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Les nuits mexicaines

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XXXI
TRIOMPHE

Cette victoire imprévue si éclatante et si complète, remportée par Miramón sur des troupes aguerries commandées par des officiers renommés, rendit subitement le courage et l'espoir aux partisans effrayés du président de la République.

L'esprit des soldats changea à un tel point qu'ils ne doutèrent plus du triomphe de leur cause et en arrivèrent en quelques instants à la considérer presque comme définitivement gagnée.

Seul, au milieu de la joie générale, Miramón ne se faisait pas illusion sur la portée de la victoire qu'il avait remportée: pour lui ce lustre nouveau jeté sur ses armes si longtemps victorieuses n'était que le dernier et brillant éclat jeté par la torche sur le point de s'éteindre.

Il connaissait trop à fond la position précaire à laquelle il était réduit pour se bercer un seul instant d'espérances trompeuses; seulement, il remerciait intérieurement la fortune du dernier sourire qu'elle daignait lui accorder et qui l'empêcherait de tomber du pouvoir comme un homme vulgaire.

Lorsque la cavalerie, lancée à la poursuite des fuyards pour les empêcher de se rallier, eut enfin rejoint le gros de l'armée demeuré sur le champ de bataille, Miramón après avoir accordé un repos de deux heures à ses troupes, donna l'ordre de rentrer à México.

Le retour du corps expéditionnaire fut loin d'être aussi rapide, que sa marche précédente: les chevaux fatigués n'avançaient qu'avec peine, l'infanterie avait mis pied à terre pour escorter les prisonniers, puis les canons et les nombreuses voitures de bagages dont on s'était emparés et qui venaient à la suite de l'armée, ne pouvaient passer que par une route large et frayée, ce qui obligea le général Miramón à prendre le grand chemin et lui occasionna un retard de plusieurs heures.

Il était dix heures du soir environ lorsque l'avant-garde du corps expéditionnaire atteignit les garitas de México.

Il faisait nuit noire, et pourtant la ville apparaissait dans l'ombre diamantée d'une innombrable quantité de lumières.

Les bonnes comme les mauvaises nouvelles se propagent avec une rapidité extraordinaire; résolve qui pourra ce problème presqu'insoluble, mais ce qui est certain c'est que la bataille était à peine terminée à Toluca que déjà on en connaissait l'issue à México; le bruit du succès éclatant remporté par le président avait immédiatement couru de bouche en bouche sans que qui que ce fût sût de qui il le tenait.

A la nouvelle de cette victoire inespérée, la joie avait été universelle, l'enthousiasme porté à son comble et, la nuit venue, la ville s'était spontanément trouvé illuminée.

L'ayuntamiento, en corps, attendait le président à l'entrée de la ville pour lui adresser ses félicitations; les troupes défilèrent entre deux haies compactes de peuple poussant de frénétiques vivats, agitant les mouchoirs et les chapeaux et tirant force pétards en signe de réjouissance; les cloches malgré l'heure avancées sonnaient à toute volée et les nombreux chapeaux à la basile des membres du clergé mêlés à la foule prouvaient que les prêtres et les moines, si froids la veille même pour l'homme qui toujours les avait soutenus, avaient, à la nouvelle de sa victoire, senti subitement se réveiller leur enthousiasme endormi.

Miramón traversa toute cette foule, calme, impassible, rendant, avec une imperceptible expression d'ironie, les saluts qui lui étaient incessamment adressés à droite et à gauche.

Il mit pied à terre devant le palais; un peu en avant de la porte, un homme se tenait immobile et souriant.

Cet homme était l'aventurier.

En l'apercevant, Miramón ne put réprimer un mouvement de joie.

– Ah! Venez, venez, mon ami, s'écria-t-il, en allant à lui.

Et à la stupéfaction générale, il passa son bras sous le sien et l'entraîna dans l'intérieur du palais.

Lorsque le président eut atteint le cabinet particulier, dans lequel il travaillait habituellement, il se jeta dans un fauteuil, et essuyant, avec un mouchoir, son visage baigné de sueur.

