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Les nuits mexicaines

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Les précautions étaient bien prises, il n'y avait pas de risque d'être découvert.

Don Jaime sortit de l'Église et se trouva sur la Plaza Mayor.

Il était environ midi, heure de la siesta, la place était à peu près déserte.

L'aventurier rabattit son capuchon sur ses yeux, cacha ses mains dans ses manches, et la tête inclinée sur la poitrine, d'un pas tranquille et recueilli, il traversa la place en diagonale et s'engagea dans une des rues aboutissantes.

Olivier arriva ainsi à la porte d'une coquette maison bâtie entre cour et jardin, et qui semblait surgir du milieu d'un bouquet d'orangers et de grenadiers en fleurs.

Cette porte n'était fermée qu'au pêne, l'aventurier la poussa, entra et la referma derrière lui.

Il se trouva alors dans une allée sablée qui formait berceau et aboutissait à la porte même de la maison exhaussée de quelques marches et surmontée d'une large véranda à la mode mexicaine.

Olivier jeta un regard soupçonneux autour de lui, le jardin était désert.

Il avança, mais au lieu de se diriger vers la maison. Il s'enfonça dans une allée latérale et après quelques détours il se trouva devant une porte de dégagement semblant appartenir aux communs.

Arrivé là, Olivier prit un sifflet d'argent suspendu à son cou par une mince chaîne d'or, le porta à sa bouche et en tira un son doux et modulé d'une certaine façon.

Presqu'aussitôt un sifflet semblable se fit entendre dans l'intérieur des bâtiments, la porte s'ouvrit et un homme parut.

L'aventurier fit un signe maçonnique à cet homme qui lui répondit de la même manière et il entra à sa suite dans la maison.

Sans parler, cet homme le guida à travers plusieurs appartements et arrivé à une porte l'ouvrit, s'effaça pour laisser passer l'aventurier devant lui, puis, lorsque celui-ci fût entré, il la referma en demeurant au dehors.

La pièce dans laquelle l'aventurier avait été ainsi introduit, était élégamment meublée, de larges stores étendus devant les fenêtres interceptaient les rayons du soleil, le sol était antérieurement recouvert d'un de ces moelleux petates que seuls les Indiens savent confectionner; un hamac en fils d'aloès suspendu par des anneaux d'argent à des crampons de même métal coupait la pièce en deux.

Un homme étendu dans ce hamac dormait profondément.

Cet homme était don Melchior de la Cruz; un couteau à manche de vermeil curieusement fouillé, à lame large, longue et affilée comme une langue de vipère, était placé sur une table basse en bois de santal à portée de sa main auprès de deux magnifiques pistolets revolvers à six coups de fabrique française et portant le nom de Devisme gravé sur les canons.

Même au milieu de Puebla, dans sa propre maison, don Melchior jugeait convenable de se tenir en garde contre une surprise ou une trahison.

Du reste, ses craintes n'avaient rien d'exagéré, car l'homme qui se trouvait en ce moment devant lui pouvait à bon droit être réputé comme un de ses ennemis les plus redoutables.

L'aventurier le considéra pendant quelques secondes, enfin il s'avança doucement vers le hamac sans que ses pas produisissent le moindre bruit, tant il semblait, glisser sur le petate.

Il prit les revolvers, les fit disparaître sous sa robe, s'empara du couteau, puis il toucha légèrement le dormeur.

Si léger qu'eût été cet attouchement, il suffit cependant pour éveiller don Melchior.

Il ouvrit aussitôt les yeux et étendit le bras vers la table par un mouvement machinal.

– C'est inutile, lui dit froidement Olivier, les armes n'y sont plus.

Au son de cette voix bien connue, don Melchior se redressa comme poussé par un ressort, et fixant un œil hagard sur l'homme immobile devant lui:

– Qui êtes-vous? lui demanda-t-il d'une voix étranglée par l'épouvante.

– Ne m'avez-vous donc pas reconnu déjà? répondit railleusement l'aventurier.

– Qui êtes-vous? reprit-il.

– Ah! Vous voulez une certitude, soit regardez! Et il rejeta son capuchon sur ses épaules.

– Don Adolfo! murmura le jeune homme d'une voix sourde.

– Pourquoi cet étonnement? répondit l'aventurier toujours railleur; ne m'attendiez-vous pas? Vous deviez cependant supposer que je viendrais vous trouver.

Don Melchior demeura un instant comme perdu dans ses pensées.

