Za darmo

Les terres d'or

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CHAPITRE XI. L’HISTOIRE D’UNE NUIT

Deux mois s’étaient écoulés, Alice était toujours chez les époux Wyman. Sa convalescence avait été longue et chancelante; le médecin l’avait déclaré incapable de supporter la vie de pension. Néanmoins les projets de Mallet n’avaient nullement changé; et, sous prétexte de lui faire un trousseau, il transformait journellement le parloir de mistress Wyman en un bazar encombré d’étoffes, de soieries et de somptueux colifichets destinés à la toilette.

Mais la jeune fille était loin d’accorder à ces charmants objets l’attention joyeuse qu’ils semblaient mériter. Aux interjections admiratives mistress de Wyman elle ne répondait que par un triste sourire de complaisance: sa jeunesse et sa gaité semblaient s’être évanouies ensemble.

Un jour elle annonça à mistress Wyman son désir d’aller visiter l’ancienne demeure paternelle, au Claim; et sur l’offre faite par la bonne femme de l’y accompagner, elle manifesta l’intention formelle de s’y rendre seule.

Ce ne fut pas sans l’accabler de mille recommandations que l’excellente femme la laissa partir; mais il fallut en revanche promettre un très-prompt retour.

Lorsque, après avoir gagné le bord de la rivière, elle se trouva au milieu de la solitude solennelle de la prairie, ces mille pensées tumultueuses assaillirent son esprit: le souvenir du jour terrible, – de la scène sanglante – dont le théâtre était sous ses yeux; le souvenir des événements sombres qui s’étaient succédés depuis lors; le souvenir aimé et redouté à la fois de celui qui s’était montré son seul, vrai, loyal ami; et toute une légion de rêveries amères, anxieuses, désolées, vinrent tourbillonner dans sa tête, l’enveloppant, l’inondant comme un brouillard par une journée sans soleil.

Elle marchait ainsi, le long des flots murmurants, sans voir un canot qui se glissait sous les ronces du rivage, sans s’apercevoir que des yeux étincelants suivaient ses pas.

Tout à coup une ombre, descendant de la colline, s’approcha d’elle, une voix bien connue la fit tressaillir en prononçant son nom.

– Quel bon génie vous amène dans ces parages, chère Alice? demanda Allen.

Alice éprouva une commotion mêlée de joie et de douleur:

– Je vais revoir encore une fois la maison, répondit-elle d’une voix tremblante.

– Vous êtes encore si faible! je vous vois chanceler! Mais aussi vous commettez une imprudence en venant seule par ici. Songez donc que ces déserts sont infestés de bandits qui seraient fort dangereux pour vous. Tenez, justement, je cherche vainement mon cheval depuis ce matin; il a disparu d’une façon inexplicable: je soupçonne la présence de quelques effrontés malfaiteurs. Marchons ensemble, et causons de bonne amitié; ces bosquets verts, cette prairie en fleur, seront pour nous un paradis terrestre.

Alice ne pouvait refuser; et tous deux accomplirent le pèlerinage qu’elle projetait, babillant, rêvant tout éveillés, oublieux du passé et de l’avenir.

Les heures passèrent rapides et heureuses, il fallut l’ombre naissante pour les faire songer au retour.

Lorsqu’ils furent en vue du sentier bordant le fleuve, Alice poussa un cri:

– Oh! j’aperçois un homme qui marche furtivement dans le bois!

– Où donc?

– Dans le ravin qui descend à la rivière; voyez-vous?

– Ah oui! mais n’ayez aucune frayeur, il ne peut nous découvrir à travers les feuillages. Mais… Grand Dieu! poursuivit le jeune homme après quelques instants d’examen; je connais cet homme, Alice! c’est celui qui devrait être à la place de votre père.

Une émotion terrible s’empara d’Allen; son front se couvrit de gouttes de sueur.

– Vous sentez-vous capable d’un acte de bravoure, chère amie? Voulez-vous m’aider à m’emparer de ce bandit? Oh! ne me regardez pas avec ces yeux effrayés! Vous ne courrez aucun risque: je mourrais plutôt que de hasarder un seul de vos cheveux.

– Mais vous? murmura-t-elle; seul et sans armes?