– Ouf! s'écria-t-il, d'un ton de mauvaise humeur, je suis rompu! Cette stupide palinodie, à laquelle j'ai été malgré moi contraint d'assister, m'a sur l'honneur plus brisé de fatigue que tous les autres événements de cette journée, cependant si féconde en péripéties extraordinaires.

– Bien, répondit affectueusement l'aventurier, je suis heureux de vous entendre parler ainsi, général; je craignais que vous vous ne fussiez laissé griser par votre succès.

Le général haussa les épaules avec dédain.

– Pour qui me prenez-vous, mon ami? répondit-il; quelle triste idée vous faites-vous de moi, si vous supposez que je sois homme à me laisser ainsi aveugler par un succès qui, tout éclatant qu'il paraisse, n'est en réalité qu'une victoire de plus à enregistrer, mais dont les résultats seront nuls pour le bien de la cause que je soutiens?

– Ce que vous dites n'est que trop vrai, général.

– Croyez-vous que je l'ignore? Ma chute est inévitable: cette bataille la retardera de quelques jours à peine; je dois tomber, parce que malgré les cris enthousiastes de la foule, toujours changeante et facile à tromper, ce qui jusqu'à présent a fait ma force et m'a soutenu dans la lutte que j'ai entreprise, m'a abandonné sans retour, je sens que l'esprit de la nation n'est plus avec moi.

– Peut-être allez-vous trop loin, général! Encore deux batailles comme celle-ci, et qui sait si vous n'aurez pas reconquis tout ce que vous avez perdu.

– Mon ami, le succès de celle d'aujourd'hui vous appartient: c'est grâce à votre brillante charge sur les derrières de l'ennemi qu'il a été démoralisé et par conséquent vaincu.

– Vous vous obstinez à tout voir en noir; je vous le répète encore: deux batailles comme celle-ci, et vous êtes sauvé.

– Ces batailles, je les livrerai, mon ami, si on m'en laisse le temps, croyez-le bien. Ah! Si au lieu d'être seul, cerné dans México, j'avais encore des lieutenants dévoués, tenant la campagne, après la victoire d'aujourd'hui, tout aurait pu se réparer.

En ce moment, la porte du cabinet s'ouvrit et le général Cobos parut.

– Ah! C'est vous, mon cher général, lui dit le président, en lui tendant la main, et reprenant subitement un air riant, soyez le bienvenu. Quel motif me procure le plaisir de vous voir?

– Je supplie votre seigneurie de m'excuser si j'ose me présenter ainsi, sans être annoncé, mais j'ai à l'entretenir de choses graves, qui n'admettent pas de retard.

L'aventurier fit un mouvement pour se retirer.

– Restez, je vous en prie, dit le président en l'arrêtant du geste; parlez, mon cher général.

– Monsieur le président, le désordre le plus grand règne sur la place parmi le peuple et les soldats: la plupart demandent à grands cris, que les officiers, faits prisonniers aujourd'hui, soient immédiatement fusillés comme traîtres à la patrie.

– Hein? fit le président, en se redressant subitement, et en devenant légèrement pâle, que me dites-vous donc là, mon cher général?

– Si votre seigneurie consent à ouvrir les fenêtres de ce cabinet, elle entendra les cris de mort, que l'armée et le peuple poussent de concert.

– Ah! murmura Miramón, des assassinats politiques, commis de sang-froid après la victoire; jamais je ne consentirai à autoriser des crimes aussi odieux! Non, mille fois non; pour moi, du moins, il n'en sera pas ainsi. Où se trouvent les officiers prisonniers?

– Dans l'intérieur du palais, gardés à vue dans la cour.

– Donnez l'ordre qu'ils soient immédiatement conduits en ma présence; allez, général.

