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A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques

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ÉTUDE CRITIQUE DES SYMPHONIES DE BEETHOVEN

Il y a trente-six ou trente-sept ans qu'on fit, aux concerts spirituels de l'Opéra, l'essai des œuvres de Beethoven, alors parfaitement inconnues en France. On ne croirait pas aujourd'hui de quelle réprobation fut frappée immédiatement cette admirable musique par la plupart des artistes. C'était bizarre, incohérent, diffus, hérissé de modulations dures, d'harmonies sauvages, dépourvu de mélodie, d'une expression outrée, trop bruyant, et d'une difficulté horrible. M. Habeneck, pour satisfaire aux exigences des hommes de goût qui régentaient alors l'Académie royale de musique, se voyait forcé de faire, dans ces mêmes symphonies dont il a organisé et dirigé avec tant de soin, plus tard, l'exécution au Conservatoire, des coupures monstrueuses, comme on s'en permettrait tout au plus dans un ballet de Gallemberg ou un opéra de Gaveaux. Sans ces corrections, Beethoven n'eût pas été admis à l'honneur de figurer, entre un solo de basson et un concerto de flûte, sur le programme des concerts spirituels. A la première audition des passages désignés au crayon rouge, Kreutzer s'était enfui en se bouchant les oreilles, et il eut besoin de tout son courage pour se décider, aux autres répétitions, à écouter ce qui restait de la symphonie en . N'oublions pas que l'opinion de M. Kreutzer sur Beethoven était celle des quatre-vingt dix-neuf centièmes des musiciens de Paris à cette époque, et que, sans les efforts réitérés de l'imperceptible fraction qui professait l'opinion contraire, le plus grand compositeur des temps modernes nous serait peut-être encore aujourd'hui à peine connu. Le fait de l'exécution des fragments de Beethoven à l'Opéra était donc d'une grande importance; nous en pouvons juger, puisque sans lui, très-probablement, la société du Conservatoire n'eût pas été constituée. C'est à ce petit nombre d'hommes intelligents et au public qu'il faut faire honneur de cette belle institution. Le public, en effet, le public véritable, celui qui n'appartient à aucune coterie, ne juge que par sentiment et non point d'après les idées étroites, les théories ridicules qu'il s'est faites sur l'art; ce public-là, qui se trompe souvent malgré lui, puisqu'il lui arrive maintes fois de revenir sur ses propres décisions, fut frappé de prime abord par quelques-unes des éminentes qualités de Beethoven. Il ne demanda point si telle modulation était relative de telle autre, si certaines harmonies étaient admises par les magisters, ni s'il était permis d'employer certains rhythmes qu'on ne connaissait pas encore; il s'aperçut seulement que ces rhythmes, ces harmonies et ces modulations, ornés d'une mélodie noble et passionnée, et revêtus d'une instrumentation puissante, l'impressionnaient fortement et d'une façon toute nouvelle. En fallait-il davantage pour exciter ses applaudissements? Notre public français n'éprouve qu'à de rares intervalles la vive et brûlante émotion que peut produire l'art musical; mais quand il lui arrive d'en être véritablement agité, rien n'égale sa reconnaissance pour l'artiste, quel qu'il soit, qui la lui a donnée. Dès sa première apparition, le célèbre allegretto en la mineur de la septième symphonie qu'on avait intercalé dans la deuxième pour faire passer le reste, fut donc apprécié à sa valeur par l'auditoire des concerts spirituels. Le parterre en masse le redemanda à grands cris, et, à la seconde exécution, un succès presque égal accueillit le premier morceau et le scherzo de la symphonie en qu'on avait peu goûtés à la première épreuve. L'intérêt manifeste que le public commença dès lors à prendre à Beethoven doubla les forces de ses défenseurs, réduisit, sinon au silence, au moins à l'inaction la majorité de ses détracteurs, et peu à peu, grâce à ces lueurs crépusculaires annonçant aux clairvoyants de quel côté le soleil allait se lever, le noyau se grossit et l'on en vint à fonder, presque uniquement pour Beethoven, la magnifique société du Conservatoire, aujourd'hui à peu près sans rivale dans le monde.

Nous allons essayer l'analyse des symphonies de ce grand maître, en commençant par la première que le Conservatoire exécute si rarement.