– Je saurai bien en venir à bout, soyez tranquille. Le voilà qui arrive par ici, dit Allen en suivant de l’œil les allures de l’ennemi: s’il me voit il sera troublé et battra en retraite; si, au contraire, il n’aperçoit que vous, rien ne l’inquiètera. Et maintenant, chérie, si vous pouvez prendre sur vous d’affronter cette aventure, votre père est sauvé. Voulez-vous?

Alice fit un léger signe de consentement; le temps pressait; Allen ne put que lui presser la main en forme d’encouragement, puis il se cacha dans un gros tronc d’arbre creux.

La jeune fille se mit à marcher tout doucement, tournant le dos à Ed (car c’était lui), et feignant de se diriger vers la cabane de son père.

Le rôdeur ne tarda pas à apercevoir le blanc vêtement d’Alice qui flottait au gré du vent.

– Oh! oh! dit-il; le jeune oiseau vient voltiger près du nid, pendant que le vieux est en cage. Ce sera peut-être une médiocre récréation pour elle et pour moi de nous rencontrer. Mais, que diable vient-elle faire par ici? et moi aussi donc, qui m’a poussé par là? C’est bizarre… Quoi qu’il en soit, elle est furieusement jolie pour la fille d’un assassin. Oh! oh! oh! c’est bizarre!

Et il fit entendre un ricanement sinistre. A ce moment il était précisément en face de la cachette d’Allen: et il s’arrêta quelques instants, irrésolu et près de retourner sur ses pas.

– Eh mais! il faut se méfier… reprit-il; Squire pourrait bien être à la recherche de son cheval, aujourd’hui. Je ne sais pas s’il prend en bonne part ce genre de plaisanterie? Tiens, voilà encore la petite Newcome… Bah! je vais la rejoindre et faire avec elle un petit bout de conversation; elle ne me reconnaîtra pas.

– Mais je te reconnais, moi! s’écria une voix forte à ses oreilles.

En même temps les mains vigoureuses d’Allen le serraient comme dans un étau et le contenaient dans une invincible étreinte, malgré sa furieuse défense. Dans la lutte, tous deux roulèrent par terre, mais Allen sut garder l’avantage et réussit à lui arracher ses armes.

Cependant, Ed, – ou pour lui donner son vrai nom, Joë Carnes, le fameux voleur de chevaux, – se débattait avec une violence désespérée, et si Allen n’eût été d’une force bien supérieure, l’issue du combat aurait été douteuse.

– Aidez-moi, Alice! s’écria-t-il haletant; par ici! roulez ce lien autour de ses bras: bon! serrez fort! plus fort encore! un bon nœud maintenant! Employez toutes vos forces!

La jeune fille obéit avec l’énergie que lui inspirait le sentiment du danger; l’ardeur de ses propres efforts augmentait sa vigueur; ses petites mains ne tremblèrent plus, elle réussit à lier fortement le prisonnier.

Ce dernier, en se voyant vaincu, changea de visage: l’expression de rage et de férocité empreinte sur ses traits disparut pour faire place à un air sarcastique.

– Il est rare pour un homme d’avoir un tel honneur! dit-il; certes, c’est beau d’être fait prisonnier par une jolie fille! Squire, je vous dois beaucoup… et un de ces jours, nous réglerons notre compte ensemble! Mais envers vous, miss Newcome, je ne pourrai jamais m’acquitter convenablement!

– Combien j’ai à vous remercier, courageuse amie, lui dit Allen en se relevant; mais je crains d’avoir abusé de votre dévouement, car vous me semblez vraiment épuisée de crainte et d’horreur. Cependant, il faut en finir avec cet homme: je vous propose de rester encore quelques instants à le garder ici, pendant que je cours chercher le constable.

– Oh! pour l’amour de Dieu! ne me laissez pas seule! s’écria Alice avec terreur.

– Réellement, je crois que c’est le meilleur parti: voici la nuit qui approche, il faut se hâter. Je franchirai plus vite que vous ne pourriez le faire la distance qui nous sépare du village, je serai promptement de retour. Pendant mon absence, vous n’avez rien à craindre, cet homme est lié de façon à ne pouvoir se détacher.

