Za darmo

Les trappeur de l'Arkansas

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

IX. Le fantôme

Il était à peu près huit heures du matin, un joyeux soleil d’automne éclairait splendidement la prairie.



Les oiseaux voletaient çà et là en poussant des cris bizarres, tandis que d’autres cachés au plus épais du feuillage formaient de mélodieux concerts. Parfois un daim montrait sa tête effarouchée au-dessus des hautes herbes et disparaissait au loin en bondissant.



Deux cavaliers revêtus du costume des coureurs des bois, montés sur de magnifiques chevaux à demi sauvages, suivaient au grand trot la rive gauche de la grande Canadienne, tandis que plusieurs limiers à la robe noire, tachée de feu aux yeux et au poitrail, couraient et gambadaient autour d’eux.



Ces cavaliers étaient le Cœur-Loyal et son ami Belhumeur.



Contrairement à ses habitudes, le Cœur-Loyal semblait en proie à la joie la plus vive, son visage rayonnait, il jetait avec complaisance les yeux autour de lui. Parfois il s’arrêtait, fixait son regard au loin, paraissant chercher à l’horizon quelque objet qu’il ne pouvait encore apercevoir. Alors avec un mouvement de dépit, il se remettait en marche pour recommencer cent pas plus loin la même manœuvre.



– Ah ! parbleu ! lui dit enfin Belhumeur en riant, nous arriverons, soyez tranquille.



– Eh ! caramba ! je le sais bien, mais je voudrais déjà y être ! pour moi les seuls moments de bonheur que Dieu m’accorde, se passent auprès de celle que nous allons voir ! ma mère ! ma mère chérie ! qui pour moi a tout quitté ! tout abandonné sans regret, sans hésitation ! oh ! que c’est bon d’avoir une mère ! de posséder un cœur qui comprenne le vôtre, qui fasse abnégation complète de lui-même pour s’absorber en vous ! qui vit de votre existence ! se réjouissant de vos joies, s’attristant de vos peines ! qui fait deux parts de votre vie, se réservant la plus lourde, vous laissant la plus légère et la plus facile ! oh ! Belhumeur ! pour bien comprendre ce que c’est que cet être divin composé de dévouement et d’amour que l’on nomme une mère, il faut comme moi en avoir été privé pendant de longues années et puis tout à coup l’avoir retrouvée plus aimante, plus adorable qu’auparavant ! Que nous marchons lentement ! Chaque minute de retard est un baiser de ma mère que le temps me vole ! N’arriverons-nous donc jamais ?



– Nous voici au gué.



– Je ne sais pourquoi, mais une crainte secrète me serre le cœur, un pressentiment indéfinissable me fait trembler malgré moi.



– Chassez ces idées noires, mon ami, dans quelques minutes nous serons près de votre mère.



– Oui, n’est-ce pas ? et pourtant, je ne sais si je m’abuse, mais on dirait que la campagne n’a pas son aspect accoutumé, ce silence qui règne autour de nous, cette solitude qui nous environne me semblent peu naturels, nous voici près du village, nous devrions déjà entendre les abois des chiens, le chant des coqs et ces mille bruits qui dénoncent les lieux habités.



– En effet, dit Belhumeur avec une vague inquiétude, tout est bien silencieux autour de nous.



Les voyageurs se trouvaient à un endroit où la rivière fait un coude assez brusque ; ses rives profondément encaissées, couvertes d’immenses blocs de rochers et d’épais taillis, ne permettaient pas à la vue de s’étendre au loin.



Le village vers lequel se dirigeaient les chasseurs n’était éloigné que d’une portée de fusil à peine du gué où ils se préparaient à traverser la rivière, mais il était complètement invisible à cause de la disposition des lieux.



Au moment où les chevaux mettaient les pieds dans l’eau ils firent un brusque mouvement en arrière, et les limiers poussèrent un de ces hurlements plaintifs, particuliers à leur race, qui glacent d’effroi l’homme le plus brave.



