Za darmo

Les trappeur de l'Arkansas

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XV. Le pardon

L’entrevue du général et de sa nièce fut des plus touchantes.

Le vieux soldat si rudement éprouvé depuis quelque temps, fut heureux de presser dans ses bras cette naïve enfant qui formait toute sa famille et qui par miracle avait échappé aux malheurs qui l’avaient assaillie.

Longtemps ils s’oublièrent tous deux dans une douce causerie ; le général s’informait avec intérêt de la façon dont elle avait vécu pendant qu’il était prisonnier, la jeune fille le questionnait sur les périls qu’il avait courus et les mauvais traitements qu’il avait soufferts.

– Maintenant, mon oncle, lui demanda-t-elle en terminant, quelle est votre intention ?

– Hélas ! mon enfant, répondit-il avec tristesse en étouffant un soupir, il nous faut sans retard quitter ces épouvantables contrées et regagner le Mexique.

Le cœur de la jeune fille se serra, bien qu’elle reconnût intérieurement la nécessité d’un prompt retour. Partir, c’était quitter celui qu’elle aimait, se séparer sans espoir de réunion possible, de l’homme dont chaque minute passée dans une douce intimité lui avait fait apprécier de plus en plus l’admirable caractère, et qui était devenu à présent indispensable à sa vie et à son bonheur.

– Qu’as-tu, mon enfant ? tu es triste, tes yeux sont pleins de larmes, lui demanda son oncle en lui pressant la main avec intérêt.

– Hélas ! mon oncle, répondit-elle avec un accent plaintif, comment ne serais-je pas triste après tout ce qui s’est passé depuis quelques jours ? j’ai le cœur brisé.

– C’est vrai, les événements affreux dont nous avons été les témoins et les victimes sont plus que suffisants pour t’attrister, mais tu es bien jeune encore, mon enfant, dans quelque temps, ces événements ne resteront plus dans ta pensée que comme le souvenir de faits que, grâce au ciel, tu n’auras plus à redouter dans l’avenir.

– Ainsi nous partirons bientôt ?

– Demain, s’il est possible, que ferais-je ici désormais ? le ciel lui-même se déclare contre moi, puisqu’il m’oblige à renoncer à cette expédition dont le succès aurait fait le bonheur de mes vieux jours ; mais Dieu ne veut pas que je sois consolé, que sa volonté soit faite, ajouta-t-il avec résignation.

– Que voulez-vous dire, mon oncle ? demanda la jeune fille avec vivacité.

– Rien qui puisse t’intéresser à présent, mon enfant, il vaut donc mieux que tu l’ignores et que je sois seul à souffrir ; je suis vieux, j’en ai l’habitude, fit-il avec mélancolie.

– Mon pauvre oncle !

– Merci de l’amitié que tu me témoignes, mon enfant, mais laissons ce sujet qui t’attriste, parlons un peu, si tu y consens, des braves gens auxquels nous avons tant d’obligations.

– Le Cœur-Loyal, murmura doña Luz en rougissant.

– Oui, répondit le général, le Cœur-Loyal et sa mère, digne femme que je n’ai pu encore remercier à cause de la blessure de ce pauvre Belhumeur et à laquelle, m’as-tu dit, tu dois de n’avoir souffert aucune privation.

– Elle a eu pour moi les soins d’une tendre mère.

– Comment pourrai-je jamais m’acquitter envers elle et son noble fils ? elle est heureuse d’avoir un tel enfant ; hélas ! cette joie ne m’est pas donnée, je suis seul ! dit le général en laissant tomber avec accablement sa tête dans ses mains.

– Et moi ? fit la jeune fille d’une voix câline.

– Oh ! toi, répondit-il en l’embrassant avec tendresse, tu es ma fille chérie, mais je n’ai pas de fils !…

– C’est vrai ! murmura-t-elle rêveuse.

– Le Cœur-Loyal, reprit le général, est une nature trop exceptionnelle pour accepter rien de moi, que faire ? comment m’acquitter envers lui ? reconnaître comme je le dois les immenses services qu’il nous a rendus ?

Il y eut un moment de silence.

