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Mont Oriol

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Ce nom, deux fois répété, irrita tout à coup le coeur de Paul. Il dit, nerveux:

– Oh! ne me parle pas de lui ce soir!

Elle s’étonna:

– Pourquoi? Il le faut bien pourtant… Oh! je t’assure qu’il ne tient guère à moi.

Elle avait deviné sa pensée.

Une obscure jalousie, encore inconsciente, s’éveillait en lui. Et soudain, s’agenouillant et lui prenant les mains:

– Écoute, Liane!…

Il se tut. Il n’osait pas dire l’inquiétude, le soupçon honteux qui lui venaient; et il ne savait comment les exprimer.

– Écoute… Liane… Comment es-tu avec lui?…

Elle ne comprit pas.

– Mais… mais… très bien.

– Oui… je sais… Mais… écoute… comprends-moi bien… C’est… c’est ton mari… enfin… et… et… tu ne sais pas combien je pense à ça depuis tantôt… Combien ça me tourmente… ça me torture… Tu comprends… dis?

Elle hésita quelques secondes, puis soudain elle pénétra son intention tout entière, et avec un élan de franchise indignée:

– Oh! mon chéri… peux-tu… peux-tu penser?… Oh! Je suis à toi… entends-tu?… rien qu’à toi… puisque je t’aime… Oh! Paul!…

Il laissa retomber sa tête sur les genoux de la jeune femme, et, d’une voix très douce:

– Mais!… enfin… ma petite Liane… puisque… puisque c’est ton mari… Comment feras-tu?… Y as-tu songé?… Dis?… Comment feras-tu ce soir… ou demain… Car tu ne peux pas… toujours, toujours lui dire: «Non…»

Elle murmura, très bas aussi:

– Je lui ai fait croire que j’étais enceinte, et… et ça lui suffit… Oh! il n’y tient guère… va… Ne parlons plus de ces choses-là, mon chéri, tu ne sais pas comme ça me froisse, comme ça me blesse. Fie-toi à moi, puisque je t’aime…

Il ne remua plus, respirant et baisant sa robe, tandis qu’elle lui caressait le visage de ses doigts amoureux et légers.

Mais soudain:

– Il faut revenir, dit-elle, car on s’apercevrait que nous sommes absents tous les deux.

Ils s’embrassèrent longuement en s’étreignant à se briser les os; puis elle partit la première, courant pour rentrer plus vite, tandis qu’il la regardait s’éloigner et disparaître, triste comme si tout son bonheur et tout son espoir se fussent enfuis avec elle.

DEUXIÈME PARTIE

I. À peine eût-on reconnu la station d’Enval, le 1er juillet de l’année suivante…

À peine eût-on reconnu la station d’Enval, le 1er juillet de l’année suivante.

Sur le sommet de la butte, debout entre les deux issues du vallon, s’élevait une construction d’architecture mauresque qui portait au front le mot Casino, en lettres d’or.

On avait utilisé un petit bois pour créer un petit parc sur la pente vers la Limagne. Une terrasse soutenue par un mur orné d’un bout à l’autre par de grands vases en simili-marbre, s’étendait devant cette construction et dominait la vaste plaine d’Auvergne.

Plus bas, dans les vignes, six chalets montraient, de place en place, leurs façades de bois verni.

Sur la pente tournée au midi, une immense bâtisse toute blanche appelait de loin les voyageurs qui l’apercevaient en sortant de Riom. C’était le grand hôtel du Mont-Oriol. Et juste au-dessous, au pied même de la colline, une maison carrée, plus simple, mais vaste, entourée d’un jardin que traversait le ruisselet venu des gorges, offrait aux malades la guérison miraculeuse promise par une brochure du docteur Latonne. On lisait sur la façade: «Thermes du Mont-Oriol.» Puis, sur l’aile de droite, en lettres plus petites: «Hydrothérapie. – Lavages d’estomac. – Piscines à eau courante.» Et sur l’aile de gauche: «Institut médical de gymnastique automotrice.»

