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Les terres d'or

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Le défenseur de l’inculpé rappela que le premier témoin avait parlé de deux coups de feu tirés presque simultanément, et lui posa cette question:

– Le témoin sait-il, ou pour préciser davantage, a-t-il vu qui a tiré ces deux coups ou l’un des deux?

– Non.

– Le témoin a-t-il remarqué quelque différence dans l’éloignement des deux détonations?

– Maintenant qu’on évoque mes souvenirs à ce sujet, il me semble que j’ai observé une différence de proximité entre eux.

– Est-ce le premier ou le second coup qui a atteint le docteur Edwards?

– Je ne pourrais le dire; j’avais entendu les deux coups lorsqu’il est tombé.

Le défenseur, poursuivant ses investigations, désira connaître la direction prise par l’inculpé lorsqu’il s’était éloigné des deux jeunes gens: puis, par comparaison, voulut savoir en quel endroit se trouvait le meurtrier.

– Je ne pourrais répondre d’une façon précise, répliqua celui-ci: dans l’émotion du premier moment, j’ai seulement constaté que le meurtrier se trouvait dans le bois à côté de nous; mais je n’ai pas pris garde si c’était à droite ou à gauche.

Le chirurgien découvrit alors le cadavre et démontra, par l’examen de la blessure, que la balle avait dû, pour frapper Edwards, avoir été lancée par un ennemi placé à sa gauche, et que le meurtrier devait être posté dans un terrain plus bas que celui où se trouvait la victime.

Au moment où le corps fut dévoilé, l’assistance éprouva une sensation poignante: seul, le prisonnier ne sourcilla pas, ne manifesta aucune émotion: il laissa même voir un certain intérêt à suivre les intelligentes démonstrations du chirurgien. Cette froide impassibilité n’échappa à personne, et fut l’objet de maint commentaire.

L’enquête terminée, le Juge décida que le prévenu serait soumis à une autre information, et qu’il devrait être déféré aux assises du Grand-Jury.

La foule qui, semblable à un énorme serpent, ondulait du dehors à l’intérieur de la salle, ne se montra pas satisfaite d’une sentence qui, en temporisant, contrariait ses idées de justice expéditive. On commença à murmurer; puis on cria qu’il fallait «en finir avec le vieux scélérat!» «le pendre»… «le jeter dans le Missouri…» Enfin les cris se changèrent en hurlements, et le moment arriva où les choses prirent une tournure inquiétante.

Newcome ne s’émut pas davantage de ces démonstrations menaçantes, qu’il ne s’était inquiété de l’enquête: il resta froid, calme, dédaigneux.

Pendant un moment de silence obtenu à grand-peine, le Juge lui demanda s’il avait quelque chose à répondre pour sa défense:

– Je n’ai pas tué Edwards, répondit-il d’une voix assurée: il y avait, avant moi, un autre individu dans la forêt.

Le tumulte recommença: le shériff, le constable et plusieurs agents entourèrent le prisonnier; le Juge fit sommation à la foule de se retirer paisiblement; il ajouta, pour la décider, que la loi et la justice ne failliraient point à leur mission; que le coupable serait puni; que les citoyens raisonnables se feraient reconnaître à leur modération..... Il ajouta mille choses auxquelles le public ne prêta l’oreille qu’en murmurant et en grondant toujours.

Enfin, peu à peu la salle fut évacuée: mais alors se passa une scène déchirante. La pauvre malheureuse Alice, dont la déposition avait été si défavorable à son père, l’attendait, toute sanglottante, pour obtenir de lui un mot de pardon, avant que les portes solitaires du cachot se refermassent sur lui.

Se traînant à genoux sur le seuil de la porte, elle abaissa sa tête dans ses mains, et se répandit en plaintes désespérées.

– Oh! mon père! pourquoi ne suis-je pas morte avant de faire cette malheureuse déposition? Si l’on vous condamne, que je sois condamnée aussi! qu’on me tue avec vous!… Sera-t-elle assez misérable, ma triste vie, sans père ni mère! oh ciel! malheureuse!… malheureuse que je suis!

