Za darmo

Les trappeur de l'Arkansas

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

XV. Les castors

La jeune fille écarta les branches des saules, et, penchant la tête en avant, elle regarda.

Les castors avaient intercepté non seulement le cours de la rivière, au moyen de leur communauté industrieuse, mais encore tous les ruisseaux qui s’y jettent avaient leur cours arrêté, de manière à transformer le sol environnant en un vaste marais.

Un castor seul travaillait en ce moment sur la principale écluse ; mais bientôt cinq autres parurent apportant des morceaux de bois, de la vase et des broussailles. Alors ils se dirigèrent tous ensemble vers une partie de la barrière qui, ainsi que le vit la jeune fille, avait besoin de réparation. Ils déposèrent leur charge sur la partie rompue, et plongèrent dans l’eau, mais pour reparaître presque immédiatement à la surface.

Chacun d’eux apportait une certaine quantité de vase, dont ils se servaient comme de mortier pour joindre et affermir les morceaux de bois et de broussailles ; ils revinrent de nouveau avec du bois et de la vase ; bref, cette œuvre de maçonnerie continua jusqu’à ce que la brèche eût entièrement disparu.

Dès que tout fut en ordre, les industrieux animaux prirent un moment de récréation, se poursuivant dans l’étang, plongeant au fond de l’eau ou jouant à la surface, en frappant à grand bruit l’eau de leurs queues.

Doña Luz regardait ce singulier spectacle avec un intérêt toujours croissant. Elle serait restée la journée entière à considérer ces étranges animaux.

Tandis que les premiers se divertissaient ainsi, deux autres membres de la communauté parurent. Pendant quelque temps ils considérèrent gravement les jeux de leurs compagnons sans faire mine de s’y joindre ; puis, gravissant la berge non loin de l’endroit où le trappeur et la jeune fille étaient aux aguets, ils s’assirent sur leurs pattes de derrière, appuyèrent celles de devant sur un jeune pin, et commencèrent à en ronger l’écorce. Parfois ils en détachaient un petit morceau et le tenaient entre leurs pattes, tout en restant assis ; ils le grignotaient avec des contorsions et des grimaces assez ressemblantes à celles d’un singe épluchant une noix.

Le but évident de ces castors était de couper l’arbre, et ils y travaillaient avec ardeur. C’était un jeune pin de dix-huit pouces de diamètre à peu près, à l’endroit où ils l’attaquaient ; il était droit comme un I et assez haut. Nul doute qu’ils seraient parvenus en peu de temps à le couper entièrement, mais le général inquiet de l’absence prolongée de sa nièce, se décida à se mettre à sa recherche, et les castors effrayés par le bruit des chevaux, plongèrent et disparurent subitement.

Le général fit de légers reproches à sa nièce sur sa longue absence ; mais la jeune fille, charmée de ce qu’elle avait vu, n’en tint compte, et se promit d’assister encore, témoin invisible, aux ébats des castors.

La petite troupe, sous la direction du trappeur, se dirigea vers le rancho, dans lequel il leur avait offert un abri contre les rayons ardents du soleil arrivé à son zénith.

Doña Luz, dont la curiosité était excitée au plus haut point par le spectacle attachant auquel elle avait assisté, se dédommagea de l’interruption malencontreuse de son oncle en demandant à l’Élan-Noir les plus grands détails sur les mœurs des castors et la façon dont on les chasse.

Le trappeur, de même que tous les hommes qui vivent ordinairement seuls, aimait assez, lorsque l’occasion s’en présentait, se rattraper du silence qu’il était la plupart du temps forcé de garder, aussi ne se fit-il pas prier.

– Oh ! oh ! señorita, fit-il, les Peaux-Rouges disent que le castor est un homme qui ne parle pas, et ils ont raison ; il est sage, prudent, brave, industrieux et économe. Ainsi lorsque l’hiver arrive, toute la famille se met à l’œuvre pour préparer les provisions ; jeunes comme vieux, tous travaillent. Souvent il leur arrive de faire de longs voyages afin de trouver l’écorce qu’ils préfèrent. Ils abattent parfois des arbres assez gros, en détachent les branches dont l’écorce est le plus de leur goût ; ils les coupent en morceaux d’environ trois pieds de long, les transportent vers l’eau et les font flotter jusqu’à leurs huttes où ils les emmagasinent. Leurs habitations sont propres et commodes ; ils ont soin de jeter après leur repas dans le courant de la rivière, au-delà de l’écluse, les morceaux de bois dont ils ont rongé l’écorce. Jamais ils ne permettent à un castor étranger de venir s’établir auprès d’eux, et souvent ils combattent avec la plus grande violence pour assurer la franchise de leur territoire.

