Za darmo

Les terres d'or

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

CHAPITRE XIII. JUSTICE DE DIEU; JUSTICE DES HOMMES

Mistress Wyman était dans la plus grande consternation. Depuis un grand jour et une nuit entière son mari n’avait pas reparu. – Alice n’avait pas reparu. – Allen n’avait pas reparu!



Ajoutons que, pendant l’orage, la bonne dame avait été dans des transes atroces; car elle craignait particulièrement le tonnerre, les éclairs, le vent, la pluie, et tout ce qui ressemblait à un orage. De telle façon, qu’aux premiers indices de tempête, elle s’était empressée de fermer à double tour, portes, volets et fenêtres, et de baisser tous les rideaux. La maison, alors, se trouvait à l’état de chambre obscure au grand complet; mais le résultat obtenu n’était guère en rapport avec cette laborieuse préparation: en effet, le plus petit éclair brillait d’une façon fulgurante dans cette ombre factice additionné des obscurités extérieures; chaque porte, serrée sur ses gonds, répondait comme une grosse caisse aux détonations de la foudre; en un mot, l’arrangement lugubre de toute la maison était fait pour tripler les frayeurs de la tremblante ménagère.



Par une coïncidence malheureuse, la fureur de l’ouragan se porta surtout au village de Fairview; les éclats du tonnerre s’y multipliaient avec le fracas d’une canonnade furieuse; le feu du ciel tomba même sur la maison du shériff et l’embrasa tout entière.



Au craquement affreux qui se produisit alors, mistress Wyman tomba la face dans un oreiller et y demeura à moitié morte de terreur, le nez dans la plume, les mains sur les oreilles, jusqu’à ce qu’un nouvel éclat faisant trembler tout son logement, l’obligeât à quitter cette position asphyxiante et à s’envelopper dans un grand rideau.



Réellement, la pauvre mistress Wyman passa une nuit bien malheureuse! Se coucher! dormir!… impossible d’y songer! – Encore si elle avait eu auprès d’elle, Alice, pour partager ses terreurs!… mais non! personne! – Alors l’imagination de la brave dame partit pour les régions fantastiques, et Dieu sait quelles hallucinations la tourmentèrent pendant qu’elle trottinait de long en large dans sa chambre.



… Silas était mort!… sans doute! ou, tué par la foudre, ou noyé par la pluie, ou poignardé par les bandits qui ne sortent qu’en de pareils moments! – Et Alice!… noyée, brûlée, massacrée, enlevée!… Mais… comment savoir?… peut-être Silas se serait enfui avec elle!… horreur! il serait devenu ravisseur et infidèle!… fuite dans les bois! duel avec Allen! Ka-Shaw, un poignard d’une main, le poison de l’autre! Mallet à cheval, armé de fusils! Indiens! Sauvages! voleurs! vampires! revenants! Newcome assassin! Edwards fusillé! visions! tombeaux! vallée de Josaphat! jugement dernier! trompette des Anges de la mort! bouleversements suprêmes! fin du monde!! Tous les fantômes, toutes les terreurs vinrent exécuter une danse macabre autour de la pauvre mistress Wyman, pendant que l’orage accompagnait ces rondes infernales de son orchestre foudroyant.



Elle suivait mentalement une procession de squelettes portant en guise de cierges leurs doigts allumés, lorsqu’on frappa à sa porte en l’appelant par son nom. Elle courut ouvrir la porte, persuadée que ce visiteur inattendu était, pour le moins, un des quatre anges de l’Apocalypse: c’était Allen! la réaction fut aussi prompte qu’heureuse.



– Bonjour mistress Wyman, lui dit-il d’un air riant! vous n’êtes pas matinale aujourd’hui? ah! j’y songe; l’orage vous aura empêchée de dormir?



– Oui; c’est que… précisément… j’ai été bien tourmentée. Je suis bien heureuse de vous voir M. Allen, car j’étais dans une inquiétude mortelle. Mon mari?… en avez-vous quelques nouvelles? Alice?… qu’est-elle devenue?… voici près de vingt-quatre heures que je n’ai vu personne.



