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Les soirées de l'orchestre

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– De là, messieurs, la chaude affection que nous devons toujours montrer pour les compositions de théâtre où la musique est respectée, où la passion est noblement exprimée, où brillent le bon sens, le naturel, la vérité simple, la grandeur sans enflure, la force sans brutalité. Ce sont des filles honnêtes qui ont résisté à la contagion de l'exemple. Une œuvre de bon goût, vraiment musicale et dictée par le cœur, en notre temps d'exagérations, de vociférations, de dislocations, de machinisme et de mannequinisme! mais il faut l'adorer, jeter un voile sur ses défauts, et la placer sur un piédestal si élevé, que les éclaboussures qui jaillissent autour d'elle ne puissent l'atteindre!

Vous êtes les Caton de la cause vaincue, nous dira-t-on; soit! mais cette cause est immortelle, le triomphe de l'autre n'est que d'un instant, et l'appui de ses dieux lui manquera tôt ou tard, avec ses dieux mêmes.

De là aussi le mépris que nous ne devons jamais dissimuler et que vous ne dissimulez guère, j'en conviens, pour les produits de la basse industrie musicale exposés sur l'étal dramatique.

De là enfin notre devoir de ne jamais montrer que dans sa plus majestueuse beauté la musique indépendante des exigences scéniques, la musique libre, la musique enfin. Si elle doit être plus ou moins humiliée au théâtre, qu'elle en soit d'autant plus fière partout ailleurs. Oui, messieurs! Et c'est ici que je me rallie tout à fait à l'opinion de votre chef. La cause du grand art, de l'art pur et vrai, est compromise par le théâtre, mais elle triomphera dans le théâtre même, si les artistes la défendent et combattent pour elle énergiquement et constamment.

Les opinions de nos juges sont diverses, j'en conviens, les intérêts des artistes paraissent opposés, une foule de préjugés existent encore dans les écoles, le public pris en masse est peu intelligent, frivole, injuste, indifférent, variable. Mais son intelligence, qui s'est éteinte ou affaiblie pour certaines choses de notre art, semble se développer pour d'autres; sa variabilité, qui le fait revenir si souvent sur ses premiers jugements, compense son injustice; et si l'atrophie du sens de l'expression en particulier est évidente en lui, ce sont les méprisables produits de l'art faux qui l'ont amenée. L'audition fréquente d'œuvres douées de qualités poétiques et expressives parviendra sans doute à ranimer ce sens qui semble mort.

Maintenant, si nous examinons la position des artistes dans le milieu social où ils vivent, le malheur a souvent, il est vrai, poursuivi et accablé des hommes inspirés, mais ce n'est pas aux illustrations de notre art et de notre temps seulement qu'il s'est attaché. Les grands musiciens partagent le sort de presque tous les pionniers de l'humanité. Nous avons eu Beethoven isolé, incompris, dédaigné, pauvre; Mozart, toujours courant après le nécessaire, humilié par d'indignes protecteurs, et ne possédant à sa mort que 6,000 francs de dettes; et tant d'autres. Mais si nous voulons regarder à côté du domaine musical, dans celui de la poésie, par exemple, nous verrons Shakspeare, las de la tiédeur de ses contemporains, se retirant à Straford dans la force de l'âge, sans vouloir plus entendre parler de poëmes, de drames ni de théâtre, et écrivant son épitaphe pour léguer sa malédiction à quiconque dérangera ses os; nous trouverons Cervantès impotent et misérable; Tasso mourant pauvre aussi et fou, autant d'orgueil blessé que d'amour, dans une prison! Camoëns plus malheureux encore. Camoëns fut guerrier, voyageur aventureux, amant et poëte; il fut intrépide et patient; il eut l'inspiration, il eut le génie, ou plutôt il appartint au génie qui en fit sa proie, qui l'entraîna palpitant par le monde, qui lui donna la force de lutter contre vents, tempêtes, obscurité, ingratitude, proscriptions, et la pâle faim aux joues creuses; flots amers qu'il fendit bravement de sa noble poitrine, en élevant sur eux d'un geste sublime son poëme immortel. Puis il mourut après avoir souffert longuement, et sans qu'un jour il ait pu se dire: «Mon pays me connaît et m'apprécie; il sait quel homme je suis, il voit l'éclat de mon nom rejaillir sur le sien, il comprend mon œuvre et l'admire; je suis heureux d'être venu, d'avoir vu et vaincu; grâces soient rendues à la suprême puissance qui me donna la vie!» Non, loin de là; il vécut perdu dans la foule des souffrants, la gente dolorosa, toujours armé et combattant, versant à flots ses pensées, son sang et ses larmes; indigné de son sort, indigné de voir les hommes si petits, indigné contre lui-même d'être si grand, agitant avec fureur la lourde chaîne des besoins matériels, servo ognor fremente. Et quand la mort vint le prendre, il dut aller au-devant d'elle avec ce triste sourire des esclaves résignés qui, sous les yeux de César, marchent à leur dernier combat.