– Tout cela est on ne peut plus curieux, dit la jeune fille.

– Oh ! mais, reprit le trappeur, ce n’est pas tout. Au printemps, qui est la saison de la mue, le mâle laisse la femelle à la maison et va comme un grand seigneur faire un voyage de plaisance, s’éloignant souvent beaucoup, se jouant dans les eaux limpides qu’il rencontre, gravissant les rives pour ronger les tendres tiges des jeunes peupliers ou des saules. Mais quand l’été approche, il abandonne la vie de garçon, et se rappelant ses devoirs de chef de famille, il retourne vers sa compagne et sa nouvelle progéniture, qu’il mène fourrager à la recherche des provisions d’hiver.

– Il faut avouer, observa le général, que cet animal est un des plus intéressants de la création.

– Oui, appuya doña Luz, et je ne comprends pas comment on peut de parti pris lui faire la chasse comme à une bête malfaisante.

– Que voulez-vous, señorita, répondit philosophiquement le trappeur, tous les animaux ont été créés pour l’homme, celui-là surtout dont la fourrure est si précieuse.

– C’est vrai, dit le général, mais, ajouta-t-il, comment faites-vous cette chasse ? Tous les castors ne sont pas aussi confiants que ceux-ci ; il y en a qui cachent leurs huttes avec un soin extrême.

– Oui, répondit l’Élan-Noir, mais l’habitude a donné au trappeur expérimenté un coup d’œil si sûr qu’il découvre au signe le plus léger la piste d’un castor, et la hutte fût-elle cachée par d’épais taillis et par les saules qui l’ombragent, il est rare qu’il ne devine pas le nombre exact de ses habitants. Il pose alors sa trappe, la fixe sur la rive à deux ou trois pouces au-dessous de la surface de l’eau, et l’attache par une chaîne à un pieu fortement enfoncé dans la vase ou dans le sable. Une petite tige est alors dépouillée de son écorce et trempée dans la médecine, c’est ainsi que nous nommons l’appât que nous employons ; cette tige est placée de manière à s’élever de trois ou quatre pouces au-dessus de l’eau, tandis que son extrémité est fixée dans l’ouverture de la trappe. Le castor, qui est doué d’un odorat très subtil, est bientôt attiré par l’odeur de l’appât. Aussitôt qu’il avance le museau pour s’en emparer, son pied se prend dans la trappe ; effrayé, il plonge ; la trappe enchaînée au pied résiste à tous ses efforts ; il lutte quelque temps, puis enfin, à bout de forces, il coule au fond de l’eau et se noie. Voici, señorita, comment se prennent ordinairement les castors. Mais dans les lits de rochers où il n’est pas possible d’enfoncer de pieu pour retenir la trappe, nous sommes souvent obligés de faire de grandes recherches pour retrouver les castors pris, et même de nager à de grandes distances. Il arrive aussi que lorsque plusieurs membres d’une même famille ont été pris, les autres deviennent méfiants. Alors, quelles que soient nos ruses, il est impossible de les faire mordre à l’appât. Ils approchent des trappes avec précaution, détendent le ressort avec un bâton, et même souvent renversent les trappes sens dessus dessous, les entraînent sous leur écluse et les enfouissent dans la vase.

– Alors ? demanda la jeune fille.

– Alors, reprit l’Élan-Noir, dans ce cas-là, nous n’avons plus qu’une chose à faire, mettre nos trappes sur notre dos, nous avouer vaincus par les castors et aller plus loin en chercher d’autres moins aguerris. Mais voici mon rancho.

Les voyageurs arrivaient en ce moment auprès d’une misérable hutte, faite de branches entrelacées, bonne à peine pour garantir des rayons du soleil, et en tout semblable pour l’incurie à toutes celles des autres trappeurs des prairies, qui sont les hommes qui s’occupent le moins des commodités de la vie.