– Ah! Mon ami, s'écria le président avec découragement, dès qu'il se trouva seul avec l'aventurier, que peut-on espérer d'un peuple aussi dénué du sens moral que le nôtre? Hélas! Que doivent penser les gouvernements européens de cette apparente barbarie! Quel mépris ne doivent-ils pas avoir pour notre malheureuse nation! Et pourtant, ajouta-t-il, ce peuple n'est pas méchant, c'est son long esclavage qui l'a ainsi rendu cruel et les interminables révolutions dont depuis quarante ans, il est constamment victime; venez, suivez-moi, il faut en finir.

Il sortit alors du cabinet, accompagné par l'aventurier, et entra dans un immense salon, où ses partisans les plus dévoués se trouvaient réunis.

Le président alla s'asseoir sur un siège élevé de deux marches, préparé pour lui au haut-bout du salon et les officiers demeurés fidèles à sa cause se groupèrent aussitôt à sa droite et à sa gauche.

Sur un signe affectueux de Miramón, l'aventurier était resté à son côté, indifférent en apparence.

Un bruit de pas et un froissement d'armes se firent entendre au dehors, et les officiers prisonniers, précédés par le général Cobos entrèrent dans la salle.

Bien qu'ils affectassent d'être calmes, ces prisonniers ne laissaient pas que d'être assez inquiets sur le sort qui leur était réservé; ils avaient entendu les cris de mort poussés contre eux, et connaissaient les mauvaises dispositions des partisans de Miramón à leur égard.

Celui qui marchait le premier était le général Berriozábal, jeune homme de trente ans au plus, à la tête expressive, aux traits fins et intelligents, et à la démarche noble et dégagée; auprès de lui venait le général Degollado entre ses deux fils, puis deux colonels et les officiers composant l'état-major du général Berriozábal.

Les prisonniers s'avancèrent d'un pas ferme vers le président qui, à leur approche, quitta vivement son siège et fit, le sourire sur les lèvres, quelques pas au devant d'eux.

– Caballeros, leur dit-il en les saluant gracieusement, je regrette que les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons malheureusement placés, ne me permettent pas de vous rendre immédiatement la liberté; du moins, j'essaierai, par tous les moyens en mon pouvoir, de vous rendre douce une captivité qui, je l'espère, ne sera pas de longue durée. Veuillez d'abord reprendre les épées que vous portez si vaillamment et dont je regrette de vous avoir privés.

 

Il fit un signe au général Cobos qui s'empressa de restituer aux prisonniers les armes qu'on leur avait enlevées, et que ceux-ci reçurent avec un mouvement de joie.

– Maintenant, caballeros, reprit le président, daignez accepter l'hospitalité que je vous offre dans ce palais, où vous serez traités avec tous les égards que mérite votre infortune; je ne demande que votre parole de soldats et de caballeros de ne pas en sortir sans mon autorisation, non point que je doute de votre honneur, mais seulement afin de vous soustraire aux tentatives de gens mal disposés à votre égard et aigris par les souffrances d'une longue guerre; vous êtes donc prisonniers sur parole, caballeros, et libres d'agir à votre guise.

– Monsieur le général, répondit le général Berriozábal, au nom de tous, nous vous remercions sincèrement de votre courtoisie, nous ne pouvions moins attendre de votre générosité bien connue; cette parole que vous nous demandez, nous vous la donnons et nous n'userons de la liberté dont vous nous laissez jouir que dans les limites que vous jugerez convenable d'y apporter, vous promettant de n'essayer en aucune façon de reconquérir notre liberté sans que vous nous ayez dégagés: de notre parole.

Après quelques autres compliments échangés entre le président et les deux généraux, les prisonniers se retirèrent dans les appartements qui leur furent assignés.

Au moment où le général Miramón se préparait à rentrer dans son cabinet, l'aventurier l'arrêta vivement et lui désignant un officier supérieur qui paraissait chercher à se dissimuler au milieu des groupes.

– Connaissez-vous cet homme? lui dit-il d'une voix basse et tremblante.

– Certes je le connais, répondit le président; depuis quelques jours seulement il est à moi, et déjà il m'a rendu d'éminents services, il est Espagnol et se nomme don Antonio Cacerbar.