I
SYMPHONIE EN UT MAJEUR

Cette œuvre, par sa forme, par son style mélodique, par sa sobriété harmonique et son instrumentation, se distingue tout à fait des autres compositions de Beethoven qui lui ont succédé. L'auteur, en l'écrivant, est évidemment resté sous l'empire des idées de Mozart, qu'il a agrandies quelquefois, et partout ingénieusement imitées. Dans la première et la seconde partie, pourtant, on voit poindre de temps en temps quelques rhythmes dont l'auteur de Don Juan a fait usage, il est vrai, mais fort rarement et d'une façon beaucoup moins saillante. Le premier allegro a pour thème une phrase de six mesures, qui, sans avoir rien de bien caractérisé en soi, devient ensuite intéressante par l'art avec lequel elle est traitée. Une mélodie épisodique lui succède, d'un style peu distingué; et, au moyen d'une demi-cadence répétée trois ou quatre fois, nous arrivons à un dessin d'instruments à vent en imitations à la quarte, qu'on est d'autant plus étonné de trouver là, qu'il avait été employé souvent déjà dans plusieurs ouvertures d'opéras français.

L'andante contient un accompagnement de timbales piano qui paraît aujourd'hui quelque chose de fort ordinaire, mais où il faut reconnaître cependant le prélude des effets saisissants que Beethoven a produits plus tard, à l'aide de cet instrument peu ou mal employé en général par ses prédécesseurs. Ce morceau est plein de charme, le thème en est gracieux et se prête bien aux développements fugués, au moyen desquels l'auteur a su en tirer un parti si ingénieux et si piquant.

Le scherzo est le premier né de cette famille de charmants badinages (scherzi) dont Beethoven a inventé la forme, déterminé le mouvement, et qu'il a substitués presque dans toutes ses œuvres instrumentales au menuet de Mozart et de Haydn dont le mouvement est moins rapide du double et le caractère tout différent. Celui-ci est d'une fraîcheur, d'une agilité et d'une grâce exquises. C'est la seule véritable nouveauté de cette symphonie, où l'idée poétique, si grande et si riche dans la plupart des œuvres qui ont suivi celle-ci, manque tout à fait. C'est de la musique admirablement faite, claire, vive, mais peu accentuée, froide, et quelquefois mesquine, comme dans le rondo final, par exemple, véritable enfantillage musical; en un mot, ce n'est pas là Beethoven. Nous allons le trouver.

II
SYMPHONIE EN RÉ

Dans celle-ci tout est noble, énergique et fier; l'introduction (largo) est un chef-d'œuvre. Les effets les plus beaux s'y succèdent sans confusion et toujours d'une manière inattendue; le chant est d'une solennité touchante qui, dès les premières mesures, impose le respect et prépare à l'émotion. Déjà le rhythme se montre plus hardi, l'orchestration plus riche, plus sonore et plus variée. A cet admirable adagio est lié un allegro con brio d'une verve entraînante. Le grupetto, qu'on rencontre dans la première mesure du thème proposé au début par les altos et les violoncelles à l'unisson, est repris isolément ensuite, pour établir, soit des progressions en crescendo, soit des imitations entre les instruments à vent et les instruments à cordes, qui toutes sont d'une physionomie aussi neuve qu'animée. Au milieu se trouve une mélodie exécutée, dans sa première moitié, par les clarinettes, les cors et les bassons, et terminée en tutti par le reste de l'orchestre, dont la mâle énergie est encore rehaussée par l'heureux choix des accords qui l'accompagnent. L'andante n'est point traité de la même manière que celui de la première symphonie; il ne se compose pas d'un thème travaillé en imitations canoniques, mais bien d'un chant pur et candide, exposé d'abord simplement par le quatuor, puis brodé avec une rare élégance, au moyen de traits légers dont le caractère ne s'éloigne jamais du sentiment de tendresse qui forme le trait distinctif de l'idée principale. C'est la peinture ravissante d'un bonheur innocent à peine assombri par quelques rares accents de mélancolie. Le scherzo est aussi franchement gai dans sa capricieuse fantaisie, que l'andante a été complétement heureux et calme; car tout est riant dans cette symphonie, les élans guerriers du premier allegro sont eux-mêmes tout à fait exempts de violence; on n'y saurait voir que l'ardeur juvénile d'un noble cœur dans lequel se sont conservées intactes les plus belles illusions de la vie. L'auteur croit encore à la gloire immortelle, à l'amour, au dévouement… Aussi, quel abandon dans sa gaieté! comme il est spirituel! quelles saillies? A entendre ces divers instruments qui se disputent des parcelles d'un motif qu'aucun d'eux n'exécute en entier, mais dont chaque fragment se colore ainsi de mille nuances diverses en passant de l'un à l'autre, ou croirait assister aux jeux féeriques des gracieux esprits d'Obéron. Le final est de la même nature; c'est un second scherzo à deux temps, dont le badinage a peut-être encore quelque chose de plus fin et de plus piquant.