Cependant, telle qu’elle était, l’Élan-Noir en fit gracieusement les honneurs aux étrangers.

Un second trappeur était accroupi devant la hutte, occupé à surveiller la cuisson de la bosse de bison que l’Élan-Noir avait annoncée à ses convives.

Cet homme, dont le costume était en tout semblable à celui de l’Élan-Noir, avait à peu près quarante ans ; mais la fatigue et les misères sans nombre de sa dure profession avaient creusé sur son visage un réseau de rides inextricables qui le faisaient paraître beaucoup plus vieux qu’il n’était en réalité.

En effet, il n’existe pas au monde de métier plus dangereux, plus pénible et moins lucratif que celui de trappeur. Les pauvres gens se voient souvent, soit par les Indiens, soit par les chasseurs, privés de leur gain laborieusement recueilli, scalpés et massacrés sans que l’on s’occupe jamais de savoir ce qu’ils sont devenus.

– Prenez place, señorita, et vous aussi, messieurs, dit gracieusement l’Élan-Noir ; mon foyer si pauvre qu’il soit est cependant assez grand pour vous contenir tous.

Les voyageurs acceptèrent avec empressement, ils mirent pied à terre, et bientôt ils se trouvèrent confortablement étendus sur des lits de feuilles sèches, couverts de peaux d’ours, d’élans et de bisons.

Le repas, véritable repas de chasseurs, fut arrosé de quelques couis – tasses – d’un excellent mescal que le général portait toujours avec lui dans ses expéditions, et que les trappeurs apprécièrent comme il le méritait.

Tandis que doña Luz, le guide et les lanceros faisaient la sieste pendant quelques instants pour laisser tomber la chaleur des rayons du soleil, le général pria l’Élan-Noir de le suivre, et sortit avec lui de la hutte.

 

Dès qu’ils furent à une assez grande distance, le général s’assit au pied d’un ébénier en invitant son compagnon à l’imiter, ce que celui-ci fit immédiatement.

Après un instant de silence, le général prit la parole :

– Mon ami, dit-il, permettez-moi d’abord de vous remercier de votre franche hospitalité. Ce devoir rempli, je désire vous adresser certaines questions.

– Caballero ! répondit évasivement le trappeur, vous savez ce que disent les Peaux-Rouges : entre chaque mot fume ton calumet, afin de bien peser tes paroles.

– Ce que vous me dites est d’un homme sensé, mais soyez tranquille, je n’ai nullement l’intention de vous faire des questions qui auraient trait à votre profession ou à tout autre objet qui vous touche personnellement.

– Si je puis vous répondre, caballero, soyez certain que je n’hésiterai pas à vous satisfaire.

– Merci, mon ami, je n’attendais pas moins de vous ; depuis combien de temps habitez-vous les prairies ?

– Depuis dix ans déjà, monsieur, et Dieu veuille que j’y reste encore autant.

– Cette vie vous plaît donc ?

– Plus que je ne saurais dire. Il faut comme moi l’avoir commencée presque enfant, en avoir subi toutes les épreuves, enduré toutes les souffrances, partagé tous les hasards, pour comprendre les charmes enivrants qu’elle procure, les joies célestes qu’elle donne, et les voluptés inconnues dans lesquelles elle nous plonge ! Oh ! caballero, la ville la plus belle et la plus grande de la vieille Europe est bien petite, bien sale et bien mesquine comparée au désert. Votre vie étriquée, réglée et compassée est bien misérable comparée à la nôtre ! C’est ici seulement que l’homme sent l’air pénétrer facilement dans ses poumons, qu’il vit, qu’il pense. La civilisation le ravale presque au niveau de la brute, ne lui laissant d’instinct que celui nécessaire à poursuivre des intérêts sordides. Tandis que dans la prairie, au milieu du désert, face à face avec Dieu, ses idées s’élargissent, son âme s’agrandit et il devient réellement ce que l’être suprême a voulu le faire, c’est-à-dire le roi de la création.

En prononçant ces paroles, le trappeur s’était en quelque sorte transfiguré, son visage avait pris une expression inspirée, ses yeux lançaient des éclairs, et ses gestes s’étaient empreints de cette noblesse que donne seule la passion.

Le général soupira profondément, une larme furtive coula sur sa moustache grise.