Doña Luz se pencha vers le général et le baisant au front, elle lui dit d’une voix basse et tremblante en cachant son visage sur son épaule :

– Mon oncle, il me vient une idée.

– Parle, ma mignonne, répondit-il, parle sans crainte, c’est peut-être Dieu qui t’inspire.

– Vous n’avez pas de fils auquel vous puissiez léguer votre nom et votre immense fortune, n’est-ce pas, mon oncle ?

– Hélas ! murmura-t-il, j’ai cru un instant pouvoir en retrouver un, mais cet espoir s’est évanoui pour toujours, tu le sais, enfant, je suis seul !

– Le Cœur-Loyal pas plus que sa mère, ne voudront rien accepter de vous.

– C’est vrai.

– Cependant je crois qu’il y aurait un moyen de les obliger, de les forcer même.

– Et ce moyen ? dit-il vivement.

– Mon oncle, puisque vous regrettez tant de n’avoir pas de fils auquel vous puissiez après vous laisser votre nom, pourquoi n’adopteriez-vous pas le Cœur-Loyal ?

Le général la regarda, elle était toute rouge et toute frémissante.

– Oh ! mignonne, dit-il en l’embrassant avec tendresse, ton idée est charmante, mais elle est impraticable ; je serais heureux et fier d’avoir un fils comme le Cœur-Loyal, toi-même me l’as dit, sa mère l’adore, elle doit être jalouse de son amour, jamais elle ne consentira à le partager avec un étranger.

– Peut-être ! murmura-t-elle.

– Et puis, ajouta le général, quand même, ce qui est impossible, sa mère par amour pour lui, afin de lui donner un rang dans la société, accepterait, les mères sont capables des plus nobles sacrifices pour assurer le bonheur de leurs enfants, il refuserait, lui ; crois-tu donc, chérie, que cet homme élevé dans le désert, dont toute la vie s’est passée au milieu de scènes imprévues et saisissantes, en face d’une nature sublime, consentira, pour un peu d’or qu’il méprise et un nom qui lui est inutile, à renoncer à cette belle vie d’aventure si pleine d’émotions douces et terribles qui est devenue un besoin pour lui ? Non, non, il étoufferait dans nos villes ; à une organisation d’élite comme la sienne, notre civilisation serait mortelle, oublie cette idée, chère fille, hélas ! j’en suis convaincu, il refuserait.

– Qui sait ? fit-elle en hochant la tête.

– Dieu m’est témoin, reprit le général avec force, que je serais heureux de réussir, tous mes vœux seraient comblés, mais pourquoi se bercer de folles chimères ? il refusera, te dis-je ! et je suis forcé d’en convenir, il aura raison !

– Essayez toujours, mon oncle, répondit-elle avec insistance, si votre proposition est repoussée, vous aurez au moins prouvé au Cœur-Loyal que vous n’êtes pas ingrat, et que vous avez su l’apprécier à sa juste valeur.

– Tu le veux ? dit le général qui ne demandait pas mieux que d’être convaincu.

– Je le désire, mon oncle, fit-elle en l’embrassant pour cacher sa joie et sa rougeur, je ne sais pourquoi ; mais il me semble que vous réussirez.

– Soit donc, murmura le général avec un sourire triste, prie le Cœur-Loyal et sa mère de venir me trouver.

– Dans cinq minutes je vous les amène, s’écria-t-elle radieuse.

Et, bondissant comme une gazelle, la jeune fille disparut en courant à travers les détours de la grotte.

Dès qu’il fut seul, le général baissa son front pensif et tomba dans de sombres et profondes méditations.

Quelques minutes plus tard, le Cœur-Loyal et sa mère amenés par doña Luz étaient devant lui.

Le général releva la tête, salua les arrivants avec courtoisie et, d’un signe, pria sa nièce de se retirer.

La jeune fille s’éloigna toute palpitante.

Il ne régnait dans cette partie de la grotte qu’un demi-jour, qui ne permettait pas de voir parfaitement les objets ; par un caprice étrange, la mère du Cœur-Loyal avait posé son rebozo de façon qu’il lui couvrait presque entièrement le visage.