– Soit, dit-il enfin; après tout, mieux vaut en finir une fois pour toutes; et il retourna s'asseoir tranquille et insouciant en apparence sur le bord du hamac.

Olivier sourit.

– A la bonne heure, dit-il, je préfère vous voir ainsi; causons, nous avons le temps.

– Vous ne venez donc pas dans le but de m'assassiner? dit-il avec ironie.

– Oh! Quelle mauvaise pensée avez-vous là, cher seigneur! Moi porter la main sur vous! Oh, non! Dieu m'en préserve, ceci est l'affaire du bourreau, je me garderai bien d'aller sur les brisées de cet estimable fonctionnaire.

– Le fait, s'écria-t-il impétueusement, c'est que vous vous êtes introduit chez moi comme un malfaiteur, sous un déguisement, pour m'assassiner sans doute.

– Vous vous répétez, ceci est maladroit; si je suis venu déguisé chez vous, c'est que les circonstances exigeaient que je prisse cette précaution, voilà tout; d'ailleurs je n'ai fait que suivre votre exemple; et changeant subitement de ton, à propos, ajouta-t-il, êtes-vous satisfait de Juárez? Vous a-t-il bien payé votre trahison? J'ai entendu dire que c'était un Indien assez avare et assez mesquin; il se sera contenté de vous faire des promesses, n'est-ce pas?

Don Melchior sourit avec dédain.

– Est-ce pour me débiter ces pauvretés que vous vous êtes introduit si secrètement près de moi? répondit-il.

L'aventurier se leva, saisit un revolver de chaque main, fit un pas en avant et le toisant avec un indicible mépris:

– Non, misérable, s'écria-t-il d'une voix tonnante, je suis venu pour vous brûler la cervelle si vous refusez de me révéler ce que vous avez fait de doña Dolores, votre sœur.

XXI
LES PRISONNIERS

Il y eut pendant quelques secondes un silence plein de menace.

Les deux hommes étaient debout en face l'un de l'autre, se toisant du regard.

Ce silence, ce fut don Melchior de la Cruz qui le premier le rompit.

– Ah, ah, ah! fit-il en éclatant d'un rire strident et en se laissant retomber sur le bord du hamac. Avais-je donc si grand tort de vous dire, cher seigneur, que vous vous étiez introduit chez moi pour m'assassiner.

L'aventurier se mordit les lèvres avec dépit et fit disparaître les malencontreux revolvers.

– Eh bien, non, s'écria-t-il d'une voix vibrante, non, je vous le répète, je ne vous tuerai pas, vous n'êtes pas digne de mourir de la main d'un honnête homme; mais je saurai vous contraindre à m'avouer la vérité.

Le jeune homme le regarda avec une expression singulière.

– Essayez, dit-il en haussant les épaules avec dédain.

Puis il se mit à tordre négligemment entre ses doigts une délicate cigarette de paille de maïs, l'alluma, et lançant vers le plafond une bouffée de fumée bleuâtre et odorante:

– Allez, dit-il, je vous attends.

– Bon; voici ce que je vous propose: vous êtes mon prisonnier, eh bien, je vous rendrai voire liberté, si vous remettez doña Dolores entre, je ne dirai pas mes mains, mais celles du comte de la Saulay, son cousin, qu'elle doit incessamment épouser.

– Hum! Ceci est grave, cher seigneur; remarquez que je suis le tuteur légal de ma sœur.

– Comment, son tuteur?

– Oui, puisque notre père est mort.

– Don Andrés de la Cruz est mort? s'écria l'aventurier en se levant d'un bond.

– Hélas, oui! répondit hypocritement le jeune homme en levant les yeux au ciel, nous avons eu la douleur de le perdre avant-hier au soir, hier matin il a été enterré; le pauvre vieillard n'a pu résister aux affreux malheurs qui ont accablé notre famille, la douleur l'a brisé; sa fin a été fort touchante.

Il y eut un silence; Olivier marchait de long en large dans la chambre. Tout à coup, l'aventurier s'arrêta en face du jeune homme.

– Sans ambages ni circonlocutions, lui dit-il, voulez-vous, oui ou non, rendre la liberté à votre sœur?

– Non, répondit résolument Melchior.

– Bien, reprit froidement l'aventurier; alors tant pis pour vous.

A ce moment, la porte s'ouvrit, un jeune homme de haute mine et élégamment vêtu entra dans la chambre.

A la vue de ce jeune homme, un sourire narquois éclaira le visage de don Melchior.