– C’est vrai, dit-il avec tristesse, cette vie a des charmes étranges, pour celui qui l’a goûtée, et qui l’attachent par des liens que rien ne peut rompre. Lorsque vous êtes arrivé dans les prairies, d’où veniez-vous ?

– Je venais de Québec, monsieur, je suis canadien.

– Ah !

Il y eut un silence.

Ce fut le général qui le rompit.

– Parmi vos compagnons, n’avez-vous pas des Mexicains ? dit-il.

– Plusieurs.

– Je désirerais obtenir des renseignements sur eux.

– Un seul homme pourrait vous en donner, monsieur, malheureusement cet homme n’est pas ici en ce moment.

– Et vous le nommez ?

– Le Cœur-Loyal.

– Le Cœur-Loyal, reprit vivement le général, mais il me semble que je connais cet homme ?

– En effet.

– Oh ! mon Dieu, quelle fatalité !

– Peut-être vous sera-t-il plus facile que vous ne le supposez de le rencontrer, si vous avez réellement intérêt à le voir.

– J’ai un intérêt immense !

– Alors, soyez tranquille, bientôt vous le verrez.

– Comment cela ?

– Oh ! d’une manière bien simple, le Cœur-Loyal tend des trappes près de moi, je les surveille en ce moment, mais il ne peut tarder à revenir.

– Dieu vous entende ! dit le général avec agitation.

– Dès qu’il reviendra, je vous avertirai, si d’ici là vous n’avez pas quitté votre camp.

– Vous savez où campe ma troupe ?

– Nous savons tout dans le désert, répondit le trappeur en souriant.

– Je reçois votre promesse.

– Vous avez ma parole, monsieur.

– Merci.

En ce moment doña Luz sortit de la hutte, après avoir fait à l’Élan-Noir un geste pour lui recommander le silence ; le général se hâta de la rejoindre.

Les voyageurs remontèrent à cheval et, après avoir remercié les trappeurs de leur cordiale hospitalité, ils reprirent le chemin du camp.

XVI. Trahison

Le retour fut triste, le général était plongé dans de profondes réflexions causées par son entretien avec le trappeur. Doña Luz songeait à l’avertissement qui lui avait été donné ; le guide intrigué par les deux conversations de l’Élan-Noir avec la jeune fille et le général, avait un secret pressentiment qui lui disait de se tenir sur ses gardes. Seuls, les deux lanceros marchaient insoucieusement, ignorant le drame qui se jouait autour d’eux et ne pensant qu’à une chose, le repos qui les attendait en arrivant au camp.

Le Babillard jetait incessamment des regards inquiets autour de lui, semblant chercher des auxiliaires au milieu des fourrés épais que traversait silencieusement la petite troupe.

Le jour tirait à sa fin, le soleil n’allait pas tarder à disparaître et déjà les hôtes mystérieux de la forêt poussaient par intervalles de sourds rugissements.

– Sommes-nous loin encore ? demanda tout à coup le général.

– Non, répondit le guide, une heure à peine.

– Pressons le pas, alors, je ne veux pas être surpris par la nuit dans ces halliers.

La troupe prit un trot allongé qui, en moins d’une demi-heure, la conduisit aux premières barricades du camp.

Le capitaine Aguilar et le docteur vinrent recevoir les voyageurs à leur arrivée.

Le repas du soir était préparé et attendait depuis longtemps déjà.

On se mit à table.

Mais la tristesse qui depuis quelques heures semblait s’être emparée du général et de sa nièce augmentait au lieu de diminuer. Le repas s’en ressentit, chacun mangea en toute hâte sans échanger une parole. Lorsque l’on eut fini, sous le prétexte des fatigues de la journée, on se sépara pour se livrer ostensiblement au repos, mais en réalité pour être seul et réfléchir aux événements de la journée.

De son côté le guide n’était pas plus à l’aise : une mauvaise conscience, a dit un sage, est le plus chagrinant camarade de nuit que l’on puisse avoir ; le Babillard possédait la pire de toutes les mauvaises consciences, aussi n’avait-il nulle envie de dormir. Il se promenait dans le camp, cherchant en vain dans son esprit bourrelé d’inquiétudes et peut-être de remords un moyen quelconque de sortir du mauvais pas dans lequel il se trouvait. Mais il avait beau mettre son imagination à la torture, rien ne venait calmer ses appréhensions.