Aussi, malgré l’attention avec laquelle il la considéra, le général ne put parvenir à voir ses traits.

– Vous nous avez demandés, général, dit gaiement le Cœur-Loyal, vous le voyez, nous nous sommes hâtés de nous rendre à votre désir.

– Merci de cet empressement, mon ami, répondit le général, d’abord recevez ici l’expression de ma reconnaissance, pour les importants services que vous m’avez rendus, ce que je vous dis à vous, mon ami, – je vous supplie de me permettre de vous donner ce titre – s’adresse aussi à votre bonne et excellente mère, pour les soins si tendres qu’elle a prodigués à ma nièce.

– Général, répondit le chasseur avec émotion, je vous remercie de ces gracieuses paroles, qui payent amplement ce que vous croyez me devoir. En vous venant en aide, j’ai accompli le vœu que j’ai fait de ne jamais laisser mon prochain sans secours ; croyez-le bien, je ne désire d’autre récompense que votre estime, je suis assez payé du peu que j’ai fait par la satisfaction que j’éprouve en ce moment.

– Je voulais pourtant, permettez-moi d’insister, je voulais pourtant vous récompenser d’une autre façon.

– Me récompenser ! s’écria le fougueux jeune homme en reculant, la rougeur au front.

– Laissez-moi terminer, reprit vivement le général, si ensuite la proposition que je désire vous soumettre vous déplaît, eh bien, vous me répondrez alors, aussi franchement que moi-même je vais m’expliquer.

– Parlez, général, je vous écoute.

– Mon ami, mon voyage dans les prairies avait un but sacré que je n’ai pu atteindre ! vous en connaissez la raison, les hommes qui m’avaient suivi sont morts à mes côtés. Resté presque seul, je me vois forcé de renoncer à une recherche qui, si elle avait été couronnée de succès, aurait fait le bonheur des quelques jours qui me restent encore à vivre. Dieu me châtie cruellement. J’ai vu mourir tous mes enfants ; un seul me resterait encore peut-être, mais celui-là, dans un moment d’orgueil insensé, je l’ai chassé de ma présence ; aujourd’hui que je suis arrivé au déclin de la vie, ma maison est vide, mon foyer est désert. Je suis seul, hélas ! sans parents, sans amis, sans un héritier auquel je puisse après moi léguer non ma fortune, mais mon nom, qu’une longue suite d’aïeux m’ont transmis sans tache. Voulez-vous remplacer auprès de moi cette famille qui me manque, répondez, Cœur-Loyal, voulez-vous être mon fils ?

 

En prononçant. ces dernières paroles, le général s’était levé, il avait saisi la main du jeune homme et la serrait fortement, il avait des larmes dans les yeux.

À cette offre inattendue, le chasseur était resté étonné, palpitant, ne sachant que répondre.

Sa mère rejeta vivement son rebozo en arrière, et montrant son visage resplendissant et transfiguré, pour ainsi dire, par une joie immense, elle se plaça entre les deux hommes, posa sa main sur l’épaule du général, le regarda fixement, et d’une voix que l’émotion faisait trembler :

– Enfin ! s’écria-t-elle, don Ramon de Garillas ! vous redemandez donc ce fils que depuis vingt ans vous avez si cruellement abandonné !

– Femme, que voulez-vous dire ? fit le général, d’une voix haletante.

– Je veux dire, don Ramon, reprit-elle avec un accent d’une suprême majesté, que je suis doña Jesusita, votre femme, que le Cœur-Loyal est votre fils Rafaël que vous avez maudit.

– Oh ! s’écria le général en tombant à deux genoux sur le sol, le visage baigné de larmes, pardon ! pardon ! mon fils !

– Mon père ! s’écria le Cœur-Loyal en se précipitant vers lui et en cherchant à le relever, que faites-vous ?

– Mon fils, dit le vieillard, presque fou de douleur et de joie, je ne quitterai pas cette posture avant d’avoir obtenu mon pardon.

– Relevez-vous, don Ramon, fit doña Jesusita d’une voix douce ; il y a longtemps que dans le cœur de la mère et dans celui du fils, il ne reste plus pour vous qu’amour et respect.