– Qu’est-ce là ! murmura le Cœur-Loyal en devenant pâle comme un mort et en jetant autour de lui un regard effaré.



– Voyez ! répondit Belhumeur, et du doigt il montra à son compagnon plusieurs cadavres que la rivière emportait et qui glissaient entre deux eaux.



– Oh ! s’écria le Cœur-Loyal, il s’est passé ici quelque chose d’épouvantable. Ma mère ! ma mère !



– Ne vous effrayez pas ainsi, dit Belhumeur, elle est sans doute en sûreté.



Sans écouter les consolations que son ami lui prodiguait sans y croire lui-même, le Cœur-Loyal enfonça les éperons dans le ventre de son cheval et s’élança dans les flots.



Ils arrivèrent bientôt sur l’autre rive.



Alors tout leur fut expliqué.



Ils avaient devant eux la scène de désolation la plus épouvantablement complète qui se puisse imaginer.



Le village et le fort n’étaient plus qu’un monceau de ruines.



Une fumée noire, épaisse et nauséabonde montait en longues spirales vers le ciel.



Au milieu du village s’élevait un mât sur lequel étaient cloués des lambeaux humains que des urubus se disputaient avec de grands cris.



Çà et là gisaient des cadavres à demi dévorés par les bêtes fauves et les vautours.



Nul être vivant n’apparaissait.



Rien n’était resté intact, tout était brisé ou renversé. L’on reconnaissait au premier coup d’œil que les Indiens avaient passé par là, avec leur rage sanguinaire et leur haine invétérée contre les Blancs. Leurs pas étaient profondément gravés en lettres de feu et de sang.



– Oh ! s’écria le chasseur, en frémissant, mes pressentiments étaient un avertissement du ciel, ma mère ! ma mère !



Le Cœur-Loyal se laissa tomber sur le sol avec désespoir, il cacha sa tête dans ses mains et pleura !



La douleur de cet homme si fortement trempé, doué d’un courage à toute épreuve et que nul danger ne pouvait surprendre, était comme celle du lion, elle avait quelque chose d’effrayant.



Ses sanglots, semblables à des rugissements, lui déchiraient la poitrine.



Belhumeur respecta la douleur de son ami ; quelle consolation pouvait-il lui offrir ? Mieux valait laisser couler ses larmes et donner au premier paroxysme du désespoir le temps de se calmer ; certain que cette nature de bronze ne se laisserait pas longtemps abattre et que bientôt viendrait une réaction qui lui permettrait d’agir.



Seulement avec cet instinct inné chez les chasseurs, il commença à fureter de tous les côtés, espérant trouver quelque indice, qui plus tard servirait à diriger leurs recherches.



Après avoir longtemps tourné autour des ruines, il fut tout à coup attiré du côté d’un buisson peu éloigné par des aboiements qu’il crut reconnaître.



Il s’avança précipitamment ; un limier semblable aux siens sauta joyeusement après ses jambes et l’étourdit par ses folles caresses.



– Oh ! oh ! dit le chasseur, que signifie cela, qui a attaché ainsi le pauvre Trim ?



Il coupa le lien qui retenait l’animal et s’aperçut alors qu’il avait au cou un papier plié en quatre et soigneusement attaché.



Il s’en empara et courut rejoindre le Cœur-Loyal.



– Frère, lui dit-il, espérez !



Le chasseur savait que son ami n’était pas homme à lui prodiguer de vulgaires consolations, il leva vers lui son visage baigné de larmes.



Aussitôt libre, le chien s’était mis à fuir avec une vélocité incroyable en poussant ces jappements sourds et saccadés des limiers sur la voie.



Belhumeur, qui avait prévu cette fuite, s’était hâté d’attacher sa cravate autour du cou de l’animal.



– On ne sait pas ce qui peut arriver ! murmura le Canadien en voyant le chien disparaître.



Et sur cette réflexion philosophique il était allé rejoindre son ami.