Newcome la regardait d’un air rancuneux, sans manifester la moindre émotion:

– Oui! grommela-t-il sourdement, qu’elle crie, qu’elle se lamente, celle qui a tout fait pour se débarrasser de son père! mais elle ne recevra pas miséricorde de celui pour lequel elle n’a eu aucune pitié! – Enfin, elle me fatigue cette fille, avec ses doléances; allons-nous en d’ici!

A ces mots, il se leva et sortit avec ses gardiens en écartant du pied la malheureuse enfant.

Cette cruauté dénaturée faillit occasionner un mauvais parti à l’inculpé; la foule fut sur le point de faire un retour agressif, et nul n’aurait pu prévoir l’issue des choses, si on ne se fut hâté de faire disparaître l’intraitable Newcome. Dans tous les cas, sa conduite confirma dans tous les esprits la certitude de sa culpabilité.

Heureusement pour Alice, les assistants ne possédaient pas tous la même dureté de cœur. La femme du constable se sentit touchée du compassion et lui offrit asile et protection:

– Pauvre petite créature du bon Dieu! murmura-t-elle, en s’essuyant les yeux avec un immense mouchoir de cotonnade jaune, tout barbouillé de tabac; elle ne sera pas orpheline de père et de mère, non! je serai sa mère, et mon mari la traitera comme une fille.

– Oui!… de par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur! ajouta en forme de conclusion l’honnête constable; oui, miss; elle a bien parlé ma femme, mistress Wyman. Oui! de par tous les diables!… Je veux dire;… quel endurci coquin! bon à pendre!

Ces discours, pleins de bonnes intentions, furent suivis d’effets immédiats; la jeune abandonnée fut aussitôt reçue, soignée, choyée tendrement chez ces braves gens au cœur d’or sous une enveloppe rustique et inculte.

Depuis ce jour mémorable mistress Hypurlock, femme de Silas Wyman, conquit un rang élevé dans l’estime et la considération du village et conserva, jusqu’à sa mort, une notable influence.

CHAPITRE V. UN REVENANT

Le même soir, l’un des joyeux membres du quatuor, actuellement réduit au trio, Flag le géomètre, revenait au gîte, harrassé de fatigue, devançant un peu l’heure habituelle du repas.

Il se rencontra inopinément avec Ed, le camarade mystifié; ce dernier était monté sur un poney, et cheminait tout doucement dans l’ombre du sentier.

– Ohé! c’est vous, Ed?… comment ça va-t-il, maintenant?

– Ça ne vous regarde pas, répliqua Ed brutalement.

– Allons, allons! venez par ici, mon vieux; allez-vous faire une affaire d’une plaisanterie?… Souvenez-vous de ce que dit la Bible: «Ne laissez pas coucher le soleil sur votre colère…» Or, le soleil est couché; donnez-moi donc une poignée de main, de bonne amitié, mon cher; oublions tout ça, jusqu’à ce que vous puissiez me rendre la pareille.

– Peuh! ne prenez donc pas la peine d’être sentimental, maître Flag! Je suppose que j’ai bien le droit d’être de l’humeur qui me plaît, sans que vous n’ayez rien à y voir. Quant à prendre une revanche, soyez sûr que je n’y manquerai pas, à l’occasion; alors il sera temps d’échanger des poignées de main.

– Tout à votre aise, cher! répondit Flag d’un ton de bonne humeur; et j’espère que ce ne sera pas long. Où vous êtes-vous procuré ce poney?

– Je l’ai acheté.

– Eh! il n’a pas mauvaise tournure: un bon et joli petit bidet. Combien l’avez-vous payé?

– J’ai donné mon fusil en échange à un Omaha.

– Avez-vous fait chasse aujourd’hui?

– Non: il m’a pris idée d’aller voir un claim sur la Platte; c’est là que j’ai vu cet animal et que j’ai été tenté d’en faire l’acquisition.

– J’espère que Doc a préparé le souper, dit Flag lorsqu’ils furent en vue de la maison; cependant je n’aperçois aucune lumière, pas de feu, et partant pas de souper. Cela tombe mal, car j’ai un appétit de loup enragé.

Flag entra et se débarrassa de son attirail de voyage; Ed resta au dehors pour prendre soin du poney.