– Rassurez-vous, ma bonne mistress Wyman; tout est pour le mieux. J’ai laissé votre mari en parfaite santé; il en est de même pour Alice, quoiqu’elle ait eu à supporter cet affreux orage qui l’a transpercée jusqu’aux os.



– Oh Seigneur! racontez-moi donc cela.



Allen lui fit un récit rapide de tous les événements accomplis dans cette nuit mémorable, et termina en la priant d’aller rejoindre miss Newcome avec des vêtements secs.



– Oh! la pauvrette! j’y cours! j’y vole! – Et Silas est-il revenu avec son wagon?



– Il court après lui, mistress Wyman; mais une autre voiture nous attend pour nous transporter au claim, et en ramener Alice.



Cinq minutes après la bonne dame s’embarquait avec une profusion d’habits et de linges, et Allen la conduisait au grand galop vers le claim.



Mistress Wyman trouva la jeune fille encore endormie, elle la réveilla en l’embrassant tendrement: Alice la reçut avec un joyeux sourire.



– Non! répondit-elle à ses questions inquiètes, je ne me ressens en aucune façon des fatigues d’hier; j’ai si bien dormi: j’ai fait un si beau rêve!



– Vous allez me dire cela en vous habillant.



– Bien volontiers. J’ai revu mon père, en dormant: il s’était réconcilié avec moi. Nous étions revenus vivre dans cette maison; mais tout y était brillant et confortable. Nous étions heureux. Mon père me recommandait la sagesse et l’obéissance: il a posé ses mains sur ma tête, par un mouvement plein de bonté, et m’a dit avec un sourire affectueux: «Sois toujours douce, bonne et sage, ma fille! sois toujours soumise!» Puis mon rêve a disparu: n’est-ce pas qu’il est beau?



– Oui, ma petite; répondit mistress Wyman en l’aidant à sa toilette; il y a de quoi réjouir vraiment! je pense que c’est un heureux présage. Ah! maintenant que vous avez fini, allons rejoindre M. Allen. Nous prendrons une goutte du bon café que j’ai apporté tout chaud; nous partirons ensuite.



– Allons! dit Alice avec un bond de joie.



Et, légère comme une gazelle, elle courut dans la pièce voisine où Allen était resté.



– Bonjour! bonjour! M. Allen, lui dit-elle avec une folâtrerie d’enfant; voyez-vous comme je suis courageuse? il ne me reste plus aucune mémoire de nos fatigues d’hier; plus rien! ah! c’est que j’ai si bien dormi! j’ai fait un si beau rêve! N’est-ce pas, maman Wyman.



– Oui, chère enfant, oui c’est bon signe, à mon avis. Figurez-vous, M. Allen, qu’elle a rêvé de son père; il avait l’air réconcilié avec elle. C’est ce qui la rend si heureuse. Moi, j’espère que ça deviendra une réalité.



Allen ne put dissimuler un subit tressaillement:



– Je le crois aussi… dit-il avec une hésitation chagrine; dans le royaume des Esprits, les âmes doivent penser autrement et mieux que sur cette terre.



– Que voulez-vous dire?… que signifie votre tristesse?… demandèrent les deux femmes en pâlissant.



– M. Newcome n’est plus de ce monde: répliqua Allen d’une voix grave.



– Ah! mon père! pauvre père! s’écria la jeune fille, étouffant ses sanglots. Parlez! M. Allen, poursuivit-elle en se raidissant contre la douleur; dites-moi tout…!