III
SYMPHONIE HÉROIQUE

On a grand tort de tronquer l'inscription placée en tête de celle-ci par le compositeur. Elle est intitulée: Symphonie héroïque pour fêter le souvenir d'un grand homme. Ou voit qu'il ne s'agit point ici de batailles ni de marches triomphales, ainsi que beaucoup de gens, trompés par la mutilation du titre, doivent s'y attendre, mais bien de pensers graves et profonds, de mélancoliques souvenirs, de cérémonies imposantes par leur grandeur et leur tristesse, en un mot, de l'oraison funèbre d'un héros. Je connais peu d'exemples en musique d'un style où la douleur ait su conserver constamment des formes aussi pures et une telle noblesse d'expressions.

 

Le premier morceau est à trois temps et dans un mouvement à peu près égal à celui de la valse. Quoi de plus sérieux cependant et de plus dramatique que cet allegro? Le thème énergique qui en forme le fond ne se présente pas d'abord dans son entier. Contrairement à l'usage, l'auteur en commençant, nous a laissé seulement entrevoir son idée mélodique; elle ne se montre avec tout son éclat qu'après un exorde de quelques mesures. Le rhythme est excessivement remarquable par la fréquence des syncopes et par des combinaisons de la mesure à deux temps, jetées, par l'accentuation des temps faibles, dans la mesure à trois temps. Quand à ce rhythme heurté viennent se joindre encore certaines rudes dissonances, comme celle que nous trouvons vers le milieu de la seconde reprise, où les premiers violons frappent le fa naturel aigu contre le mi naturel, quinte de l'accord de la mineur, on ne peut réprimer un mouvement d'effroi à ce tableau de fureur indomptable. C'est la voix du désespoir et presque de la rage. Seulement on peut se dire: Pourquoi ce désespoir? pourquoi cette rage? On n'en découvre pas le motif. L'orchestre se calme subitement à la mesure suivante; on dirait que, brisé par l'emportement auquel il vient de se livrer, les forces lui manquent tout à coup. Puis ce sont des phrases plus douces, où nous retrouvons tout ce que le souvenir peut faire naître dans l'âme de douloureux attendrissements. Il est impossible de décrire, ou seulement d'indiquer, la multitude d'aspects mélodiques et harmoniques sous lesquels Beethoven reproduit son thème; nous nous bornerons à en indiquer un d'une extrême bizarrerie, qui a servi de texte à bien des discussions, que l'éditeur français a corrigé dans la partition, pensant que ce fût une faute de gravure, mais qu'on a rétabli après un plus ample informé: les premiers et les seconds violons seuls tiennent en trémolo la seconde majeure si b, la b, fragment de l'accord de septième sur la dominante de mi bémol, quand un cor, qui a l'air de se tromper et de partir quatre mesures trop tôt, vient témérairement faire entendre le commencement du thème principal qui roule exclusivement sur les notes, mi, sol, mi, si. On conçoit quel étrange effet cette mélodie formée des trois notes de l'accord de tonique doit produire contre les deux notes dissonantes de l'accord de dominante, quoique l'écartement des parties en affaiblisse beaucoup le froissement; mais, au moment où l'oreille est sur le point de se révolter contre une semblable anomalie, un vigoureux tutti vient couper la parole au cor, et, se terminant piano sur l'accord de la tonique, laisse rentrer les violoncelles, qui disent alors le thème tout entier sous l'harmonie qui lui convient. A considérer les choses d'un peu haut, il est difficile de trouver une justification sérieuse à ce caprice musical3. L'auteur, dit-on, y tenait beaucoup cependant; on raconte même qu'à la première répétition de cette symphonie, M. Ries, qui y assistait, s'écria en arrêtant l'orchestre: «Trop tôt, trop tôt, le cor s'est trompé!» et que, pour récompense de son zèle, il reçut de Beethoven furieux une semonce des plus vives.

Aucune bizarrerie de cette nature ne se présente dans le reste de la partition. La marche funèbre est tout un drame. On croit y trouver la traduction des beaux vers de Virgile, sur le convoi du jeune Pallas:

 
Multa que præterea Laurentis præmia pugnæ
Adgerat, et longo prædam jubet ordine duci.
Post bellator equus, positis insignibus, Æthon
It lacrymans, guttis que humectat grandibus ora.
 