– Oh! Je sais son nom, dit l'aventurier, car moi aussi je le connais depuis bien longtemps malheureusement; général, cet homme est un traître!

– Allons, vous plaisantez.

– Je vous répète, général, que cet homme est un traître; j'en suis sûr! fit-il avec force.

– Je vous en prie, n'insistez pas davantage, mon ami, interrompit vivement le général, cela me serait pénible; bonne nuit, venez demain: je désire causer avec vous de choses importantes.

Et après lui avoir fait un geste affectueux, le président rentra dans son cabinet dont la porte se referma sur lui.

L'aventurier demeura un instant immobile, douloureusement affecté de l'incrédulité du président.

– Oh! murmura-t-il tristement, ceux que Dieu veut perdre, il les aveugle! Hélas! Maintenant tout est fini, cet homme est irrémissiblement condamné, sa cause est perdue!

Il sortit du palais en proie aux plus sinistres prévisions.

XXXII
EL PALO QUEMADO

L'aventurier avait, ainsi que nous l'avons dit, quitté le palais; la place Mayor était déserte, l'effervescence populaire s'était calmée aussi vite qu'elle s'était soulevée; grâce aux prières de certaines personnes influentes, les soldats étaient rentrés dans leurs quartiers; les léperos et autres citoyens tout aussi recommandables qui formaient la majorité de la populace ameutée, voyant que décidément il n'y avait rien à faire et que les victimes qu'ils convoitaient leur échappaient définitivement, avaient fini après quelques cris et quelques huées poussés en manière de consolation par se dissiper à leur tour et à regagner les bouges plus ou moins mal famés toujours ouverts dans les bas quartiers de la ville et où ils étaient sûrs de trouver asile.

Seul, López était demeuré ferme à son poste. L'aventurier lui avait ordonné de l'attendre à la porte du palais et il l'attendait, seulement comme la nuit était noire et que la plus profonde obscurité avait succédé à l'illumination radieuse de la soirée, il l'attendait la main sur ses armes, les yeux et les oreilles au guet, afin de ne pas être, malgré le voisinage du palais, surpris et dévalisé par quelque rôdeur de nuit désœuvré, qui n'aurait pas été fâché de profiter de cette bonne aubaine, si le peon n'avait pas fait aussi bonne garde.

Lorsque López vit s'ouvrir la porte du palais, il comprit que son maître, seul, pouvait en sortir aussi tard et il s'approcha de lui.

– Quoi de nouveau? demanda l'aventurier en mettant le pied à l'étrier.

– Pas grand chose, répondit-il.

– Tu en es sûr?

– A peu près; cependant maintenant que j'y réfléchis, il me semble avoir tout à l'heure aperçu quelqu'un de ma connaissance sortant du palais.

– Ah! Il y a longtemps?

– Ma foi non, un quart d'heure, vingt minutes au plus, mais je crains de m'être trompé, parce qu'il portait un costume si différent de celui sous lequel je l'ai connu, et puis j'ai eu si peu le loisir de le voir.

– Eh bien! Qui as-tu cru reconnaître?

– Vous ne me croirez pas, si je vous dis que c'était don Antonio Cacerbar, mon ancien blessé.

– Au contraire, car moi, je l'ai vu au palais.

– Ah, demonio, alors! Je regrette bien de n'avoir pas écouté sa conversation.

– Comment, sa conversation? Où? Avec qui, parle ou étrangle; voyons, t'expliqueras-tu à la fin?

– M'y voici, m'y voici, mi amo; à sa sortie du palais, il y avait encore quelques groupes sur la place, un homme s'est dégagé d'un de ces groupes et s'est approché de don Antonio.

– Et cet homme, l'as-tu reconnu?

– Pour cela non, vu qu'il avait un chapeau de vigogne à large bord, abattu sur les yeux et qu'il était embossé jusqu'au nez dans un grand manteau, et puis il ne faisait pas beaucoup plus clair qu'en ce moment.

