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Les terres d'or

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Le cortége ne tarda pas à arriver dans une petite vallée encaissée profondément entre deux collines; là, un arbre et une corde avaient été préparés; au milieu d’un profond et redoutable silence les funèbres préparatifs furent accomplis, le nœud coulant fut passé au cou du patient, et on allait le lancer dans l’éternité lorsque Allen survint, hors d’haleine, et s’interposa entre Newcome et les Lynchers.



Sa subite apparition et son allure effarée firent impression dans la foule: pendant quelques instants l’attention se porta sur lui, on écouta curieusement ce qu’il avait à dire.



Dès qu’il eût repris sa respiration d’une manière suffisante pour se faire entendre, il leur adressa le speech suivant avec toute l’énergie dont il était capable.



– Hommes de Fairview, écoutez-moi attentivement! Il s’agit d’une chose extrêmement sérieuse; vous êtes sur le point de commettre la plus énorme erreur!… peut être un crime! car enfin, il n’est pas sûr que cet homme soit le vrai coupable.



– Oh! oh! que dites-vous là? s’écria la foule; la preuve!… la preuve!… N’y a-t-il pas eu mort d’homme?



– J’en conviens, reprit Allen; oui, un homme, mon ami, a été lâchement assassiné d’un coup de feu…



– Vous le voyez! il en convient! hurla la foule; mort à l’assassin! tirez la corde!



– Arrêtez! mes amis, écoutez-moi! Thomas Newcome est suspect, je le reconnais d’autant mieux que je l’ai accusé moi-même, le premier. Voyons, répondez, pouvez-vous douter de moi, qui suis l’accusateur?



– C’est vrai… murmurèrent les moins exaltés.



Allen puisa un nouveau courage dans cette ombre d’assentiment qu’il venait d’obtenir.



– Donc, si je vous parle de modération, il faut que j’aie des raisons extraordinairement sérieuses…



– Alors, dites-les, vos raisons! et soyez bref, crièrent les plus acharnés Lynchers.



– D’abord, continua Allen, il est reçu qu’un homme, même accusé, est toujours considéré comme innocent, jusqu’à ce que son crime soit prouvé d’une manière incontestable.



– Propos d’avocat, tout cela! cria une voix rude; le juge Lynch n’a pas besoin de discours, il lui faut des faits…



– Oui! oui!! gronda la foule comme un sinistre écho; des faits, ou la mort!



Allen sentit son courage chanceler, les chances favorables diminuaient.



– Cependant, Gentlemen, reput-il en enflant sa voix, ai-je, oui ou non, porté contre Thomas Newcome une accusation terrible?… ai-je, oui ou non, fait comparaître la propre fille de l’accusé, pour qu’elle rappelât les menaces de son père contre moi et contre le malheureux docteur?…



– Eh bien! vociféra-t-on, voilà des preuves convaincantes; celui qui menaçait a exécuté ses menaces, c’est lui qui est l’assassin!



– Hommes de Fairview! continua Allen; une chose que vous ignorez, je vais vous l’apprendre; c’est que dans la forêt il y avait certainement un autre homme, un ennemi, en même temps que Newcome. Deux coups de feu ont été tirés; lequel a été le coup mortel?… que celui-là qui pourra le dire se présente et fasse connaître la vérité! qu’il vienne déposer sous la foi sacrée du serment! qu’il dirige un doigt accusateur contre l’inconnu ou contre Newcome, et qu’il dise: «mon choix est fait, voilà le vrai coupable!» Mais aussi, que le sang innocent retombe sur sa tête s’il se trompe!



Il y eut un murmure annonçant l’indécision dans la foule: le jeune orateur avait tout gagné en gagnant du temps.



– Écoutez! écoutez! crièrent plusieurs voix.



