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Les terres d'or

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CHAPITRE III. UNE TRAGÉDIE DANS LES BOIS

Les splendeurs joyeuses d’une belle matinée printanière semblaient avoir donné à toute chose une vie et une animation particulières. Partout, dans les bois, retentissaient le chant des oiseaux, le murmure des insectes, l’harmonie charmante et inexprimable de ces mille petites voix confuses qui se réunissent pour former l’hymne grandiose de la nature heureuse dans sa solitude. Dans les clairières on voyait çà et là, folâtrer gracieusement les jeunes loups des prairies, glisser de monstrueux serpents roulés en anneaux étincelants, voler des papillons, courir des écureuils aux branches les plus aériennes des arbres.



Henry Edwards et Frédéric Allen (Doc et Squire du précédent chapitre) ne pouvaient contenir leur admiration à l’aspect du ravissant spectacle qui émerveillait à chaque pas leurs regards.



Leur route côtoyait les bois des collines, en suivant un sentier qui séparait la prairie des régions boisées: d’un côté ondulait l’Océan de la verte plaine; de l’autre, la forêt profonde, comme une toison luxuriante, couvrait à perte de vue les croupes fuyantes des collines dont les pentes douces descendaient jusqu’au Missouri. Par intervalles quelques longues avenues livraient passage aux regards, et dans le fond lumineux de ces voûtes ombreuses, on voyait scintiller les flots majestueux du Père des Eaux.



Un ciel dont l’azur sans tache annonçait une atmosphère pure, un soleil radieux, dans l’air et sur la terre les effluves balsamiques du jeune printemps, le bonheur de vivre, la force, la santé, le courage, l’espoir, tout souriait aux jeunes voyageurs.



La hache sur leurs robustes épaules, alertes, gais, heureux, ils cheminaient enchantant, parlant et riant.



O verte jeunesse! sourire de la vie! fleur de l’existence! que ton âme reste joyeuse! ton soleil brillant! ton ciel sans nuages!…



Et pourtant, par cette douce matinée, il y avait une jeune et charmante créature qui «ployait tristement la tête sous le fardeau de la vie.» Après avoir préparé le repas de son père, et mis tout en ordre dans sa pauvre cabane, Alice était sortie à pas lents avec une corbeille pour cueillir les fraises qui, par millions, tapissaient le sol humide des bois.



Elle était, au milieu de ce paysage enchanteur, une ravissante apparition, avec son blanc chapeau de paille que débordaient de partout les boucles soyeuses de ses cheveux blonds, son châle écarlate croisé sur la poitrine et noué derrière la taille, sa robe gris-perle flottant au gré de la brise matinale.



Doc et Squire, en l’apercevant au sortir d’un bosquet, ne purent retenir une exclamation admirative; leurs regards la suivirent avec une sympathie facile à concevoir. Ils ne songeaient déjà plus qu’ils étaient partis pour aller disputer, pied à pied, leur territoire à son père.



Alice Newcome leur était personnellement inconnue, mais sa réputation de beauté, bien répandue parmi les settlers, était depuis longtemps parvenue jusqu’à eux. Il leur suffit d’un coup d’œil pour deviner qu’elle était cette charmante glaneuse de fraises, près de laquelle ils allaient passer.



Les deux jeunes gens lui adressèrent un respectueux salut, mais continuèrent leur route en ralentissant le pas et se creusant la tête pour trouver quelque bon prétexte qui leur permît de lui adresser la parole.



De son côté, Alice leur avait adressé un timide regard, mais sans coquetterie. Elle ignorait tout artifice, la naïve enfant; ses beaux yeux, limpides comme l’azur, reflétaient son âme pure, franche, loyale.



A peine les voyageurs eurent-ils fait quelques pas, qu’un cri de terreur se fit entendre: c’était la jeune fille qui l’avait poussé. Ils revinrent en toute hâte vers elle, et la trouvèrent immobile et comme pétrifiée par la terreur, les yeux fixés sur un grand buisson tout proche.



Un coup d’œil suffit aux jeunes gens pour juger de la situation: deux énormes serpents enroulés ensemble froissaient les hautes herbes sous leurs monstrueux replis et s’avançaient vers le sentier.



– N’ayez pas peur, ces animaux ne sont point d’une espèce dangereuse; miss… miss Newcome, je présume? dit Fred Allen.



