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Les nuits mexicaines

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Au bout de quelques instants, on entendit au dehors le galop rapide de plusieurs chevaux qui s'éloignaient.

– Les voilà partis, murmura le guérillero en se versant un plein gobelet de mezcal qu'il avala d'un trait; ils décampent, ma foi, comme si le diable les emportait! Ils sont furieux! Bah! Cela m'est bien égal, j'ai gardé la lettre.

Tout en se parlant ainsi à lui-même, le guérillero replaça son gobelet sur la table; soudain, il tressaillit: un homme enveloppé jusqu'aux yeux dans les plis redoublés d'un épais manteau se tenait immobile devant lui.

Cet homme tenait de chaque main un revolver à six coups, dont les canons étaient dirigés sur la poitrine du guérillero.

Celui-ci fit un brusque mouvement d'effroi à cette vue à laquelle il était si loin de s'attendre.

– Hein? s'écria-t-il d'une voix que l'émotion et l'épouvante faisaient trembler; quel est ce démon et à qui en veut-il? Ah! Ça, mais je suis donc tombé dans un guêpier, moi!

La terreur l'avait dégrisé; il essaya de se lever pour s'enfuir.

– Un mot, un geste, dit l'inconnu d'une voix sourde et menaçante, et je vous brûle la cervelle.

Le guérillero se laissa lourdement retomber sur l'escabeau qui lui servait de siège.

XXXIII
RÈGLEMENT DE COMPTE

Caché derrière la porte du corridor, l'aventurier n'avait pas perdu un mot de ce qui s'était dit.

Lorsque don Melchior et don Antonio s'étaient levés, ignorant par quelle porte ils sortiraient, don Jaime avait en toute hâte quitté le corridor, s'était glissé dans le corral et blotti contre la haie il avait attendu.

Mais, après quelques minutes, comme rien n'avait bougé, qu'aucun bruit ne s'était fait entendre, il s'était hasardé à sortir de sa cachette, et à s'engager de nouveau dans le corridor.

Puis, il s'était approché de la porte et avait appliqué son œil à la fente par laquelle il avait pu précédemment voir tout ce qui s'était passé dans la salle.

Les deux hommes venaient de sortir, don Felipe était seul, toujours assis devant la table et buvant.

Le parti de l'aventurier fut pris aussitôt: plaçant la lame de son couteau entre le pêne de la serrure et la gâche, il avait ouvert la porte sans bruit, s'était silencieusement approché du guérillero et lui avait révélé sa présence de la façon tant soit peu brutale que nous avons rapportée à la fin du chapitre précédent.

Le guérillero était brave, cependant l'apparition soudaine de l'aventurier et la vue des revolvers dirigés vers lui l'avaient atterré.

Don Jaime profita de cet instant de prostration; sans désarmer ses pistolets, il marcha droit à la porte par laquelle don Melchior et don Antonio s'étaient retirés, la ferma solidement en dedans afin d'éviter toute surprise, puis il revint à pas lents vers la table, s'assit sur un escabeau, posa ses pistolets tout armés devant lui, et laissant tomber son manteau.

– Causons, dit-il.

Bien que ce mot eût été prononcé d'une voix assez douce, cependant l'effet qu'il produisit sur le guérillero fut immense.

– El Rayo! s'écria-t-il avec un frisson de terreur en apercevant le masque noir qui couvrait le visage de son singulier interlocuteur.

– Ah! Ah! fit celui-ci avec un ricanement ironique, vous me reconnaissez, cher seigneur don Felipe.

– Que me voulez-vous? balbutia-t-il.

– Plusieurs choses, répondit l'aventurier, mais procédons par ordre, rien ne nous presse.

Le guérillero se versa un plein gobelet de refino de Cataluña, le porta à ses lèvres et le vida d'un seul coup.

– Prenez garde, lui fit observer l'aventurier, l'eau-de-vie d'Espagne est forte, elle monte facilement à la tête; mieux vaut, je crois, pour ce qui va se passer entre nous que vous conserviez votre sang-froid.