– Il ne me reste plus que quelques mots à dire: vous n’avez songé qu’au crime, vous avez oublié les victimes. Cette jeune fille, malheureuse enfant aujourd’hui brisée par la douleur, vous allez la rendre orpheline, sans considérer si le coup sous lequel tombera son père ne la tuera pas aussi. Hommes de Fairview! ne craignez-vous pas les nuits sans sommeil, et les rêves fièvreux pendant lesquels vous apparaîtront les ombres vengeresses de deux innocents immolés par vos féroces caprices?… Lequel d’entre vous voudrait qu’on agît envers lui, comme vous agissez envers Newcome?… Retenez bien mes paroles; moi l’accusateur, moi le premier instigateur de cette affaire, moi presque l’ennemi de Newcome, je vous déclare que je le crois innocent. – Et maintenant, pour venger un assassinat, assassinez à votre tour, si vous voulez; ce sera un compte à régler entre vous et Dieu.



Lorsque Allen eut fini de parler, il s’aperçut avec surprise que la solitude s’était faite autour de lui, le chœur des Lynchers s’était successivement amoindri; l’accusé restait seul avec quelques personnes sages et prudentes qui ne voulaient ni le Lyncher ni le laisser échapper.



Ce dernier n’en pouvait croire ses oreilles, et attachait sur le jeune homme des regards stupéfaits: néanmoins il resta muet, et se laissa ramener en prison sans avoir prononcé une parole.



L’orateur pût être fier du succès de sa harangue; il avait obtenu un vrai triomphe, et les éloges ne lui furent pas épargnés. L’étranger que nous avons vu s’intéresser à Alice, et qui avait été l’impassible témoin de toute cette scène, ne pût s’empêcher d’adresser à Allen un signe de satisfaction qu’il accompagna de quelques mots flatteurs.



– Vous pouvez vous flatter d’avoir débuté par une victoire, Squire, s’écria à son tour Ed en fixant sur Allen un regard scrutateur.



– Et tout ira de mieux en mieux, si l’on écoute mes avis, répliqua Allen en accompagnant sa réponse d’un coup d’œil aigu comme la pointe d’une épée.



– Vous avez l’air de tenir singulièrement à jeter sur quelque autre le crime de Newcome.



– Je tiens, et tiendrai toujours à ce que la vraie justice soit faite, Ed; voilà tout!



– Et même, je suppose que vous seriez disposé à exciter les soupçons contre quelque autre, dans le but de sauver le vieux Newcome. Par ma foi, mon honorable camarade, vous manifestez un étrange intérêt pour l’homme qui, dans votre opinion intime, est le meurtrier de notre ami.



– Comment savez-vous si bien ma pensée? demanda Allen avec vivacité.



– Je vous ai entendu parler avec Flag.



– Ah! je croyais que vous rêviez, alors: dit sérieusement Allen.



Ed poussa un éclat de rire bref et étrange; mais il détourna les yeux sans répondre et reprit le chemin du claim en grommelant qu’il avait à se trouver à un rendez-vous.



Le lendemain matin, Ed annonçait que d’importantes affaires l’appelaient dans l’Ouest; et le même jour il quitta le settlement.



Squire resta donc seul avec Flag, dans le claim: pendant longtemps leurs conversations roulèrent sur la fin tragique de leur ami, et sur le mystère insondable qui continuait à planer sur l’identité du vrai coupable. Plus d’une fois, au milieu de ces rêveries pénibles, il leur arriva des pensées et des soupçons si extraordinaires qu’ils ne voulurent pas s’y arrêter. Ils se contentèrent de conserver au fond de leur âme leurs soupçons intimes, en attendant que la vérité se manifestât dans des circonstances imprévues.



CHAPITRE VII. UN ANNIVERSAIRE DU BON VIEUX TEMPS

– Vraiment oui! je vous le déclare, vous voilà redevenue vous-même, ce matin; entièrement vous-même, sauf les cheveux, s’écria la bonne mistress Wyman après avoir soigneusement habillé, pomponné sa jeune protégée, et l’avoir confortablement installée dans un hamac, au meilleur coin du parloir.



– Je vous crois, ma bonne mistress Wyman; en effet, je commence à me sentir mieux. Je vous remercie mille fois de vos bons soins, vous me gâtez en me dorlotant ainsi; je suis mieux traitée qu’une princesse. Voilà un beau jour, n’est-ce pas? Jamais le ciel ne m’avait semblé plus beau que ce matin.



