé en présence des haines furieuses et presque innombrables qu'elle m'a suscitées. Car la presse, sous un certain rapport, est plus précieuse que la lance d'Achille; non-seulement elle guérit parfois les blessures qu'elle a faites, mais encore elle sert de bouclier à celui qui s'en sert. Pourtant à quels misérables ménagements ne suis-je pas contraint!.. que de circonlocutions pour éviter l'expression de la vérité! que de concessions faites aux relations sociales et même à l'opinion publique! que de rage contenue! que de honte bue! Et l'on me trouve emporté, méchant, méprisant! Hé! malotrus qui me traitez ainsi, si je disais le fond de ma pensée, vous verriez que le lit d'orties sur lequel vous prétendez être étendus par moi, n'est qu'un lit de roses, en comparaison du gril où je vous rôtirais!..

Je dois au moins me rendre la justice de dire que jamais, pour quelque considération que ce soit, il ne m'est arrivé de refuser l'expression la plus libre de l'estime, de l'admiration ou de l'enthousiasme aux œuvres et aux hommes qui m'inspiraient l'un ou l'autre de ces sentiments. J'ai loué avec chaleur des gens qui m'avaient fait beaucoup de mal et avec lesquels j'avais cessé toute relation. La seule compensation même que m'offre la presse pour tant de tourments, c'est la portée qu'elle donne à mes élans de cœur, vers le grand, le vrai et le beau, où qu'ils se trouvent. Il me paraît doux de louer un ennemi de mérite; c'est d'ailleurs un devoir d'honnête homme qu'on est fier de remplir; tandis que chaque mot mensonger, écrit en faveur d'un ami sans talent, me cause des douleurs navrantes. Dans les deux cas, néanmoins, tous les critiques le savent, l'homme qui vous hait, furieux du mérite que vous paraissez acquérir en lui rendant ainsi publiquement et chaleureusement justice, vous en exècre davantage, et l'homme qui vous aime, toujours peu satisfait des pénibles éloges que vous lui accordez, vous en aime moins.

N'oublions pas le mal que vous font au cœur, quand on a comme moi le malheur d'être artiste et critique à la fois, l'obligation de s'occuper d'une façon quelconque de mille niaiseries lilliputiennes, et surtout les flagorneries, les lâchetés, les rampements des gens qui ont ou auront besoin de vous. Je m'amuse souvent à suivre le travail souterrain de certains individus creusant un tunnel de vingt lieues de long pour arriver à ce qu'ils appellent un bon feuilleton, sur un ouvrage qu'ils ont l'intention de faire. Rien n'est risible comme leurs laborieux coups de pioche, si ce n'est la patience avec laquelle ils déblayent la galerie et construisent la voûte; jusqu'au moment où le critique, impatienté de ce travail de taupe, ouvre tout à coup une voie d'eau qui noie la mine et quelquefois le mineur.

Aussi n'attaché-je guère de prix, lorsqu'il s'agit de l'appréciation de mes œuvres, qu'à l'opinion des gens placés en dehors de l'influence du feuilleton. Parmi les musiciens, les seuls dont le suffrage me flatte sont les exécutants de l'orchestre et du chœur, parce que le talent individuel de ceux-là étant rarement appelé à subir l'examen du critique, je sais qu'ils n'ont aucune raison pour lui faire la cour. Au reste les éloges qui me sont ainsi extraits de temps en temps doivent peu flatter ceux qui les reçoivent. La violence que je me fais pour louer certains ouvrages, est telle, que la vérité suinte à travers mes lignes, comme dans les efforts extraordinaires de la presse hydraulique, l'eau suinte à travers le fer de l'instrument.

De Balzac, en vingt endroits de son admirable Comédie humaine, a dit de bien excellentes choses sur la critique contemporaine: mais en relevant les erreurs et les torts de ceux qui l'exercent, il n'a pas assez fait ressortir, ce me semble, le mérite de ceux qui restent honorables, ni apprécier leurs secrètes douleurs. Dans son livre même intitulé: La Monographie de la Presse, malgré la collaboration de son ami Laurent-Jan (qui est aussi le mien et dont l'esprit est l'un des plus pénétrants que je connaisse) de Balzac n'a pas éclairé toutes les facettes de la question. Laurent-Jan a écrit dans plusieurs journaux, mais sans suite, en fantaisiste plutôt qu'en critique, et pas plus que de Balzac, il n'a pu tout savoir, ni tout voir.

Un jour M. Armand Bertin, qui se préoccupait de la gêne dans laquelle je vivais, m'aborda avec ces mots qui me causèrent une joie d'autant plus grande qu'elle était plus inattendue:

«Mon cher ami, votre position est faite maintenant. J'ai parlé de vous au ministre de l'intérieur et il a décidé qu'on vous donnerait, en dépit de l'opposition de Cherubini, une place de professeur de composition au Conservatoire, avec quinze cents francs d'appointements et, de plus, une pension de quatre mille cinq cents francs sur les fonds de son ministère, destinés à l'encouragement des beaux-arts. Avec ces six mille francs par an, vous serez à l'abri de toute inquiétude et vous pourrez ainsi vous livrer librement à la composition.»

Le lendemain soir, me trouvant dans les coulisses de l'Opéra, M. XX. dont on connaît les dispositions pour moi et qui était encore alors chef de la division des beaux-arts au ministère, m'aperçut, vint à ma rencontre avec empressement et me répéta à peu près dans les mêmes termes ce que m'avait dit M. Armand Bertin. Je le chargeai de témoigner au ministre ma vive gratitude en lui offrant à lui-même mes remercîments. Cette promesse faite spontanément a un homme qui ne demandait rien, ne fut pas mieux tenue que tant d'autres et à partir de ce moment, il n'en a plus été question.

72Et pourtant c'était un excellent homme plein de bonnes intentions.
73Je l'avais bien dit qu'il saurait mon nom quelque jour.
74On m'y donne cent francs par feuilleton, à peu près quatorze cents francs par an.