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Les nuits mexicaines

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– Halte, dit le comte d'une voix railleuse, halte, je vous prie, caballeros, un pas de plus et nous sautons tous. Ne dépassez donc pas le seuil de cette porte, s'il vous plaît.

Les guérilleros s'étaient bien gardés de désobéir à cette courtoise recommandation, ils avaient du premier coup d'œil reconnu à qui ils avaient affaire.

Don Melchior frappait du pied avec rage de se voir ainsi réduit à l'impuissance.

– Que voulez-vous? dit-il d'une voix étranglée.

– Rien, de vous, nous sommes des hommes d'honneur, nous ne traiterons pas avec un misérable de votre sorte.

– Vous serez fusillés comme des chiens, Français maudits.

– Je vous défie de mettre votre menace à exécution, répondit le comte en armant froidement le revolver qu'il tenait à la main et en dirigeant la gueule sur le baril de poudre placé près de lui.

Les guérilleros se reculèrent en poussant des hurlements de frayeur.

– Ne tirez pas, ne tirez pas, s'écrièrent ils, voici le colonel.

En effet, Cuellar arrivait. Cuellar est un affreux bandit, cette affirmation ne surprendra personne; mais il faut lui rendre cette justice qu'il est d'une bravoure sans égale.

Il se fraya un passage à travers ses soldats et bientôt il se trouva seul en avant.

Il s'inclina gracieusement devant les quatre hommes, les examina d'un air sournois et tout en tordant nonchalamment une cigarette:

– Eh! mais, dit-il gaiement, c'est fort ingénieux cette affaire que vous avez imaginée-là, je vous en fais mon sincère compliment, caballeros. Ces diables de Français ont des idées incroyables, ma parole d'honneur, ajouta-t-il en se parlant à lui-même, ils ne se laissent jamais prendre en défaut, il y a là de quoi nous envoyer tous en paradis.

– Et le cas échéant nous n'hésiterons pas plus que nous avons hésité à faire sauter les soldats que vous aviez expédiés en éclaireurs par la grotte.

– Hein? fit Cuellar en pâlissant, que dites-vous donc de mes soldats?

– Je dis, reprit froidement le comte, que vous pouvez faire rechercher leurs cadavres dans le souterrain, tous s'y trouveront, car tous y sont restés.

Un frémissement de terreur parcourut les rangs des guérilleros à ces paroles.

Il y eut un silence.

Cuellar réfléchissait.

Il releva la tête, toute trace d'émotion avait disparu de son visage, il jeta les yeux autour de lui comme s'il cherchait quelque chose.

– Est-ce du feu que vous cherchez? lui demanda Dominique en s'avançant vers lui une bougie à la main, allumez-donc votre cigarette, señor.

Et il lui tendit poliment la bougie.

Cuellar alluma sa cigarette et rendit la bougie.

– Merci, señor, dit-il.

Dominique rejoignit ses compagnons.

– Ainsi, dit Cuellar, vous demandez une capitulation?

– Vous vous trompez, señor, répondit froidement le comte, nous vous l'offrons au contraire.

– Vous nous l'offrez? fit avec étonnement le guérillero.

– Oui, parce que nous sommes maîtres de votre vie.

– Permettez, fit Cuellar, ceci est spécieux, car en nous faisant sauter, vous sautez avec nous.

– Pardieu! C'est bien ainsi que nous l'entendons.

Cuellar réfléchit encore.

– Voyons, dit-il au bout d'un instant, ne faisons pas une guerre de mots, venons au fait comme des hommes: que voulez-vous?

– Je vais vous le dire répondit le comte.

XVII
APRÈS LA BATAILLE

Cuellar fumait nonchalamment sa cigarette; sa main gauche était posée sur son long sabre dont l'extrémité du trainoir du fourreau reposait sur le plancher; il y avait un laisser-aller charmant dans la façon dont il se tenait debout, à la porte du salon, laissant ses yeux errer au hasard avec une douceur féline et envoyant par la bouche et les narines, avec la béate sensualité d'un véritable dégustateur, d'épaisses bouffées de fumée bleuâtre.

– Pardon, señores, dit-il, avant que d'aller plus loin, il est nécessaire de bien nous entendre, je crois, permettez-moi de vous adresser une légère observation.

– Parlez, señor, répondit le comte.