– Au fait! Au fait! s'écria l'aventurier avec impatience.

– Ces deux hommes se sont donc mis à causer à voix basse.

– Et tu n'as rien entendu?

– Mon Dieu non, quelques mots à peine, sans suite et voilà tout.

– Répète-les moi toujours.

– Volontiers: «Ainsi, il était là,»a dit l'un; je n'ai pas entendu la réponse de l'autre; «Bah! Il n'oserait pas,»a repris le premier; puis ils ont causé si bas que je n'ai rien pu entendre; le premier a dit encore: «Il faut y aller.» «Il est bien tard,»a fait l'autre; je n'ai plus entendu que ces deux mots: Palo Quemado; puis, après avoir encore échangé quelques mots à voix basse, ils se sont séparés; le premier n'a pas tardé à disparaître sous les portales; quant à don Antonio, il a tourné à droite comme s'il voulait se rendre au paseo de Bucareli; mais il se sera arrêté dans quelque maison, car il n'est pas probable qu'à une pareille heure la pensée lui soit venue de s'aller promener seul dans un tel endroit.

– C'est ce que nous ne tarderons pas à savoir, répondit l'aventurier en se mettant en selle, donne-moi mes armes et suis-moi; les chevaux ne sont pas fatigués?

– Non, ils sont tous frais au contraire, dit López en donnant à l'aventurier un fusil double, une paire de revolvers et une machette; d'après vos ordres, je suis allé au corral où j'ai laissé nos chevaux fatigués, j'ai sellé Mono et Zopilote qui sont ceux-ci, et je suis revenu vous attendre.

– Tu as bien fait; en route!

Ils s'éloignèrent alors, traversèrent la place déserté et, après quelques détours, faits sans doute dans le but de dépister les espions qui auraient pu les surveiller dans les ténèbres, ils prirent enfin la direction de Bucareli.

A México, dès que la nuit est tombée, il est défendu, à moins d'une permission spéciale qui ne s'obtient que fort difficilement, de circuler à cheval dans les rues; cependant l'aventurier semblait fort peu se préoccuper de cette défense, du reste son audace était parfaitement justifiée par l'apparente indifférence des celadores dont ils rencontraient bon nombre sur leur passage et qui les laissaient galoper à leur guise sans risquer la moindre protestation à cet égard.

Lorsque les deux cavaliers se trouvèrent assez éloignés du palais pour ne plus redouter d'être suivis, chacun d'eux sortit un demi-masque noir de sa poche et l'appliqua sur son visage; cette précaution prise contre les curieux qui malgré l'obscurité auraient pu les reconnaître, ils reprirent leur course.

Ils ne tardèrent pas à atteindre l'entrée du paseo de Bucareli; l'aventurier s'arrêta, et après avoir d'un regard perçant essayé de sonder les ténèbres il fit entendre un sifflement aigu et prolongé.

Aussitôt une ombre se détacha de l'enfoncement d'une porte où elle se trouvait parfaitement cachée et s'avança jusqu'au milieu de la rue; arrivée là, cette ombre ou plutôt cet homme s'arrêta et attendit sans prononcer une parole.

– Est-il passé quelqu'un par ici depuis trois quarts d'heure? dit l'aventurier.

– Oui et non, répondit laconiquement l'inconnu.

– Explique-toi.

– Un homme est venu, s'est arrêté devant la maison qui est là à votre droite, a frappé dans ses mains à deux reprises; au bout d'un instant, une porte s'est ouverte, un peon est sorti conduisant en bride un cheval pie, et tenant un manteau doublé de rouge sous le bras.

– Comment as-tu vu cela, par cette nuit noire?

– Le peon portait une lanterne; l'homme dont je vous parle lui a reproché son imprudence, a brisé la lanterne sous son talon, puis il a jeté le manteau sur ses épaules.

– Quel costume portait cet homme?

– Celui d'officier supérieur de cavalerie.

– C'est bien, après?