– Cela vient de ce que vous avez longtemps gardé la chambre, sans respirer l’air du dehors, chère enfant. Moi, je trouve qu’en juin il fait meilleur encore: C’est en juin, dans la saison des roses, que je me suis mariée. Il est convenu avec Silas que tous les étés nous célébrerons l’anniversaire de ce bon jour: c’est aujourd’hui cet anniversaire, dit la brave femme du constable en riant si joyeusement qu’elle oublia de s’asseoir sur la chaise qu’elle venait de se préparer.



– Sans doute, vous alliez organiser une petite fête, à cette occasion, demanda Alice; je voudrais bien être assez forte pour vous aider un peu.



– Oh! pourvu que vous ayez bon œil et bon appétit, c’est tout ce qu’on vous demande. Ce n’est plus chez nous comme autrefois; nous n’aurons pas grande société; tout est bien changé maintenant: notre fils unique est mort; notre fille est mariée bien loin; l’incendie a dévoré nos propriétés; nous menons petite vie maintenant, afin que cela dure jusqu’à la fin de nos vieux jours. Je prépare pour nous un petit dîner; Silas a invité quelques amis pour nous aider à venir à bout de ce festin. Ainsi tenez-vous en bonne santé, soyez riante, car vous serez la joie de notre fête… Ah! chère! je sens mon gâteau qui brûle, j’y cours.



– Seigneur! j’espère bien que ce bon gâteau n’est pas avarié! s’écria Alice, en suivant de l’œil la bonne ménagère qui trottinait du parloir à la cuisine.



Bientôt mistress Wyman reparut, une bouteille dans une main, un bouquet dans l’autre:



– Oh! que nenni, il n’y a pas de mal, un peu de beurre répandu; du reste tout va bien. Mais regardez-moi les jolis cadeaux! tout ça est pour vous. Ne dirait-on pas que c’est votre anniversaire et non pas le mien?… M. Mallet vous envoie ce flacon… il y a de la liqueur Française, – Élixir de Chartreuse – certes! la jolie couleur d’émeraude! M. Allen vous envoie ces fleurs. Avec la bouteille il y a long comme le bras de compliments… Quant aux fleurs, un petit garçon a seulement dit qu’elles arrivaient de la part de M. Allen, pour miss Newcome.



Alice rougit de plaisir; sans répondre, elle prit d’abord le flacon, le regarda avec curiosité, et admira les jolis reflets de la liqueur: mais lorsqu’elle reçut les fleurs, ses mains tressaillirent de joie, elle leur sourit en les pressant contre son cœur. Mistress Wyman lui offrit de les mettre rafraîchir dans un verre d’eau; ce ne fut pas sans peine qu’Alice se décida à les lui confier, encore se réserva-t-elle un bouton de rose qu’elle fixa à son corsage.

 



– N’ayez pas peur, ma mignonne, je les placerai sur la table dans un beau vase, dit mistress Wyman en observant d’un petit air malicieux le regard inquiet avec lequel la jeune fille suivait le cher bouquet; ce sera l’ornement du dîner. Nous y placerons aussi le flacon d’Élixir, il servira à vous mettre en appétit.



– Chère mistress Wyman! fit Alice avec un tressaillement nerveux; je sais que mon père ne voulait aucunement me voir accepter des cadeaux de M. Mallet. Que me conseillez-vous de faire en cette circonstance?



– Oh! oh! votre père penserait-il?… Ici la bonne femme s’interrompit: – Mais, je ne vois aucun inconvénient à ce que le riche et vieux M. Mallet envoie une bouteille de sa cave, à une pauvre petite enfant comme vous. Je sais bien que les méchantes langues trouvent à mal parler sur tout; cependant il faut faire une large part aux habitudes d’un homme qui a passé presque toute son existence chez les Indiens. Mallet, après tout, est un cœur généreux: mon mari n’a jamais eu qu’à se louer de lui.