– Je ne puis concevoir ce que Doc et Squire peuvent faire si tard dehors, ce soir, s’écria Flag; j’ai idée d’aller au village chercher de quoi souper: qu’en dites-vous; allons-nous ensemble?

Ed se tenait droit comme un poteau, dans un état de distraction si profonde qu’il tressaillit lorsque son camarade s’approcha de lui.

– Je n’ai pas faim, répondit-il, mais je suis horriblement las. Je vais rester ici et me coucher.

– Très-bien! je vous souhaite une bonne nuit, sournois, paresseux!

Et Flag s’éloigna, moitié riant, moitié irrité de l’humeur farouche manifestée par Ed.

Il était près de minuit lorsque Flag revint accompagné d’Allen et de quelques habitants de Fairview qui s’étaient offerts pour transporter le corps d’Edwards. La nuit était splendide, tiède, lumineuse. Les événements de la terre, qui nous agitent si fort, ont bien peu d’échos dans la nature.

Tout en marchant vers la maison, les jeunes gens entretenaient une conversation active sur les événements de la journée, et leur imagination surexcitée passait en revue mille circonstances relatives à leur ami défunt.

Toutes ces réminiscences agitées avaient complètement chassé le sommeil de leurs paupières, aussi lorsque, restés seuls, ils se couchèrent enfin, ce ne fut nullement pour fermer les yeux, mais pour reposer leurs membres fatigués: ils continuèrent leur conversation.

– Nous devrions éveiller Ed, je suppose, proposa Flag, et lui apprendre cet événement.

– Oh non! pas cette nuit, répliqua Squire avec accablement; j’ai eu assez d’émotions aujourd’hui; il n’y a aucune nécessité de le priver de son sommeil, puisqu’il peut dormir.

– J’ai beaucoup entendu parler de la fille de Newcome dans le village: d’après ce qu’on en dit, elle paraît être une fille bien remarquable.

– Si vous voulez dire par là qu’elle est intelligente et jolie dans des conditions bien supérieures à sa position de famille, vous avez raison. J’ajouterai même qu’elle est tout à fait gentille et dévouée à son père plus qu’il ne le mérite: ses manières distinguées, son instruction, tout m’étonne en elle; je ne puis comprendre où elle a pris tout cela.

 

– C’est bien ce que l’on dit dans Fairview. Il paraît que la femme du Juge serait très-bien portée pour elle, et qu’elle est extrêmement contrariée de voir que la femme du constable s’en soit emparée.

– Eh bien! à mon avis, elle est tombée en très-bonnes mains: elle en avait besoin, la pauvre infortunée, car le malheur l’a brisée. Je l’ai aperçue, ce matin, avant notre funeste rencontre avec son père; elle était rose, souriante, délicieuse à voir. Maintenant toutes ces secousses l’ont bien changée; on dirait une ombre éplorée.

– Tout le monde s’accorde à dire que son père s’est conduit envers elle comme un affreux gueux, comme un gredin sans cœur. Croyez-vous qu’il puisse y avoir quelque doute relativement à celui qu’on accuse d’avoir fusillé notre pauvre Doc? J’ai entendu quelqu’un raconter que tout cela n’était pas entièrement clair, malgré les preuves accablantes qui s’élèvent contre Newcome.

– Oh! tout ce qui n’est pas matériellement prouvé peut être l’objet d’un doute; quant à moi, si quelques esprits hésitent encore, je demanderai alors ce qu’il faut pour établir une conviction. Car enfin, Doc n’avait pas un ennemi dans le monde entier, que je sache: il était si généreux avec les hommes, si courtois avec les femmes, que je lui ai si souvent envié ce pouvoir d’attraction avec lequel il influençait tout ce qui l’approchait. Cette fatale querelle de claim est la seule discussion à laquelle je l’ai vu prendre part.

– Oui, et ce qui rend la chose pire, c’est qu’il a été tué méchamment dans cette affaire. Cependant, si, comme on le prétend, un autre coup de feu avait été tiré?…

– Eh bien! dans ce cas, comment admettriez-vous qu’il existât un scélérat assez vil pour se cacher en pareille circonstance et laisser peser sur un innocent une charge aussi terrible? J’avoue que cela ne m’entre pas dans l’esprit; et si Newcome ne trouve, pour sa défense, rien de mieux que cette supposition, il sera immanquablement condamné!