– Oh ! s’écria le vieillard en les embrassant tour à tour avec ivresse, c’est trop de bonheur, je ne mérite pas d’être si heureux après ma cruelle conduite.

– Mon père, répondit noblement le chasseur, c’est grâce au châtiment mérité que vous m’avez infligé que je suis devenu un honnête homme, oubliez donc le passé qui n’est plus qu’un rêve, pour ne songer qu’à l’avenir qui vous sourit.

En ce moment, parut doña Luz, craintive et timide.

Dès qu’il l’aperçut, le général s’élança vers elle, la prit par la main, et l’amenant à doña Jesusita qui lui tendait les bras :

– Ma nièce, lui dit-il avec un visage radieux, tu peux aimer sans crainte le Cœur-Loyal, il est bien réellement mon fils. Dieu a permis dans sa bonté infinie que je le retrouve au moment où je désespérais d’un tel bonheur !

La jeune fille poussa un cri de joie et cacha confuse son visage dans le sein de doña Jesusita, en abandonnant sa main à Rafaël, qui la couvrit de baisers en tombant à ses pieds.

Postface

C’était quelques mois à peine après l’expédition du comte de Raousset-Boulbon.

À cette époque, le titre de Français était porté haut dans la Sonora.

Tous les voyageurs de notre nation, que le hasard amenait dans cette partie de l’Amérique, étaient certains, n’importe où ils s’arrêtaient, de rencontrer l’accueil le plus affectueux et le plus sympathique.

Poussé par mon humeur vagabonde, sans autre but que celui de voir du pays, j’avais quitté Mexico.

Monté sur un excellent mustang, que m’avait lassé et dont m’avait fait présent un coureur des bois de mes amis, j’avais traversé tout le continent américain ; c’est-à-dire que j’avais fait à petites journées et toujours seul, suivant mon habitude, un parcours de quelques centaines de lieues, traversant des montagnes couvertes de neige, des déserts immenses, des rivières rapides et des torrents fougueux, simplement pour venir en amateur visiter les villes espagnoles qui bordent le littoral de l’océan Pacifique.

J’étais en marche déjà depuis cinquante-sept jours ; voyageant en véritable flâneur, m’arrêtant où mon caprice m’invitait à planter ma tente.

Cependant j’approchais du but que je m’étais fixé, je me trouvais à quelques lieues à peine d’Hermosillo, cette ville qui, ceinte de murailles, possédant une population de quinze mille âmes, défendue par onze cents hommes de troupes réglées commandées par le général Bravo, un des meilleurs et des plus courageux officiers du Mexique, avait été audacieusement attaquée par le comte de Raousset à la tête de moins de deux cent cinquante Français, et enlevée à la baïonnette en deux heures.

Le soleil était couché, l’obscurité devenait de seconde en seconde plus grande. Mon pauvre cheval fatigué d’une traite de plus de quinze lieues, que je surmenais depuis quelques jours dans l’intention d’arriver plus tôt à Guaymas, n’avançait que péniblement, butant à chaque pas contre les cailloux pointus de la route.

J’étais moi-même excessivement fatigué, je mourais presque de faim, de sorte que je n’envisageais qu’avec une mine fort piteuse la perspective de passer encore une nuit à la belle étoile.

Je craignais de m’égarer dans les ténèbres ; en vain je cherchais à l’horizon une lumière qui pût me guider vers une habitation. Je savais rencontrer plusieurs haciendas – fermes – aux environs de la ville d’Hermosillo.

Ainsi que tous les hommes qui ont longtemps mené une vie errante, pendant laquelle ils ont été sans cesse le jouet d’événements plus ou moins fâcheux, je suis doué d’une bonne dose de philosophie, chose indispensable lorsqu’on voyage, en Amérique surtout, où la plupart du temps on est livré à sa propre industrie sans avoir la ressource de pouvoir compter sur un secours étranger.