– J’aimerais envoyer cela à mon père, répondit tristement la jeune fille, si je pensais qu’il voulût l’accepter.



– Je crois qu’il refusera, chère enfant; néanmoins mon mari m’a dit qu’il commençait à se radoucir. Sans nul doute, le discours adressé aux Lynchers par Allen lui a fait impression: ce jeune homme est allé visiter votre père il y a un couple de jours.



– Qu’il est bon et généreux, M. Allen! Je voudrais bien le voir, pour le remercier.



– M’est avis que vous l’apercevrez un peu, répliqua l’excellente femme, car je crois l’avoir invité à notre dîner. Allons, étendez-vous dans votre hamac et reposez gentiment; moi, je vais surveiller ma cuisine, mes gâteaux, mon pudding.



Restée seule, Alice passa une heure à rêver, demi-éveillée, au milieu des alternations de crainte et d’espoir; balançant, dans sa pensée, les chances heureuses ou malheureuses que pouvait présenter l’affaire de son père; s’efforçant de trouver quelque bonne raison pour avoir confiance.



Depuis le premier jour, excepté dans les moments où elle avait perdu connaissance, la pauvre enfant n’avait eu que cette unique préoccupation dans laquelle elle s’absorbait tout entière. Cette constante mélancolie l’avait un peu transformée et l’avait rendue plus touchante, en donnant à sa beauté un caractère moins enfantin, en imprimant à toute sa personne une gravité juvénile pleine d’un charme particulier.



Elle resta longtemps ainsi, renversée dans son hamac, silencieuse et absorbée dans mille pensées diverses; répondant de loin en loin, par monosyllabes, aux questions que mistress Wyman lui faisait du fond de sa cuisine où elle brassait avec ardeur, plats, gâteaux et pudding.



Comme il arrive toujours aux âmes délicates et faibles, le découragement finit par l’emporter, les espérances furtives se dissipèrent comme le crépuscule devant la nuit; Alice sentit son cœur se serrer, ses yeux devenir humides; quelques larmes brûlantes roulèrent sur ses joues.



Mais au fond de son chagrin survivait toujours une pensée qui dominait les autres; c’était un sentiment de reconnaissance profonde pour celui qu’elle avait trouvé si bon, si dévoué en ces tristes circonstances. Elle prit à deux mains le bouquet envoyé par Allen.



– Oh! comme je vous aime! bien! bien! bien fort! répétait-elle avec une ferveur de tendresse dont elle ne se rendait pas compte.



Tout entière à ses préoccupations, elle ne s’aperçut pas qu’Allen arrivait et devenait l’heureux témoin des caresses prodiguées à ses fleurs.



Lorsqu’elle entendit sa voix douce et harmonieuse lui adresser un salut amical et s’informer affectueusement de sa santé, elle faillit s’évanouir et ne put lui répondre que par des larmes mêlées de sourire: finalement elle se mit à sangloter, sans savoir pourquoi.



Quoique jeune et inexpérimenté lui-même, Allen comprit un peu quelle pouvait être la cause de ce grand trouble; il s’assit auprès de la jeune fille.



– Ainsi donc, lui demanda-t-il d’une voix caressante, ma jeune malade aime les fleurs que je lui ai envoyées?…



Elle rougit et trembla fort avant de pouvoir répondre.



Tout-à-coup elle s’écria:



– Oh! M. Allen! c’est vous que j’aime! vous avez été si bon pour moi depuis le premier jour où je vous ai vu.



Cette déclaration avait quelque chose de si inattendu, et en même temps de si extraordinaire, qu’Allen faillit perdre contenance: il se trouva surpris et ému comme une jeune fille; en même temps, cette situation lui parut presque inconvenante: mais ce dernier sentiment se dissipa comme un furtif nuage, surtout lorsqu’il eût envisagé pendant quelques instants la pure, chaste et naïve figure de celle qui venait de lui parler ainsi.



– Je suis heureux, bien heureux de ce que vous me dites, répondit-il d’une voix émue; car, moi aussi, je vous aime tendrement.