La jeune fille poussa un soupir de soulagement:



– Merci, messieurs, répondit-elle, je vous demande mille pardons d’avoir interrompu votre course; je suis d’une poltronnerie extrême en présence des serpents, et je ne sais pas distinguer ceux qui sont inoffensifs de ceux qui sont venimeux.



Tout en parlant, Alice et ses deux auxiliaires s’étaient rapidement éloignés de l’horrible groupe des reptiles.



– Je ne m’étonne nullement de votre frayeur, miss, se hâta de dire le docteur, vos impressions sont exactement les miennes; je frissonne toujours des pieds à la tête quand j’aperçois un serpent, venimeux ou non. Mais, permettez-moi de pendre pour quelques instants votre corbeille, vous êtes encore toute tremblante.



– Je vous remercie, sir; ma corbeille est trop petite pour me paraître lourde; d’ailleurs elle n’est qu’à moitié pleine, ajouta Alice en souriant, et je ne pense pas qu’il m’arrive de la remplir aujourd’hui.



– Vous avez peur d’avoir peur encore?… répliqua gaîment Allen. Puis il ajouta, en prenant la corbeille: Voyons si vous en avez assez pour votre dîner: Ah! mais non! elle n’est qu’à moitié pleine. Écoutez, mon claim fourmille de fraises; le docteur et moi nous allons nous mettre à l’œuvre et vous compléter votre provision en un clin d’œil, si vous voulez nous le permettre.



Une expression d’inquiétude vint aussitôt troubler le visage d’Alice; elle s’avança vivement, la main tendue, pour reprendre sa corbeille.



– Non, non! répondit-elle précipitamment; vous êtes trop bon, je ne veux pas vous déranger plus longtemps.



Les jeunes gens furent surpris du ton avec lequel fut dite cette phrase, et ne parvinrent pas à dissimuler leur étonnement. La jeune fille s’en aperçut fort bien, mais son trouble parut s’accroître, elle poursuivit avec une nuance d’amertume.



– N’êtes-vous pas, je crois, les gentlemen avec lesquels mon père est en dispute relativement aux limites des claims? J’ignore de quel côté est le bon droit. En conscience, je suis obligée de reconnaître que mon père est violent, irascible; mais, sirs, je crains qu’il n’arrive quelque malheur si ces discussions se perpétuent.



En finissant, la voix d’Alice était tremblante, des larmes roulaient sur ses paupières. Allen et son ami furent touchés; le chagrin d’une aussi charmante affligée ne pouvait manquer d’être contagieux.



– Ne vous alarmez pas pour votre père, miss Newcome, lui dit Allen avec la plus grande douceur; je vous donne ma parole de ne jamais user de violence dans aucune occasion.



– Je vous fais, de tout mon cœur, la même promesse, dit le docteur.



– C’est que je suis bien en peine, reprit douloureusement la jeune fille: je ne dois pas vous cacher, sirs, que mon père est sorti ce matin avec son fusil, dans un état d’emportement terrible.



– Eh bien! dit Allen en prenant un air d’indifférence affectée, votre père n’a rien à craindre et nous seuls sommes en danger; car, ainsi que vous pouvez le voir, nous ne sommes point armés.



Alice était peu habituée à de semblables conversations; elle garda timidement le silence, mais son doux regard fit à Allen une réponse bien plus expressive que tous les discours du monde. Le jeune homme, touché jusqu’au cœur par ce muet appel à sa bienveillante modération, se hâta de dire d’une voix émue:



– Maintenant, en signe de paix et de réconciliation, vous allez nous permettre de cueillir nos fraises pour en remplir votre corbeille; vous regagnerez ensuite votre logis, gentiment approvisionnée, et nous arriverons peut-être enfin à conclure une trève à toutes ces discussions. N’est-ce pas, docteur?



– Oui! je serais bien heureux d’en finir avec ces tiraillements pénibles, répliqua ce dernier en prenant doucement la corbeille où son compagnon commençait déjà à jeter des fraises.



Ainsi pressée, la jeune fille les laissa faire en souriant. Intérieurement il lui semblait que cette petite aventure n’avait rien de «dangereux,» et, qu’au contraire, le retard apporté dans la marche des jeunes gens serait utile, puisqu’il les ferait arriver moins vite sur les lieux contestés; pendant ce temps la colère de Newcome aurait le temps de s’apaiser un peu à la fraîcheur du matin.



