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OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09

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Mais Paul grommela: «Merci, ces commissions et ce rôle ne me vont guère. Je ne suis pas venu ici pour préparer tes appartements et tes plaisirs.»

Mais j’insistai: «Voyons, mon cher, ne te fâche pas. Il vaut mieux assurément descendre dans un bon hôtel que dans un mauvais, et ce n’est pas bien difficile d’aller demander au patron trois chambres séparées, avec salle à manger.»

J’appuyai sur trois, ce qui le décida.

Il prit donc les devants et je le vis entrer sous la grande porte d’un bel hôtel pendant que je demeurais de l’autre côté de la rue, traînant mon Italienne muette, et suivi pas à pas par les porteurs de colis.

Paul enfin revint, avec un visage aussi maussade que celui de ma compagne: «C’est fait, dit-il, on nous accepte; mais il n’y a que deux chambres. Tu t’arrangeras comme tu pourras.»

Et je le suivis, honteux d’entrer en cette compagnie suspecte.

Nous avions deux chambres en effet, séparées par un petit salon. Je priai qu’on nous apportât un souper froid, puis je me tournai un peu perplexe, vers l’Italienne.

— Nous n’avons pu nous procurer que deux chambres, madame, vous choisirez celle que vous voudrez.

Elle répondit par un éternel: «Che mi fa?» Alors je pris, par terre, sa petite caisse de bois noir, une vraie malle de domestique, et je la portai dans l’appartement de droite que je choisis pour elle... pour nous. Une main française avait écrit sur un carré de papier collé «Mademoiselle Francesca Rondoli. Gênes.»

Je demandai: Vous vous appelez Francesca?»

Elle fit «oui» de la tête, sans répondre.

Je repris: «Nous allons souper tout à l’heure. En attendant, vous avez peut-être envie de faire votre toilette?»

Elle répondit par un «mica», mot aussi fréquent dans sa bouche que le «che mi fa.» J’insistai: «Après un voyage en chemin de fer, il est si agréable de se nettoyer.»

Puis je pensai qu’elle n’avait peut-être pas les objets indispensables à une femme, car elle me paraissait assurément dans une situation singulière, comme au sortir de quelque aventure désagréable, et j’apportai mon nécessaire.

J’atteignis tous les petits instruments de propreté qu’il contenait: une brosse à ongles, une brosse à dents neuve, — car j’en emporte toujours avec moi un assortiment, — mes ciseaux, mes limes, des éponges. Je débouchai un flacon d’eau de Cologne, un flacon d’eau de lavande ambrée, un petit flacon de new mown hay, pour lui laisser le choix. J’ouvris ma boîte à poudre de riz où baignait la houppe légère. Je plaçai une de mes serviettes fines à cheval sur le pot à eau et je posai un savon vierge auprès de la cuvette.

Elle suivait mes mouvements de son œil large et fâché, sans paraître étonnée ni satisfaite de mes soins.

Je lui dis: «Voilà tout ce qu’il vous faut, je vous préviendrai quand le souper sera prêt.»

Et je rentrai dans le salon. Paul avait pris possession de l’autre chambre et s’était enfermé dedans, je restai donc seul à attendre.

Un garçon allait et venait, apportant les assiettes, les verres. Il mit la table lentement, puis posa dessus un poulet froid et m’annonça que j’étais servi.

Je frappai doucement à la porte de Mlle Rondoli. Elle cria: «Entrez.» J’entrai. Une suffocante odeur de parfumerie me saisit, cette odeur violente, épaisse, des boutiques de coiffeurs.

L’Italienne était assise sur sa malle dans une pose de songeuse mécontente ou de bonne renvoyée. J’appréciai d’un coup d’œil ce qu’elle entendait par faire sa toilette. La serviette était restée pliée sur le pot à eau toujours plein. Le savon intact et sec demeurait auprès de la cuvette vide; mais on eût dit que la jeune femme avait bu la moitié des flacons d’essence. L’eau de Cologne cependant avait été ménagée; il ne manquait environ qu’un tiers de la bouteille; elle avait fait, par compensation, une surprenante consommation d’eau de lavande ambrée et de new mown hay. Un nuage de poudre de riz, un vague brouillard blanc semblait encore flotter dans l’air, tant elle s’en était barbouillé le visage et le cou. Elle en portait une sorte de neige dans les cils, dans les sourcils et sur les tempes, tandis que ses joues en étaient plâtrées et qu’on en voyait des couches profondes dans tous les creux de son visage, sur les ailes du nez, dans la fossette du menton, aux coins des yeux.