– Qu’y a-t-il ? demanda le Cœur-Loyal.



– Lisez ! répondit simplement Belhumeur.



Le chasseur s’empara du papier qu’il lut avidement.



Il ne contenait que ces mots :



« Nous sommes prisonniers des Peaux-Rouges… Courage !… Il n’est rien arrivé de malheureux à votre mère. »



– Dieu soit béni !… s’écria le Cœur-Loyal avec effusion en baisant le papier qu’il serra dans sa poitrine, ma mère est vivante !… Oh ! je la retrouverai !…



– Pardieu !… appuya Belhumeur d’un accent convaincu.



Un changement complet s’était comme par enchantement opéré dans l’esprit du chasseur, il s’était redressé de toute sa hauteur, son front rayonnait.



– Commençons nos recherches, dit-il, peut-être quelqu’un des malheureux habitants a-t-il échappé à la mort ; par lui nous apprendrons ce qui s’est passé.



– Bien ! dit Belhumeur avec joie, c’est ça, cherchons.



Les chiens grattaient avec frénésie dans les ruines du fort.



– Commençons par là, dit le Cœur-Loyal.



Tous deux déblayèrent les décombres. Ils travaillaient avec une ardeur qu’ils ne comprenaient pas eux-mêmes.



Au bout de vingt minutes, ils découvrirent une espèce de trappe. Des cris faibles et inarticulés se faisaient entendre au-dessous.



– Ils sont là ! dit Belhumeur.



– Dieu veuille que nous soyons arrivés à temps pour les sauver !



Ce ne fut qu’après un temps assez long et avec des peines infinies qu’ils parvinrent à lever la trappe.



Alors un spectacle horrible s’offrit à eux.



Dans un caveau exhalant une odeur fétide, une vingtaine d’individus étaient littéralement empilés les uns sur les autres.



Les chasseurs ne purent réprimer un mouvement d’effroi et se reculèrent malgré eux.



Mais ils revinrent immédiatement au bord du caveau pour tâcher, s’il en était temps encore, de sauver quelques-unes de ces malheureuses victimes.



De tous ces hommes un seul donnait quelques signes de vie ; les autres étaient morts.



Ils le sortirent du souterrain, l’étendirent doucement sur un amas de feuilles sèches et lui prodiguèrent les secours que son état réclamait.



Les chiens léchaient les mains et le visage du blessé.



Au bout de quelques minutes cet homme fit un léger mouvement, ouvrit les yeux à plusieurs reprises, puis il poussa un profond soupir.



Belhumeur introduisit entre ses dents serrées le goulot d’une bouteille de cuir pleine de rhum, et l’obligea à boire quelques gouttes de liqueur.

 



– Il est bien malade, dit le chasseur.



– Il est perdu, répondit le Cœur-Loyal en secouant la tête.



Cependant le blessé avait repris quelques forces.



– Mon Dieu ! dit-il d’une voix faible et entrecoupée, mourir, je vais mourir.



– Espérez, lui dit doucement Belhumeur.



Une rougeur fugitive colora les joues pâles du blessé, un sourire triste crispa le coin de ses lèvres.



– Pourquoi vivrais-je ? répondit-il, les Indiens ont massacré tous mes compagnons après les avoir horriblement mutilés, la vie serait une trop lourde charge pour moi.



– Si avant de mourir vous désirez quelque chose qu’il soit en notre pouvoir de faire, parlez, et, foi de chasseurs, nous le ferons.



Les yeux du mourant étincelèrent d’une lueur fauve.



– Votre gourde ? dit-il à Belhumeur.



Celui-ci la lui donna.



Le blessé but avidement, son front se couvrit d’une sueur moite, et une rougeur fébrile enflamma son visage qui prit alors une expression effrayante.



– Écoutez, dit-il d’une voix rauque et saccadée, c’est moi qui commandais ici ; les Indiens, aidés par un misérable métis qui nous a vendus à eux, ont surpris le village.



