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Les trappeur de l'Arkansas

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Deuxième partie. OUAKTEHNO

I. Le Cœur-Loyal

La position était complètement changée.

Les chasseurs qui, un moment auparavant, se trouvaient à la merci des Indiens, non seulement étaient libres, mais encore se trouvaient en mesure de poser de dures conditions.

Bien des fusils s’étaient abaissés dans la direction du Canadien, bien des flèches avaient été dirigées contre lui ; mais, sur un signe de la Tête-d’Aigle, les fusils s’étaient redressés, et les flèches étaient rentrées au carquois.

La honte d’être joués par deux hommes qui les bravaient audacieusement au milieu de leur camp, faisait bouillonner la colère dans le cœur des Comanches. Ils reconnaissaient l’impossibilité d’une lutte avec leurs hardis adversaires. En effet, que pouvaient-ils contre ces intrépides coureurs des bois qui comptaient leur vie pour rien ?

Les tuer ?

Mais, en tombant, ils égorgeraient sans pitié les prisonniers qu’on voulait sauver.

Le sentiment le plus développé parmi les Peaux-Rouges est l’amour de la famille.

Pour ses enfants ou sa femme, le guerrier le plus farouche n’hésitera pas à faire des concessions, que les plus effroyables tortures ne sauraient, dans d’autres circonstances, obtenir de lui. Aussi, à la vue de sa femme et de son fils tombés au pouvoir de Belhumeur, la Tête-d’Aigle ne songea plus qu’à leur salut.

De tous les hommes, les Indiens sont peut-être ceux qui savent avec le plus de facilité se courber aux exigences d’une situation imprévue.

Le chef comanche enfouit au fond de son cœur la haine et la colère qui le dévoraient. D’un mouvement plein de noblesse et de désinvolture, il rejeta en arrière la couverture qui lui servait de manteau, et, le visage calme, le sourire sur les lèvres, il s’approcha des chasseurs.

Ceux-ci, habitués de longue main aux façons d’agir des Peaux-Rouges, restaient impassibles en apparence, attendant le résultat de leur hardi coup de main.

– Mes frères pâles, dit le chef, sont remplis de sagesse, quoique leurs cheveux soient noirs ; ils connaissent toutes les ruses familières aux grands guerriers, ils ont la finesse du castor et le courage du lion.

Les deux hommes s’inclinèrent en silence.

La Tête-d’Aigle continua :

– Puisque mon frère, le Cœur-Loyal, est dans le camp des Comanches des grands lacs, l’heure est enfin arrivée de dissiper les nuages qui se sont élevés entre lui et les Peaux-Rouges. Le Cœur-Loyal est juste, qu’il s’explique sans crainte ; il est devant des chefs renommés qui n’hésiteront pas à reconnaître leurs torts s’ils en ont envers lui.

– Oh ! oh ! répondit le Canadien en ricanant, la Tête-d’Aigle a bien promptement changé de sentiments à notre égard ; croit-il pouvoir nous tromper avec de vaines paroles ?

Un éclair de haine fit étinceler la prunelle fauve de l’Indien ; mais, par un effort suprême, il parvint à se contenir.

Tout à coup un homme s’interposa entre les interlocuteurs.

Cet homme était Eshis, le guerrier le plus vénéré de la tribu.

Le vieillard leva lentement le bras.

– Que mes enfants m’écoutent, dit-il, tout doit s’éclaircir aujourd’hui, les chasseurs pâles fumeront le calumet en conseil.

– Qu’il en soit ainsi, fit le Cœur-Loyal.

Sur un signe du Soleil, les principaux chefs de la tribu vinrent se ranger autour de lui.

Belhumeur n’avait pas changé de position ; il était prêt, au moindre geste suspect, à sacrifier ses prisonniers.

Lorsque la pipe eut fait le tour du cercle formé près des chasseurs, le vieux chef se recueillit ; puis, après s’être incliné devant les Blancs, il parla ainsi :

– Guerriers, je remercie le Maître de la vie de ce qu’il nous aime, nous Peaux-Rouges, et de ce qu’il nous envoie aujourd’hui ces deux hommes pâles qui pourront enfin ouvrir leur cœur. Prenez courage, jeunes gens, ne laissez pas vos âmes s’appesantir, et chassez loin de vous le mauvais esprit. Nous vous aimons, Cœur-Loyal, nous avons entendu parler de votre humanité pour les Indiens. Nous croyons que votre cœur est ouvert, et que vos veines coulent claires comme le soleil. Il est vrai que nous autres Indiens n’avons pas beaucoup de sens, lorsque l’eau ardente nous commande, et que nous pouvons vous avoir déplu dans diverses circonstances. Mais nous espérons que vous n’y penserez plus, et que, tant que vous et nous serons dans les prairies, nous chasserons côte à côte, comme doivent le faire des guerriers qui s’aiment et se respectent.