– C'est juste, murmura le guérillero et, saisissant la bouteille par le col, il la lança contre la muraille où elle se brisa en éclat.

L'aventurier sourit, puis il reprit en tordant nonchalamment une cigarette entre ses doigts:

– Je vois que vous avez la mémoire bonne, cela me fait plaisir, je craignais que vous ne m'ayez oublié.

– Non, non, je me rappelle notre dernière rencontre à Las Cumbres.

– C'est cela; vous souvenez-vous comment s'est terminée notre entrevue?

Le guérillero devint pâle, mais il ne répondit pas.

– Bon, je vois que la mémoire vous fait défaut, je vais vous venir en aide.

– C'est inutile, répondit don Felipe, en relevant la tête et semblant prendre définitivement une résolution, comme le hasard m'avait permis d'apercevoir vos traits, vous m'avez dit…

– Je sais, je sais, interrompit l'aventurier, eh bien, la promesse que je vous ai faite, je vais la tenir.

– Tant mieux, dit-il résolument; après tout on ne meurt qu'une fois, autant aujourd'hui qu'un autre jour et à présent que plus tard, je suis prêt à vous faire face.

– Je suis charmé de vous voir dans ces dispositions belliqueuses, répondit froidement l'aventurier; refrénez un peu votre ardeur batailleuse, je vous prie, chaque chose aura son temps, soyez tranquille, mais il ne s'agit pas de cela pour le mouvement.

– De quoi s'agit-il donc alors? demanda le guérillero avec étonnement.

– Je vais vous le dire.

L'aventurier sourit de nouveau, appuya les coudes sur la table et se penchant légèrement vers son interlocuteur:

– Combien, dit-il, vouliez-vous vendre à vos nobles amis, la lettre que le señor don Benito Juárez vous avait chargé de leur remettre.

Don Felipe fixa sur lui un regard effaré et faisant machinalement le signe de croix:

– Cet homme est le démon! murmura-t-il avec épouvante.

– Non, rassurez-vous, je ne suis pas le démon, mais je sais beaucoup de choses, sur vous surtout, cher seigneur, et sur les nombreux trafics, auxquels vous vous livrez; je connais le marché que vous avez fait avec un certain don Diego; de plus, si vous le désirez, je vous répéterai mot pour mot la conversation que vous avez eue il y a une heure à peine, dans cette salle même où nous sommes en ce moment, avec les señores don Melchior de la Cruz et don Antonio Cacerbar. Maintenant, venons au fait; je veux que vous me donniez, vous me comprenez bien n'est-ce pas? Que vous me donniez et non pas que vous me vendiez la lettre du señor Juárez que vous avez là dans votre dolman, que vous avez refusée aux honorables caballeros dont je vous ai cité les noms, et que vous me livriez en même temps les autres papiers dont vous êtes porteur et qui, je le suppose, doivent être fort intéressants.

Le guérillero avait eu le temps de reprendre une partie de son sang-froid; aussi, fût-ce d'une voix assez ferme qu'il répondit:

– Que prétendez-vous faire de ces papiers?

– Ceci doit vous importer fort peu, du moment où ils ne seront plus dans vos mains.

– Et si je refuse de vous les livrer?

– Je serai quitte pour vous les prendre de force; voilà tout, répondit-il paisiblement.

– Caballero, dit don Felipe avec un accent de dignité dont l'aventurier fut surpris, ce n'est pas le fait d'un homme brave comme vous l'êtes de menacer ainsi qui ne saurait se défendre; je n'ai pour toute arme que mon sabre, tandis que vous au contraire vous disposez de la vie de douze hommes.

– Pour cette fois, il y dans ce que vous dites une apparence de raison, reprit l'aventurier, et votre observation serait juste, si je devais me servir de mes revolvers pour vous contraindre à faire ce que j'exige de vous; mais rassurez-vous, vous aurez un combat loyal, mes pistolets demeureront sur cette table; je croiserai seulement ma machette contre votre sabre, ce qui non seulement, rétablira l'équilibre entre nous mais encore vous donnera sur moi un avantage signalé.