– Le nom de cet homme ? fit vivement le chasseur.



– Il est mort !… je l’ai tué ! répondit le capitaine avec un indéfinissable accent de haine et de joie. Les Indiens ont voulu s’emparer du fort, la lutte a été terrible, nous étions douze hommes résolus contre quatre cents sauvages, que pouvions-nous faire ? Lutter jusqu’à la mort. C’est ce qui fut résolu. Les Indiens, reconnaissant l’impossibilité de s’emparer de nous vivants, nous ont jeté les colons du village après les avoir scalpés et leur avoir coupé les poignets, ensuite ils ont incendié le fort.



Le blessé, dont la voix s’affaiblissait de plus en plus et dont les paroles devenaient inintelligibles, but quelques gouttes de liqueur, puis il continua son récit que les chasseurs écoutaient avidement.



– Un souterrain servant de cave s’étendait sous les fossés du fort, lorsque je reconnus que tout moyen de salut nous échappait, que la fuite était impossible, je fis descendre mes malheureux compagnons dans cette cave, espérant que Dieu permettrait peut-être que nous pussions nous sauver ainsi. Quelques minutes plus tard le fort s’écroula sur nous. Nul ne peut s’imaginer les tortures que nous avons souffertes dans ce gouffre infect, sans air et sans lumière, les cris des blessés, et nous l’étions tous plus ou moins, demandant de l’eau, le râle des mourants formaient un épouvantable concert qu’il n’est donné à aucune plume de décrire. Nos souffrances déjà intolérables s’accrurent encore par le manque d’air ; une espèce de folie furieuse s’empara de nous, nous nous ruâmes les uns contre les autres, et dans les ténèbres, sous une masse de décombres, commença un combat hideux qui ne devait se terminer que par la mort de tous les combattants. Combien dura-t-il de temps ? Je ne saurais le dire. Déjà je sentais que la mort qui avait saisi tous mes compagnons allait aussi s’emparer de moi, lorsque vous êtes venus la retarder de quelques minutes. Dieu soit loué ! je ne mourrai pas sans vengeance.



Après ces mots prononcés d’une voix presque inarticulée, il y eut un silence funèbre entre ces trois hommes, silence interrompu seulement par le râle sourd du mourant, dont l’agonie commençait.



Tout à coup le capitaine se raidit avec force, il se redressa et fixant un regard sanglant sur les chasseurs :



– Les sauvages qui m’ont attaqué appartiennent à la nation des Comanches, dit-il, leur chef se nomme la Tête-d’Aigle, jurez de me venger en loyaux chasseurs.



– Nous le jurons ! s’écrièrent les deux hommes d’une voix ferme.



– Merci ! murmura le capitaine ; et tombant brusquement en arrière, il resta immobile.



Il était mort.



Son visage crispé et ses yeux ouverts conservaient encore l’expression de haine et de désespoir qui l’avaient animé à son dernier moment.



Les chasseurs le considérèrent un instant, puis, secouant cette impression pénible, ils se mirent en devoir de rendre les honneurs suprêmes aux malheureuses victimes de la rage des Indiens.



Aux derniers rayons du soleil couchant ils terminaient la rude tâche qu’ils s’étaient imposée.



Après avoir pris quelques instants de repos, le Cœur-Loyal se leva et sella son cheval.



– Maintenant, frère, dit-il à Belhumeur, mettons-nous sur la piste de la Tête-d’Aigle.



– Allons, répondit le chasseur.



Les deux hommes jetèrent autour d’eux un long et triste regard d’adieu, et, sifflant leurs chiens, ils s’enfoncèrent hardiment sous la forêt dans les profondeurs de laquelle avaient disparu les Comanches.



En ce moment la lune se leva dans un océan de vapeur et répandit à profusion ses rayons mélancoliques sur les ruines du village américain dans lequel régnaient pour toujours la solitude et la mort.