– Dieu lui a envoyé un messager de mort, dit le jeune homme; la foudre a frappé la maison du shériff, dans laquelle M. Newcome était prisonnier. Le shériff et sa famille n’ont pu qu’à grand’peine s’échapper du milieu des flammes, car, à l’instant même, tout l’édifice a été embrasé. – J’arrivais à ce moment; au milieu de la confusion et des bouleversements occasionnés par la tempête il a été impossible de savoir ce qui s’est passé: mon opinion est que le prisonnier a été frappé et comme anéanti par le fluide électrique. Le premier choc passé, j’ai fait tous mes efforts pour pénétrer dans la maison en flammes et sauver le prisonnier. L’incendie n’avait pas encore atteint la porte de la chambre, j’ai cherché à l’ébranler pour l’ouvrir, en appelant M. Newcome à mon aide: aucune réponse ne s’est fait entendre; il y avait dans cette pièce un silence de mort. A ce moment, les planchers se sont effondrés et la maison n’était plus qu’un monceau de ruines; tout espoir a disparu, le sinistre était accompli.



Alice ne pût prononcer un mot; elle ferma les yeux et se jeta dans les bras de mistress Wyman.



– Partons, dit l’excellente femme; quittons ce lieu de lugubre mémoire, j’ai hâte de voir l’orpheline sous un toit ami où nous lui remplacerons sa famille perdue.



Et elle l’emporta comme un enfant jusqu’à la voiture qui partit aussitôt, conduite par Allen.



Arrivés à la porte du constable, nos voyageurs aperçurent sur la place publique une foule tumultueuse: après avoir déposé les deux femmes dans la maison, Allen courut s’informer de l’aventure nouvelle, présagée par ce rassemblement.



Aux premiers pas qu’il fit dans les groupes quelqu’un l’appela; il se trouva en face de son ami Flag.



– Ah! ah! cria ce dernier avec animation, nous avons pincé votre homme, et deux autres avec!



– Quel homme…?



– Eh! parbleu! notre ex-camarade Ed, ou plutôt Joë Carnes. Je l’ai empoigné la nuit dernière d’une belle façon! Venez un peu le voir, pendant que je vous raconterai cette mémorable aventure.



Allen le suivit avec force compliments, et écouta curieusement le récit de Flag.



– Il m’a fallu dire aux géomètres de ma société que ce Carnes était l’assassin présumé du pauvre Doc, continua Flag après avoir terminé son histoire; sans cela ils n’auraient pas voulu m’aider à cette capture. Maintenant cela pourrait bien tourner à quelque désagrément: je soupçonne la foule d’avoir le projet de lyncher ces hommes séance tenante: on se propose de vous interpeller sur ce que vous pouvez savoir. Entendez donc, quel bruit ils font!



Allen fit le tour du chariot dans lequel étaient les prisonniers: ses yeux se croisèrent avec ceux de Carnes qui lui lança un regard audacieux tout plein de haine. Désirant éviter toute conversation avec ce bandit, le jeune homme prit place au milieu des groupes et se mit à répondre aux questions qui pleuvaient sur lui de toutes parts.



– Vous dites que cet homme a tué le docteur Edwards? demanda une sorte d’orateur qui pérorait depuis longtemps à perte d’haleine.

 



– C’est mon opinion, répondit Allen.



A ce moment s’éleva autour de lui un concert d’apostrophes et d’interrogations:



– Mais, vous avez été passablement dur pour Newcome!



– Comment ce garçon-là s’est-il trouvé parmi les meurtriers d’Edwards?



– Saviez-vous quelque chose contre Carnes lorsque vous vous êtes interposé entre Newcome et les Lynchers?



– Oui! oui! c’est un voleur de chevaux! il n’y a pas de coquins pareils! C’est du gibier de potence.



– Qu’Allen s’explique, et dès que la chose sera éclaircie, nous trouverons un arbre et une corde; ça évitera un dérangement à la justice. Il faut un exemple pour épouvanter toute cette canaille!



– Ah! écoutons donc toute l’histoire!



– Newcome est mort en prison; s’il est innocent il faut le venger!



– C’est ce que je me tue à dire: c’est bien le moins qu’on lui accorde ce dédommagement!



– Le plus sûr est toujours de pendre ces coquins-là: au moins ils ne reviennent plus!



– Ça n’empêche pas d’écouter l’accusation: il faut bien savoir pourquoi nous les pendrons.



– Bah! si Allen ne veut pas parler, nous les pendrons tout de même; il y a de quoi!