Je pris mon parti en brave, renonçant avec un soupir de regret à l’espoir d’un souper et d’un abri ; comme la nuit s’assombrissait de plus en plus, qu’il était inutile de marcher davantage dans les ténèbres, peut-être dans une direction diamétralement opposée à celle que j’aurais dû suivre, je cherchai des yeux autour de moi une place convenable pour établir mon bivouac, allumer du feu et trouver un peu d’herbe pour ma monture, qui ainsi que moi mourait de faim.

Ce n’était pas chose facile dans ces campagnes calcinées par un soleil dévorant et couvertes d’un sable fin comme de la poussière ; cependant après de longues recherches je découvris un arbre chétif à l’abri duquel avait poussé une assez maigre végétation.

J’allais mettre pied à terre quand mon oreille fut frappée du bruit lointain du pas d’un cheval qui semblait suivre la même route que moi et s’avançait rapidement.

Je restai immobile.

La rencontre d’un cavalier la nuit dans les campagnes mexicaines donne toujours ample matière à réflexion.

L’étranger que l’on rencontre ainsi peut être un honnête homme, mais il y a tout à parier que c’est un coquin.

Dans le doute, j’armai mes revolvers et j’attendis.

Mon attente ne fut pas longue.

Au bout de cinq minutes le cavalier m’avait rejoint.

– Buenas noches, caballero – bonsoir, monsieur, – me dit-il en passant.

Il y avait dans la façon dont ce salut m’était jeté quelque chose de si franc que mes soupçons s’évanouirent subitement.

Je répondis.

– Où allez-vous donc aussi tard ? reprit-il.

– Ma foi, répliquai-je naïvement, je serais charmé de le savoir, je crois m’être égaré ; dans le doute, je me prépare à passer la nuit au pied de cet arbre.

– Triste gîte, fit le cavalier en hochant la tête.

– Oui, répondis-je philosophiquement, mais faute de mieux je m’en contenterai ; je meurs de faim, mon cheval est rendu de fatigue, nous ne nous soucions nullement l’un et l’autre d’errer plus longtemps à la recherche d’une hospitalité problématique, surtout à cette heure de la nuit.

– Hum ! fit l’inconnu, en jetant un regard sur mon mustang qui, la tête baissée, cherchait à happer quelques brins d’herbe du bout des lèvres, votre cheval me paraît de race, est-il donc si fatigué qu’il ne puisse encore fournir une course d’une couple de milles, tout au plus ?

– Il marchera deux heures s’il le faut, dis-je en souriant.

– Suivez-moi donc alors, au nom de Dieu, reprit l’inconnu d’un ton jovial, je vous promets à tous deux bon gîte et bon souper.

– J’accepte, et merci, dis-je en faisant sentir l’éperon à ma monture.

La noble bête qui sembla comprendre de quoi il s’agissait, prit un trot assez relevé.

L’inconnu était, autant que je pouvais en juger, un homme d’une quarantaine d’années, à la physionomie ouverte et aux traits intelligents ; il portait le costume des habitants de la campagne, un chapeau de feutre à large bord dont la forme était ceinte d’un galon d’or large de trois doigts, un zarapé bariolé tombait de ses épaules sur ses cuisses et couvrait la croupe de son cheval, enfin de lourds éperons en argent étaient attachés par des courroies à ses bottes vaqueras.

De même que tous les Mexicains, il avait pendu au côté gauche un machète, espèce de sabre court et droit, assez semblable aux poignards de nos fantassins.

La conversation s’anima bientôt entre nous et ne tarda, pas à devenir expansive.

Au bout d’une demi-heure à peine, j’aperçus à quelque distance devant moi, sortir des ténèbres la masse imposante d’une importante habitation ; c’était l’hacienda dans laquelle mon guide inconnu m’avait promis bon accueil, bon gîte et bon souper.

Mon cheval renâcla à plusieurs reprises et de lui-même pressa son allure.

Je jetai un regard curieux autour de moi, je distinguai alors les hautes futaies d’une huerta bien entretenue et toutes les apparences du confort.

Je rendis intérieurement grâce à ma bonne étoile qui m’avait fait faire une si bonne rencontre.

À notre approche un cavalier placé sans doute en vedette poussa un qui-vive retentissant, tandis que sept ou huit rastreros de pure race, venaient, en hurlant de joie, bondir autour de mon guide et me flairer les uns après les autres.