Tout cela était blanc, d’une blancheur neuve, luisante et crue. Des ouvriers travaillaient encore, des peintres, des plombiers, des terrassiers, bien que l’établissement fût ouvert depuis un mois déjà.

Le succès d’ailleurs avait dépassé, dès les premiers jours, les espérances des fondateurs. Trois grands médecins, trois célébrités, MM. les professeurs Mas-Roussel, Cloche et Rémusot avaient pris sous leur protection la station nouvelle et accepté de séjourner quelque temps dans les villas de la Société Bernoise des Chalets Mobiles, mises à leur disposition par les administrateurs des eaux.

Sous leur influence, une foule de malades accourait. Le grand hôtel du Mont-Oriol était plein.

Quoique les bains eussent commencé à fonctionner dès les premiers jours de juin, l’ouverture officielle de la station avait été remise au 1er juillet, afin d’attirer beaucoup de monde. La fête devait commencer à trois heures par la bénédiction des sources. Et le soir, une grande représentation suivie d’un feu d’artifice et d’un bal réunirait tous les baigneurs du lieu avec ceux des stations voisines et les principaux habitants de Clermond-Ferrand et de Riom.

Le casino au faîte du mont disparaissait sous les drapeaux. On ne voyait plus que du bleu, du rouge, du blanc, du jaune, une sorte de nuage épais et palpitant; tandis qu’au sommet de mâts géants plantés le long des allées du parc, des oriflammes démesurées se déployaient dans le ciel bleu avec des ondulations de serpents.

M. Petrus Martel, qui avait obtenu la direction de ce nouveau casino, se croyait devenu, sous cette nuée de drapeaux, le capitaine tout-puissant de quelque navire fantastique; et il donnait des ordres aux garçons en tabliers blancs, avec la voix retentissante et terrible que doivent avoir les amiraux pour commander sous la mitraille. Ses paroles vibrantes, emportées par le vent, étaient entendues jusqu’au village.

Andermatt, essoufflé déjà, apparut sur la terrasse. Petrus Martel courut à sa rencontre et le salua d’un grand geste noble.

– Tout va bien? demanda le banquier.

– Tout va bien, monsieur le Président.

– Si on a besoin de moi, on me trouvera dans le cabinet du médecin-inspecteur. Nous avons séance ce matin.

Et il redescendit la colline. Devant la porte de l’établissement thermal, le surveillant et le caissier, enlevés aussi à l’autre Société, devenue la Société rivale, mais condamnée sans lutte possible, s’élancèrent pour recevoir leur maître. L’ancien geôlier fit le salut militaire. L’autre s’inclina comme un pauvre qui reçoit l’aumône.

Andermatt demanda:

– Monsieur l’Inspecteur est ici?

Le surveillant répondit:

– Oui, monsieur le Président, tous ces messieurs sont arrivés.

Le banquier entra dans le vestibule, au milieu des baigneuses et des garçons respectueux, tourna à droite, ouvrit une porte et trouva réunis, dans une large pièce d’aspect sérieux, pleine de livres et de bustes l’homme de science, tous les membres, présents à Enval, du conseil d’administration: son beau-père le marquis, et Gontran son beau-frère, Oriol père et fils, devenus presque des messieurs, vêtus de redingotes si longues, eux si grands, qu’ils avaient l’air de réclames pour une maison de deuil, Paul Brétigny et le docteur Latonne.

Après des poignées de mains rapides, on s’assit et Andermatt parla:

– Il nous reste à régler une question importante, celle du nom des sources. Je suis sur ce sujet d’un avis tout différent de celui de M. l’inspecteur. Le docteur propose de donner à nos trois sources principales les noms des trois sommités de la médecine qui sont ici. Assurément c’est là une flatterie qui les toucherait et nous les gagnerait davantage. Mais soyez sûrs, Messieurs, qu’elle nous aliénerait à tout jamais ceux de leurs éminents confrères qui n’ont pas encore répondu à notre invitation et que nous devons convaincre, au prix de tous nos efforts et de tous les sacrifices, de l’efficacité souveraine de nos eaux. Oui, Messieurs, la nature humaine est invariable, il faut la connaître et s’en servir. Jamais MM. les professeurs Plantureau, de Larenard et Pascalis, pour ne citer que ces trois spécialistes des affections de l’estomac et de l’intestin, n’enverront leurs malades, leurs clients, leurs meilleurs clients, les plus illustres, les princes et les archiducs, toutes les célébrités mondaines qui font en même temps leur fortune et leur réputation, jamais ils ne les enverront se guérir avec l’eau de la source Mas-Roussel, de la source Cloche ou de la source Rémusot. Car ces clients et le public entier seraient un peu fondés à croire que ce sont messieurs les professeurs Rémusot, Cloche et Mas-Roussel qui ont découvert notre eau et toutes ses propriétés thérapeutiques. Il n’est pas douteux, Messieurs, que le nom de Gubler dont on a baptisé la première source de Châtel-Guyon n’ait indisposé longtemps contre cette station, aujourd’hui prospère, une partie au moins des grands médecins qui auraient pu la patronner dès l’origine.

«Je vous propose donc de donner tout simplement le nom de ma femme à la première source découverte et le nom de Mlles Oriol aux deux autres. Nous aurons ainsi les sources Christiane, Louise et Charlotte. Ca va très bien; c’est très gentil. Qu’en dites-vous?

Son avis fut adopté même par le docteur Latonne, qui ajouta:

– On pourrait alors prier MM. Mas-Roussel, Cloche et Rémusot d’être parrains et d’offrir le bras aux marraines.

– Parfait, parfait, dit Andermatt. Je cours chez eux. Et ils accepteront. J’en réponds! Ils accepteront. Donc rendez-vous à trois heures, à l’église où le cortège se formera.

Et il repartit en courant.

Le marquis et Gontran le suivirent presque aussitôt. Les deux Oriol, coiffés de chapeaux de forme haute, se mirent en marche à leur tour côte à côte, graves et tout noirs sur la route blanche; et le docteur Latonne dit à Paul, arrivé seulement la veille pour assister à la fête:

– Je vous ai retenu, mon cher Monsieur, afin de vous montrer une chose dont j’attends merveille. C’est mon institut médical de gymnastique automotrice.

Il le prit par le bras et l’entraîna. Mais à peine furent-ils dans le vestibule qu’un garçon de bains arrêta le médecin:

– C’est M. Riquier qui attend pour son lavage.

 

Le docteur Latonne, l’année précédente, médisait les lavages d’estomac préconisés et pratiqués par le docteur Bonnefille dans l’établissement dont il était inspecteur. Mais les temps avaient modifié son opinion, et la sonde Baraduc était devenue le grand instrument de torture du nouvel inspecteur qui la plongeait dans tous les oesophages avec une joie enfantine.

Il demanda à Paul Brétigny:

– Avez-vous jamais vu faire cette petite opération-là?

L’autre répondit:

– Non, jamais.

– Venez donc, mon cher, c’est très curieux.

Ils entrèrent dans la salle des douches où M. Riquier, l’homme au teint de brique, qui essayait, cette année-là, les sources récemment découvertes, comme il avait essayé, chaque été, de toutes les stations naissantes, attendait sur un fauteuil de bois.

Pareil à quelque supplicié des temps anciens il était serré, étranglé dans une sorte de camisole de force en toile cirée qui devait préserver ses vêtements des souillures et des éclaboussures; et il avait l’air misérable, inquiet et douloureux des patients qu’un chirurgien vient opérer.

Dès que le docteur apparut, le garçon saisit un long tube qui se divisait en trois vers le milieu et qui avait l’air d’un serpent mince à double queue. Puis l’homme fixa un des bouts à l’extrémité d’un petit robinet communiquant avec la source. On laissa tomber le second dans un récipient de verre où s’écouleraient tout à l’heure les liquides rejetés par l’estomac du malade; et M. l’inspecteur, prenant d’une main tranquille le troisième bras de ce conduit, l’approcha, avec un air aimable, de la mâchoire de M. Riquier, le lui passa dans la bouche et, le dirigeant adroitement, le fit glisser dans la gorge, l’enfonçant de plus en plus avec le pouce et l’index, d’une façon gracieuse et bienveillante, en répétant:

– Très bien, très bien, très bien! Ça va, ça va, ça va, ça va parfaitement.