L’innocente Alice ne fit aucune attention à la nuance exprimée par les derniers mots du jeune homme. Elle ne comprit qu’une chose, c’est que leur amitié était mutuelle; aussi elle lui sourit avec la franche joyeuseté d’un enfant qui répond à une caresse maternelle.



– Avez-vous de bonnes nouvelles de mon père? demanda-t-elle ensuite.



– Non, chère miss. Mais je peux vous confier un consolant secret: vous le garderez, pour vous seule, et n’en parlerez à personne. Je regarde comme certain que votre père sera acquitté: j’ai l’œil sur un homme qui, pour moi, est le vrai coupable. Je ne saurais vous en dire davantage; mais vous pouvez me croire, il y a toute certitude que je ne me trompe pas.



Alice ne put répondre; cette soudaine invasion de plusieurs bonheurs inespérés lui remplissait l’âme, et débordait en pleurs de joie.



– Oh! miss, murmura Allen, ne soyez donc pas si reconnaissante envers moi; je ne suis que l’instrument de la Providence.



– Oui, oui, insista-t-elle en lui adressant un regard angélique, vous êtes pour moi, pauvre orpheline, un envoyé du ciel.



Tout a coup une voix cordiale et bien connue s’écria vivement à la porte:



– Eh bonjour! M, Allen, comment ne vous ai-je pas vu entrer?… trouvez-vous qu’elle va mieux notre intéressante petite malade? Excusez-moi; je vais revenir dans une minute.



Et la bonne mistress Wyman disparut comme elle était arrivée.



Son but était uniquement de prévenir jusqu’à l’ombre des inconvénients qui eussent pu résulter de ce tête-à-tête; sa maternelle intervention produisit complètement l’effet désiré, Allen se leva vivement pour lui répondre et la conversation prit un autre courant.



Bientôt la ménagère revint toute rouge du feu sacré de la cuisine:



– Votre jeune pensionnaire me considère comme un phénix, mistress Wyman, dit Allen en riant; je ne sais comment supporter tant d’honneur.



– Oh! faites donc le modeste!.... comme si vous n’étiez pas accoutumé à entendre dire du bien de vous!



– Allons bon! vous vous mettez aussi de la partie! En vérité, si des compliments pouvaient donner bon appétit à un convive, je serais un vrai phénix à votre table, mistress Wyman.



– Je suis ravie de vous voir en si bonnes dispositions, car le dîner est prêt. Mais Silas n’arrive pas: se mettrait-il en retard aujourd’hui?



– Non! De par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur qu’un galant homme soit inexact un jour d’anniversaire! s’écria du vestibule la bonne grosse voix du constable.



Il entra, salua ses hôtes, embrassa sa femme sur les deux joues, et poursuivit joyeusement.



– En ce bienheureux jeudi, il y a vingt-sept ans, étais-je en retard, ma chère amie?



– Si vous l’étiez, répliqua celle-ci, mon nom n’est pas Mary Wyman!



Le constable échangea ensuite une poignée de main avec la jeune convalescente; puis, avec Allen.



– Eh! donc, regardez cette enfant, observa-t-il; la voilà qui reprend bon air, bon œil, bonne santé. Il ne lui manque que les cheveux: on dirait qu’elle a passé par les mains d’une bande de scalpeurs. – A propos, on a arrêté à Elktown, avant-hier, trois voleurs de bestiaux (qui font aussi un peu tous les méchants métiers); on les a fustigés d’importance et on les a chassés du territoire en les prévenant qu’à leur première réapparition, la fustigation ne les empêcherait pas d’être pendus.



– Mais, où donc ces criminels trouvent-ils un asile? demanda Alice; j’aurais pensé que la prairie devait leur offrir peu de refuges.



