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Les trappeur de l'Arkansas

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III. La piste

La Tête-d’Aigle, qui voulait être découvert par ses ennemis, n’avait pris aucun soin pour dissimuler sa piste.

Elle était parfaitement visible dans les hautes herbes, et si parfois elle semblait s’effacer, les chasseurs n’avaient qu’à se pencher légèrement de côté pour en retrouver les empreintes.

Jamais dans la prairie l’on n’avait suivi un ennemi de la sorte. Cela devait d’autant plus paraître singulier au Cœur-Loyal, qui de longue date connaissait à fond toutes les ruses des Indiens et savait avec quel talent, lorsqu’ils le jugent nécessaire, ils font disparaître les marques de leur passage.

Cette facilité lui donnait à réfléchir. Pour que les Comanches n’eussent pas pris plus de soin, il fallait qu’ils se crussent bien forts, ou bien qu’ils eussent préparé une embuscade dans laquelle ils espéraient faire tomber leurs trop confiants ennemis.

Les deux chasseurs s’avançaient, jetant de temps en temps un regard à droite ou à gauche afin d’être sûrs de ne pas se tromper, mais la piste allait toujours en ligne droite, sans détours ni circuits d’aucune sorte. Il était impossible de rencontrer plus de facilité dans une poursuite, Belhumeur lui-même commençait à trouver cela extraordinaire et à s’en inquiéter sérieusement.

Mais si les Comanches n’avaient pas voulu se donner la peine de cacher leur marche, les chasseurs n’agissaient pas comme eux, ils n’avançaient qu’en effaçant au fur et à mesure la trace de leur passage.

Ils arrivèrent ainsi sur les bords d’un ruisseau assez large, nommé le Vert-de-gris, qui est un affluent de la grande Canadienne.

Avant de traverser cette petite rivière de l’autre côté de laquelle les chasseurs ne seraient plus très éloignés des Indiens, Cœur-Loyal s’arrêta en faisant signe à son compagnon de l’imiter.

Tous deux descendirent de cheval, et, conduisant leurs montures par la bride, ils se retirèrent à l’abri d’un bouquet d’arbres, afin de ne pas être aperçus, si par hasard quelque sentinelle indienne était chargée de surveiller leur approche.

Lorsqu’ils furent cachés dans l’épaisseur du bois, Cœur-Loyal posa un doigt sur sa bouche pour recommander la prudence à son compagnon, et approchant ses lèvres de son oreille, il lui dit d’une voix faible comme un souffle :

– Avant d’aller plus loin, consultons-nous, afin de bien savoir ce que nous voulons faire.

Belhumeur baissa la tête en signe d’acquiescement.

– Je soupçonne quelque trahison, reprit le chasseur, les Indiens sont des guerriers trop expérimentés et qui ont trop l’habitude de la vie des prairies pour agir comme ils le font, sans une raison impérieuse.

– C’est vrai, appuya le Canadien avec conviction, cette piste est trop belle et trop clairement indiquée pour ne pas cacher un piège.

– Oui, mais ils ont voulu être trop fins, leur astuce a dépassé le but, ce ne sont pas de vieux chasseurs comme nous que l’on peut tromper ainsi. Nous devons donc redoubler de prudence, examiner chaque feuille et chaque brin d’herbe avec soin avant de nous aventurer plus près du campement des Peaux-Rouges.

– Faisons mieux, dit Belhumeur en jetant un regard autour de lui, cachons nos chevaux dans un endroit sûr, où nous puissions les retrouver au besoin. Nous irons ensuite à pied reconnaître la position et le nombre de ceux que nous voulons surprendre.

– Vous avez raison, Belhumeur, dit le Cœur-Loyal, votre conseil est excellent, nous allons le mettre en pratique.

– Je crois qu’il faut nous hâter, alors.

– Pourquoi donc ? ne nous pressons pas au contraire, les Indiens ne nous voyant pas paraître, se relâcheront de leur surveillance, et nous profiterons de leur négligence pour les attaquer, si nous sommes forcés d’en venir à ce moyen extrême : du reste, il vaudrait peut-être mieux attendre la nuit pour commencer notre expédition.

– Mettons d’abord nos chevaux en sûreté, nous verrons ensuite.

Les chasseurs sortirent du fourré avec la plus grande précaution. Au lieu de traverser la rivière ils rebroussèrent chemin et suivirent pendant quelque temps la route qu’ils avaient déjà faite, puis ils appuyèrent sur la gauche et s’engagèrent dans un ravin, où ils disparurent bientôt au milieu de hautes herbes.