M. Riquier, les yeux hagards, les joues violettes, l’écume aux lèvres, haletait, suffoquait, poussait des hoquets d’angoisse; et, cramponné aux bras du fauteuil, faisait des efforts terribles pour rejeter cette bête de caoutchouc qui lui pénétrait dans le corps.

Lorsqu’il en eut avalé un demi-mètre environ, le docteur dit:

– Nous sommes au fond. Ouvrez.

Le garçon alors ouvrit le robinet; et bientôt le ventre du malade se gonfla visiblement, rempli peu à peu par l’eau tiède de la source.

– Toussez, disait le médecin, toussez, pour amorcer la descente.

Au lieu de tousser il râlait, le pauvre, et secoué de convulsions paraissait prêt surtout à perdre ses yeux qui lui sortaient de la tête. Puis soudain un léger glouglou se fit entendre par terre, à côté de son fauteuil. Le siphon du tube à double conduit venait enfin de s’amorcer; et l’estomac se vidait maintenant dans ce récipient de verre où le médecin recherchait avec intérêt les indices du catarrhe et les traces reconnaissables des digestions incomplètes.

– Vous ne mangerez plus jamais de petits pois, disait-il, ni de salade! Oh! pas de salade! Vous ne la digérez nullement. Pas de fraises, non plus!Je vous l’ai déjà répété dix fois, pas de fraises!

M. Riquier semblait furieux. Il s’agitait maintenant sans pouvoir parler avec ce tube qui lui bouchait la gorge. Mais lorsque, le lavage terminé, le docteur lui eut extrait délicatement cette sonde des entrailles, il s’écria:

– Est-ce ma faute si je mange tous les jours des saletés qui me perdent la santé? N’est-ce pas vous qui devriez veiller sur les menus de votre hôtelier? Je suis venu à votre nouvelle gargote parce qu’on m’empoisonnait à l’ancienne avec des nourritures abominables, et je suis plus mal encore dans votre grande baraque d’auberge du Mont-Oriol, parole d’honneur!

Le médecin dut le calmer et il promit, plusieurs fois de suite, de prendre sous sa direction la table d’hôte des malades.

Puis il ressaisit le bras de Paul Brétigny, et l’emmenant:

– Voici sur quels principes extrêmement rationnels j’ai établi mon traitement spécial par la gymnastique automotrice que nous allons visiter. Vous connaissez mon système de médecine organométrique, n’est-ce pas?Je prétends qu’une grande partie de nos maladies proviennent uniquement du développement excessif d’un organe qui empiète sur le voisin, gêne ses fonctions, et détruit en peu de temps l’harmonie générale du corps, d’où naissent les troubles les plus graves.

Or l’exercice est, avec les douches et le traitement thermal, un des moyens les plus énergiques pour rétablir l’équilibre et ramener les parties envahissantes à leurs proportions normales.

Mais comment décider l’homme à faire de l’exercice? Il n’y a pas seulement dans l’acte de marcher, de monter à cheval, de nager ou de ramer un effort physique considérable; il y a aussi et surtout un effort moral. C’est l’esprit qui décide, entraîne et soutient le corps. Les hommes d’énergie sont des hommes de mouvement! Or, l’énergie est dans l’âme et non pas dans les muscles. Le corps obéit à la volonté vigoureuse.

Il ne faut point songer, mon cher, à donner du courage aux lâches ni de la résolution aux faibles. Mais nous pouvons faire autre chose, nous pouvons faire plus, nous pouvons supprimer le courage, supprimer l’énergie mentale, supprimer l’effort moral et ne laisser subsister que le mouvement physique. Cet effort moral, je le remplace avec avantage par une force étrangère et purement mécanique! Comprenez-vous? Non, pas très bien. Entrons.

Il ouvrit une porte qui donnait sur une vaste salle où étaient alignés des instruments bizarres, de grands fauteuils à jambes de bois, des chevaux grossiers en sapin, des planchettes articulées, des barres mobiles tendues devant des chaises fixées au sol. Et tous ces objets étaient armés d’engrenages compliqués que faisaient mouvoir des manivelles.