Puis la gloire est venue… la gloire!.. ô Falstaff!

Les grands musiciens ne sont donc pas les seuls à souffrir.

D'ailleurs, à ces malheurs trop bien constatés, on peut opposer de nombreux exemples de destinées brillantes et heureuses, fournies par des hommes éminents dans l'art. Il y en eut, il y en a, il y en aura. En tous cas, nous qui n'avons pas de prétentions au rôle ni au sort des Titans, reconnaissons au moins que notre part est encore assez belle. Si nos jouissances sont peu fréquentes, elles sont vives et élevées. Leur rareté même en double le prix. Tout un monde de sensations et d'idées nous est ouvert, qui surajoute une existence de luxe et de poésie au nécessaire de la vie prosaïque, et nous en usons avec un bonheur aux autres hommes inconnu.

Il n'y a point là d'exagération. Ces joies des musiciens, plus profondes que toutes les autres, sont réellement interdites à la majeure partie de la race humaine. Les arts, dont les uns ne s'adressent qu'à l'intelligence, et dont les autres sont privés du mouvement, ne sauraient rien produire de comparable. La musique (réfléchissez bien à ce que j'entends par ce mot, et ne confondez pas ensemble des choses qui n'ont de commun que le nom), la musique, dis-je, parle d'abord à un sens qu'elle charme et dont l'excitation se propageant à tout l'organisme, produit une volupté tantôt douce et calme, tantôt fougueuse et violente, qu'on ne croit pas possible avant de l'avoir éprouvée. La musique, en s'associant à des idées qu'elle a mille moyens de faire naître, augmente l'intensité de son action de toute la puissance de ce qu'on appelle vulgairement la poésie; déjà brûlante elle-même, en exprimant les passions, elle s'empare de leur flamme; étincelante de rayons sonores, elle les décompose au prisme de l'imagination; elle embrasse à la fois le réel et l'idéal; comme l'a dit J. J. Rousseau, elle fait parler le silence même. En suspendant l'action du rhythme qui lui donne le mouvement et la vie, elle peut prendre l'aspect de la mort. Dans les jeux harmoniques auxquels elle se livre, elle pourrait se borner (elle ne l'a que trop fait) à être un divertissement de l'esprit, dans ses jeux mélodiques, à caresser l'oreille. Mais quand, réunissant à la fois toutes ses forces sur l'oreille qu'elle charme ou offense habilement, sur le système nerveux qu'elle surexcite, sur la circulation du sang qu'elle accélère, sur le cerveau qu'elle embrase, sur le cœur qu'elle gonfle et fait battre à coups redoublés, sur la pensée qu'elle agrandit démesurément et lance dans les régions de l'infini, elle agit dans la sphère qui lui est propre, c'est-à-dire sur des êtres chez lesquels le sens musical existe réellement, alors son pouvoir est immense et je ne sais trop à quel autre ou pourrait sérieusement le comparer. Alors aussi nous sommes des dieux, et si les hommes comblés des faveurs de la fortune pouvaient connaître nos extases et les acheter, ils jetteraient leur or pour les partager un instant.