– Je vous laisse nous guider, Belhumeur, dit le Cœur-Loyal, je ne sais réellement pas où vous nous conduisez.

– Rapportez-vous-en à moi, j’ai découvert par hasard à deux portées de fusil de l’endroit où nous sommes une espèce de citadelle où nos chevaux seront on ne peut mieux, et dans laquelle, le cas échéant, nous pourrions soutenir un siège en règle.

– Caramba ! exclama le chasseur, qui par ce juron qui lui était habituel, trahissait son origine espagnole, comment avez-vous donc fait cette précieuse découverte ?

– Mon Dieu ! dit Belhumeur, de la façon la plus simple, je venais de tendre mes trappes, lorsqu’en gravissant la montagne qui est là devant nous, afin d’abréger mon chemin et de vous rejoindre plus vite, à peu près aux deux tiers de la montée je vis passer entre les broussailles le museau velu d’un superbe ours.

– Ah ! ah ! mais je connais à peu près cette aventure, vous m’avez apporté ce jour-là, si je ne me trompe, non pas une, mais bien deux peaux d’ours noir.

– C’est cela même, mes gaillards étaient deux, un mâle et une femelle, vous comprenez qu’à leur vue mes instincts de chasseur se réveillèrent immédiatement, oubliant ma fatigue, j’armai ma carabine et je me mis à leur poursuite. Vous allez voir par vous-même quel fort ils avaient choisi, ajouta-t-il en mettant pied à terre, manœuvre que son compagnon imita.

Devant eux s’élevait en amphithéâtre une masse de rochers qui affectaient les formes les plus bizarres et les plus capricieuses, de maigres broussailles poussaient çà et là dans l’interstice des pierres, des plantes grimpantes couronnaient la cime des rochers et donnaient à cette masse qui s’élançait à plus de six cents mètres au-dessus de la prairie, l’apparence d’une de ces antiques ruines féodales que l’on rencontre de loin en loin sur les bords des grands fleuves d’Europe.

Ce lieu était nommé par les chasseurs de ces parages, les Châteaux Blancs, à cause de la couleur des blocs de granit dont il était formé.

– Nous ne pourrons jamais monter là avec nos chevaux, fit le Cœur-Loyal, après avoir étudié un instant avec soin l’espace qu’ils avaient à franchir.

– Essayons toujours, dit Belhumeur en traînant son cheval par la bride.

L’ascension était rude, et tous autres chevaux que ceux des chasseurs habitués aux chemins les plus difficiles n’auraient pu l’accomplir et se seraient brisés mille fois en roulant du haut en bas.

Il fallait choisir avec soin l’endroit où l’on posait le pied, puis s’élancer en avant d’un bond, et toujours ainsi avec des tours et des détours à donner le vertige.

Après une demi-heure à peu près de difficultés inouïes, ils arrivèrent à une espèce de plate-forme de dix mètres de large tout au plus.

– C’est ici, dit Belhumeur en s’arrêtant.

– Comment ici ? répondit Cœur-Loyal en regardant de tous côtés sans apercevoir d’ouverture.

Belhumeur sourit.

– Venez, dit-il.

Et toujours traînant son cheval, il passa derrière un bloc de rocher, le chasseur le suivit avec curiosité.

Après avoir marché pendant cinq minutes dans une espèce de boyau large de trois pieds tout au plus qui semblait tourner sur lui-même, les aventuriers se trouvèrent subitement devant la bouche béante d’une profonde caverne.

Ce chemin tracé par une de ces convulsions terribles de la nature, si fréquentes dans ces régions, était si bien dissimulé derrière les rocs et les pierres qui le masquaient qu’il était impossible de le découvrir à moins d’un hasard providentiel.

Les chasseurs entrèrent.

Avant de monter, Belhumeur avait fait une énorme provision de bois-chandelle, il alluma deux torches, en remit une à son compagnon et garda l’autre.

Alors la grotte leur apparut dans toute sa sauvage majesté. Ses murailles étaient hautes et chargées de stalactites brillantes qui renvoyaient la lumière en la décuplant et formaient une illumination féerique.

– Cette caverne, dit Belhumeur, après avoir donné à son ami le temps de l’examiner dans tous ses détails, est, je n’en doute pas, une des merveilles de la prairie ; cette galerie qui descend en pente douce en face de nous, passe dessous le Vert-de-gris et va aboutir de l’autre côté de la rivière à plus d’un mille dans la plaine. En sus de la galerie par laquelle nous sommes entrés et celle qui est devant nous, il en existe quatre autres, qui toutes ont des sorties en divers endroits. Vous voyez qu’ici nous ne risquons pas d’être cernés et que ces chambres spacieuses nous offrent une suite d’appartements à rendre jaloux le président des États-Unis lui-même.