X. Le camp retranché

Nous laisserons aux chasseurs suivre la piste des Peaux-Rouges et nous reviendrons au général.



Quelques minutes après que les deux hommes eurent quitté le camp des Mexicains, le général sortit de la tente et tout en jetant un regard investigateur autour de lui, et respirant l’air frais du matin, il se mit à se promener de long en large d’un air préoccupé.



Les événements de la nuit avaient produit une vive impression sur le vieux soldat.



Pour la première fois peut-être depuis qu’il avait entrepris cette expédition, il l’entrevoyait sous son véritable jour ; il se demandait s’il avait bien réellement le droit d’associer à cette vie de périls et d’embûches continuelles une jeune fille de l’âge de sa nièce, dont l’existence n’avait été jusqu’à ce moment qu’une suite non interrompue de douces et tranquilles émotions, et qui probablement ne pourrait pas s’accoutumer à ces dangers incessants et à ces agitations de la vie des prairies qui, en peu de temps, brisent les ressorts des âmes les mieux trempées.



Sa perplexité était grande. Il adorait sa nièce ; c’était son seul amour, sa seule consolation. Pour elle il aurait mille fois sacrifié tout ce qu’il possédait, sans regret et sans hésitation ; mais, d’un autre côté, les raisons qui l’avaient obligé à entreprendre ce périlleux voyage étaient d’une importance telle qu’il frémissait et sentait une sueur froide envahir son front rien qu’à la pensée d’y renoncer.



– Que faire ?… disait-il, que faire ?



Doña Luz, qui sortait à son tour de la tente, aperçut son oncle dont la promenade saccadée durait toujours, elle accourut vers lui, et lui jetant avec abandon les bras autour du cou :



– Bonjour, mon oncle, lui dit-elle en l’embrassant.



– Bonjour, ma fille, répondit le général – il avait l’habitude de la nommer ainsi —, eh ! eh ! mon enfant, vous êtes bien gaie ce matin.



Et il lui rendit avec effusion les caresses qu’elle lui prodiguait.



– Pourquoi ne serais-je pas gaie, mon oncle ? Grâce à Dieu, nous venons d’échapper à un immense péril, tout semble sourire dans la nature, les oiseaux chantent sur toutes les branches, le soleil nous inonde de ses chauds rayons, nous serions ingrats envers le créateur si nous restions insensibles à cette manifestation de son pouvoir.



– Ainsi nos périls de cette nuit n’ont laissé aucune fâcheuse impression dans votre esprit, chère enfant ?



– Aucune, mon oncle, si ce n’est une immense reconnaissance pour les bienfaits dont Dieu nous accable.



– Bien, ma fille, répondit le général avec joie, je suis heureux de vous entendre parler ainsi.



– Tant mieux si je vous fais plaisir, mon oncle.



– De sorte, reprit le général, suivant toujours son idée, que la vie que nous menons en ce moment ne vous fatigue pas.



– Nullement, je la trouve fort agréable, au contraire, dit-elle en souriant, et surtout fort accidentée.



– Oui, fit le général en partageant la gaieté de sa nièce, mais, ajouta-t-il en redevenant sérieux, il me semble que nous oublions un peu trop nos libérateurs.



– Ils sont partis, répondit doña Luz.



– Ils sont partis ? dit le général en tressaillant.



– Depuis une heure déjà.



– Comment le savez-vous, ma nièce ?



– Par une raison toute simple, mon oncle, ils m’ont dit adieu, avant de nous quitter.



– Ce n’est pas bien, murmura le général avec tristesse, un service oblige autant ceux qui le rendent que ceux qui le reçoivent, ils n’auraient pas dû nous abandonner ainsi, sans nous dire si nous pourrons jamais les revoir et même sans nous laisser leurs noms.



– Je les sais.



– Vous les savez, ma fille ? dit le général avec étonnement.



– Oui, mon oncle, avant de partir, ils me les ont dits.



– Et… comment se nomment-ils ? demanda vivement le général.