– Agirez-vous réellement ainsi, caballero?

– Je vous en donne ma parole d'honneur; j'ai pour habitude de toujours régler loyalement mes comptes avec mes ennemis comme avec mes amis.

– Ah! Vous appelez cela régler vos comptes? dit-il avec ironie.

– Certes; quel autre nom puis-je employer?

– Mais d'où provient cette haine que vous me portez?

– Je n'ai pas de haine pour vous plus que pour tout autre misérable de votre trempe, dit-il brusquement; vous avez, dans un moment de forfanterie, voulu voir mon visage, afin de me reconnaître plus tard, je vous ai averti que cette vue vous coûterait la vie; peut-être vous aurai-je oublié, mais aujourd'hui vous vous trouvez de nouveau sur ma route, vous possédez des papiers qui me sont indispensables, ces papiers, je suis résolu à m'en emparer à tout prix; vous me les refusez, je ne puis m'en rendre maître qu'en vous tuant, je vous tuerai; maintenant, je vous accorde cinq minutes pour réfléchir et me dire si décidément vous vous obstinez dans votre refus.

– Ces cinq minutes que vous m'octroyez si généreusement sont inutiles, ma résolution est immuable, vous n'aurez ces papiers qu'avec ma vie.

– Soit, vous mourrez, dit-il en se levant.

Il prit ses revolver, les désarma et les alla poser sur une table placée à l'extrémité de la pièce; puis, revenant vers le guérillero et saisissant sa machette:

– Êtes-vous prêt? lui dit-il.

– Un instant, répondit don Felipe en se levant à son tour, j'ai, avant de croiser le fer avec vous, deux demandes à vous adresser.

– Je vous écoute, parlez.

– Le combat que nous allons nous livrer est un combat à mort?

– En voici la preuve, répondit l'aventurier en détachant son masque et le jetant loin de lui.

– Bien, dit-il, cette preuve que vous me donnez est suffisante en effet, l'un de nous succombera donc; supposons que ce soit moi.

– Toute supposition est inutile, le fait est certain.

– Je l'admets, répondit froidement le guérillero; au cas où cela se réaliserait, me promettez-vous de faire ce que je vous demanderai?

– Oui, sur l'honneur, si cela m'est possible.

 

– Merci, c'est possible: il s'agit simplement d'être mon exécuteur testamentaire.

– Je le serai, parlez.

– J'ai ma mère et une sœur encore jeune qui vivent assez pauvrement dans une petite maison située non loin du canal de las Vigas, à México, vous trouverez dans mes papiers leur adresse exacte:

– Bien.

– Je désire qu'elles soient, après ma mort, mises en possession de ma fortune.

– Cela sera fait; mais cette fortune, où se trouve-t-elle?

– A México; tous mes fonds sont déposés chez *** et Cie, banquiers anglais, auxquels je les faisais passer au fur et à mesure; sur la simple présentation de mes titres, les sommes vous seront intégralement remises.

– Est-ce tout?

–Pas encore; j'ai sur moi plusieurs traites montant à la somme totale de cinquante mille piastres sur différentes maisons de banque étrangères de México; ces traites, vous les toucherez, vous enjoindrez la valeur aux sommes que vous aurez précédemment reçues, et le tout sera, par vos soins, remis à ma mère et à ma sœur; me jurez-vous de faire cela?

– Je vous en donne ma parole d'honneur.

– Bien, j'ai confiance en vous; je n'ai plus qu'une demande à vous adresser.

– Laquelle?

– La voici: nous autres Mexicains, nous ne nous servons que fort maladroitement des sabres et des épées, dont nous ignorons le maniement, le duel étant prohibé par nos lois, la seule arme dont nous sachions véritablement nous servir est le couteau: consentez-vous à ce que nous nous battions au couteau? Il est bien entendu que nous combattrons avec toute la lame.

– Le duel étrange que vous me proposez est plutôt une lutte de léperos et de bandits que de caballeros; j'accepte cependant.