– Traitons, je le veux bien, je ne demande pas mieux même; je suis un homme fort arrangeant comme vous le voyez, seulement n'exigez pas de moi de ces choses par dessus les maisons que je serais contraint de vous refuser, car, je n'ai pas besoin de vous dire que si vous êtes décidés, je ne le suis pas moins, et que tout en désirant une transaction avantageuse pour vous comme pour moi, ma foi, si vous étiez trop dur, je préférerais sauter avec vous, d'autant plus que j'ai le pressentiment que je finirai comme cela un jour ou l'autre et que je ne serais pas fâché d'aller au diable en aussi bonne compagnie.

Bien que ces paroles fussent prononcées d'un air souriant, le comte ne se trompa pas à l'expression résolue de l'homme auquel il avait affaire.

– Oh! Señor dit-il, vous nous connaissez bien mal si vous nous supposez capables de vous demander des impossibilités, seulement comme notre position est bonne, nous en voulons profiter.

– Et je vous approuve grandement, caballero, mais comme vous êtes Français et que vos compatriotes ne doutent de rien, j'ai cru de mon devoir de vous faire cette observation.

– Soyez convaincu, señor, répondit le comte en affectant la même tranquillité que son interlocuteur, que nous n'exigerons que des conditions raisonnables.

– Vous exigerez! reprit Cuellar en appuyant avec affectation sur ces deux mots.

– Ma foi oui; ainsi nous ne vous obligerons pas à nous rendre l'hacienda, car nous savons que si vous en sortiez aujourd'hui, demain vous recommenceriez l'attaque.

– Vous êtes plein de pénétration, señor; venez donc au fait, je vous prie.

– M'y voici, d'abord, vous nous rendrez les pauvres peones qui ont échappé au massacre.

– Je n'y vois pas de difficulté.

– Avec leurs armes, leurs chevaux et le peu qu'ils possèdent.

– Passe pour cela, ensuite.

– Don Andrés de la Cruz, sa fille, le mayordomo, Léo Carral, mon ami, moi et toutes les femmes et les enfants réfugiés dans ce salon, nous serons libres de nous retirer où cela nous plaira sans craindre d'être inquiétés.

Cuellar fit la grimace.

– Après, dit-il?

– Pardon, est-ce convenu?

– Oui, c'est convenu, après?

– Mon ami et moi nous sommes étrangers, Français, le Mexique n'est point en guerre, que je sache, avec notre pays.

– Cela pourra venir, dit Cuellar en raillant.

– Peut-être, mais en attendant, nous sommes en paix et nous avons droit à votre protection.

– N'avez-vous pas combattu contre nous?

– C'est vrai, mais nous étions dans le cas de légitime défense; on nous attaquait, nous devions nous défendre.

– Bon, bon, passez.

– Nous voulons donc avoir le droit d'emporter avec nous, sur des mules, tout ce qui nous appartient.

– Est-ce tout?

– A peu près, acceptez-vous ces conditions?

– Je les accepte.

– Bon, seulement il nous reste une petite formalité à remplir.

– Une formalité! Laquelle donc?

– Celle des otages.

– Comment des otages, n'avez-vous pas ma parole?

– Parfaitement.

– Eh bien! Que demandez-vous de plus?

– Je vous l'ai dit, des otages; vous comprenez bien, señor, que je n'irai pas ainsi confier la vie de mes compagnons et la mienne, je ne dirai pas à vous, j'ai votre parole, et je la crois bonne, mais à vos soldats, qui en braves guérilleros qu'ils sont ne se feraient aucun scrupule, si nous avions la folie de nous livrer entre leurs mains, pour nous rançonner et peut-être nous faire pis; vous ne commandez pas des troupes régulières, señor, et si sévère que soit la discipline que vous maintenez dans votre cuadrilla, je doute qu'elle aille jusqu'à faire respecter vos prisonniers, lorsque vous n'êtes pas là pour les protéger de votre présence.

Cuellar, intérieurement flatté des paroles du comte, lui sourit gracieusement.

– Hum! dit-il, ce que vous dites là peut être vrai jusqu'à un certain point. Bref, quels sont ces otages que vous désirez, et combien en voulez-vous?

– Un seul, señor, vous voyez que c'est bien peu.

– Bien peu, en effet, mais quel est cet otage?

– Vous-même, répondit nettement le comte.

– ¡Canarios! fit Cuellar en ricanant, vous n'êtes pas dégoûté! Celui-là vous suffirait en effet.

– Aussi n'en voulons-nous pas d'autres.

– C'est fort malheureux.

– Pourquoi donc?

– Parce que je refuse, ¡caray! Et qui me servirait de caution, à moi s'il vous plaît?

– La parole d'un gentilhomme français, caballero, répondit fièrement le comte, parole qui jamais n'a été engagée en vain.