Je répète donc le toast de votre maître de chapelle.

Aux artistes que rien ne saurait avilir ni décourager, aux artistes véritables, à ceux qui vous ressemblent, aux persévérants, aux vaillants, aux forts!»

Les hourras recommencent, mais cette fois en chœur et en pompeuse harmonie.

A la cadence finale de cette clameur musicale, au moment où tous les verres vides retombent ensemble et frappent à la fois la table, je fais un signe au garçon de café qui attendait depuis quelques minutes à la porte du salon. Le Ganymède s'avance, son tablier blanc relevé sous son bras gauche et son gilet orné d'un énorme bouquet, portant sur un plateau un large et haut couvercle d'argent qui paraît recouvrir quelque friandise. Il se dirige vers les frères Kleiner assis l'un près de l'autre, dépose le plateau devant eux, enlève le couvercle, et l'assemblée reconnaît alors dans ce présent inattendu, deux bavaroises au lait!!!

«Enfin! enfin! enfin! crie-t-on en crescendo de toutes parts. Voilà la preuve, la voilà, glapit le petit Schmidt en grimpant sur la table, voilà la preuve qu'avec du temps et de la patience les artistes courageux finissent par avoir raison du sort.»

Je m'esquive au milieu du tumulte.

DEUXIÈME ÉPILOGUE

LETTRE DE CORSINO A L'AUTEUR – RÉPONSE DE L'AUTEUR A CORSINO

Beethoven et ses trois styles. Inauguration de la statue de Beethoven à Bonn. Biographie de Méhul. Encore Londres. Purcell's commémoration. La chapelle de St-James. Mme Sontag. Suicide d'un ennemi des arts. Mot de Henri Heine. Une fugue de Rossini. La philosophie de Falstaff. M. Conestabile, sa vie de Paganini. Vincent Wallace, ses aventures à la nouvelle Zélande. Les fautes d'impression. Fin.

Après avoir envoyé ce livre à tous mes amis de l'Orchestre de X***, l'édition se trouvait complétement épuisée, et j'espérais, on a pu le voir dans le prologue, qu'on n'en parlerait plus. Je me flattais. On en parle. Les auteurs se flattent toujours.

Voici une lettre du fantastique Corsino, lettre toute hérissée de points d'interrogation et pleine d'observations assez désagréables, à laquelle je me vois forcé de répondre catégoriquement.

 

Cette correspondance oblige mon libraire à faire une nouvelle édition des soirées de l'orchestre ainsi aggravées. Car il y a cinquante musiciens au théâtre de X^***, et je ne suis pas de force à copier ma lettre cinquante fois. Or, sur le point d'entreprendre cette seconde édition, M. Lévy me demande si je n'ai pas aussi des amis à Paris et s'il ne serait pas convenable d'augmenter à leur intention le nombre d'exemplaires du prochain tirage. – «Sans doute, lui ai-je répondu, j'ai beaucoup de très-bons amis, même à Paris; pourtant je ne voudrais pas vous engager dans de folles dépenses. Faites donc, croyez-moi, absolument comme si je n'en avais pas. – Et des ennemis? a-t-il répliqué avec un sourire rayonnant d'espoir. Ah! ah! voilà des gens utiles! Ils vont jusqu'à acheter les ouvrages sur lesquels ils ont des intentions… Ce serait drôle, convenez-en, si, grâce à eux, nous venions à vendre quelques centaines de vos Soirées, maintenant qu'en fait de livres vendus on ne compte plus que par dizaines. – Des ennemis! moi! allons donc, flatteur!.. Non je n'ai pas d'ennemis; pas un seul, entendez-vous. Mais puisque vous êtes aujourd'hui en proie à cette singulière envie de me tirer démesurément, faites comme si j'en avais beaucoup, et tirez mon livre tant qu'il vous plaira; tirez, tirez, on en mettra partout.»