Cependant la nuit s’avançait, la lune avait disparu, des ténèbres épaisses planaient sur le camp plongé dans le silence.

Tout le monde dormait ou paraissait dormir, seul le guide qui avait voulu se charger de la première garde veillait assis sur un ballot ; les bras croisés sur la poitrine et le regard fixe, il s’enfonçait de plus en plus dans de sombres rêveries.

Tout à coup une main se posa sur son épaule, et une voix murmura à son oreille ce seul mot :

– Kennedy !

Le guide, avec cette présence d’esprit et ce flegme imperturbable qui n’abandonnent jamais les Indiens et les métis, jeta un regard soupçonneux autour de lui afin de s’assurer qu’il était bien seul, puis il saisit la main qui était restée appuyée sur son épaule et entraîna l’individu qui lui avait parlé et qui le suivit sans résistance dans un endroit écarté où il se crût certain de n’être surveillé par personne.

Au moment où les deux hommes passèrent devant la tente, les rideaux s’entrouvrirent doucement et une ombre glissa silencieuse à leur suite.

Lorsqu’ils furent cachés au milieu des ballots, et placés assez près l’un de l’autre pour parler d’une voix basse comme un souffle :

– Dieu soit loué ! murmura le guide, j’attendais ta visite avec impatience, Kennedy.

– Savais-tu donc que je devais venir ? répondit celui-ci avec défiance.

– Non, mais je l’espérais.

– Il y a du nouveau ?

– Oui, et beaucoup.

– Parle, hâte-toi.

– C’est ce que je vais faire. Tout est perdu.

– Hein ! que veux-tu dire ?

– Ce que je dis, aujourd’hui le général, guidé par moi, est allé…

– Je le sais, je vous ai vus.

– Malédiction ! Pourquoi ne nous as-tu pas attaqués ?

– Nous n’étions que deux.

– J’aurais fait le troisième, la partie eût été égale, puisque le général n’avait que deux lanceros.

– C’est vrai, je n’y ai pas songé.

– Tu as eu tort, tout serait fini à présent, au lieu que tout est probablement perdu.

– Comment cela ?

– Eh ! Carai ! c’est clair, le général et sa nièce ont causé un temps infini avec ce sournois d’Élan-Noir, tu sais qu’il me connaît de longue date, il les aura certainement engagés à se méfier de moi.

– Aussi pourquoi les as-tu conduits à l’étang des castors ?

– Pouvais-je me douter que j’y rencontrerais ce trappeur maudit ?

– Dans notre métier, il faut se méfier de tout.

– Tu as raison, j’ai commis une faute ! Enfin à présent le mal est sans remède, car j’ai le pressentiment que l’Élan-Noir a complètement édifié le général sur mon compte.

– Hum ! En effet, c’est probable, que faire alors ?

– Agir le plus tôt possible, sans leur donner le temps de se mettre sur leurs gardes.

– Je ne demande pas mieux, moi, tu le sais.

– Oui. Où est le capitaine ? Est-il de retour ?

– Il est arrivé ce soir. Tous nos hommes sont cachés dans la grotte, nous sommes quarante.

– Bravo ! Ah ! Pourquoi n’êtes-vous pas venus tous ensemble, au lieu de toi seul, vois, quelle belle occasion vous aviez. Ils dorment comme des loirs. Nous nous serions emparés d’eux en moins de dix minutes.

– Tu as raison, mais on ne peut tout prévoir, du reste ce n’était pas ainsi que l’affaire avait été convenue avec le capitaine.

– C’est juste. Pourquoi viens-tu alors ?

– Pour te prévenir que nous sommes prêts et que nous n’attendons plus que ton signal pour agir.

– Voyons, que faut-il faire ? Conseille-moi.

– Comment diable veux-tu que je te conseille ? Est-ce que je sais ce qui se passe ici, moi, pour te dire comment tu dois t’y prendre ?

Le guide réfléchit un instant, puis il leva la tête et considéra le ciel avec attention.

– Écoute, reprit-il, il n’est encore que deux heures du matin.

– Oui.

– Tu vas retourner à la grotte.

– De suite ?

– Oui.

– C’est bien. Après ?