Les deux jeunes gens restèrent pendant quelques instants silencieux; plongés dans de pénibles réflexions. Il n’y avait pas de lumière dans la chambre: la clarté extérieure de la lune, filtrant au travers des volets sans rideaux, éclairait assez néanmoins pour qu’on pût distinguer les objets.

Et même, Flag se souvint plus tard, que jamais cette espèce de crépuscule n’avait répandu plus de clarté dans la maison; tellement que les moindres détails de l’ameublement étaient très-visibles.

Pendant qu’ils étaient ainsi tous deux muets, promenant leurs regards tout autour d’eux, une ombre passant devant la fente d’un volet, intercepta momentanément les rayons de la lune.

Mais ils ne distinguèrent pas le moindre bruit. Pourtant ils regardèrent aussitôt vers la porte qui s’ouvrit au bout d’une seconde, dans le plus profond silence; et ils aperçurent la figure bien connue de leur ami défunt, qui s’approchait de leur lit.

Là, le fantôme s’arrêta, ouvrit son vêtement, posa le doigt sur sa blessure, pendant que sa tête vacillante, éclairée par la lune, avait une expression d’agonie terrible à voir. Il se détourna ensuite, toujours silencieux, désigna Ed qui dormait profondément, et disparut lentement comme une vapeur qui se dissipe.

Les deux jeunes gens furent tellement pétrifiés d’horreur et de saisissement, qu’ils restèrent pendant quelques secondes sans rien dire, sans faire un mouvement.

Squire, le premier, reprit un peu de sang-froid et murmura:

– Avez-vous vu, Flag?…

– Que me demandez-vous? répliqua l’autre en frissonnant; vous avez donc vu?…

– J’ai vu Doc debout à côté de notre lit.

– Moi aussi..... serait-ce un tour de M. Ed? Il me fait l’effet de dormir d’un sommeil étrange; nos allées et venues, le bruit de nos voix, rien ne l’a éveillé: ça me paraît louche.

– Bah! il ne sait rien. Levons-nous, allons voir dehors.

Ils sautèrent à bas de leurs lits, ouvrirent la porte, et jetèrent un regard investigateur sur les environs. La clairière était entièrement éclairée, sans aucun point obscur où une créature quelconque eût pu se cacher: elle était silencieuse et déserte; le petit poney indien acheté par Ed broutait paisiblement l’herbe humide de rosée; nul être vivant ou remuant n’apparaissait.

– C’est vraiment étrange! murmura Squire debout sur le seuil de la porte, après avoir avidement, regardé de tous côtés et s’être convaincu que les alentours étaient dans une solitude absolue.

– Attention! dit Flag; voici Ed qui s’éveille.

– Qu’y a-t-il donc? demanda ce dernier, au moment où ils se retournèrent vers lui; Où est Doc? Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose? Pourquoi êtes-vous hors du lit?

– Pourquoi me demandez-vous s’il est arrivé quelque chose à Doc? demanda Squire, en imposant, par un signe, silence à Flag.

– Je viens de rêver. – Doc ne s’est pas couché. Pourquoi donc ne me donnez-vous aucune explication? Mais parlez donc! dit-il en se levant sur son coude.

– Ah! la chose est très-sérieuse, Ed.

– Doc a reçu un coup de feu! s’écria l’autre en sautant précipitamment à bas du lit.

– Oui, il a été atteint d’un coup de fusil. Mais, comment le saviez-vous?

– Ah! c’est mon rêve! Et il est mort?

– Oui, mort: il a été tué deux heures après votre départ.

Une exclamation de douleur échappa au jeune homme, qui, à moitié vêtu, se mit à arpenter la chambre d’un pas agité.

– Mais, au nom du ciel! pourquoi ne m’avez-vous pas parlé plus tôt de ça? Dites-moi comment c’est arrivé.

Après avoir raconté la scène sanglante qui avait occasionné la mort de Doc, Squire pria Ed de lui expliquer son rêve.