– Je vous suis reconnaissant de tant de condescendance, caballero, et maintenant que Dieu me protège, je ferai de mon mieux.

– Amen, dit en souriant l'aventurier.

Cette conversation si calme entre deux hommes sur le point de s'entre égorger, ce testament de mort fait si froidement et dont l'exécution est confiée en cas de mort de l'un des adversaires, à celui qui doit survivre, montre une des faces les plus étranges du caractère mexicain, car ces détails sont de la plus rigoureuse exactitude; bien que fort brave naturellement, le Mexicain redoute la mort, ce sentiment est inné chez lui; mais le moment venu de risquer définitivement sa vie et même de la perdre, nul n'accepte avec plus de philosophie, disons mieux, avec plus d'indifférence, cette dure alternative et n'accomplit plus insouciamment ce sacrifice qui, chez les autres peuples, n'est jamais envisagé sans un certain effroi et un instinctif tressaillement nerveux.

Quant au duel, les lois mexicaines le prohibent même dans l'armée entre officiers; de là tant d'assassinats et de guet-apens qui se commettent pour laver des affronts reçus et impossibles à venger autrement; seuls, les léperos et les gens du peuple se battent au couteau.

Ce combat parfaitement réglé a ses lois dont il n'est pas permis de s'écarter; les adversaires font leurs conditions sur la longueur de la lame afin de convenir à l'avance de la profondeur des blessures qui seront faites; on se bat à un pouce, à deux pouces, à la moitié ou à la totalité de la lame selon la gravité de l'insulte; les combattants placent leur pouce sur la lame du couteau à la longueur convenue, et tout est dit.

Don Felipe et don Jaime avaient dégrafé leurs sabres devenus inutiles et s'étaient armés du long couteau que tout Mexicain porte à la botte droite; après s'être débarrassés de leurs manteaux, ils les avaient roulés autour de leur bras gauche en ayant soin d'en laisser pendre une petite partie en forme de rideau; c'est avec ce bras ainsi garanti qu'on pare les coups qui sont portés. Puis, les deux hommes tombèrent en garde, les jambes écartées et légèrement pliées, le corps penché en avant, le bras gauche étendu à demi et la lame du couteau cachée derrière le manteau.

Le combat commença aussitôt avec un acharnement égal des deux parts.

Les deux hommes tournaient et bondissaient autour l'un de l'autre, avançant et reculant comme deux bêtes fauves.

L'œil dans l'œil, les lèvres serrées, la poitrine haletante.

C'était bien un combat à mort qu'ils se livraient.

Don Felipe possédait, à un degré extrême, la science de cette arme dangereuse; plusieurs fois son adversaire vit l'éclair bleuâtre de l'acier éblouir ses regards et sentit la pointe aiguë du couteau s'enfoncer légèrement dans ses chairs; mais, plus calme que le guérillero, il laissait celui-ci s'épuiser en vains efforts attendant avec la patience d'un tigre aux aguets, le moment favorable d'en finir d'un seul coup.

Plusieurs fois, harassés de fatigue, ils s'arrêtèrent d'un commun accord pour se précipiter ensuite l'un contre l'autre avec une nouvelle furie.

Le sang s'échappait de plusieurs blessures assez légères qu'ils s'étaient faites et ruisselait sur le plancher de la salle.

Tout à coup don Felipe se ramassa sur lui-même et bondit en avant avec la rapidité d'un jaguar, mais son pied glissa dans le sang, il chancela, et pendant qu'il essayait de reprendre son équilibre, le couteau de don Jaime disparut tout entier dans sa poitrine.

Le malheureux poussa un soupir étouffé. Un flot de sang sortit de sa bouche, et il tomba comme une masse sur le sol.

L'aventurier se pencha vers lui, il était mort: la lame lui avait traversé le cœur.

– Pauvre diable, murmura don Jaime, c'est lui qui l'a voulu!