Ces derniers mots rappellent d'une façon assez malencontreuse un vers célèbre de la scène des petits chiens dans la comédie des Plaideurs. C'est une bagatelle. Continuons. C'est-à-dire, non, ne continuons pas. Reproduisons sur-le-champ, au contraire, la lettre de mon ami Corsino, tâchons de me bien justifier des griefs qui m'y sont reprochés, et aidons, par ma réponse, lui et ses confrères, à conjurer le pressant danger musical qu'un méchant compositeur va leur faire courir.

A L'AUTEUR DES SOIRÉES DE L'ORCHESTRE

A PARIS

Cher Monsieur,

Les artistes de la ville civilisée ont reçu votre livre. Quelques-uns même l'ont lu. Et voici en résumé ce qu'ils en pensent.

Ces messieurs trouvent que les musiciens de notre orchestre figurent dans votre ouvrage d'une manière peu honorable pour eux. Ils prétendent que vous avez commis un inqualifiable abus de confiance en faisant connaître au public leurs faits et gestes, leurs conversations, leurs mauvaises plaisanteries, et surtout les libertés qu'ils prennent avec les œuvres et les virtuoses médiocres. Franchement, vous les traitez un peu sans façons. Ils ne croyaient pas être si forts de vos amis.

Quant à moi personnellement, je ne puis que vous remercier de m'avoir fait jouer un rôle qui me plaît et que je trouve original autant que vrai. Je n'en paraîtrai pas moins fort ridicule, cela est certain, aux hommes de lettres et aux musiciens de Paris qui vous liront. Mais je m'en moque. Je suis ce que je suis; honni soit qui sot me trouve!

Notre Dieu-ténor est furieux, tellement furieux, qu'il feint de trouver charmantes les malices que vous lui adressez. Cherchant à prouver son bon vouloir à votre égard, il tourmentait hier M. le baron F***, notre intendant, pour qu'il mît à l'étude un opéra de vous, dans lequel il prétend pouvoir remplir le rôle principal à votre entière satisfaction. Et à la sienne aussi, je suppose, car, fît-il de son mieux, il égorgerait l'opéra sans rémission. Heureusement, je connais ce genre de vendetta, et je n'ai pas souffert que vous en devinssiez la victime chez nous. J'ai détourné Son Excellence d'accueillir le projet suggéré par le perfide chanteur, et j'ai répondu aux reproches de celui-ci par un proverbe français, arrangé pour la circonstance, et qu'il a compris, j'en suis sûr, car dès ce moment il s'est tenu tranquille:

 
«Dis-moi ce qui tu chantes et je te dirai qui tu hais.»
 

Le baryton est tout aise et tout heureux que vous l'ayez trouvé, dans le rôle de Don Juan, digne du prix Monthyon. Cette appréciation le flatte plus que je ne saurais vous dire.

La prima donna de qui vous avez écrit: nous avons cru qu'elle accouchait! a fort aigrement répliqué: «En tout cas, il ne sera jamais le père de mes enfants!» Ce dont je ne puis vous féliciter, car c'est une sotte ravissante.

Le Figaro et l'Almaviva ignorent encore, fort heureusement, l'opinion que vous m'avez attribuée sur eux dans votre livre. Ils sont peu lettrés. Je crois pourtant qu'ils savent lire.

Le cor Moran est d'avis que le calembour fait sur son nom est indigne de vous. Cet avis, je le partage.

Le joueur de grosse caisse, le seul de nos confrères qui n'ait pas reçu votre ouvrage, s'est fait prêter l'exemplaire de Schmidt qui ne s'en servait pas et l'a lu attentivement. Le ton ironique sur lequel vous parlez de lui l'a peiné; il ne s'est permis, toutefois, qu'une seule réflexion. «L'auteur, a-t-il dit, rend un compte infidèle de mon affaire avec notre directeur, à propos des six bouteilles de vin que celui-ci m'envoya l'hiver dernier, à titre d'encouragement. J'ai bien, il est vrai, répondu que je n'avais pas besoin d'encouragements, mais je me suis gardé de renvoyer les bouteilles.»

Notre chef d'orchestre paraît plus mince depuis que vous avez signalé les bonds de son abdomen. Évidemment, il met un corset. Il est assez content de vous.