– J’ai rêvé!… dit l’autre en marchant plus vite encore, de long en large; j’ai rêvé que je voyais le docteur entrer dans la chambre, vous montrer sa blessure, en lançant des regards effrayants!… oui, effrayants!

– A-t-il fait quelque autre signe, avant ou après le geste qui indiquait sa blessure?

– Non; pourquoi cette question?

– Uniquement pour savoir jusqu’où était allée l’identité entre ce que vous avez vu en dormant, et ce que j’ai vu éveillé; car, moi aussi, j’ai vu le docteur entrer et montrer sa blessure. Est-ce également ce que vous avez vu, Flag?

– Exactement!

– Grand Dieu! murmura Ed, c’est fort étrange!

Squire raconta encore une fois tous les incidents de ce drame, à Ed qui, graduellement, redevint calme et finit par ne plus manifester que son indifférence habituelle.

Enfin ils revinrent tous trois à leurs lits, dans l’espoir d’y trouver un peu de repos; mais le jour les trouva éveillés comme au premier moment; rien n’avait pu les arracher à leurs sombres et pénibles pensées.

CHAPITRE VI. LE JUGE LYNCH

Les funérailles du docteur Edwards furent célébrées avec une certaine pompe; lorsque son corps eut été confié à la terre de cette prairie, vierge de sépultures, la foule regagna lentement le village, impressionnée de ce spectacle toujours émouvant, – l’ensevelissement d’un jeune homme, d’un étranger, dans la terre étrangère; – mais l’exaspération publique contre le meurtrier ne s’était nullement calmée.

Dans la grande log-tavern (taverne en troncs d’arbres rustiques) de Fairview il y avait une grande émotion et meeting en permanence. On avait beaucoup à causer, par-dessus tout, avec les jeunes gens qui avaient conduit le deuil de leur ami: à leur entrée dans cet illustre établissement, ils furent entourés de tout ce qui formait la partie importante de la population: dans ce nombre étaient les habitants des villages voisins; il y avait même des voyageurs que le bruit de cet événement avait retenus dans la localité.

Ordinairement dans ces contrées aventureuses, on ne fait aucune attention à un nouveau venu – le nouveau-venu est le pain quotidien du désert; – on se borne à l’endoctriner autant que possible pour lui vendre quelque coin de ces Terres d’or, quelque claim auquel on attribue un mérite fabuleux: on cherche à voir s’il a l’œil américain, à le sonder, pour mieux le perforer ensuite dans les affaires.

Mais, en cette solennelle circonstance, l’esprit de spéculation s’était assoupi, tous les instincts rapaces ou autres avaient disparu devant la grandissime attraction du jour. Un gentlemen superbe d’aspect, entre deux âges, soutint longtemps la conversation et fournit, sans respirer, une dissertation prodigieuse sur la tragique affaire. On l’écouta tant qu’il voulut parler; jamais orateur ne fut moins interrompu.

– Je n’ai jamais vu des hommes plus affligés que deux de ces jeunes gens, remarqua un des assistants; la perte d’un frère ne leur aurait pas causé plus de chagrin.

– Oui, répondit un autre, ce sont deux beaux et bons garçons. L’un d’eux est un Légiste, fils du vieux juge Allen de l’Ohio; – j’en viens aussi, moi, de ce pays-là; – l’autre est un arpenteur du Michigan; je ne me rappelle plus son nom, car ils ont eu la bizarre idée de l’appeler Flag, entre eux… tout comme je vous le dis. Je ne connais guère le troisième; il a un air qui ne me convient pas parfaitement.

– Eh bien! ni à moi non plus. Il m’a fait l’effet de ne pas répandre une seule larme de bon cœur… c’était tout pleurs de crocodile, à mon avis. Et puis, avez-vous remarqué la façon dont il regardait les spectateurs par-dessous son chapeau? Et son mouchoir?… on aurait dit qu’il allait s’en servir pour jouer à colin-maillard. Sans mentir! il ne me donne pas dans l’œil: je m étonne qu’Allen soit tellement lié avec lui.