– Il a remis son chapeau à plumes au peon, celui-ci est rentré dans la maison dont il est sorti un instant après, portant un chapeau de vigogne à golilla d'or, des pistolets et un fusil, il a chaussé des éperons en argent à l'officier, celui-ci a pris les armes s'est coiffé du chapeau, est monté sur le cheval et est parti.

– Dans quelle direction?

– Dans celle de la Plaza Mayor.

– Et le peon?

– Il est rentré dans la maison.

– Tu es sûr de ne pas avoir été vu par l'un on l'autre?

– J'en suis sûr.

– C'est bien; veille! Adieu!

– Adieu! et il se renfonça dans les ténèbres.

L'aventurier et son peon tournèrent bride; bientôt ils se retrouvèrent sur la Plaza Mayor, mais ils la traversèrent sans s'arrêter.

Don Jaime paraissait savoir quelle direction il lui fallait suivre, car il galopait sans hésiter à travers les rues; bientôt il arriva à la garita de San Antonio, qu'il passa sans s'arrêter; quelques maraîchers commençaient déjà à entrer en ville.

Arrivé à six cents pas de la garita environ, à un endroit où la route forme un carrefour dont le milieu est occupé par une croix de pierre et où viennent rayonner en étoiles six routes assez larges mais fort mal entretenues, l'aventurier s'arrêta de nouveau et comme la première fois, il poussa un sifflement aigu.

Au même instant, un homme, couché au pied de la croix, se leva tout droit et se tint immobile devant lui.

– Un homme est passé ici, dit don Jaime, monté sur un cheval pie, coiffé d'un chapeau à golilla d'or.

– Cet homme est passé, répondit l'inconnu.

– Combien y a-t-il de temps?

– Une heure.

– Était-il seul?

– Il était seul.

– Quelle direction a-t-il prise?

– Celle-ci, répondit l'inconnu en étendant le bras vers le deuxième sentier de gauche.

– C'est bien.

– Suivrai-je?

– Où est ton cheval?

– Dans un corral près de la garita.

– C'est trop loin, je n'ai pas le temps d'attendre adieu, veille.

– Je veillerai.

Il se recoucha au pied de la croix.

Les deux cavaliers reprirent leur course.

– C'est bien au Palo Quemado qu'il se rend, murmura l'aventurier, nous l'y trouverons.

– C'est probable, fit López, avec le plus grand sang-froid; c'est drôle que je n'aie pas deviné cela plus tôt, c'était cependant bien facile.

Ils galopèrent pendant une heure environ, sans échanger une parole; enfin, ils aperçurent à une courte distance une masse sombre dont la noire silhouette se détachait sur l'obscurité moins épaisse de la campagne qui les cerclait.

– Voici le Palo Quemado, dit don Jaime.

– Oui, répondit seulement López.

Ils firent encore quelques pas en avant et s'arrêtèrent.

Tout à coup un chien se mit à aboyer avec fureur.

– ¡Demonio! s'écria don Jaime, il faut passer, le maudit animal nous trahirait.

Ils éperonnèrent leurs chevaux et partirent à fond de train.

Au bout de quelques instants le chien dont les abois s'étaient changés en grognements sourds se tut complètement.

Les cavaliers firent halte, don Jaime mit pied à terre.

– Cache les chevaux quelque part aux environs, dit-il, et attends-moi.

López ne répondit pas, le digne homme n'était pas causeur, il n'aimait pas prodiguer inutilement ses paroles.

 

L'aventurier, après avoir visité ses armes avec le plus grand soin afin d'être sûr que, au cas probable où il serait forcé de s'en servir, elles ne lui manqueraient pas, se rasa sur le sol comme un Indien des hautes savanes et par un mouvement onduleux, lent et presque insensible, il s'avança vers le rancho del Palo Quemado.

Lorsqu'il ne fut plus qu'à une courte distance du rancho il vit ce qu'il n'avait pas remarqué d'abord, c'est-à-dire que des chevaux au nombre de dix ou douze étaient attachés devant le rancho et que plusieurs hommes couchés sur le sol dormaient près d'eux.