Le Cœur-Loyal répondit :

– Vous, chefs et autres membres de la nation des Comanches des grands lacs dont les yeux sont ouverts, j’espère que vous prêterez l’oreille aux paroles de ma bouche. Le Maître de la vie a ouvert mon cerveau et fait souffler à ma poitrine des paroles amicales. Mon cœur est rempli de sentiments pour vous, pour vos femmes, pour vos enfants, et ce que je vous dis en ce moment procède de la racine des sentiments de mon ami et des miens ; jamais dans la prairie mon hatto n’a été fermé aux chasseurs de votre nation. Pourquoi donc me faites-vous la guerre ? pourquoi donc torturer ma mère, qui est une vieille femme, et chercher à m’arracher la vie ? Je répugne à verser le sang indien ; car, je vous le répète, malgré tout le mal que vous m’avez fait, mon cœur s’élance vers vous.

– Ooah ! interrompit la Tête-d’Aigle, mon frère parle bien ; mais la blessure qu’il m’a faite n’est pas encore cicatrisée.

– Mon frère est fou, répondit le chasseur ; me croit-il donc si maladroit de ne pas l’avoir tué si telle avait été mon intention. Je vais vous prouver ce dont je suis capable et de quelle façon je comprends le courage d’un guerrier. Que je fasse un signe, cette femme et cet enfant auront vécu.

– Oui, appuya Belhumeur.

Un frisson parcourut les rangs de l’assemblée. La Tête-d’Aigle sentit une sueur froide perler à ses tempes.

Le Cœur-Loyal garda un instant de silence en fixant sur les Indiens un regard d’une expression indéfinissable ; puis, haussant les épaules avec dédain, il jeta ses armes à ses pieds, et, croisant les bras sur sa large poitrine, il se tourna vers le Canadien.

– Belhumeur, dit-il d’une voix calme et parfaitement accentuée, rendez la liberté à ces deux pauvres créatures.

– Y songez-vous ? s’écria le chasseur tout interloqué ; ce serait votre arrêt de mort !

– Je le sais.

– Eh bien ?

– Je vous en prie.

Le Canadien ne répondit pas, il commença à siffler entre ses dents, tirant son couteau, il trancha d’un coup les liens qui attachaient ses captifs, qui bondirent comme des jaguars et allèrent en poussant des hurlements de joie se cacher au milieu de leurs amis, puis il remit son couteau à sa ceinture, jeta ses armes, descendit de cheval et se plaça résolument auprès du Cœur-Loyal.

– Que faites-vous donc ? s’écria celui-ci, sauvez-vous, mon ami !

– Me sauver, moi, pourquoi faire ? répondit insoucieusement le Canadien, ma foi non, puisqu’il faut toujours finir par mourir, j’aime autant que ce soit aujourd’hui que plus tard ; je ne retrouverai peut-être jamais une aussi belle occasion.

Les deux hommes se serrèrent la main par une étreinte énergique.

– Maintenant, chefs, dit de sa voix calme le Cœur-Loyal en s’adressant aux Indiens, nous sommes en votre pouvoir, agissez comme bon vous semblera.

Les Comanches se regardèrent un instant avec stupeur ; la stoïque abnégation de ces hommes qui, par l’action hardie de l’un d’eux, pouvaient non seulement s’échapper, mais encore leur dicter des lois, et qui, au lieu de profiter de cet avantage immense, jetaient leurs armes et se livraient entre leurs mains, leur paraissait dépasser tous les traits d’héroïsme restés célèbres dans leur nation.

Il y eut un silence assez long pendant lequel on aurait entendu battre dans leurs poitrines le cœur de tous ces hommes de bronze qui, par leur éducation primitive toute de sensation, sont plus aptes qu’on ne pourrait le croire à comprendre tous les sentiments vrais et apprécier les actions réellement nobles.