– Tu diras au capitaine que, s’il le veut, je lui livre la jeune fille cette nuit.

– Hum ! cela me semble difficile.

– Tu es un niais.

– C’est possible ; mais je ne vois pas comment.

– Attends donc. La garde du camp est ainsi distribuée : le jour, les soldats veillent aux retranchements ; mais comme ils ne sont pas habitués à la vie des prairies et que, la nuit, leur secours serait plutôt nuisible qu’utile, les autres guides et moi sommes chargés de la garde, tandis que les soldats se reposent.

– C’est très spirituel, dit Kennedy en riant.

– N’est-ce pas ? fit le Babillard. Ainsi vous monterez à cheval ; arrivés au bas de la colline, six des plus hardis viendront me rejoindre ; avec leur aide, je me charge de garrotter, pendant qu’ils dorment à poings fermés, tous les soldats et le général lui-même.

– Tiens, mais c’est une idée cela.

– Tu trouves ?

– Ma foi oui.

– Très bien. Une fois nos gaillards bien attachés, je siffle et le capitaine arrive avec le reste de la troupe. Alors, ma foi, qu’il s’arrange avec la jeune fille, cela le regarde et je ne m’en mêle plus. Comment trouves-tu cela ?

– Charmant.

– De cette façon, nous évitons l’effusion du sang et les coups dont je ne me soucie guère quand je puis m’en passer.

– Tu es prudent.

– Dame ! mon cher, quand on fait des affaires comme celles-ci, qui, lorsqu’elles réussissent, offrent de gros bénéfices, il faut toujours s’arranger de façon à avoir toutes les chances pour soi.

– Parfaitement raisonné ; du reste, ton idée me plaît infiniment, et je vais, sans plus tarder, la mettre à exécution ; mais d’abord convenons bien de nos faits afin d’éviter les malentendus, qui sont toujours désagréables.

– Très bien.

– Si, comme je le crois, le capitaine trouve ton plan heureux et d’une réussite infaillible, dès que nous serons au pied de la colline, je monterai avec cinq gaillards résolus, que j’aurai soin de choisir moi-même. De quel côté m’introduirai-je dans le camp ?

– Pardieu ! du côté par lequel tu es entré déjà, tu dois le connaître.

 

– Et toi, où seras-tu ?

– À l’entrée même, prêt à vous aider.

– Bien. Maintenant tout est convenu. Tu n’as plus rien à me dire ?

– Rien.

– Je pars alors.

– Oui, le plus tôt sera le mieux.

– Tu as toujours raison. Guide-moi jusqu’à l’endroit par lequel je dois sortir ; il fait si noir que, si j’y vais seul, je suis capable de m’égarer et d’aller donner du pied contre quelque soldat endormi, ce qui ne ferait pas notre affaire.

– Donne-moi la main.

– La voici.

Les deux hommes se levèrent et se mirent en devoir de gagner le lieu par lequel devait sortir l’émissaire du capitaine ; mais, au même moment, une ombre s’interposa entre eux et une voix ferme leur dit :

– Vous êtes des traîtres et vous allez mourir.

Malgré toute leur puissance sur eux-mêmes, les deux hommes restèrent un instant frappés de stupeur.

Sans leur donner le temps de reprendre leur présence d’esprit, la personne, qui avait parlé, déchargea deux pistolets presque à bout portant sur eux.

Les misérables poussèrent un grand cri ; l’un tomba, l’autre, bondissant comme un chat-tigre, escalada les retranchements et disparut avant que l’on pût une seconde fois tirer sur lui.

Au bruit de la double détonation et au cri poussé par les bandits, tout le monde s’était réveillé en sursaut dans le camp ; chacun se précipita aux barricades.

Le général et le capitaine Aguilar arrivèrent les premiers à l’endroit où s’était passée la scène que nous avons rapportée.

Ils trouvèrent doña Luz, deux pistolets fumants à la main, tandis qu’à ses pieds un homme se tordait dans les dernières convulsions de l’agonie.

– Que signifie cela, ma nièce ? que s’est-il passé, au nom du ciel ! Êtes-vous blessée ? demanda le général avec épouvante.

– Rassurez-vous, mon oncle, je ne suis pas blessée, répondit la jeune fille, seulement j’ai puni un traître. Deux misérables complotaient dans l’ombre contre notre sûreté commune, l’un s’est échappé, mais je crois que celui-ci est bien malade.