Après cette laconique oraison funèbre, il fouilla son dolman et ses calçonneras, s'empara de tous ses papiers, puis il reprit ses revolvers, remit son masque et, s'enveloppant tant bien que mal dans son manteau haché de coups de couteau, il sortit de la salle, gagna le corridor, repassa à travers la haie sans être aperçu de la sentinelle qui se tenait toujours devant la porte du rancho et arrivé à une certaine distance du Palo Quemado, il imita le hou houlement du hibou.

Presque aussitôt López parut conduisant les deux chevaux.

– A México! s'écria don Jaime en bondissant en selle, cette fois je crois que je tiens ma vengeance.

Les deux cavaliers partirent à fond de train. La joie que l'aventurier éprouvait du succès inespéré de son expédition, l'empêchait de sentir la douleur des estafilades, légères à la vérité, qu'il avait reçues dans son duel.

XXXIV
UNE RÉSOLUTION SUPRÊME

Les premières lueurs du jour commençaient à nuancer le ciel de teintes d'opale au moment où les deux cavaliers atteignirent la garita de San Antonio.

Depuis quelque temps déjà ils avaient ralenti l'allure rapide de leurs chevaux, avaient quitté leurs masques et rétabli autant que possible de l'ordre dans leurs vêtements fripés, salis, et endommagés par les péripéties nombreuses de leur course nocturne.

A quelques pas de la garita, ils s'étaient mêlés aux groupes d'Indiens qui se rendaient au marché, de sorte qu'il leur fut facile de rentrer dans la ville sans être remarqués.

Don Jaime se dirigea aussitôt vers la maison qu'il habitait, calle de San Francisco, près la place Mayor.

Arrivé chez lui, il congédia López qui tombait littéralement de sommeil, malgré le copieux à-compte qu'il avait pris pendant que son maître était au Palo Quemado, lui donna congé pour toute la journée en lui assignant seulement un rendez-vous pour le soir même, puis il se retira dans son appartement, ou plutôt dans sa chambre. Cette chambre était une véritable habitation de Spartiate; le mobilier, réduit à sa plus simple expression, se composait seulement d'un cadre en bois garni d'un cuir de bœuf qui lui servait de lit, une vieille selle formait oreiller, et une peau d'ours noir tenait lieu de couverture; une table chargée de papiers et de quelques livres, un escabeau, un coffre renfermant ses hardes, et un râtelier garni d'armes de toutes sortes, couteaux, pistolets, sabres, épées, poignards, machettes, fusils, carabines, rifles et revolvers, complétaient avec des harnais pendus au mur ce singulier ameublement que relevait un lavabo fourni d'ustensiles de toilette placé derrière un zarapé formant portière dans un angle de la chambre.

Don Jaime pansa ses blessures qu'il lava avec soin avec de l'eau et du sel, suivant la coutume indienne, puis il s'assit devant sa table, et commença l'inspection des papiers dont il avait eu tant de peine à s'emparer, et dont la possession avait failli lui coûter la vie.

Il fut bientôt complètement absorbé par ce travail qui paraissait fortement l'intéresser.

Enfin, vers dix heures du matin, il quitta son siège, plia les papiers, les renferma dans un portefeuille qu'il plaça dans une poche de son dolman, jeta un zarapé sur son épaule, se coiffa d'un chapeau de vigogne à large golilla d'or, et dans cette tenue aussi élégante que pittoresque, il sortit de chez lui.

Don Jaime avait, on s'en souvient, donné à don Felipe sa parole d'honneur d'être son exécuteur testamentaire, c'était pour accomplir cette promesse sacrée qu'il sortait.

Vers six heures du soir il rentra chez lui; sa parole était dégagée, il avait remis à la mère et à la sœur de don Felipe la fortune dont un coup de couteau les avait rendues si à l'improviste héritières.

A la porte de sa maison l'aventurier trouva López, parfaitement reposé, qui l'attendait.

Le peon avait servi un modeste dîner à son maître.

– Quoi de nouveau? lui demanda don Jaime, en s'asseyant à table et en commençant à manger de bon appétit.