Cœur-Loyal enchanté de la découverte de ce refuge voulut le visiter dans les moindres détails, et bien qu’il fût éminemment silencieux de sa nature, le chasseur ne put à différentes reprises retenir son admiration.

– Pourquoi ne m’en avez-vous pas encore parlé ? dit-il à Belhumeur.

– J’attendais l’occasion, répondit celui-ci.

Les chasseurs parquèrent leurs chevaux avec des vivres en abondance dans un des compartiments de la grotte où le jour pénétrait par des fissures imperceptibles ; puis lorsqu’ils se furent assurés que les nobles bêtes ne manqueraient de rien durant leur absence et qu’elles ne pouvaient s’échapper, ils jetèrent leur carabine sur l’épaule, sifflèrent leurs chiens et s’enfoncèrent à grands pas dans la galerie qui passait sous la rivière.

Bientôt l’air devint humide autour d’eux, un bruit sourd et continu se fit entendre au-dessus de leur tête, ils passaient sous le Vert-de-gris ; seulement grâce à l’espèce de lanterne formée par un rocher creux placé en vedette au milieu du courant de la rivière, la clarté était suffisante pour se guider.

 

Après une demi-heure de marche, ils débouchèrent dans la prairie par une entrée masquée par un fourré de broussailles et de plantes grimpantes.

Ils étaient restés longtemps dans la grotte. D’abord ils l’avaient examinée minutieusement en hommes qui prévoient qu’un jour ou l’autre ils auront besoin d’y chercher un abri, ensuite ils avaient fait une espèce d’écurie pour leurs chevaux, et enfin ils avaient mangé un morceau sur le pouce, de sorte que le soleil était sur le point de se coucher au moment où ils se remettaient sur la piste des Comanches.

Alors commença la véritable poursuite indienne. Les deux chasseurs, après avoir fait prendre la voie à leurs limiers, se glissèrent silencieusement sur leurs traces, rampant sur les genoux et sur les mains au milieu des hautes herbes, l’œil au guet et l’oreille aux écoutes, retenant leur souffle et s’arrêtant par intervalle pour humer l’air et interroger ces mille bruits de la prairie que les chasseurs perçoivent avec une facilité inouïe et qu’ils expliquent sans hésiter.

Le désert était plongé dans un silence de mort.

À l’approche de la nuit dans ces immenses solitudes, la nature semble se recueillir et préluder dans une religieuse adoration, aux mystères des ténèbres.

Les chasseurs avançaient toujours, redoublant de précautions et rampant sur deux lignes parallèles.

Tout à coup les chiens tombèrent silencieusement en arrêt. Les braves animaux paraissaient comprendre le prix du silence dans ces lieux et qu’un seul cri coûterait la vie à leurs maîtres.

Belhumeur jeta un regard perçant autour de lui.

Son œil étincela, il se ramassa pour ainsi dire sur lui-même, et, bondissant comme une panthère, il s’élança sur un guerrier indien qui, le corps penché en avant, la tête baissée semblait pressentir l’approche d’un ennemi.

L’Indien fut brusquement renversé sur le dos avant qu’il pût jeter un cri d’appel ou de détresse, Belhumeur lui serra la gorge et lui appuya le genou sur la poitrine.

Alors avec un sang-froid extrême, le chasseur dégaina son couteau et l’enfonça jusqu’à la poignée dans le cœur de son ennemi.

Lorsque le sauvage vit qu’il était perdu il dédaigna de tenter une résistance inutile, mais fixant sur le Canadien un regard de haine et de dédain, un sourire ironique plissa ses lèvres et il laissa venir la mort avec un visage impassible.

Belhumeur replaça son couteau à sa ceinture et poussant le cadavre de côté :

– Un ! dit-il imperturbablement.

Et il recommença à ramper.

Le Cœur-Loyal avait suivi les mouvements de son ami avec la plus grande attention, prêt à le secourir si besoin était ; lorsque l’Indien fut mort il reprit impassiblement la piste.

Bientôt la lueur d’un feu brilla entre les arbres et une odeur de chair rôtie frappa l’odorat subtil des chasseurs.