– Mais s’il avait des camarades cachés dans les environs.

– Je ne le pense pas: ils seraient déjà là. A tout hasard, prenez ce couteau et ces pistolets, ils sont chargés et vous savez en faire usage s’il le fallait. Voyons! voulez-vous?

– Je resterai, dit Alice sans pouvoir réprimer un frisson.

– Bien! merci! courageuse enfant! Soyez sans inquiétude; dans quelques instants je serai là. Et vous, prenez-garde, ajouta-t-il en s’adressant à Carnes; au premier mouvement, miss Newcome a l’ordre – oui l’ordre – de faire feu sur vous.

Et Allen partit eu courant.

– Ce sera vraiment un bonheur de mourir d’une aussi jolie main, grommela le prisonnier, lorsque son adversaire fut à distance. Miss Newcome, vous m’obligerez prodigieusement en m’envoyant une balle dans la tête; elle est suspendue d’une façon intolérable.

– Je vais lui donner mon schall pour appui, répliqua la jeune fille en lui procurant de son mieux le soulagement désiré.

Joë Carnes la regarda faire avec une expression bizarre de surprise et de raillerie.

– Vous avez donc pitié de moi?

– Je remplis un devoir en vous épargnant des souffrances.

– Le prisonnier resta pendant quelques instants en silence, la regardant fixement.

– Savez-vous pour qu’elle raison je suis ainsi traité? lui demanda-t-il.

– Ne me faites aucune question, car je n’ai pas à causer avec vous, répondit-elle sérieusement.

– Si votre père avait été aussi discret que vous, il ne serait pas dans l’embarras où il se trouve, répliqua l’autre avec une expression malveillante.

Voyant qu’elle ne répondait rien, il continua à se parler à lui-même, tout en se débattant sur le sol.

– Une damnée situation pour un gentleman! Hé! jeune fille! si j’appelais un ami à mon aide, que feriez-vous?

– Je vous tirerais un coup de pistolet, sûrement!

En parlant ainsi, la pauvre enfant se sentait mourir d’effroi.

– Il va pleuvoir: observa-t-il après quelques instants de silence; j’ai senti une goutte d’eau sur le visage. Vous feriez bien de vous sauver jusqu’à la maison, en me laissant là: assurément je ne pourrai m’évader. Mon seul regret sera de ne point vous servir d’escorte.

 

En effet le jour s’assombrissait; d’épais et lourds nuages roulaient menaçants dans le ciel, et s’abattaient sur les bois. Un frisson sourd grondait dans l’air et sur la terre; la nuit se faisait, précédant l’orage.

– Miss Newcome! dit Carnes, après un long silence. J’ai là-bas un canot caché sous les broussailles, coupez mes liens, laissez-moi fuir. Je vous garderai une reconnaissance éternelle, et je sauverai votre père. Je vous le jure! Répondez-moi…

Avant qu’Alice eût parlé, un craquement immense déchira l’air, accompagné d’éblouissantes lueurs; les arbres s’entrechoquèrent sous le souffle de l’ouragan comme des géants en bataille. Puis il se fit un silence effrayant, sépulcral. Mais ce moment de repos dura à peine quelques secondes; une avalanche d’éclairs, de détonations foudroyantes, de tourbillons furieux ébranla la nature entière, et la pluie se mit à tomber par torrents.

Quoique fort près l’un de l’autre, Alice et le prisonnier ne pouvaient s’apercevoir, tant l’obscurité était profonde. La jeune fille toute ruisselante d’eau, continuait à tenir machinalement le pistolet d’une main, le couteau de l’autre, n’ayant plus la conscience de ses actions.

Le vent arriva à un degré de violence tel, que les grands arbres ployèrent comme des roseaux, et la terre se couvrit d’énormes branches fracassées qui volaient comme des brins de paille devant la tempête.

Un grand bruit, tout proche, annonça à la jeune fille qu’un arbre venait de tomber à proximité: en même temps surgirent des hurlements horribles.

– J’ai un bras cassé! vociférait Carnes; vous êtes donc aussi un bourreau, vous, fille d’assassin! puisque vous n’essayez même pas de me soulager en relâchant mes liens!