Le docteur reprit:

– Voici. Nous avons quatre exercices principaux que j’appellerai les exercices naturels; ce sont: la marche, l’équitation, la natation et le canotage. Chacun de ces exercices développe des membres différents, agit d’une façon spéciale. Or, nous les possédons ici tous les quatre, produits artificiellement. On n’a qu’à se laisser faire, en ne pensant à rien, et on peut courir, monter à cheval, nager ou ramer pendant une heure sans que l’esprit prenne part, le moins du monde, à ce travail tout musculaire.

À ce moment, M. Aubry-Pasteur entrait suivi d’un homme dont les manches retroussées montraient des biceps vigoureux. L’ingénieur avait encore engraissé. Il marchait, les cuisses écartées, les bras loin du corps, en haletant.

Le docteur dit:

– Vous vous instruirez de visu.

Et, s’adressant à son malade:

– Eh bien, mon cher Monsieur, qu’allons-nous faire aujourd’hui? De la marche ou de l’équitation?

M. Aubry-Pasteur, qui serrait les mains de Paul, répondit:

– Je désire un peu de marche assise, cela me fatigue moins.

M. Latonne reprit:

– Nous avons, en effet, la marche assise et la marche debout. La marche debout, plus efficace, est assez pénible. Je l’obtiens au moyen de pédales sur lesquelles on monte et qui mettent les jambes en mouvement pendant qu’on se maintient en équilibre en se cramponnant à des anneaux scellés dans le mur. Mais voici la marche assise.

L’ingénieur s’était écroulé dans un fauteuil à bascule, et il posa ses jambes dans les jambes de bois à jointures mobiles attachées à ce siège. On lui sangla les cuisses, les mollets et les chevilles, de façon qu’il ne pût accomplir aucun mouvement volontaire; puis l’homme aux manches retroussées, saisissant la manivelle, la tourna de toute sa force. Le fauteuil d’abord se balança comme un hamac, puis les jambes tout à coup partirent, s’allongeant et se recourbant, allant et revenant avec une vitesse extrême.

– Il court, dit le docteur, qui ordonna: Doucement, allez au pas.

L’homme, ralentissant son allure, imposa au gros ingénieur une marche assise plus modérée, qui décomposait d’une façon comique tous les mouvements de son corps.

Deux autres malades apparurent alors, énormes tous deux, et suivis aussi de deux garçons de service aux bras nus.

On les hissa sur des chevaux de bois qui, mis en mouvement, se mirent aussitôt à sauter sur place, en secouant leurs cavaliers d’une abominable manière.

– Au galop! cria le docteur.

Et les bêtes factices, bondissant comme des vagues, chavirant comme des navires, fatiguèrent tellement les deux patients qu’ils se mirent à crier ensemble, d’une voix essoufflée et lamentable:

– Assez! Assez! je n’en puis plus! Assez!

Le médecin commanda: «Stop!» puis ajouta:

– Soufflez un peu. Vous reprendrez dans cinq minutes.

Paul Brétigny, qui étouffait d’envie de rire, fit remarquer que les cavaliers n’avaient pas chaud, tandis que les tourneurs de manivelles étaient en sueur.

– Si vous intervertissiez les rôles, disait-il, cela ne vaudrait-il pas mieux?

Le docteur répondit gravement:

– Oh! pas du tout, mon cher. Il ne faut pas confondre exercice et fatigue. Le mouvement de l’homme qui tourne la roue est mauvais, tandis que le mouvement du marcheur ou de l’écuyer est excellent.

Mais Paul aperçut une selle de femme.

– Oui, dit le médecin, le soir est réservé aux dames. Les hommes ne sont plus admis après midi. Venez donc voir la natation sèche.

Un système de planchettes mobiles vissées ensemble par leurs extrémités et par leurs centres, s’allongeant en losanges ou se refermant en carré comme ce jeu d’enfants qui porte des soldats piqués, permettait de garrotter et d’écarteler trois nageurs en même temps.