Quand elle se leva, elle répandit une odeur si violente que j’eus une sensation de migraine.

Et on se mit à table pour souper. Paul était devenu d’une humeur exécrable. Je n’en pouvais tirer que des paroles de blâme, des appréciations irritées ou des compliments désagréables.

Mlle Francesca mangeait comme un gouffre. Dès qu’elle eut achevé son repas, elle s’assoupit sur le canapé. Cependant, je voyais venir avec inquiétude l’heure décisive de la répartition des logements. Je me résolus à brusquer les choses, et m’asseyant auprès de l’Italienne, je lui baisai la main avec galanterie.

Elle entr’ouvrit ses yeux fatigués, me jeta entre ses paupières soulevées un regard endormi et toujours mécontent.

Je lui dis: «Puisque nous n’avons que deux chambres, voulez-vous me permettre d’aller avec vous dans la vôtre?»

Elle répondit: «Faites comme vous voudrez. Ça m’est égal. Che mi fa?»

Cette indifférence me blessa: «Alors, ça ne vous est pas désagréable que j’aille avec vous?

— Ça m’est égal, faites comme vous voudrez.

— Voulez-vous vous coucher tout de suite?

— Oui, je veux bien; j’ai sommeil.»

Elle se leva, bâilla, tendit la main à Paul qui la prit d’un air furieux, et je l’éclairai dans notre appartement.

Mais une inquiétude me hantait: «Voici, lui dis-je de nouveau, tout ce qu’il vous faut.»

Et j’eus soin de verser moi-même la moitié du pot à eau dans la cuvette et de placer la serviette près du savon.

Puis je retournai vers Paul. Il déclara dès que je fus rentré: «Tu as amené là un joli chameau!» Je répliquai en riant: «Mon cher, ne dis pas de mal des raisins trop verts.»

Il reprit, avec une méchanceté sournoise: «Tu verras s’il t’en cuira, mon bon.»

Je tressaillis, et cette peur harcelante qui nous poursuit après les amours suspectes, cette peur qui nous gâte les rencontres charmantes, les caresses imprévues, tous les baisers cueillis à l’aventure, me saisit. Je fis le brave cependant: «Allons donc, cette fille-là n’est pas une rouleuse.»

Mais il me tenait, le gredin! Il avait vu sur mon visage passer l’ombre de mon inquiétude:

— Avec ça que tu la connais? Je te trouve surprenant! Tu cueilles dans un wagon une Italienne qui voyage seule; elle t’offre avec un cynisme vraiment singulier d’aller coucher avec toi dans le premier hôtel venu. Tu l’emmènes. Et tu prétends que ce n’est pas une fille! Et tu te persuades que tu ne cours pas plus de danger ce soir que si tu allais passer la nuit dans le lit d’une... d’une femme atteinte de petite vérole.

Et il riait de son rire mauvais et vexé. Je m’assis, torturé d’angoisse. Qu’allais-je faire? Car il avait raison. Et un combat terrible se livrait en moi entre la crainte et le désir.

Il reprit: «Fais ce que tu voudras, je t’aurai prévenu; tu ne te plaindras point des suites.»

Mais je vis dans son œil une gaieté si ironique, un tel plaisir de vengeance; il se moquait si gaillardement de moi que je n’hésitai plus. Je lui tendis la main. «Bonsoir, lui dis-je.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Et ma foi, mon cher, la victoire vaut le danger.»

Et j’entrai d’un pas ferme dans la chambre de Francesca.

Je demeurai sur la porte, surpris, émerveillé. Elle dormait déjà, toute nue, sur le lit. Le sommeil l’avait surprise comme elle venait de se dévêtir; et elle reposait dans la pose charmante de la grande femme du Titien.

Elle semblait s’être couchée par lassitude, pour ôter ses bas, car ils étaient restés sur le drap; puis elle avait pensé à quelque chose, sans doute à quelque chose d’agréable, car elle avait attendu un peu avant de se relever, pour laisser s’achever sa rêverie, puis, fermant doucement les yeux, elle avait perdu connaissance. Une chemise de nuit, brodée au col, achetée toute faite dans un magasin de confection, luxe de débutante, gisait sur une chaise.

Elle était charmante, jeune, ferme et fraîche.