– Ma foi, reprit Cuellar avec la bonhommie qu'il possède si bien, et qui, lorsque cela lui convient, le fait prendre pour le meilleur homme du monde, j'accepte, caballero, il en arrivera ce qui pourra, je suis curieux de mettre un peu à l'épreuve cette parole dont les Européens sont si fiers; c'est donc convenu, je vous sers d'otage; maintenant combien de temps demeurerais-je près de vous? Il est fort important pour moi de régler cette question.

– Nous ne vous demanderons pas autre chose que de nous suivre jusqu'en vue de Puebla; une fois là, vous serez libre, vous pouvez même, si cela vous plaît, prendre avec vous une escorte d'une dizaine d'hommes pour assurer votre retour.

– Allons, voilà qui est dit, je suis des vôtres, caballero; don Melchior vous demeurerez ici pendant mon absence et vous veillerez à ce que tout marche bien.

– Oui, répondit sourdement don Melchior.

Le comte, après avoir dit quelques mots à voix basse au mayordomo, s'adressa de nouveau à Cuellar:

– Señor, lui dit-il, veuillez, je vous prie, donner l'ordre que les peones soient amenés; puis, pendant que vous demeurerez près de nous, Ño Léo Carral ira tout préparer pour notre départ.

 

– Bien, fit Cuellar; le mayordomo peut aller à ses affaires. Vous entendez, vous autres, ajouta-t-il en se tournant vers les guérilleros toujours immobiles, cet homme est libre, qu'on amène ici les peones.

Une quinzaine de pauvres diables, les habits en lambeaux, couverts de sang, mais armés ainsi que cela avait été convenu, entrèrent alors dans le salon; ces quinze hommes étaient tout ce qui restait des défenseurs de l'hacienda.

Cuellar pénétra alors dans la pièce sur le seuil de laquelle il s'était tenu jusque-là et, sans en être prié, il alla se poster derrière la barricade.

Don Melchior, sentant la fausseté de la position dans laquelle il se trouvait placé, maintenant qu'il restait seul en face des assiégés, se détourna pour se retirer; mais alors don Andrés se leva, et l'interpellant d'une voix forte et impérieuse:

– Arrêtez, Melchior, lui dit-il, nous ne pouvons nous séparer ainsi, à présent que nous ne devons plus nous revoir en ce monde, une explication suprême est nécessaire, indispensable même entre nous.

Don Melchior tressaillit aux accents de cette voix, son front pâlit, il fit un mouvement comme s'il voulait fuir, mais s'arrêtant tout à coup et relevant fièrement la tête:

– Que me voulez-vous? dit-il, parlez je vous écoute.

Pendant un laps de temps assez long, le vieillard demeura les yeux fixés sur son fils avec une expression étrangement mélangée d'amour, de colère, de douleur et de mépris, et faisant enfin un effort sur lui-même, il prit la parole:

– Pourquoi vouloir vous retirer? lui dit-il; est-ce parce que le crime que vous avez commis vous fait horreur, ou bien fuyez-vous la rage au cœur de voir votre parricide avorté et votre père sauvé, malgré tous vos efforts pour lui arracher la vie; Dieu n'a pas permis la réussite complète de vos sinistres projets; il me châtie de ma faiblesse pour vous et de la place que vous aviez usurpé dans mon cœur; je paie bien cher un moment d'erreur, mais enfin, le voile qui couvrait mes yeux est tombé. Allez misérable, marqué au front d'un stigmate indélébile, soyez maudit! Et que cette malédiction que je prononce sur vous, pèse éternellement sur votre cœur! Allez, parricide, je ne vous connais plus!

Don Melchior, malgré toute son audace, ne put soutenir le regard fulgurant que son père fixait implacablement sur lui; une pâleur, livide envahit son visage, un tremblement convulsif agita ses membres, sa tête se courba sous le poids de l'anathème et il recula à pas lents sans se retourner, comme s'il eût été entraîné par une force supérieure à sa volonté et disparut enfin au milieu des guérilleros qui lui livrèrent passage avec un mouvement d'horreur.

Un silence funèbre régnait dans le salon; tous ces hommes, si peu impressionnables pourtant, subissaient l'influence de cette terrible malédiction prononcée par un père sur un fils coupable.

Cuellar fut le premier qui recouvra son sang-froid.

– Vous avez eu tort, dit-il à don Andrés en hochant la tète, de faire à votre fils cet affront sanglant devant tous.

– Oui, oui, répondit tristement le vieillard je vous comprends, il se vengera; que m'importe? Ma vie n'est-elle pas brisée désormais?