Le docteur disait:

– Je n’ai pas besoin de vous vanter les avantages de la natation sèche qui ne mouille le corps que de transpiration et n’expose, par conséquent, notre baigneur imaginaire à aucun accident rhumatismal.

Mais un garçon vint le chercher, une carte à la main.

– Le duc de Ramas, mon cher, je vous quitte. Excusez-moi.

Paul, resté seul, se retourna. Les deux cavaliers trottaient de nouveau. M. Aubry-Pasteur marchait toujours; et les trois Auvergnats haletaient, les bras rompus, les reins cassés à secouer ainsi leurs clients. Ils avaient l’air de moudre du café.

Quand il fut dehors, Brétigny aperçut le docteur Honorat regardant avec sa femme les préparatifs de la fête. Ils se mirent à causer, les yeux levés sur les drapeaux qui auréolaient la colline.

– C’est à l’église que se forme le cortège? demanda l’épouse du médecin.

– C’est à l’église.

– À trois heures?

– À trois heures.

– MM. les professeurs y seront?

– Oui. Ils accompagneront les marraines.

Les dames Paille l’arrêtèrent ensuite. Puis les Monécu père et fille. Mais comme il devait déjeuner, en tête à tête avec son ami Gontran, au Café du Casino, il y monta à petits pas. Paul, arrivé la veille, n’avait point vu seul à seul son camarade depuis un mois; et il voulait lui conter beaucoup d’histoires du boulevard, histoires de filles et de tripots.

Ils étaient restés à bavarder jusqu’à deux heures et demie, quand Petrus Martel les prévint qu’on se rendait à l’église.

– Allons chercher Christiane, dit Gontran.

– Allons, reprit Paul.

Ils la trouvèrent debout sur le perron du nouvel hôtel. Elle avait les joues creuses, le teint bistré des femmes enceintes, et sa taille fortement bosselée annonçait une grossesse de six mois au moins.

– Je vous attendais, dit-elle: William est parti en avant. Il a tant de choses à faire aujourd’hui.

Elle leva sur Paul Brétigny un regard plein de tendresse et prit son bras.

Ils se mirent en route doucement, évitant les pierres. Elle répétait:

– Comme je suis lourde! Comme je suis lourde! Je ne sais plus marcher. J’ai si peur de tomber!

Il ne répondait pas et la soutenait avec précaution, sans chercher à rencontrer ses yeux qu’elle tournait sans cesse vers lui.

Une foule compacte les attendait devant l’église.

Andermatt cria:

– Enfin, enfin! Dépêchez-vous donc! Tenez, voici l’ordre: deux enfants de choeur, deux chantres en surplis, la croix, l’eau bénite, le prêtre, puis Christiane avec M. le professeur Cloche, Mlle Louise avec M. le professeur Rémusot et Mlle Charlotte avec M. le professeur Mas-Roussel. Viennent ensuite le conseil d’administration, le corps médical, puis le public. C’est compris. En avant!

Le personnel ecclésiastique sortit alors de l’église, et prit la tête de la procession. Puis un grand monsieur à cheveux blancs rejetés derrière les oreilles, le savant classique, suivant la forme académique, s’approcha de Mme Andermatt en la saluant profondément.

Quand il se fut redressé, il partit à côté d’elle, nu-tête pour montrer sa belle chevelure scientifique, le chapeau sur la cuisse, l’air imposant comme s’il eût appris à marcher à la Comédie-Française et à faire voir au peuple sa rosette d’officier de la Légion d’honneur, trop grande pour un homme modeste.

 

Il causait:

– Monsieur votre époux, Madame, me parlait de vous, tout à l’heure, et de votre état qui lui inspire quelques inquiétudes d’affection. Il m’a dit vos doutes et vos hésitations sur le moment probable de votre délivrance.

Elle était devenue rouge jusqu’aux tempes et elle murmura:

– Oui, je me suis crue mère bien longtemps avant de l’être. Maintenant je ne sais plus… je ne sais plus…

Elle balbutiait, toute confuse.