Alice, demi-morte d’épouvante, d’horreur, de froid, chercha à tâtons le prisonnier, ne rencontrant que des branchages aigus qui déchiraient ses mains et son visage; s’enchevêtrant dans les ronces avec ses vêtements inondés; perdant, l’un après l’autre, les pistolets et le couteau.

– Mon Dieu! mon Dieu! sanglota-t-elle; Allen ne reviendra donc jamais.

Cependant Carnes hurlait toujours; c’était une scène terrifiante que ce mélange d’éclairs, d’ombres, de tonnerre, de plaintes, de blasphèmes, d’averses ruisselantes, de rafales échevelées!

Aux clartés fulgurantes qui l’éblouissaient par intervalles, Alice distingua le prisonnier à moitié enseveli sous les branches, formidables débris d’un arbre gigantesque abattu par la foudre.

Elle s’épuisa en vains efforts pour relâcher les liens de Carnes, et lui procurer quelque soulagement: à peine pût-elle se dégager des lianes épineuses qui s’enlaçaient comme des serpents autour de son corps meurtri.

Enfin, épuisée, éperdue, elle tomba sans forces dans le sol fangeux et attendit avec une muette résignation.

Au bout de quelques instants elle entendit un bruit de voix, et des pas furtifs résonnèrent parmi les branchages; puis, d’horribles hurlements retentirent à ses oreilles, et des mains brutales la saisirent par les cheveux.

Hélas! c’étaient les amis du prisonnier, et au lieu d’aide, le sort désastreux lui envoyait de nouvelles angoisses.

Un cri suprême, désespéré, surhumain, s’échappa de sa poitrine, et, perçant le fracas de la tempête, alla se répercuter dans les bois; la voix d’Allen lui répondit.

Alors, sur quelques rapides observations du prisonnier, toute la bande s’enfuit, laissant Alice étendue dans la boue. Joë Carnes, délivré de ses liens, n’avait plus le bras cassé!

Quelques secondes plus tard arrivait Allen baigné de sueur et de pluie, fangeux, à peine reconnaissable; aveuglé par l’orage, il avait fait fausse route pendant quelques instants.

– Oh! pauvre chère enfant! s’écria-t-il en la relevant avec tendresse, je ne me pardonnerai jamais l’épreuve que vous venez de subir! n’êtes-vous pas blessée?

– Non, murmura Alice, mais j’ai cru que je mourrais de peur! Êtes-vous seul?

– Wyman arrive avec une voiture, je l’ai devancé. Le prisonnier?

– Ses partisans sont venus, l’ont délivré et se sont enfuis avec lui.

Allen se frappa le front avec rage:

– Misérable lâche que je suis! je vous ai abandonnée ainsi aux outrages de la tempête et des bandits!… j’ai déserté mon poste d’honneur et de conscience; j’ai laissé échapper le salut de votre père; ah! je suis pour moi-même un objet d’horreur!

– Le fait est, observa une voix sévère intervenant dans la conversation, le fait est que vous lui aviez confié une terrible mission. De par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur, chère miss Newcome! Est-ce qu’on abandonne ainsi une enfant dans les bois?

Allen se tordit les mains avec un tel désespoir qu’Alice s’empressa de le consoler.

– Non, mes chers amis, ce ne sera rien! tout est passé maintenant; voilà le bleu du ciel qui reparaît. M. Allen ne pouvait se douter de l’affreux orage qui devait survenir.

– Et le prisonnier? demanda Wyman en cherchant autour de lui.

– Évadé! murmura Allen d’une voix étranglée.

– Bon! De par tous les diables! il ne manquait plus que ça! vous avez fait du bel ouvrage ce soir, M. Allen!

– Oh mais! je le retrouverai! fit celui-ci en serrant les poings.

– Dieu le veuille! reprit Wyman avec découragement; enfin, nous verrons cela plus tard; pour le moment, occupons-nous d’emmener cette enfant en lieu sûr: je vais chercher la voiture que j’ai laissée à quelques pas.

Le constable s’éloigna en toute hâte, mais au bout de quelques instants on entendit ses exclamations entrecoupées de jurons énergiques.