Ils se dressèrent comme deux fantômes le long d’un énorme chêne-liège, qui se trouvait à quelques pas et embrassant le tronc noueux de l’arbre, ils se cachèrent dans ses branches touffues.

Alors ils regardèrent.

Ils planaient sur le camp des Comanches qui se trouvait à dix mètres d’eux tout au plus.

IV. Les voyageurs

Environ à l’heure où les trappeurs sortaient de la grotte et reprenaient la piste des Comanches, à vingt milles à peu près de l’endroit où ils se trouvaient, une troupe assez considérable de voyageurs blancs s’arrêtait sur les bords de la grande Canadienne et se préparait à camper pour la nuit, dans une magnifique position, où se voyaient encore quelques vestiges d’une ancienne halte de chasse indienne.

Les chasseurs et les gambusinos demi-sang qui servaient de guides aux voyageurs se hâtèrent de décharger une douzaine de mules escortées par des lanceros mexicains.

Avec les ballots, ils firent une enceinte de forme ovale dans l’intérieur de laquelle ils allumèrent du feu, puis sans plus s’occuper de leurs compagnons, les guides se réunirent en un petit groupe et préparèrent leur repas du soir.

Alors, un jeune officier de vingt-quatre à vingt-cinq ans, à la tournure martiale, aux traits fins et caractérisés, s’approcha respectueusement d’un palanquin, attelé de deux mules, escorté par deux cavaliers.

– Dans quel endroit votre seigneurie désire-t-elle que l’on dresse la tente de la señorita ? demanda le jeune officier en se découvrant.

– Où vous voudrez, capitaine Aguilar, pourvu que ce soit bientôt fait, ma nièce tombe de fatigue, répondit le cavalier qui se tenait à droite du palanquin.

C’était un homme de haute taille, aux traits durs et accentués, au regard d’aigle, dont les cheveux étaient blancs comme les neiges du Chimborazo, et qui sous le large manteau militaire qui le couvrait, laissait voir le splendide uniforme, étincelant de broderies, de général mexicain.

Le capitaine se retira après s’être incliné et, retournant auprès des lanceros, il leur donna l’ordre d’établir au milieu de l’enceinte du camp une jolie tente rayée de rose et de bleu, portée en travers sur le dos d’une mule.

Cinq minutes plus tard le général mettant pied à terre offrit galamment la main à une jeune femme qui sauta légèrement hors du palanquin et il la conduisit sous la tente où, grâce au capitaine Aguilar, tout avait été préparé pour qu’elle se trouvât aussi confortablement que les circonstances le permettaient.

Derrière le général et sa nièce, deux personnes entrèrent dans la tente.

L’une était un homme gros et court, à la figure pleine et rougeaude, portant des lunettes vertes et une perruque blonde, qui étouffait dans un uniforme d’officier de santé.

Ce personnage dont l’âge était un problème, mais qui paraissait avoir près de cinquante ans, se nommait Jérôme-Boniface Durieux, il était français et chirurgien-major au service du Mexique.

En mettant pied à terre, il avait saisi et placé sous son bras, avec une espèce de respect, une grosse valise attachée derrière la selle de son cheval et dont il semblait ne vouloir pas se séparer.

La seconde personne était une jeune fille ou plutôt une enfant de quinze ans, à la mine mutine et éveillée, au nez retroussé et au regard hardi, appartenant à la race métisse, qui servait de camériste à la nièce du général.

Un superbe Nègre décoré du nom majestueux de Jupiter, se hâtait, aidé par deux ou trois gambusinos, de préparer le souper.

– Eh bien ! docteur, dit en souriant le général au gros homme qui venait en soufflant comme un bœuf de s’asseoir sur sa valise, comment trouvez-vous ma nièce, ce soir ?

– La señorita est toujours charmante, répondit galamment le docteur en s’essuyant le front, ne trouvez-vous pas que la chaleur est étouffante ?

– Ma foi non, répondit le général, pas plus qu’à l’ordinaire.

– Alors je me le serai figuré, dit le médecin avec un soupir, de quoi riez-vous, petite masque ? ajouta-t-il en se tournant vers la camériste, qui, en effet, riait à se démonter la mâchoire.

– Ne faites pas attention à cette folle, docteur, vous savez bien que c’est une enfant, dit la jeune femme avec un charmant sourire.

– Je vous ai toujours dit, doña Luz, insista le médecin en fronçant ses gros sourcils et en enflant ses joues, que cette petite fille est un démon, pour qui vous êtes trop bonne et qui finira par vous jouer un mauvais tour un jour ou l’autre.