Une voix disait derrière eux:

– Cette station a le plus grand avenir. J’obtiens déjà des effets surprenants.

C’était le professeur Rémusot s’adressant à sa compagne Louise Oriol. Il était petit, celui-là, avec des cheveux jaunes mal peignés, une redingote mal coupée, l’air malpropre du savant crasseux.

Le professeur Mas-Roussel, qui donnait le bras à Charlotte Oriol, était un beau médecin, sans barbe ni moustaches, souriant, soigné, à peine grisonnant, un peu gras, et dont la douce figure rasée ne semblait ni d’un prêtre ni d’un acteur, comme celle du docteur Latonne.

Le conseil d’administration venait ensuite, conduit par Andermatt, et dominé par les coiffures gigantesques des deux Oriol.

Derrière eux marchait encore une compagnie de hauts chapeaux, le corps médical d’Enval, auquel manquait le docteur Bonnefille, remplacé d’ailleurs par deux nouveaux médecins, le docteur Black, un vieil homme très court, presque un nain, dont l’excessive dévotion avait surpris le pays entier dès le jour de son arrivée, puis un très beau garçon, très coquet, coiffé, lui, d’un petit chapeau, le docteur Mazelli, un Italien attaché à la personne du duc de Ramas, d’autres disaient à la personne de la duchesse.

Et derrière eux le public, un flot de public, de baigneurs, de paysans et d’habitants des villes voisines.

La bénédiction des sources fut très courte. L’abbé Litre les aspergea l’une après l’autre avec l’eau bénite, ce qui fit dire au docteur Honorat qu’il allait leur donner des propriétés nouvelles avec le chlorure de sodium. Puis toutes les personnes spécialement invitées entrèrent dans la grande salle de lecture, où une collation était servie.

Paul disait à Gontran:

– Comme les petites Oriol sont devenues jolies!

– Elles sont charmantes, mon cher.

– Vous n’avez pas vu M. le président? demanda soudain aux jeunes gens l’ancien geôlier surveillant.

– Oui, il est dans le coin là-bas.

– C’est que le père Clovis amasse du monde devant la porte.

Déjà, en allant aux sources pour les bénir, la procession tout entière avait défilé devant le vieil invalide, guéri l’année d’avant, et redevenu à présent plus paralytique que jamais. Il arrêtait les étrangers sur les routes, et les derniers venus de préférence pour leur conter son histoire:

– Chéjeaux-là, voyez-vous, cha ne vaut rien, cha garit, ché vrai, et pi on r’tombe, mais on r’tombe prechque mort. Moi, j’avais les jambo qu’allaient pu, à ch’t’heure, v’là que j’ perds les bras, par chuite de la cure. Et mes jambo, ch’est du fer, mais du fer qu’on couperio plutôt que d’ le plier.

Andermatt, désolé, avait essayé de le faire emprisonner, en le poursuivant judiciairement pour préjudice causé aux eaux du Mont-Oriol, et tentative de chantage. Mais il n’avait pu réussir à obtenir une condamnation ni à lui fermer la bouche.

Aussitôt informé que le vieux jasait devant la porte de l’établissement, il s’élança pour le faire taire.

Au bord de la grande route, au milieu d’un attroupement il entendit des voix furieuses. On se pressait pour écouter et pour voir. Des dames demandaient:

– Qu’est-ce que c’est?

Des hommes répondaient:

– C’est un malade que les eaux d’ici ont achevé.

D’autres croyaient qu’on venait d’écraser un enfant. On parlait aussi d’une attaque d’épilepsie dont aurait été frappée une pauvre femme.

Andermatt fendit la foule, comme il savait faire, en roulant violemment son petit ventre rond entre les ventres.

– Il prouve, disait Gontran, la supériorité des billes sur les pointes.

Le père Clovis, assis sur le fossé, geignait ses peines, contait ses souffrances en pleurnichant, tandis que, debout devant lui et le séparant du public, les deux Oriol exaspérés l’injuriaient et le menaçaient à pleine gorge.

– Cha n’est pas vrai, criait Colosse, ch’est un menteux, un faignant, un braconnier, qui court le bois toute la nuit.