Et penchant la tête sur sa poitrine, le vieillard tomba dans une sombre et profonde méditation.

– Veillez sur lui, dit Cuellar au comte, je connais don Melchior, c'est un véritable Indien.

Cependant doña Dolores, qui jusqu'à ce moment était demeurée craintivement cachée au milieu de ses femmes, derrière la barricade, se leva, déplaça quelques meubles, glissa doucement à travers l'ouverture qu'elle avait pratiquée et alla s'asseoir auprès de don Andrés.

Celui-ci ne bougea pas, il ne l'avait ni vu venir, ni entendu se placer à son côté.

Elle se pencha vers lui, saisit ses mains qu'elle pressa dans les siennes, le baisa doucement au front et lui dit de sa voix mélodieuse avec un accent de tendresse impossible à rendre:

– Mon père, mon bon père, ne vous reste-t-il donc pas un enfant qui vous chérit et vous respecte? Ne vous laissez pas ainsi abattre par la douleur; regardez-moi mon père, au nom du ciel, je suis votre fille, ne m'aimez-vous donc pas, moi qui ai un si grand amour pour vous?

Don Andrés releva son visage baigné de larmes et ouvrant ses bras à la jeune fille qui s'y précipita avec un cri de joie:

– Oh! J'étais ingrat, s'écria-t-il avec une tendresse ineffable, je doutais de la bonté infinie de Dieu, ma fille me reste! Je ne suis plus seul sur la terre, je puis être heureux encore!

– Oui, mon père, Dieu a voulu vous éprouver, mais il ne nous abandonnera pas dans notre douleur, soyez fort contre l'infortune, oubliez votre fils ingrat à son repentir, relevez-le de la malédiction terrible que vous avez prononcée sur lui, laissez-le revenir repentant à vos genoux, il n'est qu'égaré, j'en suis sûre, comment ne vous aimerait-il pas, vous, mon noble père, vous si grand et si bon toujours.

– Ne me parles jamais de ton frère, enfant, répondit le vieillard avec une énergie farouche, cet homme n'existe plus pour moi; tu n'as pas de frère, tu n'en as jamais eu! Pardonnes-moi de t'avoir trompé en te laissant croire que ce misérable faisait partie de notre famille; non ce monstre n'est pas mon fils, j'ai été abusé moi-même, en supposant que le même sang coulait dans ses veines et dans les miennes.

– Mon père, calmez-vous au nom du ciel, je vous en supplie!

– Viens, pauvre enfant, reprit-il en la serrant dans ses bras, ne me quittes pas, j'ai besoin de te sentir là, près de moi, pour ne pas me croire seul au monde, et pour avoir la force de surmonter mon désespoir; oh! Redis-moi encore que tu m'aimes, tu ne saurais comprendre combien ces paroles font du bien à mon cœur et apportent de soulagement à ma douleur.

Les guérilleros s'étaient dispersé dans toutes les parties de l'hacienda, pillant et dévastant, brisant les meubles et faisant sauter les serrures avec une dextérité qui témoignait d'une longue habitude, seulement, d'après les conventions faites, l'appartement du comte avait été respecté; Raimbaut et Ibarru relevés de leur longue faction par Léo Carral, s'occupaient activement à charger sur des mules les coffres et les valises du comte et de Dominique; les guérilleros les avaient pendant quelques instants regardés d'un air narquois, riant entre eux de la façon maladroite dont les deux domestiques s'y prenaient pour charger les mules, puis ils avaient offert leurs bons offices à Raimbaut, bons offices que celui-ci avait bravement acceptés; alors ces mêmes hommes, qui sans le plus léger scrupule se seraient livrés au pillage de tous ces objets pour eux d'un grand prix, s'étaient activement occupés à les transporter et à les emballer avec le plus grand soin, sans que la pensée leur vînt un seul instant de soustraire la moindre chose.

Grâce à leur concours intelligent, les bagages des deux jeunes gens furent en fort peu de temps chargés sur trois mules, et Léo Carral n'eut plus qu'à veiller à ce que les chevaux nécessaires au voyage fussent sellés, ce qui en un tour de main fut accompli, tant los guérilleros mirent de hâte et de bonne volonté à aller chercher les chevaux au corral et à les amener dans la cour.

Léo Carral rentra alors dans le salon et annonça que tout était prêt pour le départ.

– Messieurs, nous partirons quand il vous plaira, dit le comte.

– Allons donc alors.