Les frères Kleiner viennent de se marier; ils ont épousé deux Bavaroises. Ils conservent toujours le plus doux souvenir de celles que vous leur avez si galamment offertes, le soir de notre dîner d'adieux. Ils croyaient être ainsi arrivés au terme de leurs vexations, mais il leur en restait encore une à supporter: leur père est mort. Du reste votre livre les a peu divertis, ils n'en ont lu que dix pages.

Bacon cherche inutilement à comprendre pourquoi vous informez par deux fois le lecteur, qu'il ne descend point du Bacon inventeur de la poudre.

Enfin Dimski, Dervinck, Turuth, Siedler et moi, je l'avoue, nous nous donnons au diable pour savoir ce que vous avez voulu dire, dans ce passage de votre discours, où il est question de Camoëns: «Puis la gloire est venue… la gloire… ô Falstaff

Qu'est-ce que Falstaff? quel rapport a-t-il avec Camoëns?.. D'où sort ce nom bizarre?.. est-ce celui d'un poëte? d'un guerrier? Je me perds, ils se perdent, nous nous perdons en conjectures.

Autres questions plus importantes et dernières: Nous venons de jouer un charmant opéra traduit de l'anglais, intitulé Maritana, l'auteur se nomme Wallace, le connaissez-vous?

Une brochure italienne sur Paganini nous est arrivée dernièrement. Elle complète votre esquisse de la vie de ce grand virtuose. Mais vous y êtes fort maltraité: L'avez-vous lue?

Adieu, cher monsieur; en attendant votre prochaine visite, soyez assez bon pour me répondre une longue lettre, une lettre de deux heures et demie. Elle nous sera précieuse pour la première représentation d'Angélique et Roland, opéra très-plat que nous répétons en ce moment, et dont le troisième acte surtout est redoutable.

Votre tout dévoué
co-fanatique musicien,
Corsino.

P.S. Vous n'avez donc pas corrigé les épreuves de votre volume? Il contient des fautes d'impression qui me désespèrent. Je ne parle pas des fautes de français, tout le monde en fait, et vous avez eu raison de ne pas pousser trop loin l'originalité.

RÉPONSE DE L'AUTEUR A M. CORSINO

1er violon de l'orchestre de X***

Mon cher Corsino,

Vous m'effrayez! quoi! un opéra intitulé Angélique et Roland, en 1852, et en trois actes encore? Et le rôle d'Angélique est joué sans doute par la jolie sotte dont j'ai su m'attirer les mauvaises grâces, celui de Roland par le vertueux Don Juan, et celui de Médor par mon traître ténor?.. Pauvre ami! je connais vos douleurs et j'y sais compatir. Oui, je vous plains, et malgré mon aversion pour les longues lettres, je vois bien qu'il faut de toute nécessité proportionner les dimensions de celle-ci à la longueur de l'opéra imminent dont vous me parlez. J'y introduis d'abord quelque chose qui ne vous était pas destiné. Il faut faire flèche de tout bois. Dieu veuille que cela vous plaise. Il s'agit de Beethoven pourtant, et d'une étude sur ses trois styles écrite par un Russe passionné pour notre art. A défaut de ce livre, que je regrette de ne pouvoir vous envoyer, et que vous, Corsino, devrez faire venir tôt ou tard de Saint-Pétersbourg, nos amis voudront bien se contenter de l'analyse que je viens d'en faire. Elle servira contre le premier acte d'Angélique et Roland. J'ai là des munitions qu'on pourra employer contre le deuxième. Grâce aux questions que vous m'adressez et auxquelles je suis en mesure de répondre, j'espère pouvoir vous faire vaincre aussi le troisième, le plus fort et le plus cruel à ce qu'il paraît. A sept heures du soir, donc, après l'ouverture d'Angélique et Roland (car il faut pourtant jouer l'ouverture) vous lirez les pages suivantes:

BEETHOVEN ET SES TROIS STYLES

PAR M. W. DE LENZ

Voilà un livre plein d'intérêt pour les musiciens. Il est écrit sous l'influence d'une passion admirative que son sujet explique et justifie; mais l'auteur néanmoins conserve toujours une liberté d'esprit, fort rare parmi les critiques, qui lui permet de raisonner son admiration, de blâmer quelquefois, et de reconnaître des taches dans son soleil.