– Pas grand chose, mi amo, répondit-il, il n'est venu qu'un capitaine aide-de-camp de Son Excellence le Président.

– Ah! fit don Jaime.

– Le Président vous prie de vous rendre au palais, à huit heures, il désire vous voir.

– J'irai; après, tu n'as rien appris? Tu n'es donc pas sorti?

– Pardonnez-moi, mi amo, je suis allé comme de coutume chez le barbier.

– Et tu n'as rien entendu, là?

– Deux choses seulement.

– Voyons la première.

– Les Juaristes, dit-on, s'avancent à marche forcée sur la ciudad; ils ne sont plus qu'à trois journées d'ici, toujours d'après ce qu'on rapporte.

– Cette nouvelle est assez probable, l'ennemi doit en ce moment opérer une concentration des ses troupes; après?

López se mit à rire.

– Pourquoi ris-tu, animal? lui demanda don Jaime.

– C'est la seconde nouvelle que j'ai entendu raconter qui me fait rire, mi amo.

– Elle est donc bien drôle?

– Dam, vous allez en juger: on dit que l'un des chefs les plus redoutables des guérilleros de don Benito Juárez, a été ce matin trouvé tué d'un coup de couteau, dans une salle du rancho del Palo Quemado.

– Oh! Oh! fit don Jaime en souriant à son tour; et raconte-t-on comment est arrivé ce malheureux événement?

– Personne n'y comprend rien, mi amo, il paraîtrait que ce colonel, car il était colonel, avait été battre l'estrade jusqu'au Palo Quemado, ou il s'était arrêté pour passer la nuit; des sentinelles avaient été placées autour de l'habitation, pour veiller au salut de leur chef, personne, excepté deux cavaliers inconnus, ne s'étaient introduits dans le rancho; c'est après le départ de ces deux cavaliers qui avaient eu une longue conversation avec le colonel, que celui-ci a été trouvé mort, dans la salle, d'un coup de couteau qui lui avait traversé le cœur; aussi, on suppose qu'une querelle s'étant élevée entre le colonel et les deux inconnus, ceux-ci l'auront tué, mais cet événement s'est accompli avec tant de silence, que les soldats couchés à quelques pas seulement, n'ont rien entendu.

– Voilà qui est singulier, en effet.

– Il paraît, mi amo, que ce colonel don Felipe Irzabal, tel était son nom, était un affreux brigand, sans foi ni loi, sur le compte duquel on raconte nombre d'atrocités.

– Puisqu'il en est ainsi, mon cher López, tout est pour le mieux, et nous n'avons plus à nous occuper de ce drôle, dit don Jaime en se levant.

– Oh! Il ira bien au diable sans nous.

– C'est probable, à moins qu'il n'y soit déjà; dis-moi, je vais faire un tour de promenade par la ville en attendant huit heures; à dix heures du soir tu te trouveras à la porte du palais avec deux chevaux et des armes, au cas où nous serions contraints de faire, comme la nuit passée, une promenade au clair de la lune.

– Oui, mi amo, et je vous attendrai quelle que soit l'heure à laquelle vous sortirez.

– Tu m'attendras, à moins que je ne te fasse prévenir que je n'ai pas besoin de toi.

– Bien, mi amo, soyez tranquille.

Don Jaime sortit alors, et ainsi qu'il l'avait annoncé, il alla faire une courte promenade, mais seulement sous les portales de la place Mayor, afin de se trouver au palais juste à l'heure qui lui avait été assignée.

 

Ce fut en effet ce qui arriva: à huit heures précises l'aventurier se présenta à la porte du palais.

Un huissier l'attendait pour le conduire auprès du Président.

Le général Miramón se promenait, triste et pensif, dans un petit salon attenant à ses appartements particuliers; en apercevant don Jaime, son visage se dérida.

– Soyez le bienvenu, mon ami, lui dit-il en lui tendant affectueusement la main, j'étais impatient de vous voir, car vous êtes le seul homme qui me compreniez et avec lequel je puisse parler franchement, tenez, asseyez-vous là près de moi et causons; voulez-vous?