– Ooouh ! le méchant ramasseur de cailloux ! dit avec une grimace la métisse, faisant allusion à la manie du docteur de collectionner les pierres.

– Allons ! allons ! la paix, dit le général, la route d’aujourd’hui vous a-t-elle fatiguée, ma nièce ?

– Non, pas excessivement, répondit la jeune fille avec un bâillement étouffé ; depuis près d’un mois que nous sommes en voyage, je commence à m’habituer à ce genre de vie, que je l’avoue, dans les commencements, je trouvais excessivement pénible.

Le général poussa un soupir, mais ne répondit pas. Le docteur était absorbé par le soin avec lequel il classait les plantes et les pierres qu’il avait recueillies dans la journée.

La métisse tournait comme un oiseau dans la tente occupée à mettre en ordre les divers objets dont sa maîtresse pourrait avoir besoin.

Nous profiterons de cet instant de répit pour faire en deux mots le portrait de la jeune femme.

Doña Luz de Bermudez était la fille d’une sœur cadette du général.

C’était une charmante enfant de seize ans au plus. Ses grands yeux noirs couronnés de sourcils dont la teinte foncée tranchait avec la blancheur de son front pur, étaient voilés par de longs cils de velours qui en cachaient chastement l’éclat, sa bouche mignonne ornée de dents de perles était bordée de deux lèvres rouges comme du corail, sa peau fine avait conservé ce duvet des fruits mûrs et les tresses de ses cheveux aux reflets bleuâtres pouvaient, lorsqu’elles étaient défaites, former un voile à tout son corps.

Sa taille était fine et cambrée, elle possédait au suprême degré ce mouvement onduleux, gracieusement serpentin qui distingue les Américaines, ses mains et ses pieds étaient d’une petitesse extrême, sa démarche avait cette nonchalante mollesse des créoles, si remplie de désinvolture.

Enfin, toute la personne de cette jeune fille était un composé de grâces et de perfections.

Ignorante comme toutes ses compatriotes, elle était gaie et rieuse, s’amusant de la moindre bagatelle et ne connaissant de la vie que ce qu’elle a d’agréable.

Mais cette belle statue ne vivait pas, c’était Pandore avant que Prométhée eût dérobé pour elle le feu du ciel, et pour continuer notre comparaison mythologique, l’amour ne l’avait pas encore effleurée de son aile, ses sourcils ne s’étaient pas froncés sous la pression de la pensée et son cœur n’avait pas battu sous l’attrait du désir.

Élevée par les soins du général dans une retraite presque claustrale, elle ne l’avait quittée que pour le suivre dans le voyage qu’il avait entrepris dans les prairies.

Dans quel but ce voyage, et pourquoi son oncle avait-il si absolument désiré l’emmener avec lui ? Cela importait peu à la jeune fille.

Heureuse de vivre au grand air, de voir sans cesse des pays nouveaux, d’être libre en comparaison de la vie qu’elle avait menée jusque-là, elle n’en avait pas demandé davantage, et n’avait jamais tenté d’adresser à son oncle d’indiscrètes questions.

À l’époque où nous la rencontrons, doña Luz était donc une heureuse enfant, vivant au jour le jour, satisfaite du présent, ne songeant nullement à l’avenir.

Le capitaine Aguilar entra, précédant Jupiter qui portait le dîner.

La table avait été dressée par Phébé la camériste.

Le repas se composait de conserves et d’un cuissot de daim rôti.

Quatre personnes prirent place autour de la table.

Le général, sa nièce, le capitaine et le docteur.

Jupiter et Phébé servaient.

La conversation fut assez languissante pendant le premier service, lorsque l’appétit des convives fut un peu calmé, la jeune fille qui se plaisait à lutiner le docteur lui adressa la parole.

– Avez-vous fait une riche moisson aujourd’hui, docteur ? lui demanda-t-elle.

– Pas trop bonne, señorita, répondit-il.

– Eh ! mais, fit-elle en souriant, il me semble que les pierres sont assez abondantes sur notre route, et qu’il n’a tenu qu’à vous d’en ramasser la charge d’une mule.

– Vous devez être heureux de votre voyage, il vous offre l’occasion de vous livrer en liberté à votre passion pour les plantes de toutes sortes, dit le général.

– Pas trop, général, je vous l’avoue, la prairie n’est pas aussi riche que je l’aurais cru, et, si ce n’était l’espoir que j’ai de découvrir une plante dont les qualités puissent faire faire un pas à la science, je regretterais presque ma petite maison de Guadeloupe où ma vie s’écoulait si tranquille et si uniforme.