– Rien qu’à les voir on juge de ce qu’ils sont.



– A la corde! tous trois; à la corde! il n’y a rien de meilleur!



Puis, mille autres propos semblables se croisèrent, le tumulte augmenta, et les cris: «Un speech! un speech! Allen! des preuves! Allen en avant!» se firent entendre avec une telle force que le jeune homme se rendit aux désirs de la foule.



Il monta sur un tronc d’arbre renversé, et, de cette tribune improvisée, il raconta tout ce qu’il savait; en même temps il énonça tous ses soupçons.



Il ne fut que trop éloquent et persuasif, car avant qu’il eût fini son discours des cris forcenés l’interrompirent:



– Assez! assez! à la corde, le scélérat! il l’a bien mérité; à la corde!



– Non, mes amis! s’écria Allen; ce que vous faites là est illégal et injuste: si je l’avais pu prévoir, je ne vous aurais rien dit. Croyez-moi; remettons ces gens-là aux mains de la justice et du jury.



– Nous sommes un jury suffisant, nous!



– J’aperçois parmi vous, reprit Allen, plusieurs personnes qui, l’autre jour, voulaient pendre Newcome: ne sont-elles pas bien aises aujourd’hui de l’avoir épargné? Je dois le croire, car je veux bien supposer que vous ne faites pas vos délices du métier de bourreau. D’ailleurs, dans l’intérêt du malheureux Newcome, il faut qu’on instruise régulièrement le procès de ces accusés; par ce moyen, sera réhabilitée la mémoire d’un innocent.



– Mais il est impossible de trouver des charges plus fortes, fit une voix impatiente.



– Je vous demande pardon; il n’y a aucune certitude, car personne N’A VU cet homme commettre le crime!



– Je l’ai vu, moi! s’écria Jim, l’un des prisonniers.



Ces paroles produisirent un effet électrique; personne ne dit mot pendant près d’une minute.



Tout à coup le tumulte recommença plus fort qu’auparavant; on se porta vers le chariot pour voir et entendre ce nouveau témoin à charge: on lui ordonna de parler.



Le hardi coquin ne se fit pas prier, car il espérait ainsi améliorer sa propre cause, en détournant l’attention sur l’autre.



– A l’époque du coup de feu, dit-il, Carnes n’était pas encore le chef de notre bande, il venait d’y être admis récemment. Le jour du meurtre j’avais un rendez-vous avec lui pour préparer une affaire superbe: j’arrivai un peu avant l’heure, et je me couchai, pour me reposer, dans un bosquet où l’on ne pouvait m’apercevoir. Bientôt, je vis Carnes s’approcher en se glissant d’arbre en arbre; il guettait deux jeunes gens qui traversaient la clairière; quand ils ont été à bonne portée, il a fait feu, l’un d’eux est tombé. Joë a aussitôt rechargé son fusil et je l’ai rejoint, mais sans lui dire ce que j’avais vu… il en aurait su autant que moi… Nous nous sommes ensuite cachés dans un ravin jusqu’à ce que Newcome ait été pris; puis, nous sommes allés sur les bords de la Platte, afin de vendre des poneys raflés chez les Indiens Kansas.



Personne n’écouta ce récit avec plus d’attention que Flag et Allen, car il jetait une vive lumière sur leurs soupçons: ils trouvaient la pleine confirmation d’un fait resté jusque-là mystérieux.



– N’avez-vous pas vu Newcome? demanda-t-on.



– Oui, j’étais à moitié chemin entre lui et Carnes. Je regardais attentivement ce dernier, et, tout d’abord j’ai pensé qu’il en voulait à Newcome: ce vieux bonhomme cheminait lentement, son fusil sur l’épaule, secouant la tête d’un air mécontent, et grommelant des mots que je n’ai pu comprendre. Il tournait le dos aux jeunes gens lorsque Carnes a lâché son coup de feu: sur-le-champ Newcome a saisi son fusil pour se mettre en état de défense; à ce moment son arme est partie accidentellement, sans atteindre personne. Sans doute Carnes a eu connaissance de toutes les suites de cette affaire, car il m’a dit plus tard que Newcome avait été arrêté à la suite d’une querelle avec le docteur Edwards. Voilà tout ce que je sais.