– C’est moi, répondit mon compagnon.

– Eh ! arrivez donc, Belhumeur, reprit la vedette, voici plus d’une heure que l’on vous attend.

– Allez prévenir le maître que j’amène un voyageur, cria mon guide, et surtout, l’Élan-Noir, n’oubliez pas de lui dire que c’est un Français.

– Comment le savez-vous ? lui demandai-je vexé, car je me pique de parler très purement l’espagnol.

– Pardi ! fit-il en riant, nous sommes presque compatriotes.

– Comment cela ?

– Dame ! je suis canadien, vous comprenez, j’ai de suite reconnu l’accent.

Pendant l’échange de ces quelques paroles, nous étions arrivés à la porte de l’hacienda où plusieurs personnes nous attendaient pour nous recevoir.

Il paraît que l’annonce de ma qualité de français, faite par mon compagnon, avait produit une certaine sensation.

Dix ou douze domestiques tenaient des torches à la faveur desquelles je pus distinguer que six ou huit personnes au moins, hommes et femmes, se pressaient pour nous recevoir.

Le maître de l’hacienda, que je reconnus de suite, s’avança vers moi en donnant le bras à une dame qui avait dû être d’une grande beauté et qui pouvait encore passer pour belle, bien qu’elle eût près de quarante ans.

Son mari était un homme de cinquante ans, d’une taille élevée, doué d’une physionomie mâle caractérisée ; autour d’eux se tenaient les yeux écarquillés cinq ou six enfants charmants qui leur ressemblaient trop pour ne pas leur appartenir.

Un peu en arrière enfin et à demi cachés dans l’ombre étaient une dame de soixante-dix ans à peu près et un vieillard presque centenaire.

J’embrassai d’un seul coup d’œil l’ensemble de cette famille dont l’aspect avait quelque chose de patriarcal qui attirait la sympathie et le respect.

– Monsieur, me dit gracieusement l’hacendero en saisissant la bride de mon cheval pour m’aider à mettre pied à terre, Esa casa se de V – cette maison est à vous. Je ne puis que remercier mon ami Belhumeur d’avoir réussi à vous amener chez moi.

– Je vous avoue, monsieur, répondis-je en souriant, qu’il n’a pas eu grand-peine, et que j’ai accepté avec reconnaissance l’offre qu’il a bien voulu me faire.

– Si vous le permettez, monsieur, comme il se fait tard, reprit l’hacendero, que surtout vous avez besoin de repos, nous allons passer dans la salle à manger ; nous étions sur le point de nous mettre à table quand on m’a annoncé votre arrivée.

– Monsieur, je vous remercie mille fois, répondis-je en m’inclinant, votre gracieux accueil m’a fait oublier toutes mes fatigues.

– Nous reconnaissons la politesse française, me dit la dame avec un charmant sourire.

J’offris le bras à la maîtresse de la maison, et l’on passa dans la salle à manger, où sur une table immense était servi un repas homérique dont le fumet appétissant me rappela que depuis près de douze heures j’étais à jeun.

L’on s’assit.

Quarante personnes au moins étaient réunies autour de la table.

Dans cette hacienda on conservait encore le patriarcal usage, qui commence à se perdre, de faire manger les domestiques avec les maîtres de la maison.

 

Tout ce que je voyais, tout ce que j’entendais me séduisait dans cette demeure ; elle avait un parfum d’honnêteté qui faisait doucement battre le cœur.

Lorsque le premier appétit fut calmé, la conversation un peu languissante d’abord devint générale.

– Eh bien ! Belhumeur, demanda l’aïeul à mon guide qui, assis à côté de moi, faisait vigoureusement fonctionner sa fourchette, avez-vous trouvé la piste du jaguar ?

– Non seulement j’ai trouvé une piste, général, mais je crains bien que le jaguar ne soit pas seul et qu’il ait un compagnon.

– Oh ! oh ! fit le vieillard, en êtes-vous sûr ?