– Bah ! interrompit le capitaine, nous ne sommes encore que sur les frontières des prairies, vous verrez quand nous nous serons enfoncés davantage dans l’intérieur, vous ne pourrez pas suffire à recueillir les richesses qui se rencontreront sous vos pas.

– Dieu vous entende, capitaine, fit le savant avec un soupir, pourvu que je retrouve la plante que je cherche, je me tiendrai pour satisfait.

– C’est donc une plante bien précieuse ? demanda doña Luz.

– Comment, señorita, s’écria le gros docteur en s’échauffant, une plante que Linné a décrite et classée, mais que personne n’a jamais retrouvée depuis, une plante qui peut faire ma réputation, vous me demandez si elle est précieuse ?

– À quoi sert-elle donc ? dit la jeune fille avec curiosité.

– À quoi elle sert ?

– Oui.

– À rien ! répondit naïvement le savant.

 

Doña Luz partit d’un éclat de rire argentin dont les notes perlées auraient rendu un rossignol jaloux.

– Et vous l’appelez une plante précieuse ?

– Oui, par sa rareté même.

– Ah !… très bien.

– Espérons que vous la trouverez, docteur, dit le général d’un ton conciliant, Jupiter, appelez le chef des guides.

Le Nègre sortit et rentra presque aussitôt suivi par un gambusino.

Celui-ci était un homme d’une quarantaine d’années, d’une taille haute, carrée et musculeuse ; sa physionomie, sans être laide, avait quelque chose de repoussant dont on ne pouvait se rendre compte, ses yeux fauves et louches, enfoncés sous l’orbite jetaient une lueur sauvage, son front bas, ses cheveux crépus et son teint cuivré complétaient un ensemble qui n’avait rien de fort agréable. Il portait le costume des coureurs des bois, était froid, impassible, d’une nature essentiellement silencieuse et répondait au nom de Babillard, que sans doute les Indiens, ou ses compagnons eux-mêmes lui avaient donné par antiphrase.

– Tenez, mon brave, lui dit le général, en lui tenant un verre plein jusqu’au bord d’une espèce d’eau-de-vie appelée mescal, du nom de l’endroit où on la fabrique, buvez ceci.

Le chasseur s’inclina, vida d’un trait le verre qui contenait près d’un litre de liqueur, puis, passant le bout de sa manche sur sa moustache, il attendit.

– Je compte, dit le général, m’arrêter quelques jours dans une position sûre, afin de me livrer sans craindre d’être inquiété, à certaines recherches, serions-nous en sûreté ici ?

L’œil du guide étincela, il fixa un regard brûlant sur le général.

– Non, répondit-il laconiquement.

– Pourquoi ?

– Trop d’Indiens et de bêtes fauves.

– En connaissez-vous un plus convenable ?

– Oui.

– Loin ?

– Non.

– À quelle distance ?

– Quarante milles.

– Combien nous faudra-t-il de jours pour y arriver ?

– Trois.

– C’est bien, vous nous y conduirez, demain au lever du soleil nous nous mettrons en marche.

– C’est tout ?

– C’est tout.

– Bonne nuit.

Et le chasseur se retira.

– Ce que j’aime dans le Babillard, c’est que sa conversation n’est pas ennuyeuse, dit le capitaine en souriant.

– J’aimerais mieux qu’il parlât davantage, fit le docteur en hochant la tête, je me méfie des gens qui craignent toujours d’en trop dire, c’est qu’ils ont quelque chose à cacher.

Le guide, après avoir quitté la tente, rejoignit ses compagnons avec lesquels il se mit à parler vivement à voix basse.

La nuit était magnifique, les voyageurs réunis devant la tente, causaient entre eux en fumant leur cigare.

Doña Luz chantait une de ces charmantes chansons créoles, pleines de suaves mélodies.

Tout à coup une lueur rougeâtre parut à l’horizon, grandissant d’instant en instant et un bruit sourd et continu, comme les grondements d’un tonnerre lointain, se fit entendre.

– Qu’est cela ? s’écria le général en se levant précipitamment.

– C’est la prairie qui brûle, répondit paisiblement le Babillard.

À cette annonce terrible faite si tranquillement, tout fut en rumeur dans le camp.

Il fallait fuir en toute hâte, si l’on ne voulait courir le risque d’être brûlé vif.

Un des gambusinos, profitant du désordre, se glissa parmi les ballots et disparut dans la plaine après avoir échangé un signe mystérieux avec le Babillard.