– Eh! dit-il à part lui, les choses pourraient tourner autrement que ce cher don Adolfo ne le suppose.

Le jeune homme salua poliment et s'approcha du maître de la maison avec lequel il échangea une poignée, de main.

– Je vous dérange, demanda-t-il, en jetant sur le moine supposé un regard indifférent.

– Au contraire, cher don Diego, vous ne pouviez arriver plus à propos mais par quel hasard vous vois-je à une heure si insolite?

– Je viens vous annoncer une bonne nouvelle. Le comte de la Saulay, votre ennemi particulier, est en notre pouvoir, mais comme il est Français et qu'il y a certaines considérations à garder, le général a décidé de l'envoyer, sous bonne escorte, à notre illustrissime président. Une autre bonne nouvelle, vous êtes chargé du commandement de cette escorte.

– ¡Demonios! s'écria triomphalement Melchior, vous êtes un brave ami. Mais maintenant, à mon tour: regardez bien ce religieux, le reconnaissez-vous, non? Eh bien, cet homme n'est autre que cet aventurier nommé don Adolfo, don Olivero, don Jaime, que sais-je encore? Et que depuis si longtemps on poursuit vainement.

– Serait-il possible? s'écria don Diego.

– C'est vrai, dit alors don Adolfo.

– Avant une heure vous serez mort, fusillé comme traître et bandit, s'écria Melchior.

Don Adolfo haussa les épaules avec dédain.

 

– Il est évident, observa don Diego, que cet homme sera fusillé, mais c'est au président seul qu'il appartient de statuer sur son sort, il se prétend Français.

– Ah, ça! Mais tous ces démons appartiennent donc à cette nation maudite? s'écria don Melchior tout déconcerté.

– Ma foi, je ne saurais trop vous dire; pour ce qui est de cet homme, comme c'est un rude compagnon et que peut-être vous seriez assez embarrassé de lui, je l'expédierai au président avec une escorte particulière.

– Non pas, non pas, si vous voulez m'être agréable je tiens à l'emmener au contraire; soyez tranquille, je prendrai des précautions telles que tout fin qu'il soit il ne m'échappera pas, seulement il est bon de le désarmer.

L'aventurier remit silencieusement ses armes à don Diego.

En ce moment, un valet parut et annonça que l'escorte attendait dans la rue.

– C'est bien, dit Melchior, en route.

Le domestique donna une machette, une paire de pistolets et un zarapé à son maître et lui boucla les éperons.

– Maintenant nous pouvons partir, dit don Melchior.

– Allons, fit don Diego, señor don Adolfo ou quelque soit votre nom, veuillez, passer le premier.

L'aventurier obéit sans répondre.

Vingt-cinq ou trente soldats vêtus un peu de costumes de fantaisie, la plupart en lambeaux et ressemblant bien plutôt à des bandits qu'à d'honnêtes militaires, attendaient dans la rue.

Ces soldats étaient tous bien montés et bien armés.

Au milieu d'eux le comte de la Saulay et ses deux domestiques étaient étroitement surveillés; un sourire de joie éclaira le visage de don Melchior à la vue du gentilhomme; celui-ci ne daigna pas paraître s'apercevoir de sa présence.

Un cheval était préparé pour don Adolfo; sur un signe de don Diego, il se mit en selle et alla de lui-même se placer à la droite du comte avec lequel il échangea un serrement demain.

Don Melchior se mit en selle.

– Maintenant, mon ami, fit don Diego, bon voyage. Je m'en retourne au gouvernement.

– Adieu donc! fit Melchior, et l'escorte se mit en marche.

Il était environ deux heures de l'après-midi, la plus grande chaleur du jour était passée, les boutiques commençaient à se rouvrir, et les marchands placés sur le seuil de leurs portes regardaient en bâillant passer les soldats.

Don Melchior s'avançait à quelques pas en avant de sa troupe; son maintien était froid et compassé, il faisait de vains efforts pour contenir la joie qu'il éprouvait de sentir enfin entre ses mains ses implacables ennemis.

On était sorti de la ville depuis longtemps déjà; le lieutenant qui commandait l'escorte s'approcha de don Melchior.

– Nos gens sont fatigués, lui dit-il, il serait temps de songer à camper pour la nuit.

– Campons, je le veux bien, répondit celui-ci, pourvu que ce soit dans un endroit sûr.

– Je connais à quelques pas d'ici, reprit le lieutenant, un rancho abandonné, où nous serons fort bien.