– Je puis me tromper, général, cependant je ne le crois pas, demandez au Cœur-Loyal, j’avais une certaine réputation là-bas dans les prairies de l’Ouest.

– Mon père, dit l’hacendero en faisant un signe d’affirmation, Belhumeur doit avoir raison, c’est un trop vieux chasseur pour commettre une école.

– Alors il faudra faire une battue pour nous délivrer de ces voisins dangereux ; n’êtes-vous pas de cet avis, don Rafaël ?

– C’était mon intention, mon père, je suis heureux que ce soit aussi la vôtre, l’Élan-Noir est averti, tout doit être prêt déjà.

– L’on peut se mettre en chasse quand on voudra, tout est en ordre, dit un individu d’un certain âge assis non loin de moi.

La porte s’ouvrit, un homme entra.

Sa venue fut saluée par des cris de joie ; don Rafaël se leva vivement et alla vers lui, suivi de sa femme.

Je fus d’autant plus étonné de cet empressement que ce nouveau venu n’était autre qu’un Indien bravo, ou indépendant ; il portait le costume complet des guerriers de sa nation. Je crus reconnaître, grâce aux nombreux séjours que j’ai faits parmi les Peaux-Rouges, que celui-ci appartenait à l’une des nombreuses tribus comanches.

– Oh ! la Tête-d’Aigle ! la Tête-d’Aigle ! s’écrièrent les enfants en l’entourant avec joie.

L’Indien les prit dans ses bras les uns après les autres, les embrassa et s’en débarrassa en leur donnant quelques-unes de ces babioles que les aborigènes de l’Amérique travaillent avec un goût si exquis.

Puis il s’avança en souriant, salua la nombreuse compagnie qui se trouvait dans la salle avec une grâce parfaite, et prit place entre le maître et la maîtresse de la maison.

– Nous vous attendions avant le coucher du soleil, chef, lui dit la dame amicalement, ce n’est pas bien de vous être fait attendre.

– La Tête-d’Aigle était sur la piste des jaguars, dit sentencieusement le chef, il ne faut pas que ma fille ait peur, les jaguars sont morts.

– Comment ! vous avez déjà tué les jaguars ? chef, dit vivement don Rafaël.

– Mon frère verra ; les peaux sont très belles, elles sont dans la cour.

– Allons ! allons ! chef, dit l’aïeul en lui tendant la main, je vois que vous voulez toujours être notre Providence.

– Mon père parle bien, fit le chef en s’inclinant, le Maître de la vie le conseille ; la famille de mon père est ma famille.

Après le repas, je fus conduit par don Rafaël dans une confortable chambre à coucher, où je ne tardai pas à m’endormir, vivement intrigué par tout ce que j’avais vu et entendu pendant cette soirée.

Le lendemain, mes hôtes ne consentirent jamais à me laisser partir ; je dois avouer que je n’insistai pas beaucoup pour continuer mon voyage. Non seulement j’étais charmé du bienveillant accueil que j’avais reçu, mais encore une curiosité secrète me poussait à rester quelques jours.

Une semaine s’écoula.

Don Rafaël et sa famille m’accablaient de prévenances gracieuses, la vie se passait pour moi dans un enchantement continuel.

Je ne sais pourquoi, mais depuis mon arrivée dans l’hacienda, tout ce dont j’étais témoin augmentait encore cette curiosité qui m’avait saisi dès le premier moment.

Il me semblait qu’au fond du bonheur que je voyais rayonner sur les visages de cette heureuse famille, il y avait une longue suite d’infortunes.

Ce n’étaient pas, à ce que je croyais, des gens dont la vie s’était toujours écoulée calme et tranquille, je me figurais, je ne sais pour quelle raison, qu’après avoir été longtemps éprouvés, ils avaient enfin trouvé le port.

Leurs visages étaient empreints de cette majesté que donnent seules de grandes douleurs ; et les rides qui sillonnaient leurs fronts me paraissaient bien profondes pour ne pas avoir été creusées par le chagrin.

Cette idée s’était si bien ancrée dans ma cervelle que, malgré tous mes efforts pour la chasser, elle revenait sans cesse plus tenace et plus incisive.