M. de Lenz est Russe, comme M. Oulibischeff, l'auteur de la biographie de Mozart. Remarquons en passant, que parmi les travaux sérieux de critique musicale publiés depuis dix ans, deux nous sont venus de Russie.

J'aurai beaucoup à louer dans le travail de M. de Lenz; c'est pourquoi je veux me débarrasser tout d'abord de reproches qu'il me semble avoir encourus en rédigeant son livre. Le premier porte sur les nombreuses citations allemandes dont le texte est hérissé. Pourquoi ne pas traduire en français ces fragments, puisque tout le reste est en langue française? M. de Lenz, en sa qualité de Russe, parle une foule de langues connues et inconnues, il s'est dit probablement: Qui est-ce qui ne sait pas l'allemand? comme ce banquier qui disait: «Qui est-ce qui n'a pas un million?» Hélas! nous, Français, nous ne parlons pas l'allemand, nous qui avons tant de peine à apprendre notre langue, et qui parvenons si rarement à la savoir. Il nous est, en conséquence, fort désagréable de parcourir avec un fiévreux intérêt les pages d'un livre, pour y tomber à chaque instant en des chausses-trappes comme celle-ci: Beethoven dit à M. Rellstab. Opern, wie don Juan und Figaro, konnte ich nicht componiren. Dagegen habe ich einen Widerwillen. Bon! qu'est-ce qu'il a donc dit Beethoven? Je voudrais le savoir. C'est impatientant. Encore la citation allemande que je fais là est-elle mal choisie, puisque l'auteur, par exception, s'est donné la peine de la traduire, ce qu'il n'a point fait pour une foule d'autres mots, de phrases, de récits et de documents, dont il est sans doute important pour le lecteur de connaître la signification. J'aime autant le procédé de Shakspeare, écrivant dans Henri IV, au lieu de la réponse d'une Galloise à son mari Anglais, ces mots entre deux parenthèses: (Elle lui parle gallois.)

Mon second reproche portera sur une opinion émise par l'auteur à propos de Mendelssohn, opinion déjà énoncée par d'autres critiques, et dont je demanderai à M. de Lenz la permission de discuter avec lui les motifs.

«On ne peut parler de la musique moderne, dit-il, sans nommer Mendelssohn Bartholdy… Nous partageons autant que personne le respect qu'un esprit de cette valeur commande, mais nous croyons que l'élément hébraïque, qu'on connaît à la pensée de Mendelssohn, empêchera sa musique de devenir l'acquisition du monde entier, sans distinction de temps ni de lieux.»

N'y a-t-il pas un peu de préjugé dans cette manière d'apprécier ce grand compositeur, et M. de Lenz eût-il écrit ces lignes s'il eût ignoré que l'auteur de Paulus et d'Élie descendait du célèbre israélite Moïse Mendelssohn? J'ai peine à le croire. «Ces psalmodies de la synagogue, dit-il encore, sont des types qu'on retrouve dans la musique de Mendelssohn.» Or, il est difficile de concevoir comment ces psalmodies de la synagogue peuvent avoir agi sur le style musical de Félix Mendelssohn, puisqu'il n'a jamais professé la religion juive: tout le monde sait qu'il était luthérien, au contraire, et luthérien fervent et convaincu.

 

D'ailleurs, quelle est la musique qui pourra jamais devenir l'acquisition du monde entier, sans distinction de temps ni de lieux? Aucune, très-certainement. Les œuvres des grands maîtres allemands, tels que Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven, qui tous appartenaient à la religion catholique, c'est-à-dire universelle, n'y parviendront pas plus que les autres, si admirablement belles, vivantes, saines et puissantes qu'elles soient.