– C’est vrai: des gens comme ça ne devraient pas être reçus partout sans examen, observa sentencieusement un assistant, qui peut-être, tout le premier, aurait été sujet à l’examen.

– Indubitablement! Moi, je dis que le meilleur de tous était celui qui vient d’aller ad patres. Il aimait à rire et aussi à être sérieux; il était encore meilleure tête qu’Allen, courageux, et farceur dans l’occasion: un vrai luron, quoi!

– Oui, oui, oui!… Ah! je trouve que nous avons mal fait de ne pas mettre la main sur ce vieux sorcier de Newcome, pour le suspendre tout droit entre ciel et terre. Il n’y a pas d’autre système à employer vis à vis de pareils copains! – Fusiller comme ça un homme, de sang-froid! que c’est lâche!

– Écoutez! ça se serait bien passé ainsi, mais on a eu pitié de sa fille. Chacun en avait le cœur gros; vraiment elle est bien malheureuse, cette pauvre enfant!

– Son père a été comme une brute féroce pour le malheureux docteur: vous savez qu’il était fiancé à une jeune fille du district des Lacs. Le maître de poste a dit qu’il a reçu avant-hier une lettre d’elle, pour lui: pensez un peu à l’impression qu’elle éprouvera en apprenant que le docteur est mort, mort assassiné!

Il est certain que si elle voit Newcome du même œil que nous, – et à mon avis ce serait passablement naturel, – le vieux scélérat ne doit pas compter sur son amitié. Mais bah! quand un homme est assez désespéré pour en tuer un autre, il ne s’arrête pas à une bagatelle d’amitié.

– On dit que la fille de Newcome est au désespoir d’avoir rendu témoignage contre son père: elle a pleuré à grands cris toute la nuit dernière, lui demandant pardon… Ah! Messieurs, je vous le demande, ce vieil endurci ne mérite-t-il pas d’être pendu, rien que pour sa dureté envers cette aimable enfant?

– Oui, mais quand sa désagréable carcasse prendra l’air entre ciel et terre, que deviendra l’intéressante orpheline? Je parie qu’elle ne connaît pas une âme dans tout le district; et puis elle est si jeune! guère plus de quinze ans, je suppose, – et si découragée!

– Sa beauté lui servira de dot; observa un galant discoureur.

– Ah! oui, parlez-en! voilà une fameuse richesse.... un beau visage, et rien pour le soigner!

– Ceci est un fait. Cependant je me rappelle avoir entendu le vieux Malicorne parler, avec une ardeur rutilante, de la jeune fille et de sa beauté: c’était justement la veille du meurtre. Ma foi, il avait l’air d’un homme prêt à faire des folies pour elle. Cependant il y aurait danger pour lui à essayer ce mariage, car sa squaw Indienne, qui est jalouse comme une panthère, le criblerait tout net de coups de tomahawk: au surplus, il n’est pas sûr qu’il soit disposé à épouser la fille d’un assassin.

– Et moi, je dis qu’elle est en bonnes mains: la femme de Wyman s’en est chargée de bien bon cœur; Wyman lui-même ferait les choses grandement pour elle, s’il n’était pas si pauvre; car il lui porte un véritable intérêt. Pour un constable, il a l’âme sensible.

– Là, là! De par tous les diables! il n’est pas si pauvre qu’il n’ait du pain assez pour une bouche de plus, dit le constable lui-même, faisant tout à coup apparition: personne, mes gentlemen, ne sait ce que l’avenir tient en réserve; et, par exemple, pouvons-nous dire si elle perdra, ou non, son père… Enfin, quoiqu’il arrive, je lui donnerai tous mes soins, elle sera l’enfant de la maison, tant qu’elle voudra y rester: ma femme l’a dit. Et maintenant, croyez-moi, il est inutile de lui prophétiser malheur, ou d’augurer mal de sa jolie figure.

 

– Hurrah pour Wyman! crièrent plusieurs voix.

Mais le brave constable n’était pas venu pour recevoir des applaudissements ou pour prendre part aux bavardages; il n’avait eu d’autre intention que de surveiller un peu ce qui se passait en ce fameux meeting; aussi allait-il se retirer tout doucement, comme il était arrivé, lorsqu’un étranger qui venait de se glisser dans la salle, le prit par le bras, en homme qui a besoin d’un renseignement.