– Allons y donc alors.

Le lieutenant prit la direction de la troupe et les soldats ne tardèrent pas à s'engager dans un sentier à peine tracé à travers un bois fort touffu. Au bout de trois quarts d'heure environ, ils atteignirent une vaste clairière au centre de laquelle s'élevait le rancho annoncé.

L'officier donna l'ordre à ses soldats de mettre pied à terre.

Ceux-ci obéirent avec empressement; ils paraissaient avoir hâte de se reposer de leurs fatigues.

Sautant à bas de son cheval, don Melchior entra dans le rancho afin de s'assurer de l'état dans lequel il se trouvait.

Mais à peine avait-il fait un pas dans l'intérieur qu'il fut saisi à l'improviste, roulé dans un zarapé, garrotté et bâillonné, avant même qu'il eût eu le temps d'essayer une défense inutile.

Au bout de quelques minutes, il entendit un cliquetis de sabres et un bruit cadencé de pas au dehors du rancho, les soldats ou du moins une partie d'entre eux s'éloignaient sans autrement s'occuper de lui.

Presqu'aussitôt il fut pris à la fois par les pieds et les épaules, soulevé de terre et emporté. Après quelques pas faits assez rapidement, il lui sembla que ceux qui le portaient lui faisaient descendre un escalier qui paraissait s'enfoncer en terre; puis, après environ dix minutes de marche, il fut doucement déposé sur un lit assez moelleux, composé de fourrures ainsi qu'il le supposa, et on le laissa seul.

Un silence absolu régnait autour du prisonnier; il était bien réellement seul.

Enfin un bruit léger se fit entendre; ce bruit s'accrut peu à peu et devint bientôt assez fort; il ressemblait à la marche de plusieurs personnes, dont les pas craquaient sur le sable.

Ce bruit cessa tout à coup.

Le jeune homme se sentit saisir et enlever de nouveau. On recommença à le porter pendant un laps de temps assez long; les porteurs se relayaient de distance en distance.

Enfin on s'arrêta de nouveau; à l'air plus frais et plus vif qui frappait son visage, le prisonnier conjectura qu'il avait quitté le souterrain et se trouvait en rase campagne.

On le déposa à terre.

– Laissez le prisonnier libre, dit une voix dont le timbre sec et métallique frappa le jeune homme.

Aussitôt ses liens furent détachés, son bâillon et le bandeau qui couvrait ses yeux enlevés.

Don Melchior bondit sur ses pieds et regarda autour de lui.

L'endroit où il se trouvait était le sommet d'une colline assez élevée au milieu d'une immense plaine. La nuit était sombre, dans le lointain un peu sur la droite brillaient comme autant d'étoiles les lumières des maisons de Puebla.

Le jeune homme formait le centre d'un groupe considérable d'hommes rangés en cercle autour de lui.

Ces hommes étaient masqués; chacun d'eux tenait à la main droite une torche en bois d'ocote dont la flamme agitée par le vent nuançait de teintes sanglantes les accidents du paysage, et leur imprimait une apparence fantastique.

Don Melchior sentit un frisson de terreur courir par tout son corps, il comprit qu'il était au pouvoir des membres de cette mystérieuse association maçonnique à laquelle il était lui-même affilié, et qui étendait sur tout le territoire mexicain les ténébreuses ramifications de ses ventes redoutables.

Le silence était si profond sur la colline, tous ces hommes ressemblaient si bien à des statues, dans leur froide immobilité, que le jeune homme entendait sourdement les battements précipités de son cœur dans sa poitrine.

Un homme fit un pas en avant.

– Don Melchior de la Cruz, dit-il, savez-vous où vous êtes, et en présence de qui vous vous trouvez?

– Je le sais, répondit-il les lèvres serrées.

– Vous reconnaissez-vous justiciable des hommes dont vous êtes entouré?

– Oui, parce qu'ils ont la force en main, et que toute velléité de résistance ou de protestation serait de ma part un acte de folie.

– Non, ce n'est point pour cette raison que vous êtes justiciable de ces hommes, et vous le savez bien, reprit froidement l'homme masqué, c'est parce que vous vous êtes volontairement lié à eux par un pacte, qu'en faisant ce pacte, vous avez accepté leur juridiction et leur avez donné le droit d'être vos juges si vous manquiez aux serments que vous avez prêtés, de votre plein gré, entre leurs mains.

Don Melchior haussa dédaigneusement les épaules.