Le général se pencha vivement sur le moribond. À la lueur de la torche qu’il portait à la main, il reconnut Kennedy, ce guide que le Babillard prétendait avoir été brûlé vif, lors de l’incendie de la prairie.

– Oh ! oh ! fit-il, qu’est-ce que cela veut dire ?

– Cela veut dire, mon oncle, répondit la jeune fille, que, si Dieu ne m’était pas venu en aide, nous aurions été, cette nuit même, surpris par une troupe de bandits embusqués à peu de distance d’ici.

– Ne perdons pas de temps alors.

Et le général, aidé par le capitaine Aguilar, se hâta de tout préparer pour faire une vigoureuse résistance au cas où on tenterait une attaque.

Le Babillard avait fui, mais une large traînée de sang montrait qu’il était gravement blessé. S’il avait fait jour, on aurait tenté de le poursuivre, et peut-être aurait-on réussi à l’atteindre ; mais, au milieu des ténèbres, ignorant si des ennemis n’étaient pas embusqués aux environs, le général ne voulut pas que ses soldats se risquassent hors du camp. Il préféra laisser au misérable cette chance de salut.

Quant à Kennedy, il était mort.

Le premier moment d’effervescence passé, doña Luz, qui n’était plus soutenue par le danger de la situation, sentit qu’elle était femme. Son énergie disparut, ses yeux se voilèrent, un tremblement convulsif agita tout son corps ; elle s’affaissa sur elle-même, et elle serait tombée, si le docteur ne l’avait pas reçue dans ses bras.

Il la porta à moitié évanouie sous la tente et lui prodigua tous les soins que réclamait son état.

La jeune fille revint peu à peu à elle, le calme rentra dans son esprit et l’ordre se rétablit dans ses idées.

Se souvenant alors des recommandations que le jour même l’Élan-Noir lui avait faites, elle pensa que le moment était venu de réclamer l’exécution de sa promesse et fit signe au docteur de s’approcher.

– Cher docteur, lui dit-elle d’une voix douce, voulez-vous me rendre un grand service ?

– Disposez de moi, señorita.

– Connaissez-vous un trappeur nommé l’Élan-Noir ?

– Oui, il a sa hutte près d’ici aux environs d’un étang de castors.

– C’est cela même, mon bon docteur, eh bien ! il faut, dès qu’il fera jour, que vous alliez le trouver de ma part.

– À quoi bon, señorita ?

– Je vous en prie ! dit-elle d’une voix câline.

– Oh ! alors, vous pouvez être tranquille, j’irai, répondit-il.

– Que lui dirai-je ?

– Vous lui rendrez compte de ce qui s’est passé ici cette nuit.

– Parbleu !

– Et puis vous ajouterez, retenez bien ces paroles qu’il faudra lui redire textuellement.

– J’écoute de toutes mes oreilles, je les graverai dans ma mémoire.

– L’Élan-Noir, l’heure sonne. Vous avez bien compris, n’est-ce pas ?

– Parfaitement, señorita.

– Vous jurez de faire ce que je vous demande ?

– Je vous le jure, dit-il d’une voix grave, au lever du soleil j’irai trouver le trappeur, je lui rendrai compte des événements de la nuit et j’ajouterai : l’Élan-Noir, l’heure sonne. Est-ce tout ce que vous désirez de moi ?

– Tout, oui, mon bon docteur.

– Eh bien ! reposez sans inquiétude, señorita, je vous jure sur l’honneur que cela sera fait.

– Merci, murmura la jeune fille, avec un doux sourire en lui serrant la main.

Et, brisée par les émotions terribles de la nuit, elle retomba sur son lit où elle s’endormit bientôt d’un sommeil tranquille et réparateur.

Au point du jour, malgré les observations du général qui voulut en vain l’empêcher de partir en lui représentant les dangers auxquels il allait s’exposer de gaieté de cœur, le digne savant qui avait hoché la tête à tout ce que son ami lui avait dit, s’obstinant sans vouloir donner de raisons, dans son projet de sortie, quittait le camp et descendait la colline au grand trot.

Puis une fois arrivé dans la forêt, il piqua des deux et se dirigea au galop vers la hutte de l’Élan-Noir.