Mais le vieux, sans s’émouvoir, répétait d’une petite voix perçante entendue malgré les vociférations des deux hommes:

– Ils m’ont tua, mes bons Méchieus, ils m’ont tua avec leur eau. Ils m’ont baigné par forche l’an paché. Et me v’là, à ch’t’heure, me v’là, me v’là!

Andermatt imposa silence à tout le monde, et se penchant vers l’impotent il lui dit, en le regardant au fond des yeux:

– Si vous êtes plus malade, c’est votre faute, entendez-vous. Mais si vous m’écoutez, je vous réponds de vous guérir, moi, en quinze ou vingt bains tout au plus. Venez me trouver dans une heure à l’établissement, quand tout le monde sera parti, et nous arrangerons ça, mon père. En attendant, taisez-vous.

Le vieux avait compris. Il se tut, puis après un silence, il répondit:

– J’ veux toujours ben échayer. Verraï.

Andermatt prit par le bras les deux Oriol et les entraîna vivement, tandis que le père Clovis restait allongé sur l’herbe entre ses béquilles, au bord de la route, clignant les yeux sous le soleil.

La foule intriguée se serrait autour de lui. Des messieurs l’interrogeaient; mais il ne répondait plus, comme s’il n’avait pas entendu ou pas compris; et cette curiosité, inutile à présent, finissant par l’ennuyer, il se mit à chanter à tue-tête, d’une voix aussi fausse que suraiguë, une interminable chanson en patois inintelligible.

Et la foule s’écoula peu à peu. Seuls, quelques enfants demeurèrent longtemps devant lui, les doigts dans le nez, en le contemplant.

Christiane, très fatiguée, était rentrée se reposer; Paul et Gontran se promenaient dans le nouveau parc au milieu des visiteurs. Tout à coup ils aperçurent la compagnie des acteurs qui avait aussi déserté l’ancien Casino pour s’attacher à la fortune naissante du nouveau.

Mlle Odelin, devenue très élégante, se promenait au bras de sa mère, qui avait pris de l’importance. M. Petitnivelle, du Vaudeville, semblait très empressé auprès de ces dames, que suivait M. Lapalme, du Grand-Théâtre de Bordeaux, en discutant avec les musiciens, toujours les mêmes, le maestro Saint-Landri, le pianiste Javel, le flûtiste Noirot et la contrebasse Nicordi.

En apercevant Paul et Gontran, Saint-Landri s’élança vers eux. Il avait eu, pendant l’hiver, un tout petit acte en musique joué dans un tout petit théâtre excentrique; mais les journaux avaient parlé de lui avec une certaine faveur et il traitait de haut, maintenant, MM. Massenet, Reyer et Gounod.

Il tendit ses deux mains avec un élan bienveillant et raconta aussitôt sa discussion avec ces messieurs de l’orchestre qu’il dirigeait.

– Oui, mon cher, c’est fini, fini, fini, des rengainards de la vieille école. Les mélodistes ont fait leur temps. Voilà ce qu’on ne veut pas comprendre.

«La musique est un art neuf. La mélodie en est le bégaiement. L’oreille ignorante a aimé les ritournelles. Elle y prenait un plaisir d’enfant, un plaisir de sauvage. J’ajoute que les oreilles du peuple ou du public naïf, les oreilles simples aimeront toujours les petites chansons, les airs enfin. C’est un amusement assimilable à celui que prennent les habitués des cafés-concerts.

Je vais me servir d’une comparaison pour me faire bien comprendre. L’oeil du rustre aime les couleurs brutales et les tableaux éclatants, l’oeil du bourgeois lettré mais non artiste aime les nuances aimablement prétentieuses et les sujets attendrissants; mais l’oeil artiste, l’oeil raffiné, aime, comprend, distingue les insaisissables modulations d’un même ton, les accords mystérieux des nuances, invisibles pour tout le monde.

De même en littérature: les concierges aiment les romans d’aventures, les bourgeois aiment les romans qui les émeuvent, et les vrais lettrés n’aiment que les livres artistes incompréhensibles pour les autres.