Un individu armé d'une longue lance se tenait immobile devant la porte, sentinelle placée là sans doute pour veiller à la sûreté générale.

L'aventurier s'arrêta: la situation était difficile; les individus quels qu'ils fussent, réunis dans le rancho, n'avaient négligé aucune précaution au cas où on aurait essayé de les surprendre.

Cependant, plus les difficultés paraissaient grandes, plus l'aventurier comprenait l'importance du secret qu'il voulait surprendre; aussi son hésitation fût-elle courte, et résolût-il, si grands que fussent les risques qu'il lui faudrait courir, de savoir quels étaient les membres de cette réunion clandestine et pour quel motif ils étaient réunis.

Le lecteur connaît assez l'aventurier que nous lui avons présenté sous tant de noms, pour deviner que, une fois sa résolution prise de pousser en avant, il n'hésiterait pas à le faire.

Ce fut en effet ce qui arriva; seulement il redoubla de prudence et surtout de précautions, n'avançant pour ainsi dire que pas à pas et rampant sur la terre avec la silencieuse élasticité d'un reptile.

Au lieu de se diriger directement vers le rancho, il le contourna afin de s'assurer que, à part la sentinelle placée devant la porte, il n'avait pas à redouter d'être découvert par quelque surveillant embusqué sur le derrière du bâtiment.

Ainsi que l'aventurier l'avait prévu, le rancho n'était gardé que par devant.

Il se redressa, et autant que les ténèbres lui permettaient de le faire il examina les environs.

Un corral assez grand, clos par une haie vive, attenait à l'habitation; ce corral paraissait désert.

Don Jaime chercha une ouverture par laquelle il pût se glisser dans l'intérieur; après quelques minutes de tâtonnement, il en découvrit enfin une assez large pour lui livrer passage.

Il entra.

Maintenant les difficultés étaient moindres pour s'approcher de la maison; en suivant la haie il parvint en quelques instants presqu'au mur.

Ce qui l'étonnait, c'était de ne pas avoir été senti et dépisté par le chien qui précédemment avait si brusquement annoncé son approche.

Voici ce qui était arrivé: inquiets des aboiements du chien et craignant qu'il ne révélât par ses cris leur présence suspecte aux Indiens qui à cette heure se rendaient à la ville pour vendre leurs marchandises, les étrangers réunis dans le rancho, confiants dans leur sentinelle pour veiller sur leur sûreté, avaient ordonné au ranchero de faire rentrer l'animal dans l'intérieur de sa maison et de l'enchaîner assez loin pour que ses cris ne fussent pas entendus du dehors dans le cas où la fantaisie d'aboyer lui reprendrait.

Cet excès de prudence, de la part des hôtes provisoires du rancho, permit à l'aventurier de s'approcher non seulement sans être découvert mais encore sans éveiller les soupçons.

Bien qu'il ignorât cette particularité, don Jaime en profita, remerciant tout bas la Providence qui l'avait débarrassé d'un surveillant si incommode.

En examinant attentivement le mur contre lequel il marchait, et en le sondant, il arriva devant une porte qui, par une négligence inconcevable, n'était que poussée, et qui céda à la légère pression qu'il lui imprima.

Cette porte ouvrait sur un corridor fort sombre en ce moment, mais un léger filet de lumière qui filtrait à travers les ais mal joints d'une porte, révéla à don Jaime l'endroit où, selon toutes probabilités, les étrangers étaient réunis.

L'aventurier s'approcha à pas de loups, plaça son œil à la fissure, et regarda.

Trois hommes couverts d'épais manteaux étaient assis autour d'une table encombrée de bouteilles et de gobelets, dans une salle assez grande, autant qu'on en pouvait juger, et éclairée seulement par un candil fumeux placé sur un coin de la table.