– Le plus jeune, Belhumeur.



– Et le plus âgé ?



– Le Cœur-Loyal.



– Oh ! il faudra que je retrouve ces deux hommes, dit le général avec une émotion dont il ne put se rendre compte.



– Qui sait ? répondit la jeune fille rêveuse, peut-être au premier danger qui nous menacera les verrons-nous apparaître comme deux bienfaisants génies.



– Dieu veuille que ce ne soit pas à une pareille cause que nous devions leur retour parmi nous.



Le capitaine vint leur adresser les souhaits du matin.



– Eh bien ! capitaine, dit en souriant le général, vos hommes sont-ils remis de leurs émotions ?



– Parfaitement, général, répondit le jeune homme, ils sont prêts à repartir dès que vous en donnerez l’ordre.



– Après déjeuner, nous lèverons le camp, veuillez, je vous prie, donner les ordres nécessaires aux lanceros et m’envoyer le Babillard.



Le capitaine se retira.



– Quant à vous, ma nièce, continua le général en s’adressant à doña Luz, surveillez, je vous prie, les apprêts du déjeuner, tandis que je causerai avec le guide.



La jeune fille s’envola.



Le Babillard arriva bientôt.



Son air était plus sombre, sa mine plus renfrognée que de coutume.



Le général ne parut pas s’en apercevoir.



– Vous savez, lui dit-il, qu’hier je vous ai manifesté l’intention de trouver un emplacement où ma troupe puisse camper en sûreté pendant quelques jours ?



– Oui, général.



– Vous m’avez assuré connaître un endroit qui remplirait parfaitement ce but ?



– Oui, général.



– Êtes-vous disposé à m’y conduire ?



– Quand vous voudrez.



– Combien nous faut-il de temps pour nous y rendre ?



– Deux jours.



– Fort bien. Nous partirons aussitôt après le déjeuner.



Le Babillard s’inclina sans répondre.



– À propos, dit le général avec une feinte indifférence, il me semble qu’il nous manque un de vos hommes ?



– Oui.



– Qu’est-il devenu ?



– Je ne sais pas.



– Comment, vous ne le savez pas ? s’écria le général avec un coup d’œil investigateur.



– Non. Dès qu’il a vu l’incendie, la peur s’est emparée de lui, et il s’est sauvé.



– Eh bien ?



– Il aura probablement été victime de sa couardise.



– Que voulez-vous dire ?



– Le feu l’aura dévoré.



– Pauvre diable !



Un sourire sardonique crispa les lèvres du guide.



– Vous n’avez plus rien à me dire, général ?



– Non… Ah ! attendez.



– J’attends.



– Ne connaissez-vous pas ces deux chasseurs, qui cette nuit nous ont rendu un si grand service ?



– Tout le monde se connaît, dans la prairie.



– Quels sont ces hommes ?



– Des chasseurs et des trappeurs.



– Ce n’est pas cela que je vous demande.



– Quoi donc alors ?



– Je vous parle de leur moralité.



– Ah ! fit le guide avec un mouvement.



– Oui.



– Je ne sais pas.



– Comment se nomment-ils ?



– Belhumeur et le Cœur-Loyal.



– Et vous ne connaissez rien de leur vie ?



– Rien.



– C’est bien, vous pouvez vous retirer.



Le guide salua et rejoignit à pas lents ses compagnons qui faisaient leurs préparatifs de départ.



– Hum ! murmura le général en le suivant des yeux, je surveillerai ce drôle, il y a du louche dans sa conduite.



Après cet aparté, le général entra dans la tente où le capitaine, le docteur et doña Luz l’attendaient pour déjeuner.



Le repas fut court.



Une demi-heure plus tard tout au plus la tente était repliée, les caisses chargées sur les mules et la caravane continuait son voyage sous la direction du Babillard qui marchait en éclaireur à une vingtaine de pas en avant.



L’aspect de la prairie avait bien changé depuis la veille.