Enfin la Tête-d’Aigle, après quelques secondes d’hésitation, jeta ses armes, et, s’approchant des chasseurs, il leur dit d’une voix émue, qui contrastait avec l’apparence impassible et indifférente qu’il cherchait en vain à prendre :

– Il est vrai, guerriers des visages pâles, que vous avez un grand sens, qu’il adoucit les paroles que vous nous adressez, et que nous vous entendons tous ; nous savons aussi que la vérité ouvre vos lèvres ; il est très difficile que nous autres Indiens, qui n’avons pas la raison des Blancs, ne commettions pas, souvent sans le vouloir, des actions répréhensibles ; mais nous espérons que le Cœur-Loyal ôtera la peau de son cœur pour qu’il soit clair comme le nôtre, et qu’entre nous la hache sera enterrée si profondément que les fils des fils de nos petits-fils, dans mille lunes, et cent davantage, ne pourront la retrouver.

Et posant les deux mains sur les épaules du chasseur, il le baisa sur les yeux, en ajoutant :

– Que le Cœur-Loyal soit mon frère !

– Soit ! fit le chasseur heureux de ce dénouement ; désormais j’aurai pour les Comanches autant d’amitié que jusqu’à présent j’ai eu de défiance.

Les chefs indiens se pressèrent autour de leurs nouveaux amis, auxquels ils prodiguèrent, avec la naïveté qui caractérise les natures primitives, les marques d’affection et de respect.

Les deux chasseurs étaient depuis longtemps connus dans la tribu du Serpent, leur réputation était faite ; bien souvent pendant la nuit, autour du feu du campement, le récit de leurs exploits avait frappé d’admiration les jeunes gens auxquels les vieux guerriers les racontaient.

La réconciliation avait été franche entre le Cœur-Loyal et la Tête-d’Aigle, il ne restait plus entre eux la moindre trace de leur haine passée.

L’héroïsme du chasseur blanc avait vaincu la rancune du guerrier Peau-Rouge !

 

Les deux hommes causaient paisiblement assis à l’entrée d’une hutte, lorsqu’un grand cri se fit entendre et un Indien, les traits bouleversés par la terreur, se précipita dans le camp.

Chacun s’empressa autour de cet homme pour avoir des nouvelles, mais l’Indien ayant aperçu la Tête-d’Aigle s’avança vers lui.

– Que se passe-t-il ? demanda le chef.

L’Indien fixa un regard féroce sur le Cœur-Loyal et Belhumeur qui, pas plus que les autres, ne soupçonnaient d’où venait cette panique.

– Prenez garde que ces deux visages pâles ne s’échappent, nous sommes trahis, dit-il d’une voix entrecoupée et haletante à cause de la rapidité avec laquelle il était venu.

– Que mon frère s’explique plus clairement, ordonna la Tête-d’Aigle.

– Tous les trappeurs blancs, les Longs Couteaux de l’Ouest sont réunis, ils forment un détachement de guerre de près de cent hommes, ils s’avancent en se développant de façon à investir le camp de tous les côtés à la fois.

– Êtes-vous sûr que ces chasseurs viennent en ennemis ? dit encore le chef.

– Comment en serait-il autrement ? répondit le guerrier indien, ils rampent comme des serpents dans les hautes herbes, le fusil en avant et le couteau à scalper entre les dents. Chef, nous sommes trahis, ces deux hommes ont été envoyés au milieu de nous afin d’endormir notre vigilance.

La Tête-d’Aigle et le Cœur-Loyal échangèrent un sourire d’une expression indéfinissable, et qui fut une énigme pour d’autres que pour eux.

Le chef comanche se tourna vers l’Indien.

– Vous avez vu, lui demanda-t-il, celui qui marche devant les chasseurs ?

– Oui, je l’ai vu.

– Et c’est Amick – l’Élan-Noir – le premier gardien des trappes du Cœur-Loyal ?

– Quel autre pourrait-ce être ?

– Bien, retirez-vous, dit le guerrier en congédiant le messager d’un signe de tête, puis s’adressant au chasseur :

– Que faut-il faire ? lui demanda-t-il.

– Rien, répondit le Cœur-Loyal, ceci me regarde, que mon frère me laisse agir seul.

– Mon frère est le maître !

– Je vais à la rencontre des chasseurs, que la Tête-d’Aigle retienne jusqu’à mon retour ses jeunes hommes dans le camp.

– Cela sera fait.