La conversation était animée entre les trois convives qui buvaient, fumaient et parlaient, comme des hommes qui se croient sûrs de ne pas être écoutés et par conséquent de n'avoir rien à redouter.

Ces trois hommes, l'aventurier les reconnut aussitôt: le premier était don Felipe Neri Irzabal, le colonel guérillero, le second don Melchior de la Cruz et le troisième don Antonio de Cacerbar.

– Enfin! murmura l'aventurier avec un frisson de joie, je vais donc tout savoir.

Et il prêta attentivement l'oreille.

Don Felipe parlait, il semblait être dans un état d'ivresse assez prononcé; cependant, bien que sa langue fût pâteuse, il ne divaguait pas encore, seulement comme tous les gens à demi-ivres, il commençait à s'embrouiller dans des raisonnements entortillés, et paraissait soutenir avec un indomptable entêtement une condition qu'il voulait imposer à ses deux interlocuteurs et à laquelle ceux-ci ne voulaient pas consentir.

– Non, répétait-il incessamment, il est inutile d'insister, señores, je ne vous livrerai pas la lettre que vous me demandez, je suis un honnête homme, moi, je n'ai qu'une parole, ¡voto a brios! et à chaque mot il frappait du poing sur la table.

– Mais, répondit don Melchior, si vous vous obstinez à garder cette lettre que vous avez cependant ordre de nous remettre, il nous sera impossible de remplir la mission dont nous sommes chargés.

– Quel crédit, ajouta don Antonio, nous accorderont les personnes avec lesquelles nous devons nous entendre si rien ne vient leur prouver que nous sommes bien et dûment autorisés à le faire?

– Cela ne me regarde pas, chacun pour soi en ce monde, je suis un honnête homme, je dois veiller à mes intérêts comme vous veillez aux vôtres.

– Mais ce que vous dites-là est absurde, s'écria don Antonio avec impatience; c'est notre tête que nous risquons dans cette affaire.

– Possible, cher seigneur, chacun fait ce qu'il veut. Moi, je suis un honnête homme, je marche droit devant moi, vous n'aurez point la lettre, à moins de me donner ce que je vous demande, donnant donnant, je ne connais que cela, moi. Pourquoi, selon vos conventions avec le général, ne l'avez-vous pas prévenu de l'affaire d'aujourd'hui?

– Nous vous avons prouvé que cela était impossible, puisque cette sortie a été résolue à l'improviste.

– Bon, à l'improviste! Vous vous arrangerez comme vous pourrez avec Son Excellence le général en chef, je m'en lave les mains.

– Trêve de niaiseries, dit sèchement don Antonio, voulez-vous oui ou non remettre à moi ou à ce caballero la lettre dont vous avez été chargé par le Président pour nous?

– Non, répondit nettement don Felipe, à moins que vous me fassiez un bon de dix mille piastres. C'est réellement pour rien, je suis un honnête homme, moi.

– Hum! murmura à part lui l'aventurier; un autographe du señor Benito Juárez, c'est précieux en effet, je ne le marchanderais pas moi, si on me l'offrait.

– Mais, s'écria don Melchior, c'est un vol indigne que vous commettez en agissant ainsi.

– Eh bien, après? fit cyniquement don Felipe d'un ton d'ironie amer, je vole, vous trahissez, nous sommes partie à partie, voilà tout.

A cette insulte qui leur tombait si brutalement en plein visage, les deux hommes se levèrent.

– Partons, dit don Melchior, cet homme est une brute qui ne veut rien entendre.

– Le plus simple est d'aller trouver le général en chef, ajouta don Antonio, il saura nous rendre justice, et nous venger de ce misérable ivrogne.

– Allez, allez, mes chers seigneurs, dit le guérillero en ricanant, allez et bon voyage; je garde la lettre, peut-être trouverai-je acquéreur; je suis honnête homme, moi!

A cette menace, les deux hommes échangèrent un regard en portant la main à leurs armes, mais après une hésitation qui eut la rapidité d'un éclair, ils haussèrent dédaigneusement les épaules et sortirent de la salle.