– A quoi bon tenter une défense inutile, dit-il, ne suis-je pas condamné d'avance? Exécutez donc sans plus de retard la sentence que vous avez prononcée déjà tacitement.

L'homme masqué lui lança un regard flamboyant à travers les ouvertures de son masque.

– Don Melchior, reprit-il d'une voix dure et profondément accentuée, ce n'est ni comme parricide, ni comme fratricide, ni comme voleur, que vous comparaissez devant ce tribunal suprême, je vous le répète, c'est comme traître à la patrie; je vous somme de vous défendre.

– Et moi je ne le veux pas; répondit-il d'une voix haute et ferme.

– Soit, continua froidement l'homme masqué; alors plantant sa torche dans le sol, il se tourna vers les assistants.

– Frères, dit-il, quel châtiment a mérité cet homme?

– La mort, répondirent les hommes masqués, d'une voix sourde.

Don Melchior demeura impassible.

– Vous êtes condamné à mourir, reprit celui qui jusque-là avait porté la parole, la sentence sera exécutée ici même, vous avez une demi-heure pour vous préparer à comparaître devant Dieu.

– De quelle façon mourrai-je? demanda négligemment le jeune homme.

– Par la corde.

– Autant cette mort qu'une autre, fît-il avec un sourire ironique.

– Nous ne nous reconnaissons pas le droit de tuer l'âme avec le corps, reprit l'homme masqué: un prêtre entendra la confession de vos fautes.

– Merci, dit laconiquement le jeune homme.

L'homme masqué demeura un instant immobile comme s'il eût attendu que don Melchior lui adressât une autre demande, mais voyant qu'il continuait à garder le silence, il reprit sa torche, fit deux pas en arrière, l'agita à trois reprises différentes, et l'éteignit sous son pied.

Toutes les autres torches s'éteignirent au même instant; un léger froissement de feuilles sèches et de branches cassées se fit entendre, et don Melchior se trouva seul.

Cependant le jeune homme ne se trompa pas à cette apparente solitude, il comprit que, bien qu'invisibles ses ennemis continuaient à le surveiller.

L'homme, si fortement trempée que soit son âme, si grande que soit son énergie, bien que cent fois il ait bravé la mort en face, lorsqu'il a vingt ans, c'est-à-dire quand il se trouve à peine sur le seuil de l'existence, que l'avenir lui sourit à travers le prisme enivrant de la jeunesse, ne peut faire ainsi abstraction complète et réelle de lui-même et sans transition aucune passer de la vie à la mort, sans éprouver un énervement complet et subit de toutes ses facultés intellectuelles et souffrir une angoisse horrible et un tressaillement affreux de tous les muscles, surtout lorsque cette mort qui vient le prendre plein de force, de sève et de jeunesse, lui est donnée froidement, de nuit, à la dérobée pour ainsi dire et qu'elle a un cachet indicible d'infamie.

Aussi malgré tout son courage et, toute sa volonté, don Melchior souffrait une épouvantable agonie; à la racine de chacun de ses cheveux, dressés sur sa tête par la terreur, perlait une gouttelette de sueur froide, ses traits étaient affreusement contractés et une pâleur livide et terreuse couvrait son visage.

En ce moment une main se posa doucement sur son épaule, il tressaillit comme s'il eût reçu une commotion électrique et releva brusquement la tête.

Un moine se tenait devant lui, le capuchon rabaissé sur le visage.

– Ah! fit-il, en se levant, voilà le prêtre.

– Oui, dit le religieux, d'une voix basse mais parfaitement distincte, agenouillez-vous, mon fils, je viens recevoir votre confession.

Le jeune homme tressaillit au son de cette voix qu'il lui sembla reconnaître, son regard se fixa ardent et interrogateur sur le moine immobile devant lui.

Celui-ci s'agenouilla en lui faisant signe de l'imiter. Don Melchior obéit machinalement.

Ces deux hommes ainsi à genoux sur le sommet désert de cette colline, faiblement éclairés par la lueur faible et tremblante des lanternes qui rendait plus profonde l'obscurité qui les enveloppait de toutes parts, offraient un spectacle étrange et saisissant.

– On nous surveille, dit le moine; commandez l'impassibilité aux traits de votre visage, l'immobilité à vos nerfs et écoutez-moi, nous n'avons pas un instant à perdre; me reconnaissez-vous?