En peu de jours j’étais devenu l’ami de la famille, rien de ce qui me regardait ne leur était plus étranger ; ils m’avaient admis à partager complètement leur intimité, j’avais incessamment une question sur les lèvres ; jamais je n’osais la formuler, tant je craignais de commettre une indiscrétion grave ou de raviver d’anciennes douleurs.

Un soir que don Rafaël et moi nous revenions de la chasse, à quelques pas de la maison il posa son bras sur le mien.

– Qu’avez-vous, don Gustavio, me dit-il, vous êtes sombre, préoccupé, vous ennuyez-vous donc avec nous ?

– Vous ne le croyez pas, répondis-je vivement, je ne sais au contraire comment vous avouer que je n’ai jamais été aussi heureux qu’auprès de vous.

– Restez-y, alors, s’écria-t-il franchement, il y a encore place pour un ami à notre foyer.

– Merci ! lui dis-je en lui serrant la main, je le voudrais, mais, hélas ! c’est impossible. Comme le juif de la légende, j’ai en moi un démon qui me crie incessamment : marche ! Je dois accomplir ma destinée !

Et je soupirai.

– Écoutez ! reprit-il, soyez franc ! dites-moi ce qui vous préoccupe ; depuis quelques jours vous nous inquiétez tous, personne n’osait vous en parler, ajouta-t-il en souriant ; ma foi, j’ai pris mon courage à deux mains, comme vous dites, vous autres Français, et je me suis décidé à vous questionner.

– Eh bien ! lui répondis-je, puisque vous l’exigez, je vous le dirai ; seulement, veuillez, je vous prie, ne pas prendre ma franchise en mauvaise part, et être persuadé qu’il entre au moins autant d’intérêt que de curiosité dans mon fait.

– Voyons, fit-il avec un sourire indulgent, confessez-vous à moi, ne craignez rien, je vous donnerai l’absolution, allez.

– J’aime mieux en avoir le cœur net, et tout vous dire.

– C’est cela, parlez.

– Je me figure, je ne sais pourquoi, que vous n’avez pas toujours été aussi heureux que vous l’êtes aujourd’hui, et que ce n’est que par de longs malheurs que vous avez acheté le bonheur dont vous jouissez.

Un sourire triste se dessina sur ses lèvres.

– Pardonnez-moi, m’écriai-je vivement, l’indiscrétion que je viens de commettre, ce que je craignais est arrivé ! qu’il ne soit plus question, je vous prie, de cette sotte affaire entre nous.

J’étais réellement désolé.

Don Rafaël me répondit avec bonté :

– Pourquoi ? je ne trouve rien d’indiscret dans votre question, l’intérêt que vous nous portez vous a engagé à nous la faire, il n’y a que lorsqu’on aime les gens que l’on est aussi clairvoyant. Non, mon ami, vous ne vous êtes pas trompé, nous avons tous été rudement éprouvés. Puisque vous le désirez, vous saurez tout, peut-être conviendrez-vous, après avoir entendu le récit de ce que nous avons souffert, que nous avons effectivement chèrement acheté le bonheur dont nous jouissons. Mais, entrons, l’on nous attend probablement pour nous mettre à table.

Le soir, don Rafaël retint auprès de lui plusieurs personnes, et, après avoir fait placer sur une table des cigarettes et des bouteilles de mescal :

– Mon ami, me dit-il, je vais satisfaire votre curiosité. Belhumeur, l’Élan-Noir, la Tête-d’Aigle, mon père et ma mère, ainsi que ma chère femme, qui ont tous été acteurs dans le drame dont vous allez entendre le récit étrange, me viendront en aide, si ma mémoire me fait défaut.

Alors, lecteur, don Rafaël me conta ce que vous venez de lire.

J’avoue que ces aventures, dites par celui-là même qui y avait joué le principal rôle, devant ceux qui y avaient pris une si grande part, j’avoue, dis-je, que ces aventures m’intéressèrent au plus haut point, ce qui sans doute ne vous arrivera pas à vous ; elles perdent nécessairement beaucoup dans ma bouche, car je ne puis y mettre cette animation qui en faisait le charme principal.