– Pardonnez-moi, sir, lui dit-il, si je me permets de vous adresser une question: j’aurais besoin de quelques renseignements relatifs à un individu appelé Thomas Newcome: le connaissez-vous?

– Oui, sir, je connais un homme de ce nom.

– Pourriez-vous me faire connaître sa nationalité?

– On le considère comme Anglais, quoiqu’il soit, je pense, du Connecticut.

– Des environs d’Hartford, n’est-ce pas?

– Oui, c’est bien cela, j’imagine.

– Et, il a une fille. – Comment la nomme-t-on?

– Alice.

– Où est cet homme – ce Thomas Newcome?

– Pour le moment, il est prisonnier dans la maison du shériff, parce que nous n’avons pas encore de prison bâtie dans le village. Hier, un homme a été tué d’un coup de fusil, on suppose que Newcome est l’auteur de ce meurtre. Je ne puis vous dire ce qu’il y a de vrai; je lui souhaite d’être innocent.

– Ah! et sa fille, qu’est-elle devenue?

– Elle est chez moi.

– Pourrais-je la voir?

– Je ne saurais vous dire; êtes-vous de sa connaissance?

– Hum!… j’ai… je lui porte beaucoup d’intérêt; ce que j’ai à lui dire peut être fort important pour elle. En tout cas, il faut que je la voie personnellement.

– Mais, sir, je crois qu’elle ne voudra pas vous recevoir, fussiez-vous son meilleur ami; elle a la tête perdue de cette affaire si grave pour son père.

– Je ne veux autre chose que la voir; je ne lui dirai rien, je ne la troublerai en aucune façon. Je veux seulement constater une question d’identité.

– Très-bien! je ne vois rien à objecter, en ce qui me concerne. Vous pouvez venir à la maison avec moi, si, comme vous venez de le dire, il y a utilité pour elle.

– J’ai dit, peut-être, je désire, précisément, acquérir une certitude.

La maison du constable n’était pas éloignée; en trois minutes ils furent arrivés. Le constable expliqua à sa femme les prétentions du mystérieux étranger.

– Miséricorde! elle n’est plus reconnaissable, répondit la ménagère en se dirigeant vers une petite chambre proprette au premier étage; le médecin lui a fait couper hier ses beaux cheveux; c’était pitié de voir mettre les ciseaux dans ces charmantes boucles si soyeuses. Ah! mon Dieu! qu’elle est changée, la pauvre enfant! elle fait peur.

Alice était au lit, dévorée par une fièvre ardente: ses traits, empreints de la gracilité naturelle à la jeunesse, étaient pâles, amaigris, et semblaient plus grêles, plus diaphanes encore à cause de l’absence de sa chevelure. Un souffle – le souffle du malheur, – avait flétri la fleur juvénile de sa beauté.

L’étranger la considéra longtemps en silence, et demanda ensuite, en posant le doigt sur des cheveux épars dans une corbeille.

– C’est là sa chevelure?

– Oui: répondit mistress Wyman; j’ai voulu les conserver jusqu’à ce que les autres soient revenus. Ça fait pitié, vraiment!

L’étranger tira de son sein une petite miniature sur ivoire, la présenta à mistress Wyman, en lui demandant si, étant en bonne santé, Alice avait quelque ressemblance avec ce portrait.

– Mon doux Seigneur! s’écria la bonne femme avec admiration; peut-il avoir existé une créature aussi jolie que ça? Mon Dieu! c’est tout comme une peinture inventée! Je ne comprends pas qu’il y ait eu quelque part, beauté semblable! C’est encore plus charmant que la pauvre chère enfant; je ne l’aurais pas cru possible.

– Ainsi donc, reprit l’étranger, vous trouvez que miss Newcome ressemble à ce portrait?

– Oh! oui, énormément! ce sont les mêmes yeux si doux; les mêmes cheveux dorés; le même sourire d’ange; Alice, seulement, a la bouche moins parfaite, et le visage moins fier.