– Oh! ils se fourrent dans les ravins, dans des espèces de terriers creusés au flanc des collines; sur leurs petits chevaux rapides ils traversent plus aisément la plaine que dans une région boisée; enfin, ils n’ont qu’à traverser la rivière pour se trouver dans l’Iowa. – Tenez, voici une histoire sur ces coquins: il y a sur le bord des marais un gros fermier qui, la semaine dernière, avait acheté une superbe paire de chevaux. Il avait pris pour palefrenier une espèce de grand gaillard, de fort bonne mine, muni de magnifiques certificats: cet individu faisait parfaitement son service, et le fermier en était ravi. Un beau matin, en ouvrant l’écurie, on n’a plus trouvé ni chevaux ni palefrenier. Le filou les avait emmenés pour les vendre dans l’Iowa oriental, on l’a su depuis. Il n’a qu’à revenir dans ces parages, son compte sera bon!…



– Assez sur les voleurs de chevaux, Silas; le dîner est prêt; s’il refroidit nous n’aurons rien de bon. – Allen, chargez-vous de conduire cette petite fille à sa place; je suis si vieille que je ne suis plus bonne pour soigner les enfants.



Chacun obéit à la ménagère; la «petite fille» consentit fort gracieusement à se confier au bras empressé d’Allen; on prit gaîment place à table, Alice d’un côté, Allen de l’autre, vis-à-vis d’elle.



Les fleurs et la bouteille d’élixir figuraient honorablement devant la jeune fille: mistress Wyman en expliqua la provenance à son mari, avec grande abondance de périodes laudatives à l’adresse de M. Mallet.



Le dîner commença joyeusement et s’acheva de même; on fit si bien honneur à la liqueur de M. Mallet qu’au dessert il n’en restait plus une goutte.



– Votre «petite fille» a été assez bonne pour m’accorder une affection fraternelle, dit Allen avec une légère pointe de malice, lorsqu’on fut revenu s’installer au parloir; vous allez juger, mistress Wyman, si je me conduis en bon frère. J’ai pensé que lorsque la santé de miss Newcome serait rétablie, elle désirerait faire quelque chose de plus que bien dormir, bien manger, bien se promener (suivant vos prescriptions, mistress Wyman). – Il y a maintenant un certain nombre d’enfants à Fairview; une école serait la meilleure, chose du monde; je propose d’en fonder une sous la direction de miss Newcome. J’ai calculé que vous seriez capable de tenir école, puisque vous êtes du vieux Connecticut, ajouta-t-il an mimant d’une façon grotesque l’accent nasillard d’un pur yankee du Centre.



Alice se mit à rire de bon cœur, mais elle ne sut que répondre.



– Certainement qu’elle en sera capable, dit Wyman, mais elle a trop de modestie pour le dire. Cependant, je trouve qu’elle n’en a nul besoin: il y a assez pour tout le monde dans mon humble demeure; Alice peut rester ici et servir de compagne à ma femme. Elle est trop jeune pour entreprendre quelque chose toute seule et livrée à elle-même.



– Que dites-vous donc par là? demanda la ménagère,



– Ah! ma chère amie, c’est Allen qui propose d’installer cette petite fille à la tête d’une école. Qu’en dites-vous, Mary?



– Ce que j’en dis? ça n’a pas le sens commun! je ne puis comprendre comment vous vous fourrez de pareilles idées en tête, M. Allen! s’écria vivement mistress Wyman.



– S’il vous plaît, je trouverais cela fort bien, moi! riposta Alice avec une irritation contenue qui faisait trembler sa voix.



– Ma bonne mistress Wyman, reprit doucement Allen, je ne prétendrais nullement vous priver de miss Newcome, si ce n’est pendant les heures d’école; et je me garderais bien de la soustraire aucunement à votre maternelle protection. C’est la femme du Juge qui m’a parlé de cela, la première; j’ai consulté tous les pères de famille qui peuplent la ville, ils ont accueilli très-favorablement l’idée d’avoir une école. Sans doute ce n’est pas là une spéculation de nature à enrichir miss Newcome, mais elle y récoltera assez d’argent pour acheter des vêtements à sa poupée; – car les jeunes personnes s’occupent de poupées jusqu’à leur mariage, n’est-ce pas, miss Alice?…



La jeune fille répondit par un joyeux sourire, au fond duquel se lisait le bon accueil fait à la plaisanterie d’Allen.