– Cela est bien suffisant, observa Allen; mais pourquoi avez-vous souffert qu’un innocent fût arrêté et presque condamné?



– Ah, ma foi! ça ne me regardait pas, reprit froidement le bandit; chacun pour soi, le diable pour tous! D’ailleurs, je ne pouvais dénoncer mon camarade.



Les grognements de la foule recommencèrent avec plus de force que jamais; on eût dit les rugissements d’une Hydre à mille têtes. Quelques citoyens, amis de l’ordre et de la légalité, après de vains efforts pour apaiser cette effervescence, se retirèrent pour rentrer chez eux. Allen, aussi, voyant que les choses prenaient mauvaise tournure, et ne voulant pas être témoin des sanglantes opérations du Juge Lynch, se hâta de quitter le rassemblement et courut se barricader dans son bureau.



Livrée à ses instincts farouches, la foule organisa régulièrement son œuvre de mort; bientôt, au milieu des cris les plus désordonnés, retentirent ces exclamations impératives:



– Qu’on amène un barbier pour les raser!



– A-t-on apporté une corde?



– Oui! mais on craint qu’elle ne soit pas assez forte!



– Qu’on n’oublie pas les pioches pour creuser leurs fosses!



Le spectacle devint hideux et horrible; toutes ces têtes grimaçantes, échevelées, respirant la colère, composaient un pandemonium féroce: les uns frappaient l’un contre l’autre leurs poings serrés; les autres, pâles d’une ivresse furieuse, roulaient des yeux hagards et étincelants; d’autres, plus dangereux, ne disaient rien, mais travaillaient aux funèbres préparatifs avec une telle énergie qu’ils en étaient tout ruisselants de sueur.



Le lieu choisi pour l’exécution fut la place publique du village; on installa la potence juste en face des ruines de la maison du shériff; on planta le poteau auquel les patients devaient être liés lorsqu’on les fouetterait.



Le char contenant les trois criminels fut traîné à bras jusqu’au milieu de la place; là on les fit descendre, on les livra au barbier pour être rasés, et on les rangea en ligne, les pieds dans une flaque d’eau, sans miséricorde.



Les deux compagnons de Carnes faisaient assez bonne contenance, quoique leur mine fût piteuse: mais Joë paraissait fort abattu et tremblait de tous ses membres; lorsqu’il vit approcher le moment fatal, il ne put retenir ses pleurs, et se mit à sanglotter convulsivement.



Ces marques de faiblesse touchèrent quelques âmes sensibles, mais ce fut le très-petit nombre; la foula accabla le misérable de ses huées; les deux autres bandits, eux-mêmes, l’apostrophèrent avec mépris.



L’opération du barbier finie, on retira leurs vestes aux condamnés, pour les laisser en manches de chemise. Pour ôter la manche où était le bras cassé de Joë, il fallut couper l’étoffe et le vêtement se trouva ainsi fort détérioré.



– Il n’y a pas de mal! cria un des assistants; ce paletot ne lui servira plus!



Carnes se laissa tomber par terre et se répandit en lamentations désespérées.



– Lâche! lui dit Jim; je te fouetterai moi-même!



– Hurrah! bien parlé! cria la foule: ce garçon-là mérite un verre de gin.



– Oui, il faut qu’il se réchauffe un peu avant que son tour arrive!



– Gentlemen! répondit modestement Jim, je n’ai pas parlé ainsi par amour-propre; j’ai simplement dit ce que je pensais.



Carnes fut lié au poteau, le fouet fut remis à Jim, avec injonction de lui administrer quarante-neuf coups, frappés fort, à raison de deux par seconde.



Alors commença une scène épouvantable; cris de douleur, hurlements, blasphèmes, menaces, railleries féroces, grognements de la foule se succédèrent comme une pluie d’orage; ce fut une seconde édition de la tempête.