Quoi de plus joli qu’une femme endormie? Ce corps, dont tous les contours sont doux, dont toutes les courbes séduisent, dont toutes les molles saillies troublent le cœur, semble fait pour l’immobilité du lit. Cette ligne onduleuse qui se creuse au flanc, se soulève à la hanche, puis descend la pente légère et gracieuse de la jambe pour finir si coquettement au bout du pied ne se dessine vraiment avec tout son charme exquis, qu’allongée sur les draps d’une couche.

J’allais oublier, en une seconde, les conseils prudents de mon camarade; mais, soudain, m’étant tourné vers la toilette, je vis toutes choses dans l’état où je les avais laissées; et je m’assis, tout à fait anxieux, torturé par l’irrésolution.

Certes, je suis resté là longtemps, fort longtemps, une heure peut-être, sans me décider à rien, ni à l’audace ni à la fuite. La retraite d’ailleurs m’était impossible, et il me fallait soit passer la nuit sur un siège, soit me coucher à mon tour, à mes risques et périls.

Quant à dormir ici ou là, je n’y devais pas songer, j’avais la tête trop agitée et les yeux trop occupés.

Je remuais sans cesse, vibrant, enfiévré, mal à l’aise, énervé à l’excès. Puis je me fis un raisonnement de capitulard: «Ça ne m’engage à rien de me coucher. Je serai toujours mieux, pour me reposer, sur un matelas que sur une chaise.»

 

Et je me déshabillai lentement; puis passant par-dessus la dormeuse, je m’étendis contre la muraille, en offrant le dos à la tentation.

Et je demeurai encore longtemps, fort longtemps sans dormir.

Mais, tout à coup, ma voisine se réveilla. Elle ouvrit des yeux étonnés et toujours mécontents, puis s’étant aperçue qu’elle était nue, elle se leva et passa tranquillement sa chemise de nuit, avec autant d’indifférence que si je n’avais pas été là.

Alors... ma foi... je profitai de la circonstance, sans qu’elle parût d’ailleurs s’en soucier le moins du monde. Et elle se rendormit placidement, la tête posée sur son bras droit.

Et je me mis à méditer sur l’imprudence et la faiblesse humaines. Puis je m’assoupis enfin.

Elle s’habilla de bonne heure, en femme habituée aux travaux du matin. Le mouvement qu’elle fit en se levant m’éveilla; et je la guettai entre mes paupières à demi closes.

Elle allait, venait, sans se presser, comme étonnée de n’avoir rien à faire. Puis elle se décida à se rapprocher de la table de toilette et elle vida, en une minute, tout ce qui restait de parfums dans mes flacons. Elle usa aussi de l’eau, il est vrai, mais peu.

Puis quand elle se fut complètement vêtue, elle se rassit sur sa malle, et, un genou dans ses mains, elle demeura songeuse.

Je fis alors semblant de l’apercevoir, et je dis: «Bonjour, Francesca.»

Elle grommela, sans paraître plus gracieuse que la veille: «Bonjour.»

Je demandai: «Avez-vous bien dormi?»

Elle fit oui de la tête sans répondre; et sautant à terre, je m’avançai pour l’embrasser.

Elle me tendit son visage d’un mouvement ennuyé d’enfant qu’on caresse malgré lui. Je la pris alors tendrement dans mes bras (le vin étant tiré, j’eus été bien sot de n’en plus boire) et je posai lentement mes lèvres sur ses grands yeux fâchés qu’elle fermait, avec ennui, sous mes baisers, sur ses joues claires, sur ses lèvres charnues qu’elle détournait.

Je lui dis: «Vous n’aimez donc pas qu’on vous embrasse?»

Elle répondit: «Mica.»

Je m’assis sur la malle à côté d’elle, et passant mon bras sous le sien: «Mica! mica! mica! pour tout. Je ne vous appellerai plus que mademoiselle Mica.»

Pour la première fois, je crus voir sur sa bouche une ombre de sourire, mais il passa si vite que j’ai bien pu me tromper.

— Mais si vous répondez toujours «mica» je ne saurai plus quoi tenter pour vous plaire. Voyons, aujourd’hui, qu’est-ce que nous allons faire?

Elle hésita comme si une apparence de désir eût traversé sa tête, puis elle prononça nonchalamment: «Ça m’est égal, ce que vous voudrez.

— Eh bien, mademoiselle Mica, nous prendrons une voiture et nous irons nous promener.»

Elle murmura: «Comme vous voudrez.»

Paul nous attendait dans la salle à manger avec la mine ennuyée des tiers dans les affaires d’amour. J’affectai une figure ravie et je lui serrai la main avec une énergie pleine d’aveux triomphants.