La terre noire et brûlée était recouverte par places de monceaux de cendres fumantes, çà et là, des arbres calcinés, mais debout encore, montraient leur squelette attristant. Au loin l’incendie grondait toujours, et des nuages d’une fumée cuivrée masquaient l’horizon.

 



Les chevaux n’avançaient qu’avec précaution sur ce terrain accidenté, où parfois ils trébuchaient contre les os des animaux saisis par l’étreinte terrible des flammes.



Une sombre tristesse, augmentée encore par la vue du paysage qui se déroulait devant eux, s’était emparée des voyageurs ; ils marchaient auprès les uns des autres, sans se parler, enfoncés dans leurs réflexions.



Le chemin que suivait la caravane serpentait dans un étroit ravin, lit desséché de quelque torrent, profondément encaissé entre deux collines.



Le terrain foulé par le pied des chevaux se composait de cailloux ronds qui fuyaient sous leurs sabots, et augmentaient les difficultés de la marche, rendue plus difficile encore par les rayons brûlants du soleil qui tombaient d’aplomb sur les voyageurs sans qu’ils pussent s’en garantir, car le pays qu’ils traversaient avait pris complètement l’apparence de l’un de ces vastes déserts que l’on rencontre dans l’intérieur de l’Afrique.



La journée s’écoula ainsi sans que, à part la fatigue qui les accablait, aucun incident rompît la monotonie du voyage.



Le soir ils campèrent dans une plaine absolument nue, mais à l’horizon ils aperçurent la verdure, ce qui fut pour eux une grande consolation, ils allaient enfin entrer dans une zone épargnée par l’incendie.



Le lendemain, deux heures avant le lever du soleil, le Babillard donna l’ordre du départ.



Cette journée fut encore plus fatigante que la précédente, les voyageurs étaient littéralement exténués lorsque l’on campa.



Le Babillard n’avait pas trompé le général, le site était admirablement choisi pour repousser une attaque indienne ; nous ne le décrirons pas, le lecteur le connaissant déjà : c’était en ce lieu que se trouvaient les chasseurs, lorsque pour la première fois nous les avons mis en scène.



Le général, après avoir jeté autour de lui ce regard infaillible de l’homme de guerre, ne put s’empêcher de manifester sa satisfaction.



– Bravo, dit-il au guide, si nous avons eu des difficultés presque insurmontables à vaincre pour arriver ici, au moins nous pourrions, le cas échéant, y soutenir un siège.



Le guide ne répondit pas, il s’inclina avec un sourire équivoque et se retira.



– C’est étonnant, murmura le général, bien qu’en apparence la conduite de cet homme soit loyale, et qu’il me soit impossible de lui reprocher la moindre chose, malgré cela je ne sais pourquoi j’ai le pressentiment qu’il nous trompe et qu’il machine quelque diabolique projet contre nous.



Le général était un vieux soldat rempli d’expérience, qui ne voulait rien laisser au hasard, ce deus ex machina, qui rompt en une seconde les plans les mieux conçus.



Malgré la fatigue de ses gens il ne voulut pas perdre une minute ; aidé par le capitaine, il fit abattre une énorme quantité d’arbres afin de former un solide retranchement hérissé de chevaux de frise. Derrière le retranchement, les lanceros creusèrent un large fossé dont ils rejetèrent la terre du côté du camp, puis derrière ce deuxième retranchement les ballots furent empilés de façon à former une troisième et dernière enceinte.



On planta la tente au milieu du camp, les sentinelles furent placées et chacun alla se livrer à un repos dont il avait le plus grand besoin.



Le général, qui avait l’intention de séjourner quelque temps en ce lieu, voulait autant que possible assurer la sécurité de ses compagnons, et grâce à ses minutieuses précautions il croyait avoir réussi.



Depuis deux jours les voyageurs marchaient à travers des chemins exécrables, dormant à peine, ne s’arrêtant que le temps strictement néc