Carnes fut retiré du poteau, sanglant, évanoui, inerte: à sa place on mit son autre compagnon, Jim conservant ses fonctions temporaires de bourreau.



Le nouveau patient était un jeune homme d’assez bonne tournure, dont le visage décomposé attestait les profondes angoisses: néanmoins il gardait une contenance ferme.



Quelques voix opinèrent pour la clémence:



– Gentlemen, dit Jim qui se donnait de l’importance, les sentiments bienveillants que vous manifestez sont parfaitement justes et honorables. Voici un pauvre innocent, – et il caressa de son fouet les épaules du malheureux. – Voici un jeune homme inexpérimenté que Carnes est allé débaucher,… enlever à sa vieille mère, sur les bords les plus lointains du Missouri; je ne pourrais l’accuser d’une mauvaise action:… il ne mérite donc pas le dernier supplice. J’ose dire que vous ferez bonne justice en le renvoyant à ses affaires: il a réfléchi, je vous l’assure, et vous ne le rattraperez plus à se mêler de ce qui ne le regarde pas. Voilà mon opinion sur lui, elle est raisonnable, vous pouvez me croire.



Lorsque maître Jim eût fini son speech, l’assemblée entra en délibération; pendant sa durée, le patient adressait à la foule des regards suppliants qui auraient attendri des rochers, et qui cherchaient à lire sur tous ces visages exaltés une lueur d’espérance. Après quelques moments d’attente il ne se trouva personne qui eût le courage de commander la fustigation; il obtint la sympathie générale et fut mis en liberté avec injonction de disparaître au plus vite et de ne jamais remettre le pied sur le territoire de Nebraska.



Cet acte de clémence attendrit prodigieusement l’honnête Jim; il versa un pleur ou deux en regardant partir l’adolescent qui détalait de toute la vitesse de ses jambes. Peut-être cette sensibilité s’appliquait un peu à lui-même: néanmoins il tint bon et ne demanda pas grâce.



Du reste, l’équitable assemblée ne faillit point à ses principes en matière de justice distributive. Trente coups de fouet, généreusement appliqués, furent comptés sur les épaules de Jim. Disons à sa gloire qu’il les reçut avec une impassibilité digne d’une meilleure cause: quelques mauvaises langues prétendirent que son sang-froid tenait à une grande habitude de pareilles aventures.



Quoiqu’il en soit, on lui intima l’ordre de vider les lieux sans aucun retard, et on lui fit la promesse solennelle de le pendre s’il reparaissait dans le pays.



Tout en reprenant philosophiquement ses habits, il fit ses adieux à la foule; mais pour cela il s’était prudemment éloigné de quelques pas.



– Gentlemen, dit-il, je vous exprime ma reconnaissance, vous m’avez traité encore mieux que je ne le méritais; car j’ai volé dans ce pays-ci plus de chevaux que vous ne pourriez en élever en cinq ans. En signe d’amitié je vais vous apprendre où nous avons caché le bel alezan du squire Allen. Il est attaché à un arbre, dans le fourré, derrière le claim du moulin; j’imagine qu’il ne sera pas fâché de recevoir une mesure de grain.



Ce dernier avis donné, Jim fit un salut dans le genre noble, s’enfuit diligemment vers la rivière et s’y jeta à la nage.



La foule reporta alors son attention sur Carnes qui avait repris connaissance. Quelques motions furent hasardées, tendant à le remettre aux mains de la justice: mais le plus grand nombre rejeta cet adoucissement, et opina pour une exécution sommaire. Qu’était-il besoin de prendre tant de ménagements avec un coquin pareil? les voies les plus expéditives seraient les meilleures!



L’exaltation féroce de la multitude se ralluma; les propos pacifiques ne servirent qu’à l’attiser; on eût dit de l’huile sur le feu.



Pourtant, quelques citoyens honnêtes firent de vigoureuses représentations:



– C’est une honte! disait un médecin qui s’était introduit jusqu’au premier rang; oui, une honte de maltr