Il demanda: «Qu’est-ce que tu comptes faire?»

Je répondis: «Mais nous allons d’abord parcourir un peu la ville, puis nous pourrons prendre une voiture pour voir quelque coin des environs.»

Le déjeuner fut silencieux, puis on partit par les rues, pour la visite des musées. Je traînai à mon bras Francesca de palais en palais. Nous parcourûmes le palais Spinola, le palais Doria, le palais Marcello Durazzo, le palais Rouge et le palais Blanc. Elle ne regardait rien ou bien levait parfois sur les chefs-d’œuvre son œil las et nonchalant. Paul exaspéré nous suivait en grommelant des choses désagréables. Puis une voiture nous promena par la campagne, muets tous les trois.

Puis on rentra pour dîner.

Et le lendemain ce fut la même chose, et le lendemain encore.

Paul, le troisième jour, me dit: «Tu sais, je te lâche, moi, je ne vais pas rester trois semaines à te regarder faire l’amour avec cette grue-là?»

Je demeurais fort perplexe, fort gêné, car, à ma grande surprise, je m’étais attaché à Francesca d’une façon singulière. L’homme est faible et bête, entraînable pour un rien, et lâche toutes les fois que ses sens sont excités ou domptés. Je tenais à cette fille que je ne connaissais point, à cette fille taciturne et toujours mécontente. J’aimais sa figure grogneuse, la moue de sa bouche, l’ennui de son regard; j’aimais ses gestes fatigués, ses consentements méprisants, jusqu’à l’indifférence de sa caresse. Un lien secret, ce lien mystérieux de l’amour bestial, cette attache secrète de la possession qui ne rassasie pas, me retenait près d’elle. Je le dis à Paul, tout franchement. Il me traita d’imbécile, puis me dit: «Eh bien, emmène la.»

Mais elle refusa obstinément de quitter Gênes sans vouloir expliquer pourquoi. J’employai les prières, les raisonnements, les promesses; rien n’y fit.

Et je restai.

Paul déclara qu’il allait partir tout seul. Il fit même sa malle, mais il resta également.

Et quinze jours se passèrent encore.

Francesca, toujours silencieuse et d’humeur irritée, vivait à mon côté plutôt qu’avec moi, répondant à tous mes désirs, à toutes mes demandes, à toutes mes propositions par son éternel «che mi fa» ou par son non moins éternel «mica».

Mon ami ne dérageait plus. A toutes ses colères, je répondais: «Tu peux t’en aller si tu t’ennuies. Je ne te retiens pas.»

Alors il m’injuriait, m’accablait de reproches, s’écriait: «Mais où veux-tu que j’aille maintenant. Nous pouvions disposer de trois semaines, et voilà quinze jours passés! Ce n’est pas à présent que je peux continuer ce voyage? Et puis, comme si j’allais partir tout seul pour Venise, Florence et Rome! Mais tu me le payeras, et plus que tu ne penses. On ne fait pas venir un homme de Paris pour l’enfermer dans un hôtel de Gênes avec une rouleuse italienne!»

Je lui disais tranquillement: «Eh bien, retourne à Paris, alors.» Et il vociférait: «C’est ce que je vais faire et pas plus tard que demain.»

Mais le lendemain il restait comme la veille, toujours furieux et jurant.

On nous connaissait maintenant par les rues, où nous errions du matin au soir, par les rues étroites et sans trottoirs de cette ville qui ressemble à un immense labyrinthe de pierre, percé de corridors pareils à des souterrains. Nous allions dans ces passages où soufflent de furieux courants d’air, dans ces traverses resserrées entre des murailles si hautes, que l’on voit à peine le ciel. Des Français parfois se retournaient, étonnés de reconnaître des compatriotes en compagnie de cette fille ennuyée aux toilettes voyantes, dont l’allure vraiment semblait singulière, déplacée entre nous, compromettante.

Elle allait appuyée à mon bras, ne regardant rien. Pourquoi restait-elle avec moi, avec nous, qui paraissions lui donner si peu d’agrément? Qui était-elle? D’où venait-elle? Que faisait-elle? Avait-elle un projet, une idée? Ou bien vivait-elle, à l’aventure, de rencontres et de hasards? Je cherchais en vain à la comprendre, à la pénétrer, à l’expliquer. Plus je la connaissais, plus elle m’étonnait, m’apparaissait comme une énigme. Certes, elle n’était point une drôlesse, faisant profession de l’amour. Elle me paraissait plutôt quelque fille de pauvres gens, séduite, emmenée, puis lâchée et perdue maintenant. Mais que comptait-elle devenir? Qu’attendait-elle? Car elle ne semblait nullement s’efforcer de me conquérir ou de tirer de moi quelque profit bien réel.