– De par tous les diables! où sont donc les chevaux? Est-ce que les damnés coquins auraient osé… Ah! c’est trop fort! il n’y a plus ni voiture ni attelage!

Et il revint, toujours cherchant, toujours grommelant:

– Les voleurs Rouges les ont enlevés, s’écria Allen au retour de Wyman et quand je songe que tout-à-l’heure nous tenions leur chef solidement garrotté!… Ah! c’est à devenir fou!

– Écoutez, mon pauvre Allen, dit Wyman, ce n’est pas le moment de se lamenter; il faut agir: vous voyez, continua-t-il en montrant Alice qui chancelait, vous voyez que le plus pressé est de trouver un lieu de repos et un peu de chaleur pour cette malheureuse enfant épuisée de froid et de fatigue. Conduisez-la au claim de son père qui est proche; portez-la si elle ne peut marcher; de par tous les diables! hâtez-vous; moi, je vais courir au village pour réclamer des secours et prescrire des recherches au sujet des chevaux et de la voiture.

Allen chargé de son précieux fardeau, – car Alice ne pouvait plus se soutenir – courut rapidement jusqu’à la cabane de Newcome où il alluma un grand feu pendant que la jeune fille se jetait dans son lit, après s’être débarrassée de ses vêtements glacés.

Lorsque le brasier fut bien chaud, et qu’Alice, au fond de sa petite chambre, eût donné avis qu’Allen pouvait en ouvrir les portes, le lit fut roulé jusqu’auprès de la cheminée. Bientôt, sous la bienfaisante influence de la chaleur dont elle avait un si grand besoin, la jeune fille s’endormit d’un profond sommeil.

Allen passa la nuit sur une chaise, veillant, entretenant le feu, et repassant dans son esprit les événements étranges qui venaient de se succéder.

CHAPITRE XII. UN REPAIRE DE BANDITS

Au début de l’orage, une caravane de géomètres du gouvernement, pris au dépourvu en rase campagne, et n’ayant pas le temps de regagner leur campement, avait cherché refuge dans une espèce de hutte misérable au bord de la rivière Papillon.

La porte en était fermée:

– Voyons! qu’on frappe vivement là! dit quelqu’un de la troupe; et voyons un peu ce qu’il y a dans cette bicoque.

– Frapper! mais il y a un quart d’heure que je ne fais pas autre chose! répondit une voix. Personne ne répond; enfonçons la porte. Mais on n’y voit rien; mes allumettes ne brûlent pas, elles sont mouillées, je pense. Où donc est Flag? il a une boite de chimiques allemandes.

La porte enfoncée, Flag éclaira une petite allumette bougie dont la lueur fugitive rendit visibles des murs nus et des fenêtres sans volets.

– Cap’taine! s’écria une voix; encore un peu de feu! j’ai cru apercevoir dans un coin quelque chose qui ressemble à des provisions de bouche.

– Ah! Dieu le veuille! répondit Flag, car je suis plus affamé que deux loups. – Oui! ça doit se manger, ajouta-t-il en promenant à la découverte une nouvelle allumette; mais comment faire, en l’absence de toute lumière?

– Bah! répondit quelqu’un, je trouverai parfaitement, sans chandelle, le chemin de ma bouche.

– Hurrah! voici une lanterne! je l’ai aperçue aux dernières lueurs de votre chimique; encore une allumette, cap’taine Flag!

La lanterne allumée, on s’assit gravement par terre, et on procéda à l’examen des victuailles.

– Oh! oh! bœuf froid; venaison grillée; pain; fromage; bière. Voilà ce que j’appelle un splendide en-cas. Parole d’honneur! le gaillard qui niche dans ce claim n’est pas un sot! Qui, diable, est-ce que ça peut être?

– Ma foi! c’est un bon drille! je bois à sa santé.

– Un autre toast au Flag (drapeau) de notre société! Erin! la verte Erin pour toujours! comme dit l’orateur irlandais de Cincinnati.

– Mes garçons! dit Flag après quelques instants de réflexions, je vous remercie bien sincèrement et vous souhaite en retour de vivre heureux trois fois plus longtemps que Mathusalem; mais, au lieu du speech que j’aurais pu vous débiter, je vais vous faire une communication intéressante. – Mon opinion est que nous avons eu la chance de tomber sur une cahutte de voleurs de chevaux; car le propriétaire de ce claim habite New-York et je suis certain qu’il n’est pas venu par ici cette année.