Ils sortirent du salon, entourés par les guérilleros qui marchaient auprès d'eux en poussant de grands cris, mais cependant sans oser les approcher de trop près, contenus, selon toute apparence, par le respect qu'ils portaient à leur chef.

Lorsque tous ceux qui devaient quitter l'hacienda furent à cheval, ainsi qu'une dizaine de guérilleros commandés par un bas officier et dont la mission était de servir d'escorte au retour à leur colonel, le guérillero s'adressa à ses soldats, en leur recommandant d'obéir en tout à don Melchior de la Cruz pendant son absence, puis il donna le signal du départ. En comptant les femmes et les enfants, la petite caravane se composait à peu près d'une soixantaine de personnes; c'était tout ce qui restait des deux cents serviteurs de l'hacienda.

Cuellar marchait en avant, à droite du comte; derrière, se trouvait doña Dolores entre son père et Dominique; puis venaient les peones, conduisant les mules de charges sous la direction de Leo Carral et des deux domestiques du comte; les guérilleros formaient l'arrière-garde.

Ils descendirent la colline au petit pas, et bientôt ils se trouvèrent dans la plaine; la nuit était sombre, il était environ deux heures du matin, le froid était glacial, et les tristes voyageurs grelottaient sous leurs zarapés.

Ils prirent la grande route de Puebla, qu'ils atteignirent au bout de vingt minutes environ, et adoptèrent alors une allure plus rapide; la ville n'était éloignée que de cinq ou six lieues, ils avaient l'espoir d'y arriver au lever du soleil, ou du moins aux premières heures du jour.

Soudain, une grande lueur teignit le ciel de reflets rougeâtres et éclaira au loin la campagne.

C'était l'hacienda qui brûlait.

A cette vue, don Andrés jeta un regard triste en arrière en poussant un profond soupir, mais il ne prononça pas une parole.

Seul, Cuellar parlait; il essayait de prouver au comte que la guerre avait des nécessités fâcheuses, que, depuis longtemps déjà, don Andrés avait été dénoncé comme un partisan avoué de Miramón, et que la prise et la destruction de l'hacienda n'étaient que les conséquences de son mauvais vouloir pour le président Juárez, toutes choses auxquelles le comte, comprenant l'inutilité d'une discussion sur un semblable sujet avec un pareil homme, ne se donnait même pas la peine de répondre.

Ils marchèrent ainsi pendant trois heures environ, sans que nul incident ne vînt troubler la monotonie de leur voyage.

Le soleil se levait, et, aux premières lueurs de l'aurore, les dômes et les hauts clochers de Puebla apparurent au loin découpant leur silhouette noire et encore indistincte sur l'azur foncé du ciel.

Le comte fit faire halte à la caravane.

– Señor, dit-il à Cuellar, vous avez loyalement accompli les conditions stipulées entre nous, recevez-en ici mes remerciements et ceux de mes malheureux amis; nous ne sommes plus qu'à deux lieues au plus de Puebla, voici le jour, il est inutile que vous nous accompagniez davantage.

– En effet, señor, je crois que vous pouvez maintenant vous passer de moi, et puisque vous me le permettez, je vais vous quitter, en vous réitérant mes regrets pour ce qui s'est passé, malheureusement je ne suis pas le maître, et…

– Brisons là, je vous prie, interrompit le comte, ce qui est fait est irréparable, quant à présent du moins, il est donc inutile de nous appesantir davantage sur ce sujet.

Cuellar s'inclina.

– Un mot, señor conde, dit-il à voix basse. Le jeune homme s'avança vers lui.

– Laissez-moi, reprit le guérillero, avant de nous séparer vous donner un avis.

– J'écoute, señor.

– Vous êtes encore loin de Puebla, où vous n'arriverez pas avant deux heures: soyez sur vos gardes, surveillez avec soin la campagne autour de vous.

– Que voulez-vous dire, señor?

– On ne sait pas ce qui peut survenir; je vous le répète, veillez.

– Adieu, señor, répondit machinalement le jeune homme en lui rendant son salut.

Après avoir ainsi pris courtoisement congé de ses compagnons de route, le guérillero se mit à la tête de ses soldats et s'éloigna au galop, non toutefois sans avoir, par un geste significatif, recommandé la prudence au jeune homme.

Le comte le regarda s'éloigner d'un air pensif.

– Qu'as-tu donc, ami? lui demanda Dominique. Ludovic lui rapporta ce que Cuellar lui avait dit en le quittant.

Le vaquero fronça le sourcil.

– Il y a quelque anguille sous roche, dit-il; dans tous les cas, l'avis est bon, et nous aurions tort de le négliger.