– Je vous trouve triste, général; vous serait-il arrivé quelque chose de fâcheux?

– Non, mon ami, rien; mais vous le savez depuis longtemps déjà, je n'ai pas beaucoup de motifs d'être gai; je quitte madame Miramón: la pauvre femme tremble, non pas pour elle, la bonne et douce créature, mais pour ses enfants, elle voit tout en noir et prévoit des malheurs terribles, elle a pleuré: voilà pourquoi vous me voyez triste.

– Mais pourquoi, général, ne pas éloigner madame Miramón de cette ville qui d'un jour à l'autre peut-être assiégée?

– Je le lui ai proposé plusieurs fois déjà, j'ai insisté même en essayant de lui faire comprendre que l'intérêt de ses enfants, leur sûreté, exigeaient impérieusement cette séparation; elle a refusé, vous savez combien elle m'aime, elle est partagée entre l'amour qu'elle a pour moi et son affection pour ses enfants, et elle ne peut se résoudre à prendre un parti; quant à moi, je n'ose la contraindre à partir; aussi ma perplexité est-elle extrême.

Le général détourna la tête en étouffant un soupir.

Il y eut un silence.

Don Jaime comprit que c'était à lui à détourner la conversation et à lui faire prendre un tour moins pénible pour le général.

– Et vos prisonniers? lui demanda-t-il.

– De ce côté-là, tout est arrangé; grâce à Dieu, ils n'ont plus rien à redouter pour leur sûreté; aussi les ai-je autorisés à sortir par la ville afin de visiter leurs amis et leurs parents.

– Tant mieux, général, je vous avoue que j'ai craint un instant pour eux.

– Ma foi, mon ami, je puis maintenant vous dire franchement que j'ai eu plus peur que vous encore, car dans cette affaire c'était mon honneur qui était en jeu.

– C'est vrai, mais voyons maintenant: avez-vous quelque nouveau projet?

Avant de répondre, le général fit le tour du salon et sans affectation il souleva les portières afin de s'assurer que personne n'était aux écoutes.

– Oui, dit-il enfin, en revenant vers don Jaime; oui, mon ami, j'ai un projet, car je veux finir une fois pour toutes: ou je succomberai, ou mes ennemis seront abattus pour jamais.

– Dieu veuille que vous réussissiez, général.

– Ma victoire d'hier m'a rendu sinon l'espoir, du moins le courage; je veux tenter un coup décisif. Je n'ai plus rien à ménager à présent, je veux risquer le tout pour le tout, la fortune peut encore me sourire.

Ils s'approchèrent alors d'une table sur laquelle était étendue une immense carte de la Confédération mexicaine, piquée en différents endroit d'une infinité d'épingles.

Le président continua.

– Don Benito Juárez, de sa capitale de la Veracruz a ordonné la concentration de ses troupes et leur marche spontanée sur México où nous sommes renfermés, seul point du territoire que nous occupions encore, hélas! Voyez: voici le corps du général Ortega fort de onze mille hommes de vieilles troupes, il vient de l'intérieur, c'est-à-dire de Guadalajara, en ralliant sur son passage tous les petits détachements disséminés dans les campagnes. Amondia et Gazza qui ont longé la côte viennent par Jalapa, amenant avec eux près de six mille hommes de troupes régulières et flanqués en avant, à droite et à gauche, par les guérillas de Cuellar, de Carvajal et de don Felipe Neri Irzabal.

– Quant à ce dernier chef, général, vous n'avez plus à vous en occuper, il est mort.

– D'accord, mais sa bande existe toujours.

– C'est vrai.

– Or, ces corps qui arrivent de différents côtés à la fois, ne tarderont pas, si nous les laissons faire, à se réunir et à nous enserrer dans un cercle de fer, composent un effectif de près de vingt mille hommes; de quelles forces disposons-nous pour leur résister?