Le Cœur-Loyal jeta son fusil sur l’épaule, donna une poignée de main à Belhumeur, sourit au chef comanche et se dirigea vers la forêt de ce pas assuré et tranquille à la fois, qui lui était habituel.

Il disparut bientôt au milieu des arbres.

– Hum ! fit Belhumeur en allumant sa pipe indienne et s’adressant à la Tête-d’Aigle, vous voyez, chef, que dans ce monde ce n’est souvent pas une maladroite spéculation que de se laisser guider par son cœur.

Et satisfait outre mesure de cette boutade philosophique, qui lui paraissait pleine d’à-propos, le Canadien s’enveloppa d’un épais nuage de fumée.

Sur l’ordre du chef, toutes les sentinelles disséminées aux abords du camp furent rappelées.

Les Indiens attendaient avec anxiété le résultat de la démarche tentée par le Cœur-Loyal.

II. Les pirates

C’était le soir, à une distance à peu près égale du camp des Mexicains et de celui de Comanches.

Cachés dans un ravin profondément encaissé entre deux hautes collines, une quarantaine d’hommes étaient réunis autour de plusieurs feux, disposés de façon à ce que la lueur des flammes ne pût trahir leur présence.

L’aspect étrange que présentait cette réunion d’aventuriers aux traits sombres, aux regards farouches, aux costumes sordides et bizarres, offrait un tableau digne du crayon satirique de Callot, ou du pinceau de Salvator Rosa.

Ces hommes, composé hétérogène de toutes les nationalités qui peuplent les deux mondes, depuis le Russe jusqu’au Chinois, étaient la plus complète collection de coquins qui se puisse imaginer ; hommes de sac et de corde, sans foi ni loi, sans feu ni lieu, véritable rebut de la civilisation qui les avait rejetés de son sein, obligés à chercher un refuge au fond des prairies de l’Ouest ; dans ces déserts mêmes, ils formaient bande à part, combattant tantôt contre les chasseurs, tantôt contre les Indiens, surpassant les uns et les autres en cruauté et en fourberie.

Ces hommes, en un mot, étaient ce que l’on est convenu de nommer des pirates des prairies.

Dénomination qui leur convient sous tous les rapports, puisque de même que leurs confrères de l’Océan, arborant tous les pavillons ou plutôt les foulant tous aux pieds, ils courent sus à tous les voyageurs qui se hasardent à traverser isolément les prairies, attaquent et dévalisent les caravanes, et lorsque toute autre proie leur échappe, ils s’embusquent traîtreusement dans les hautes herbes, pour guetter les Indiens qu’ils assassinent afin de gagner la prime que le gouvernement paternel des États-Unis donne pour chaque chevelure d’aborigène, de même qu’en France on paye la tête de loup.

Cette troupe était commandée par le capitaine Ouaktehno, que déjà nous avons eu l’occasion de mettre en scène.

Il régnait parmi ces bandits une agitation qui présageait quelque expédition mystérieuse.

Les uns nettoyaient et chargeaient leurs armes, d’autres reprisaient leurs vêtements, quelques-uns fumaient en buvant du mezcal, d’autres enfin dormaient enveloppés dans leurs manteaux troués.

Les chevaux, tout sellés et prêts à être montés, étaient attachés à des piquets.

De distance en distance des sentinelles, appuyées sur leurs longues carabines, silencieuses et immobiles comme des statues de bronze, veillaient au salut de tous.

Les lueurs mourantes des feux qui s’éteignaient peu à peu jetaient sur ce tableau des reflets rougeâtres qui donnaient aux pirates une expression plus farouche encore.

Le capitaine paraissait en proie à une inquiétude extrême ; il marchait à grands pas au milieu de ses subordonnés, frappant du pied avec colère et s’arrêtant par intervalles pour prêter l’oreille aux bruits de la prairie.

La nuit se faisait de plus en plus sombre, la lune avait disparu, le vent mugissait sourdement dans les mornes, les pirates avaient fini, les uns après les autres, par se livrer au sommeil.

Seul, le capitaine veillait encore.

Tout à coup il lui sembla entendre au loin le bruit d’un coup de feu, puis un second, et tout rentra dans le silence.

– Qu’est-ce que cela signifie ? murmura le capitaine avec colère ; mes drôles se sont-ils donc laissé surprendre ?

Alors, s’enveloppant avec soin dans son manteau, il se dirigea à grands pas du côté où le bruit s’était fait entendre.