A part cette question de judaïsme qui me semble soulevée hors de propos, la valeur musicale de Félix Mendelssohn, la nature de son esprit, son amour filial pour Hændel et pour Bach, l'éducation qu'il reçut de Zelter, ses sympathies un peu exclusives pour la vie allemande, pour le foyer allemand, sa sentimentalité exquise, sa tendance à se renfermer dans le cercle d'idées d'une ville, d'un public donnés, sont appréciés par M. de Lenz avec beaucoup de pénétration et de finesse. De la comparaison qu'il établit dans le même chapitre entre Weber, Mendelssohn et Beethoven, il tire aussi des conclusions qui me semblent justes de tout point. Il ose même dire des choses fort sensées sur la fugue, sur le style fugué, sur ce qu'il y a de réel dans leur importance musicale, sur l'usage qu'en ont fait les vrais maîtres, et sur le ridicule abus qu'en font les musiciens dont ce style est la constante préoccupation. Il cite à l'appui de cette théorie l'avis d'un contre-pointiste consommé qui a passé sa vie dans la fugue, qui aurait pu trouver plus de raison pour y voir l'unique voie de salut en musique, et qui a mieux aimé être vrai. «C'est une trop honorable exception, dit-il, des idées exclusives du métier pour que nous ne rendions pas au lecteur (qui sait l'allemand) le service de le reproduire. On lit dans un article de M. Fuchs, de Saint-Pétersbourg: Die fuge, als ein für sich abgeschlossenes Musik-stück, etc., etc. (Il parle gallois.)

Eh bien! voyez, je donnerais beaucoup pour savoir à l'instant ce qu'a écrit Fuchs là-dessus, et je suis obligé d'y renoncer…

Après avoir établi des rapprochements fort ingénieux entre Beethoven et les grands maîtres allemands qui furent ses prédécesseurs et ses contemporains, M. de Lenz se livre à l'étude du caractère de son héros, à l'analyse de ses œuvres et enfin à l'appréciation des qualités distinctives des trois styles dans lesquels Beethoven écrivit. Cette tâche était difficile, mais il n'y a que des éloges à donner à la manière dont l'auteur l'a accomplie. Il est impossible de mieux entrer dans l'esprit de tous ces merveilleux poëmes musicaux, d'en mieux embrasser l'ensemble et les détails, de suivre avec plus de vigueur les élans impétueux du vol de l'aigle, de voir plus clairement quand il s'élève ou s'abaisse, et de le dire avec plus de franchise. M. de Lenz a, selon moi, un double avantage sous ce rapport sur M. Oulibischeff, il rend pleine justice à Mozart. M. Oulibischeff est fort loin d'être juste à l'égard de Beethoven. M. de Lenz reconnaît sans hésiter que divers morceaux de Beethoven, tels que l'ouverture des Ruines d'Athènes et certaines parties de ses sonates de piano sont faibles et peu dignes de lui; que d'autres compositions à peines connues, il est vrai, manquent absolument d'idées, que deux ou trois enfin lui semblent des logogriphes; M. Oulibischeff admire tout dans Mozart. Et Dieu sait cependant si la gloire de Don Juan eût souffert de la destruction de tant de compositions de son enfance qu'on a eu l'impiété de publier. M. Oulibischeff voudrait faire le vide autour de Mozart; il semble souffrir impatiemment que l'on parle des autres maîtres. M. de Lenz est plein d'enthousiasme réel pour toutes les belles manifestations de l'art, et sa passion pour Beethoven, bien qu'elle n'est point aveugle, est peut-être encore plus profonde et plus vive que celle de son émule pour Mozart.

Les recherches infatigables auxquelles il s'est livré pendant vingt ans dans toute l'Europe lui ont fait acquérir bien des notions curieuses, et généralement peu répandues, sur Beethoven et ses œuvres. Quelques-unes des anecdotes qu'il raconte ont cela de précieux, qu'elles expliquent des anomalies musicales clair-semées dans les productions du grand compositeur, et dont on cherchait vainement jusqu'ici à se rendre compte.