– Oh! oh! ça va bien, cap’taine. J’espère que nous allons les voir arriver pendant notre souper. C’est égal! ils feront une drôle de figure en s’apercevant que nous tirons si bon parti de leurs provisions.

– Oui, ce serait charmant si nous étions bien armés, et s’il y avait parmi ces rôdeurs certain individu de ma connaissance.

– De votre connaissance?… Excusez! cap’taine, vous avez de belles relations!

– Peuh! cela dépend… un de ces gredins a tué mon ami Doc. Je donnerais mille dollars pour mettre la main sur ce bandit.

– Mais alors, vous voulez parler de l’affaire dans laquelle Newcome est compromis?

– Précisément; Allen partage mon opinion; il considère cet homme comme innocent.

– Ah! Et pourquoi n’ayez-vous rien dit ni rien fait pour arriver au salut de l’un et à la punition de l’autre?

– Les preuves nous ont manqué jusqu’ici; mais nous ne laisserons pas échapper la première occasion qui se présentera.

La fureur de la tempête atteignit son apogée en ce moment, et rendit toute conversation impossible. Les jeunes aventuriers se dédommagèrent de leur silence forcé en dévorant à belles dents jusqu’aux dernières miettes des provisions. Ensuite ils s’étendirent côte à côte sur le sol poudreux de la cabane, et, à défaut de sommeil, ils goûtèrent un repos désiré.

Cependant, vers minuit, Flag, toujours en éveil, ranima la vigilance de ses compagnons qui commençaient à s’assoupir. Il venait de distinguer au travers des rafales un bruit de voix qui semblaient se rapprocher.

Comme toute clarté était éteinte au dedans comme au dehors, il était impossible de se renseigner autrement que par l’intermédiaire des oreilles. Les géomètres écoutèrent donc avec attention.

Évidemment trois individus s’approchaient: l’un d’eux faisait entendre des plaintes entremêlées de blasphèmes et de jurements horribles: les autres le consolaient de leur mieux, dans un langage tout aussi violemment coloré.

– Allons donc! Jim! damné animal! allume la lanterne, butor infernal! je vais encore tomber sur ces cailloux et me casser l’autre bras. Que toutes les malédictions de l’enfer écrasent ce chien de Squire! je le tuerai aussi bien que l’autre dès que l’occasion se présentera; il peut en être sûr.

– Entendez-vous! chuchotta Flag; c’est l’homme dont je vous parlais, amis; je vais risquer ma vie pour m’emparer de lui: vous m’aiderez, j’espère. Nous sommes quatre, ils ne sont que trois; qu’importe qu’ils soient armés, nous avons l’avantage du nombre. Attention! écoutez bien mes ordres et ne faites rien sans moi.

Un des nouveaux venus mit la main sur le loquet: l’instrument, qui était en bois et gonflé par la pluie, résista; la porte fut ébranlée mais ne s’ouvrit point.

D’ailleurs, elle avait de bonnes raisons pour rester fermée; Flag la retenait vigoureusement.

 

Après avoir vainement essayé d’ouvrir, Jim recula avec humeur et dit:

– Ah! mille tonnerres! cet infernal loquet est ensorcelé, je ne peux le faire mouvoir. Essaie un peu, toi, Joë.

– Attention! murmura Flag à ses camarades, Voilà l’homme!

Effectivement, Carnes mettait la main au loquet: Flag avait cessé de se cramponner à la porte, elle s’ouvrit donc assez facilement.

– Tu vois, animal indigne de vivre! dit Carnes à Jim; n’ayant qu’un bras, j’ai réussi où tu as échoué, exécrable butor! Allons! brute! gredin! idiot! prépare une allumette, je vais chercher la lanterne; puisque tu es si stupide, tu la…

Il ne put achever, une couverture s’abattit sur sa tête et l’enveloppa entièrement; des bras vigoureux le roulèrent par terre où il resta maintenu sans pouvoir faire un mouvement. Toute cette opération fut accomplie avec une célérité et dans un silence tels que les deux camarades de Carnes ne s’en aperçurent point: d’ailleurs la pluie les aveuglait, et le fracas de la tempête les assourdissait.