Les ténèbres étaient épaisses, et, malgré sa connaissance des lieux, le capitaine n’avançait que difficilement à travers les ronces et les broussailles qui à chaque pas lui barraient le chemin. Plusieurs fois il fut contraint de s’arrêter et de s’orienter pour reprendre sa route dont l’écartaient continuellement les détours auxquels l’obligeaient les blocs de rochers et les épais fourrés qui se trouvaient devant lui.

Pendant une de ces haltes, il crut percevoir à une légère distance le bruit d’un froissement de feuilles et de branches semblable à celui occasionné par la course précipitée d’un homme ou d’une bête fauve dans un taillis.

Le capitaine s’effaça derrière le tronc d’un gigantesque acajou, saisit ses pistolets qu’il arma, afin d’être préparé à tout événement, et, penchant la tête en avant, il écouta.

Tout était calme autour de lui ; on était arrivé à cette heure mystérieuse de la nuit où la nature semble dormir, et où tous les bruits sans nom de la solitude s’éteignent pour ne laisser, suivant l’expression indienne, entendre que le silence.

– Je me suis trompé, murmura le pirate, et il fit un mouvement pour revenir sur ses pas.

En ce moment le même bruit se renouvela, plus distinct et plus rapproché, suivi presque immédiatement d’un gémissement étouffé.

– Vive Dieu ! fit le capitaine, ceci commence à devenir intéressant, j’en aurai le cœur net.

Après quelques minutes d’une course précipitée, il vit glisser à quelques pas de lui dans les ténèbres l’ombre presque effacée d’un homme. Cet individu, quel qu’il fût, paraissait marcher avec difficulté, il trébuchait à chaque pas, s’arrêtait par intervalles comme pour reprendre des forces. Parfois il laissait échapper une plainte étouffée. Le capitaine se jeta au-devant de lui pour lui barrer le passage.

Lorsque l’inconnu l’aperçut, il poussa un cri d’effroi et tomba sur ses deux genoux en murmurant d’une voix entrecoupée par la terreur :

– Grâce ! grâce ! ne me tuez pas !

– Eh mais ! fit le capitaine étonné, c’est le Babillard ! Qui diable l’a si mal accommodé ?

Et il se pencha vers lui.

C’était en effet le guide.

Il était évanoui.

– La peste étouffe l’imbécile ! murmura le capitaine avec dépit ; comment l’interroger à présent ?

Mais le pirate était homme de ressource, il repassa ses pistolets dans sa ceinture, et enlevant le blessé, il le jeta sur ses épaules.

Chargé de ce fardeau qui ne semblait nullement le gêner dans sa marche, il reprit à grands pas la route qu’il venait de suivre et rentra dans son camp.

Il déposa le guide auprès d’un brasier à demi éteint dans lequel il jeta quelques brassées de bois sec pour le raviver. Bientôt une flamme claire lui permit d’examiner l’homme qui gisait sans connaissance à ses pieds.

Les traits du Babillard étaient livides, une sueur froide perlait à ses tempes et le sang coulait en abondance d’une blessure qu’il avait à la poitrine.

– Cascaras ! murmura le capitaine, voilà un pauvre diable bien avarié, pourvu qu’avant de passer il puisse me dire quels sont ceux qui l’ont mis dans cet état et ce qu’est devenu Kennedy !

De même que tous les coureurs des bois, le capitaine possédait certaines connaissances pratiques en médecine, il n’était pas embarrassé pour soigner une blessure d’arme à feu.

Grâce aux soins qu’il prodigua au bandit, celui-ci ne tarda pas à revenir à lui. Il poussa un profond soupir, ouvrit des yeux hagards et resta pendant un temps assez long sans pouvoir parler ; mais cependant, après plusieurs efforts infructueux, aidé par le capitaine, il parvint à s’asseoir, et hochant la tête à plusieurs reprises, il lui dit avec tristesse, d’une voix basse et entrecoupée :

– Tout est perdu, capitaine ! notre coup est manqué.

– Mille tonnerres !… s’écria le pirate en frappant du pied avec rage, comment ce malheur nous est-il donc arrivé ?

– La jeune fille est un démon ! reprit le guide dont la respiration sifflante et la voix de plus en plus faible montraient qu’il n’avait plus que quelques minutes à vivre.