J’essayai de l’interroger, de lui parler de son enfance, de sa famille. Elle ne me répondit pas. Et je demeurais avec elle, le cœur libre et la chair tenaillée, nullement las de la tenir en mes bras, cette femelle hargneuse et superbe, accouplé comme une bête, pris par les sens ou plutôt séduit, vaincu par une sorte de charme sensuel, un charme jeune, sain, puissant, qui se dégageait d’elle, de sa peau savoureuse, des lignes robustes de son corps.

Huit jours encore s’écoulèrent. Le terme de mon voyage approchait, car je devais être rentré à Paris le 11 juillet. Paul, maintenant, prenait à peu près son parti de l’aventure, tout en m’injuriant toujours. Quant à moi, j’inventais des plaisirs, des distractions, des promenades pour amuser ma maîtresse et mon ami; je me donnais un mal infini.

Un jour, je leur proposai une excursion à Santa Margarita. La petite ville charmante, au milieu de jardins, se cache au pied d’une côte qui s’avance au loin dans la mer jusqu’au village de Portofino. Nous suivions tous trois l’admirable route qui court le long de la montagne. Francesca soudain me dit: «Demain, je ne pourrai pas me promener avec vous. J’irai voir des parents.»

Puis elle se tut. Je ne l’interrogeai pas, sûr qu’elle ne me répondrait point.

Elle se leva en effet, le lendemain, de très bonne heure. Puis, comme je restais couché, elle s’assit sur le pied de mon lit et prononça, d’un air gêné, contrarié, hésitant: «Si je ne suis pas revenue ce soir, est-ce que vous viendrez me chercher?»

Je répondis: «Mais oui, certainement. Où faut-il aller?»

Elle m’expliqua: «Vous irez dans la rue Victor-Emmanuel, puis vous prendrez le passage Falcone et la traverse Saint-Raphaël, vous entrerez dans la maison du marchand de mobilier, dans la cour, tout au fond, dans le bâtiment qui est à droite, et vous demanderez Mme Rondoli. C’est là.»

Et elle partit. Je demeurai fort surpris.

En me voyant seul, Paul, stupéfait, balbutia: «Où donc est Francesca?» Et je lui racontai ce qui venait de se passer.

Il s’écria: «Eh bien, mon cher, profite de l’occasion et filons. Aussi bien voilà notre temps fini. Deux jours de plus ou de moins ne changent rien. En route, en route, fais ta malle. En route!»

Je refusai: «Mais non mon cher, je ne puis vraiment lâcher cette fille d’une pareille façon, après être resté près de trois semaines avec elle. Il faut que je lui dise adieu, que je lui fasse accepter quelque chose; non, je me conduirais là comme un saligaud.»

Mais il ne voulait rien entendre, il me pressait, me harcelait. Cependant je ne cédai pas.

Je ne sortis point de la journée, attendant le retour de Francesca. Elle ne revint point.

Le soir, au dîner, Paul triomphait: «C’est elle qui t’a lâché, mon cher. Ça, c’est drôle, c’est bien drôle.»

J’étais étonné, je l’avoue et un peu vexé. Il me riait au nez, me raillait: «Le moyen n’est pas mauvais, d’ailleurs, bien que primitif. — Attendez-moi, je reviens. — Est-ce que tu vas l’attendre longtemps? Qui sait? Tu auras peut-être la naïveté d’aller la chercher à l’adresse indiquée: — Madame Rondoli, s’il vous plaît? — Ce n’est pas ici, monsieur. — Je parie que tu as envie d’y aller?»

Je protestai: «Mais non, mon cher, et je t’assure que si elle n’est pas revenue demain matin, je pars à huit heures par l’express. Je serai resté vingt-quatre heures. C’est assez: ma conscience sera tranquille.»

Je passai toute la soirée dans l’inquiétude, un peu triste, un peu nerveux. J’avais vraiment au cœur quelque chose pour elle. A minuit je me couchai. Je dormis à peine.

J’étais debout à six heures. Je réveillai Paul, je fis ma malle, et nous prenions ensemble, deux heures plus tard, le train pour la France.