A ce moment, la jeune fille s’agita fiévreusement dans son lit, et murmura le cri sans cesse répété dans son délire. «Oh! mon père! pitié! pitié pour votre enfant!»

– Vous voyez son état; dit mistress Wyman; elle ne dit pas autre chose, depuis sa déposition devant la justice. La dureté de son père la tuera, elle aussi.

– Peut-être avons-nous troublé son repos, répondit l’étranger en sortant de la chambre: puis, il plaça une bourse dans la main de mistress Wyman et ajouta: – Voici une somme assez importante que je vous prie d’employer à ses besoins. Ne la laissez manquer de rien, procurez-lui tout le confort possible.

– Mais, sir, répliqua mistress Wyman précipitamment et d’un ton offensé, nous n’avons pas besoin d’être aidés, ni secourus, pour avoir soin d’elle: notre intention est de la traiter comme notre enfant.

– Je le sais, et je m’aperçois que vous avez déjà commencé à exécuter vos bonnes intentions. Néanmoins ne refusez pas: l’argent est toujours d’une grande utilité, miss Newcome peut en avoir besoin: d’ailleurs, c’est à elle que je donne et non à vous.

– Wyman m’a dit que vous aviez à lui communiquer une nouvelle peut-être avantageuse. Voulez-vous revenir auprès d’elle pour lui parler; ou bien préférez-vous nous charger de lui rapporter votre explication lorsqu’elle sera mieux portante?

– Non, je n’ai rien à lui communiquer; ne lui dites rien. Je peux attendre, elle aussi.

Sur ce propos, l’étranger prit congé du constable et de sa femme puis il revint à la log-tavern qui était la seule hôtellerie logeable du pays.

Pendant la dernière heure écoulée, cet établissement important avait vu affluer dans son enceinte une foule hétéroclite qui s’attribuait le nom magnanime de «peuple» du territoire. Cette sage et tumultueuse assemblée avait décidé à l’unanimité qu’on ne pouvait abandonner aux incertitudes de la justice territoriale un coquin aussi vil que l’assassin du docteur Edwards. Malgré ses fers, il trouverait indubitablement le moyen de s’échapper, car la maison du shériff n’était pas une prison sérieuse. En peu de jours il arriverait sans peine à se débarrasser de ses chaînes; d’autant mieux que le prisonnier était accessible à quiconque voulait l’approcher. Il importait au salut de la société de ne pas même courir le risque d’une évasion aussi dangereuse. Le prévenu avait parfaitement trahi sa brutalité dans la façon dont il avait traita sa fille… Il l’aurait tuée, s’il l’avait pu! Et peut-être… s’il parvenait à s’évader, commettrait-il ce second crime plus atroce encore!!

Tous ces raisonnements et beaucoup d’autres semblables amenèrent l’honorable assemblée à conclure qu’il serait éminemment opportun d’appliquer la loi de Lynch. Plus on discutait, plus on s’échauffait; enfin on tomba dans une sorte d’ivresse furieuse; les cris, les vociférations s’ensuivirent; le tumulte devint féroce. Vainement quelques assistants plus calmes essayèrent d’arrêter l’élan sanguinaire, on faillit leur faire un mauvais parti. Bientôt la conflagration des esprits fit explosion comme un volcan; toute cette foule hurlante, altérée de sang, courut comme un seul homme à la maison du shériff.

Cet honnête magistrat, le constable, tout le personnel de la justice, se groupèrent pour recevoir les furieux et défendre le prisonnier jusqu’au dernier souffle. Mais les Lynchers ne parurent même pas s’apercevoir de ce frêle rempart; on culbuta les braves défenseurs de la loi, on força les portes, on délia le prisonnier et on l’emmena triomphalement au lieu choisi pour l’exécution.

Après s’être formés en bataillon carré, ils placèrent leur victime au milieu, puis ils la forcèrent à suivre la marche. C’était un spectacle étrange de voir le misérable, pâle, hagard, défait, suivant le terrible cortége d’un pas ferme, sans se montrer effrayé du sort affreux qu’on lui préparait. En réponse aux injures et aux exécrations dont il était l’objet, il lançait à ses bourreaux des regards de défi et de haine, mais il ne prononçait pas une parole.