Beethoven, on le sait, professait une admiration robuste pour ces maîtres aux figures austères, dont parle M. de Lenz, qui firent un usage exclusif en musique de cet élément purement rationnel de la pensée humaine qui ne saurait remplacer la grâce. Son admiration, sait-on bien sur quoi elle se portait, et jusqu'où elle s'étendait? J'en doute. Elle rappelle un peu, à mon sens, le goût de ces riches gastronomes, qui, las de leurs festins de Lucullus, se plaisent à déjeuner de temps en temps avec un hareng saur et une galette de sarrazin.

M. de Lenz raconte que Beethoven, en se promenant un jour avec son ami Schindler, lui dit: «Je viens de trouver deux thèmes d'ouverture. L'un se prête à être traité dans mon style à moi, l'autre convient à la manière de Hændel; lequel me conseillez-vous de choisir?» Schindler (le croira-t-on) conseilla à Beethoven de prendre le second motif. Cet avis plut à Beethoven à cause de sa prédilection pour Hændel; il s'y conforma malheureusement et ne tarda pas à s'en repentir. On prétend même qu'il en voulut beaucoup à Schindler de le lui avoir donné. Les ouvertures de Hændel ne sont pas en effet ce qu'il y a de plus saillant dans son œuvre, et leur comparer celles de Beethoven, c'est mettre en parallèle une forêt de cèdres et une couche de champignons.

«Cette ouverture, op. 124, dit M. de Lenz, n'est point une double fugue, comme on l'a prétendu. Il faut supposer que le motif que Beethoven eût traité dans son style à lui, fût devenu l'occasion d'une ouvre bien plus importante (oh! oui, il faut le supposer!) dans un temps où le génie de l'artiste était à son apogée, alors que l'homme en lui jouissait des derniers jours exempts de souffrances physiques. Schindler aurait dû se dire que le génie de Beethoven régnait sans rival dans le style symphonique libre; que là il n'avait à imiter personne; que le style sévère était au contraire tout au plus pour lui une barrière à sauter; qu'il n'y était point chez lui. L'ouverture ne produisit aucun effet, on la dit inexécutable, ce qu'elle est peut-être

Elle est difficile, répondrai-je à M. de Lenz, mais très-exécutable par un puissant orchestre. Grâce aux nombreuses saillies du style de Beethoven qui se font sentir sous le gros tissu de l'imitation hændelienne, la coda tout entière et une foule de passages émeuvent et entrainent l'auditeur, quand ils sont bien rendus. J'ai dirigé deux exécutions de cette ouverture; la première eut lieu au Conservatoire avec un orchestre de première force. On y trouva le style des ouvertures de Hændel si mal reproduit qu'elle fut applaudie avec transport. Dix ans après, médiocrement exécutée par un orchestre trop faible, elle fut jugée sévèrement; on avoua que le style de Hændel y était parfaitement imité.

M. de Lenz rapporte ici la conversation de Beethoven avec Schindler à ce sujet: Wie kommen Sie wieder auf die alte Geschichte? etc. (Il parle gallois.)

Dans cette revue minutieuse et intelligente des œuvres du grand compositeur, l'histoire des attentats commis sur elles devait naturellement trouver place; elle y est en effet, mais fort incomplète. M. de Lenz, qui traite si rudement les correcteurs de Beethoven, qui les bafoue, qui les flagelle, n'a pas connu le quart de leurs méfaits. Il faut avoir vécu longtemps à Paris et à Londres pour savoir jusqu'où ils ont porté leurs ravages.

Quant à la prétendue faute de gravure que M. de Lenz croit exister dans le scherzo de la symphonie en ut mineur, et qui consisterait, au dire des critiques qui soutiennent la même thèse, dans la répétition inopportune de deux mesures du thème lors de sa réapparition dans le milieu du morceau, voici ce que je puis dire: D'abord il n'y a pas répétition exacte des quatre notes ut mi fa dont le dessin mélodique se compose; la première fois elles sont écrites en blanches suivies d'une noire, et la seconde fois en noires suivies d'un soupir, ce qui en change le caractère.