– Oui, murmura faiblement don Melchior, qui sentant ami à son côté se rattachait malgré lui à l'espérance, le sentiment qui le dernier survit dans le cœur de l'homme, oui, vous êtes don Antonio de Cacerbar.

– Revêtu du costume que je porte en ce moment, reprit don Antonio, j'étais sur le point d'entrer à Puebla, lorsque je fus soudain entouré par des hommes masqués qui me demandèrent si j'étais dans les ordres, sur ma réponse affirmative, réponse faite a tout hasard afin de ne pas rompre un incognito qui est ma seule sauvegarde contre mes ennemis, ces hommes, m'emmenèrent avec eux et me conduisirent ici, j'ai assisté à votre jugement en frémissant de terreur pour moi-même si j'étais reconnu par ces hommes, à qui je n'ai échappé une première fois que par miracle; mais quoi qu'il arrive je suis résolu à partager votre sort; avez-vous des armes?

– Non, mais à quoi bon des armes contre un nombre d'ennemis aussi considérable?

– A se faire tuer bravement au lieu d'être ignominieusement pendu.

– C'est vrai, s'écria le jeune homme.

– Silence malheureux fit vivement don Antonio, prenez ce revolver à six coups et ce poignard, j'en garde autant pour moi.

 

– Soyez tranquille, dit-il en serrant les armes contre sa poitrine, maintenant je ne les crains plus.

– Bien, voilà comment je voulais vous voir; souvenez-vous de ceci: les chevaux attendent tout sellés là, à droite au bas de la colline; si nous parvenons à les atteindre nous sommes sauvés.

– Quoi qu'il arrive, merci don Antonio, si Dieu veut que nous échappions…

– Ne me promettez rien, interrompit vivement don Antonio; il sera temps plus tard de régler nos comptes.

Le moine donna l'absolution à son pénitent.

Quelques minutes s'écoulèrent; enfin don Melchior se leva, sa contenance était fière et assurée, il était certain de ne pas mourir sans vengeance.

Les hommes masqués reparurent tout à coup et couronnèrent de nouveau le sommet de la colline.

Celui qui jusque-là avait seul parlé, s'approcha du condamné auprès duquel don Antonio était venu se placer comme pour l'exhorter à ses derniers moments.

– Êtes-vous prêt? demanda l'inconnu.

– Je le suis, répondit froidement don Melchior.

– Dressez la potence et allumez les torches, commanda l'homme masqué.

Il se fit alors un grand mouvement dans la foule, il y eut un instant de désordre; les initiés étaient si convaincus que toute fuite était impossible au condamné, d'ailleurs il était si peu probable qu'il tentât de se soustraire à son sort que pendant deux ou trois minutes ils se relâchèrent de leur surveillance.

Don Melchior et son ami profitèrent de ce moment d'oubli.

– Allons, s'écria don Antonio, en renversant l'homme placé le plus près de lui, suivez-moi.

– Allons, répéta hardiment don Melchior en armant son revolver et saisissant son poignard.

Ils se précipitèrent tête baissée au milieu des initiés frappant furieusement à droite et à gauche, et s'ouvrant passage, le poignard d'une main et le revolver de l'autre.

De même que toutes les actions désespérées, celle-ci réussit par sa folie même; il y eût une mêlée effroyable, une lutte gigantesque de quelques minutes entre les initiés surpris à l'improviste, et les deux hommes résolus à s'échapper ou à périr les armes à la main; puis, on entendit un galop furieux de chevaux, et une voix railleuse qui criait au loin:

– Au revoir!

Don Melchior et don Antonio couraient ventre à terre sur la route de Puebla.

Tout espoir de les rejoindre était perdu; du reste, ils avaient laissé un sanglant sillon derrière eux: dix cadavres étaient étendus sur la terre.

– Arrêtez! s'écria don Adolfo à ceux qui s'élançaient vers les chevaux, laissez les fuir, don Melchior est condamné, sa mort est certaine; mais, ajouta-t-il par réflexion, quel est donc ce moine maudit?

Leo Carral, le mayordomo, se pencha à son oreille.

– Ce moine, je l'ai reconnu moi, dit-il, c'est don Antonio de Cacerbar.

– Ah! fit-il avec colère, encore cet homme!

Quelques minutes plus tard, une cavalcade, composée d'une dizaine de cavaliers environ, prenait au grand trot la route de la capitale du Mexique.

Cette cavalcade était conduite par don Jaime ou Olivier, ou Adolfo, comme il plaira au lecteur de le nommer.