Au bout de quelques minutes d’attente, Jim s’écria impatiemment:

– Eh donc! Joë que fais-tu? on ne s’amuse pas ici!

– Je ne peux pas trouver la lanterne, répondit Flag en contrefaisant la voix de Carnes; cette damnée pluie a percé le toit, et tout inondé là-dedans. Arrivez vite pour m’éclairer avec des allumettes.

Les deux bandits franchirent à tâtons le seuil de la cabane, et furent reçus comme Joë, c’est-à-dire qu’en un clin d’œil ils furent étroitement enveloppés dans une couverture et soigneusement garrottés.

Un assez long silence suivit, pendant lequel, à défaut des yeux, les oreilles s’exerçaient avec la plus extrême vigilance.

– Est-ce vous Flag? demanda tout-à-coup Joë qui avait réussi à sortir sa tête de la couverture.

– Je connais votre voix, vous devez vous souvenir de la mienne, répliqua séchement le jeune géomètre.

– Oh! oui, je la reconnais: reprit l’autre en étouffant un gémissement. Mais pourquoi employez-vous une telle violence à mon égard? C’est un vil métier que de s’embusquer ainsi la nuit pour attaquer un homme inoffensif. J’ai eu tout à l’heure le bras cassé par une branche d’arbre qui a failli m’assommer; essayez, je vous prie, de me faire un pansement, car je souffre comme un damné.

– Je ne m’entends point en chirurgie, répliqua Flag; d’ailleurs on n’y voit pas.

– Il y a une lanterne ici dans quelque coin.

– Je le sais, mais la chandelle est brûlée. D’ailleurs, Ed, alors même que j’aurais de la lumière, je ne saurais vous être d’aucune utilité. Votre heure est venue; à chacun son tour, apprenez-le. Je ne suis pas haineux; mais quand la voix du sang crie vengeance, je ne puis me dispenser de l’entendre. Vous avez été un démon parmi nous; aujourd’hui votre punition commence.

Carnes ne répondit que par un sourd gémissement qui se termina en imprécation.

– Si vous prenez ainsi les choses, vous allez épouvanter vos camarades, lui dit Flag ironiquement.

– Que la foudre écrase ces poltrons! si j’avais eu mes deux bras, vous ne m’auriez pas pris vivant.

– Qu’est-ce qu’il dit donc là? interrompit Jim: je pense qu’il était bien et dûment pris, ce soir, quoiqu’il eût ses deux bras… et par une fille, encore! qui lui servait de garde-du-corps.

– Quelle fille? quelle aventure? demanda Flag curieusement.

– Eh! la jolie fille de Newcome, répondit Jim avec complaisance.

– Retiens ta langue, Jim! grommela Carnes.

– Je ne veux pas me taire. Si tu ne nous avais pas entraînés dans tes folies, nous ne serions pas pincés comme nous voilà.

Carnes murmura une réponse que personne ne pût comprendre. Flag demanda d’autres explications que le bandit s’empressa de lui fournir.

– C’était un bon tour, n’est-ce pas? ajouta-t-il en terminant son récit, d’enlever le chariot et les chevaux du bonhomme Wyman, là, à sa barbe, on peut le dire! Oui, ce sera peut-être le dernier, mais le meilleur tour de ma vie. Maintenant que nous n’en pouvons rien faire, j’aime autant vous dire où ils sont. Nous les avons cachés dans le petit bois qui est derrière la hutte de Newcome. Ma foi! les pauvres bêtes ont eu beau temps pour changer de couleur, si leur poil n’était pas bon teint.

Et le bandit s’arrêta pour rire à gorge déployée de sa plaisanterie.

La nuit s’écoula lentement au milieu de propos interrompus, d’exclamations et de blasphèmes lancés par Joë lorsque ses douleurs devenaient trop intolérables.

Au point du jour, les prisonniers, solidement liés ensemble, furent emmenés à Fairview et remis aux mains des autorités judiciaires, pour être traités suivant leurs mérites.

Décidément Joë n’avait pas de chance, suivant l’expression de Jim.