– Mais…

– Je vais vous le dire: en épuisant toutes nos ressources je ne saurais disposer que de sept mille hommes, de huit mille au plus en armant les léperos, etc; armée bien faible, vous en conviendrez.

– En rase campagne, oui, c'est possible, général; mais ici, à México, avec la formidable artillerie dont vous disposez, plus de cent vingt pièces de canons, il vous est facile d'organiser une sérieuse résistance; et si l'ennemi se résout à mettre le siège devant la capitale, des flots de sang seront versés avant qu'il réussisse à s'en rendre maître.

– Oui, mon ami, ce que vous dites est vrai, mais, vous le savez, je suis un homme humain et modéré; la ville n'est pas disposée à se défendre, nous n'avons ni vivres, ni provisions, ni moyens de nous en procurer, puisque maintenant les campagnes ne nous appartiennent plus et que, en dehors d'un réseau de trois ou quatre lieues à peine autour de la ville, tout nous est hostile. Comprenez-vous, mon ami, quelles seraient les horreurs d'un siège subi dans ces conditions désavantageuses, les ravages dont la capitale du Mexique, la plus belle et la plus noble cité du Nouveau Monde, serait victime? Non, la pensée seule des extrémités auxquelles serait réduite cette malheureuse population, me navre le cœur, jamais je ne consentirai à la pousser à une telle extrémité.

– Bien, général, vous parlez en homme de cœur aimant véritablement son pays; je voudrais que vos ennemis vous entendissent vous exprimer ainsi.

– Eh! Mon Dieu, mon ami, ceux que vous nommez mes ennemis, n'existent pas en réalité, je le sais parfaitement: des ouvertures m'ont été faites à moi personnellement à plusieurs reprises, m'offrant des conditions fort avantageuses et fort honorables; lorsque je serai tombé, j'offrirai cette singulière particularité, rare au Mexique, d'un président de la République renversé par des gens qui l'estiment et emportant dans sa chute toutes les sympathies de ses ennemis.

– Oui, oui, général, et il n'y a pas longtemps encore, si vous aviez consenti à éloigner certaines personnes que je ne nommerai pas, tout se serait arrangé à l'amiable.

– Je le sais comme vous, mon ami, mais c'eût été une lâcheté, je n'ai pas voulu la commettre: les personnes auxquelles vous faites allusion me sont dévouées, elles m'aiment; nous tomberons ou nous triompherons ensemble.

– Les sentiments que vous exprimez, général, sont trop nobles pour que j'essaie de les discuter.

– Merci, laissons ce sujet et revenons à ce que nous disions; je ne veux pas par ma faute amener la destruction de la capitale et la livrer à ces sanglantes heures de pillages, qui toujours suivent la prise des villes assiégées; les guérillas de Juárez me sont connues, les bandits qui les composent causeraient des malheurs irréparables si on leur abandonnait la ville dont, croyez-moi, mon ami, il ne laisserait pas pierre sur pierre.

– Cela n'est malheureusement que trop probable général; mais alors que comptez-vous faire? Quel est votre projet? Vous n'avez pas sans doute l'intention de vous livrer entre les mains de vos ennemis?

– J'en ai eu la pensée un instant, mais j'y ai renoncé; voici le plan que j'ai formé, il est simple: sortir de la ville avec six mille hommes environ, l'élite de mes troupes, marcher droit à l'ennemi, le surprendre et le battre en détail avant que ses différents corps aient eu le temps d'opérer leur jonction et de se souder définitivement les uns aux autres.

– Ce plan est fort simple en effet, général, à mon avis il offre de grandes chances de réussite.

– Tout dépendra de la première bataille: gagnée, je suis sauvé, perdue, tout est fini sans remède.

– Dieu est grand, général! La victoire n'est pas toujours pour les gros bataillons.

– Enfin qui vivra verra!

– Quand comptez-vous mettre votre plan à exécution.

– Dans quelques jours, il me faut le temps de le préparer; avant dix jours je serai en mesure d'agir et je quitterai immédiatement la ville; je compte sur vous, n'est-ce pas?