La fin surtout émeut profondément. Le thème de la marche reparaît, mais par fragments coupés de silences et sans autre accompagnement que trois coups pizzicato de contre-basse; et quand ces lambeaux de la lugubre mélodie, seuls, nus, brisés, effacés, sont tombés un à un jusque sur la tonique, les instruments à vent poussent un cri, dernier adieu des guerriers à leur compagnon d'armes, et tout l'orchestre s'éteint sur un point d'orgue pianissimo.

Le troisième morceau est intitulé scherzo, suivant l'usage. Le mot italien signifie jeu, badinage. On ne voit pas trop, au premier coup d'œil, comment un pareil genre de musique peut figurer dans cette composition épique. Il faut l'entendre pour le concevoir. En effet, c'est bien là le rhythme, le mouvement du scherzo; ce sont bien des jeux, mais de véritables jeux funèbres, à chaque instant assombris par des pensées de deuil, des jeux enfin comme ceux que les guerriers de l'Iliade célébraient autour des tombeaux de leurs chefs.

Jusque dans les évolutions les plus capricieuses de son orchestre, Beethoven a su conserver la couleur grave et sombre, la tristesse profonde qui devaient naturellement dominer dans un tel sujet. Le finale n'est qu'un développement de la même idée poétique. Un passage d'instrumentation fort curieux se fait remarquer au début, et montre tout l'effet qu'on peut tirer de l'opposition des timbres différents. C'est un si bémol frappé par les violons, et repris à l'instant par les flûtes et les hautbois en manière d'écho. Bien que le son soit répercuté sur le même degré de l'échelle, dans le même mouvement et avec une force égale, il résulte cependant de ce dialogue une différence si grande entre les mêmes notes, qu'on pourrait comparer la nuance qui les distingue à celle qui sépare le bleu du violet. De telles finesses de tons étaient tout à fait inconnues avant Beethoven, c'est à lui que nous les devons.

Ce finale si varié est pourtant fait entièrement avec un thème fugué fort simple, sur lequel l'auteur bâtit ensuite, outre mille ingénieux détails, deux autres thèmes dont l'un est de la plus grande beauté. On ne peut s'apercevoir, à la tournure de la mélodie, qu'elle a été pour ainsi dire extraite d'une autre. Son expression au contraire est beaucoup plus touchante, elle est incomparablement plus gracieuse que le thème primitif, dont le caractère est plutôt celui d'une basse et qui en tient fort bien lieu. Ce chant reparaît, un peu avant la fin, sur un mouvement plus lent et avec une autre harmonie qui en redouble la tristesse. Le héros coûte bien des pleurs. Après ces derniers regrets donnés à sa mémoire, le poëte quitte l'élégie pour entonner avec transport l'hymne de la gloire. Quoique un peu laconique, cette péroraison est pleine d'éclat, elle couronne dignement le monument musical. Beethoven a écrit des choses plus, saisissantes peut-être que cette symphonie, plusieurs de ses autres compositions impressionnent plus vivement le public, mais, il faut le reconnaître cependant, la Symphonie héroïque est tellement forte de pensée et d'exécution, le style en est si nerveux, si constamment élevé, et la forme si poétique, que son rang est égal à celui des plus hautes conceptions de son auteur. Un sentiment de tristesse grave et pour ainsi dire antique me domine toujours pendant l'exécution de cette symphonie; mais le public en paraît médiocrement touché. Certes, il faut déplorer la misère de l'artiste qui, brûlant d'un tel enthousiasme, n'a pu se faire assez bien comprendre même d'un auditoire d'élite, pour l'élever jusqu'à la hauteur de son inspiration. C'est d'autant plus triste que ce même auditoire, en d'autres circonstances, s'échauffe, palpite et pleure avec lui; il se prend d'une passion réelle et très-vive pour quelques-unes de ses compositions également admirables, il est vrai, mais non plus belles que celle-ci cependant; il apprécie à leur juste valeur l'allegretto en la mineur de la septième symphonie, l'allegretto scherzando de la huitième, le finale de la cinquième, le scherzo de la neuvième; il paraît même fort ému de la marche funèbre de la symphonie dont il est ici question (l'héroïque); mais quant au premier morceau, il est impossible de se faire illusion, j'en ai fait la remarque depuis plus de vingt ans, le public l'écoute presque de sang-froid; il y voit une composition savante et d'une assez grande énergie; au delà… rien. Il n'y a pas de philosophie qui tienne; on a beau se dire qu'il en fut toujours ainsi en tous lieux et pour toutes les œuvres élevées de l'esprit, que les causes de l'émotion poétique sont secrètes et inappréciables, que le sentiment de certaines beautés dont quelques individus sont doués, manque absolument chez les masses, qu'il est même impossible qu'il en soit autrement… Tout cela ne console pas, tout cela ne calme pas l'indignation instinctive, involontaire, absurde, si l'on veut, dont le cœur se remplit, à l'aspect d'une merveille méconnue, d'une si noble composition, que la foule regarde sans voir, écoute sans entendre, et laisse passer près d'elle sans presque détourner la tête, comme s'il ne s'agissait que d'une chose médiocre ou commune. Oh! c'est affreux de se dire, et cela avec une certitude impitoyable: Ce que je trouve beau est le beau pour moi, mais il ne le sera peut-être pas pour mon meilleur ami; celui dont les sympathies sont ordinairement les miennes sera affecté d'une tout autre manière; il se peut que l'œuvre qui me transporte, qui me donne la fièvre, qui m'arrache des larmes, le laisse froid, ou même lui déplaise, l'impatiente…