– Si tu le peux, fit le capitaine qui n’avait rien compris à l’exclamation du blessé, dis-moi comment se sont passées les choses et quel est ton assassin, afin que je puisse te venger.

Un sourire sinistre plissa péniblement les lèvres violettes du guide.

– Le nom de mon assassin ? dit-il d’une voix ironique.

– Oui.

– C’est doña Luz !

– Doña Luz ! s’écria le capitaine en bondissant de surprise, impossible !

– Écoutez, reprit le guide, mes instants sont comptés, bientôt je serai mort. Un homme dans ma position ne ment pas. Laissez-moi parler sans m’interrompre, je ne sais si j’aurai le temps de tout vous dire, avant d’aller rendre mes comptes à celui qui sait tout.

– Parle, fit le capitaine.

Et comme la voix du blessé devenait de plus en plus faible, il s’agenouilla près de lui afin de ne rien perdre de ses paroles.

Le guide ferma les yeux, se recueillit quelques secondes, puis il dit avec effort :

– Donnez-moi de l’eau-de-vie.

– Tu es fou, l’eau-de-vie te tuera.

Le blessé secoua la tête.

– Elle me rendra les forces nécessaires pour que vous puissiez entendre tout ce que j’ai à vous dire. Ne suis-je pas déjà à moitié mort ?

– C’est vrai ! murmura le capitaine.

– N’hésitez donc pas, reprit le blessé qui avait entendu, le temps presse, j’ai des choses importantes à vous apprendre.

– Soit donc ! murmura le pirate après un moment d’hésitation, et prenant sa gourde, il la porta aux lèvres du guide.

Celui-ci but avidement pendant assez longtemps ; une rougeur fébrile colora les pommettes de ses joues, ses yeux presque éteints s’éclairèrent et brillèrent d’un vif éclat.

– Maintenant, dit-il d’une voix ferme et assez haute, ne m’interrompez pas ; dès que vous me verrez faiblir, vous me ferez boire, peut-être aurai-je le temps de tout vous rapporter.

Le capitaine lui fit un signe d’assentiment, le Babillard commença.

Son récit fut long à cause des faiblesses fréquentes qui le prenaient ; lorsqu’il fut terminé :

 

– Vous le voyez, ajouta-t-il, cette femme, comme je vous l’ai dit déjà, est un démon, elle a tué Kennedy et moi ; renoncez à sa capture, capitaine, c’est un gibier trop difficile à chasser, vous ne pourrez jamais vous en emparer.

– Bon ! fit le capitaine en fronçant les sourcils, te figures-tu que j’abandonne ainsi mes projets ?

– Bonne chance alors ! murmura le guide, pour moi, mon affaire est faite, mon compte est réglé… Adieu, capitaine, ajouta-t-il avec un sourire étrange, je vais à tous les diables, nous nous reverrons là-bas !…

Il tomba à la renverse.

Le capitaine voulut le relever, il était mort.

– Bon voyage ! murmura-t-il avec insouciance.

Il chargea le corps sur ses épaules, le porta dans un fourré au milieu duquel il fit un trou, où il le mit ; puis cette opération achevée en quelques minutes, il revint près du feu, s’enveloppa de son manteau, s’étendit sur le sol les pieds au brasier et s’endormit en disant :

– Dans quelques heures il fera jour, nous verrons ce que nous aurons à faire.

Les bandits ne dorment pas tard. Au lever du soleil tout était en rumeur dans le camp des pirates. Chacun se préparait au départ.

Le capitaine, loin de renoncer à ses projets, avait au contraire résolu d’en brusquer l’exécution, afin de ne pas laisser le temps aux Mexicains de trouver parmi les trappeurs blancs des prairies des auxiliaires, qui auraient rendu la réussite impossible.

Dès qu’il fut certain que les ordres qu’il avait donnés étaient bien compris, le capitaine fit le signal du départ. La troupe se mit en marche à l’indienne, c’est-à-dire en tournant littéralement le dos à l’endroit vers lequel elle se dirigeait.

Puis arrivés dans une position, qui parut leur offrir les conditions de sécurité qu’ils désiraient, les pirates mirent pied à terre, les chevaux furent confiés à quelques hommes déterminés et les bandits s’allongeant sur le sol comme un essaim de vipères, ou bien sautant de branche en branche et d’arbre en arbre, s’avancèrent avec toutes les précautions usitées dans les surprises, vers le camp des Mexicains.