 



– Très-bien! fit M. Wyman, j’opine pour la chose; elle peut avoir du bon, après tout, Mary: d’ailleurs si ça convient à l’enfant, c’est déjà beaucoup.



– Enfin! si elle en a tant envie, elle pourra essayer lorsqu’elle sera bien portante, grommela mistress Wyman en secouant avec énergie des grains de poussière ou des miettes imaginaires qui auraient pu figurer sur son tablier; dans tous les cas, elle n’a pas besoin de faire ce métier-là, – aucun besoin, je vous le dis. Elle a de l’argent, en bonne quantité, et pour longtemps.



– Mais, chère mistress Wyman! s’écria Alice étonnée; je ne possède rien, vous êtes dans une complète erreur.



– Oh! que nenni! ma mignonne; je ne me trompe pas; vous ignorez ce que je sais, entendez-moi bien. Il m’avait recommandé de ne rien dire; mais le voilà parti, et, qui sait s’il reviendra? Je n’en ai parlé à personne autre que Silas. Mais, je déteste les secrets, et, en ma qualité de femme, je ne sais pas mieux les garder qu’une autre: ça m’étouffe, je le sens, quand il faut contenir un mystère, aussi, je vais m’en débarrasser le plus vite possible. Il est venu, l’autre jour, pendant que vous étiez malade et en délire, un gentlemen, un vrai gentlemen, qui nous a fait, à mon mari et à moi, beaucoup de questions sur vous. Ensuite, il a voulu vous voir de ses propres yeux: alors, nous l’avons mené dans votre chambre, où il vous a longuement examinée. On venait, justement, de vous couper les cheveux; il les a caressés du bout des doigts sur la table où ils étaient placés, mais il n’a rien dit de plus.



Sans prendre le temps de respirer, la brave mistress Wyman narra longuement tout le reste de «son secret», puis elle courut chercher le petit trésor confié par l’étranger.



Bientôt elle revint toute triomphante, et versa dans les mains d’Alice une poignée de brillantes pièces d’or. L’éblouissement naïf manifesté par la jeune fille l’amusait fort.



– Ça ne vient pas de mes économies, je vous l’affirme, continua-t-elle après avoir joui de l’étonnement général. Je ne connais personne qui soit à même de me fournir une telle somme, ainsi donc vous voyez que je ne me suis pas trompée.



– Laissez-moi examiner un peu cela, dit Allen; je suis légiste de naissance, et il m’appartient de tirer au clair ce mystère. D’abord, cet or est Anglais; ensuite, je vois sur cette bourse des armoiries et une couronne brodées; cela indique que le tout provient d’une personne importante et d’un haut rang. Peut-être allons-nous découvrir que cette «petite» fille est une princesse déguisée: du reste ce n’est pas la première fois que cette idée m’est venue à l’esprit; et cet étranger est sans doute un magicien qui a métamorphosé notre Cendrillon.



– C’est vraiment une chose curieuse, observa sentencieusement le constable; – mais qu’avez-vous donc? vous pâlissez, chère enfant! je parie que vous êtes fatiguée par toutes ces agitations d’aujourd’hui.



– Oh non! merci, ce n’est rien, je n’éprouve aucune fatigue. Quand pourrai-je commencer cette bienheureuse école? demanda précipitamment la jeune fille, pour détourner la conversation.



– Seulement lorsque vous serez bien portante et forte, répliqua Allen; mistress Wyman ne vous le permettra pas plus tôt. Vous ne voulez donc pas faire usage de cette petite fortune, et vous préférez travailler comme institutrice.



– Oui, si j’en suis capable.



– Cependant votre curiosité doit être piquée à ce sujet: ne vous semble-t-il pas qu’il y a là-dedans un mystère tout plein d’heureux présages?



– Oh non! répliqua Alice avec un sourire embarrassé.



– Eh bien! moi, je ne suis pas de votre avis, reprit Allen: assurément, dans la conduite de