La plupart des grands poëtes ne sentent pas la musique ou ne goûtent que les mélodies triviales et puériles; beaucoup de grands esprits, qui croient l'aimer, ne se doutent même pas des émotions qu'elle fait naître. Ce sont de tristes vérités, mais ce sont des vérités palpables, évidentes, que l'entêtement de certains systèmes peut seul empêcher de reconnaître. J'ai vu une chienne qui hurlait de plaisir en entendant la tierce majeure tenue en double corde sur le violon, elle a fait des petits sur qui la tierce, ni la quinte, ni la sixte, ni l'octave, ni aucun accord consonnant ou dissonant, n'ont jamais produit la moindre impression. Le public, de quelque manière qu'il soit composé, est toujours, à l'égard des grandes conceptions musicales, comme cette chienne et ses chiens. Il a certains nerfs qui vibrent à certaines résonnances, mais cette organisation, tout incomplète qu'elle soit, étant inégalement répartie et modifiée à l'infini, il s'ensuit qu'il y a presque folie à compter sur tels moyens de l'art plutôt que sur tels autres, pour agir sur lui; et que le compositeur n'a rien de mieux à faire que d'obéir aveuglément à son sentiment propre, en se résignant d'avance à toutes les chances du hasard. Je sors du Conservatoire avec trois ou quatre dilettanti, un jour où l'on vient d'exécuter la symphonie avec chœurs.

– Comment trouvez-vous cet ouvrage? me dit l'un d'eux.

– Immense! magnifique! écrasant!

– C'est singulier, je m'y suis cruellement ennuyé. Et vous? ajoute-t-il, en s'adressant à un Italien…

– Oh! moi, je trouve cela inintelligible, ou plutôt insupportable, il n'y a pas de mélodie… Au reste, tenez, voici plusieurs journaux qui en parlent, lisons:

– La symphonie avec chœurs de Beethoven représente le point culminant de la musique moderne; l'art n'a rien produit encore qu'on puisse lui comparer pour la noblesse du style, la grandeur du plan et le fini des détails.

(Un autre journal.) – La symphonie avec chœurs de Beethoven est une monstruosité.

(Un autre.) – Cet ouvrage n'est pas absolument dépourvu d'idées, mais elles sont mal disposées et ne forment qu'un ensemble incohérent et dénué de charme.

(Un autre.) – La symphonie, avec chœurs de Beethoven, contient d'admirables passages, cependant on voit que les idées manquaient à l'auteur, et que, son imagination épuisée ne le soutenant plus, il s'est consumé en efforts souvent heureux pour suppléer à l'inspiration à force d'art. Les quelques phrases qui s'y trouvent sont supérieurement traitées et disposées dans un ordre parfaitement clair et logique. En somme, c'est l'œuvre fort intéressante d'un génie fatigué.

Où est la vérité? où est l'erreur? partout et nulle part. Chacun a raison; ce qui est beau pour l'un ne l'est pas pour l'autre, par cela seul que l'un a été ému et que l'autre est demeuré impassible, que le premier a éprouvé une vive jouissance et le second une grande fatigue. Que faire à cela?.. rien… mais c'est horrible; j'aimerais mieux être fou et croire au beau absolu.

 
3A quelque point de vue que l'on se place, si c'est là réellement une intention de Beethoven, et s'il y a quelque chose de vrai dans les anecdotes qui circulent à ce sujet, il faut convenir que ce caprice est une absurdité.