Cette pensée, et quelques autres sentiments dont elle ne se rendait pas compte, ramenèrent le calme dans son esprit, les teintes rosées sur ses joues, le sourire sur ses lèvres: elle reçut la corbeille remplie jusqu’au bord, en remerciant avec effusion.



– Adieu maintenant, miss Newcome, dit Allen; peut-être avant ce soir votre père nous invitera à en manger chez vous.



– Dieu le veuille! j’en serais bien heureuse! répondit l’enfant avec une naïve ardeur.



Puis, tout à coup se rappelant les sévères paroles de son père, et songeant que sa conversation avec des étrangers avait duré trop longtemps, Alice rougit, baissa la tête et s’enfuit.



Après l’avoir suivie des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu derrière les arbres, Squire et Doc continuèrent leur promenade matinale.



En arrivant sur le territoire litigieux, ils trouvèrent leurs pieux arrachés entièrement, une nouvelle rangée plantée fort avant sur leur claim, en détachait une portion considérable. Cet empiétement audacieux, en tranchant dans le vif sur leur propriété, la dépouillait d’un superbe pâturage et d’une futaie magnifique.



Leur premier mouvement fut loin d’être pacifique, et ils n’auraient pas eu besoin d’être beaucoup excités pour recourir aux moyens violents. Quoiqu’ils eussent pour eux déjà le droit légal d’une concession authentique, le droit du plus fort commençait à leur paraître préférable.



Cependant, disons-le à leur louange, le souvenir des pacifiques promesses qu’ils venaient de faire à la tremblante Alice leur revint à l’esprit; ils formèrent la bonne résolution d’y rester fidèles.

 



– Tout ce que nous pouvons faire en cette occurrence, dit Allen, c’est d’imiter ce vieux singe de Newcome; arrachons ses clôtures et transportons-les à leur place légitime.



– Adopté à l’unanimité! répondit gaîment le docteur; je ne vois guère d’autre parti à prendre.



Aussitôt les jeunes gens se mirent vigoureusement à l’œuvre. Ils travaillèrent ainsi pendant une heure et demie sans être troublés dans leur occupation solitaire; mais lorsqu’ils arrivèrent à la forêt, ils aperçurent Newcome qui, appuyé sournoisement derrière un arbre, guettait tous leurs mouvements. Ne voulant pas avoir l’air de le reconnaître, jusqu’à ce qu’il s’annonçât lui-même, ils continuèrent leur besogne comme si rien n’était; arrachant, replantant, consolidant leurs pieux.



Lorsqu’ils furent tout à fait proches de lui, l’action s’engagea:



– Vous verrez sous peu votre travail perdu, leur dit l’irascible voisin avec un affreux sourire.



– Eh bien! nous recommencerons la partie dès que vous aurez fait votre jeu, répliqua aigrement le docteur.



– Oui, mais viendra le moment où vous aurez recommencé une fois de trop, gronda l’autre.



– Est-ce une menace? par hasard! demanda le docteur d’une voix de cuivre.



– Rappelez-vous notre promesse, Doc! murmura Allen à son oreille, de façon à ce que Newcome ne l’entendît pas; laissez aboyer ce vieux dogue, il ne peut nous faire grand mal.



– Oh! oh! quand je n’aboie plus, je mords, moi! riposta avec une sauvage emphase Newcome, qui avait compris les derniers mots.



Allen se doutait bien que cette escarmouche verbale ne finirait pas bien; pour donner à son ami le temps de se calmer, il s’empressa de prendre la parole avant le docteur.



– Nous ne pouvons croire, M. Newcome, dit-il posément, que vous ayez l’intention de commettre vis-à-vis de nous quelque acte violent ou illégal. Si nous ne pouvons arriver au règlement de cette difficulté entre nous, il faudra la déférer au claim-club ou à une cour de district, comme vous aimerez mieux.



– Oh! mais non! vous ne me fourvoierez pas dans les buissons de la chicane, mes beaux mignons! reprit Newcome en ricanant: je sais trop bien où s’en iraient mes droits, dans cette hypothèse. Des gens comme vous ne sont pas gênés par un excès d’honnêteté!… Je m’entends, et je préfère régler moi-même mes petites affaires.



– Prenez garde à ce que vous dites! s’écria le docteur dont le sang irlandais se mettait promptement en ébullition.



– Bast! n’écoutons donc pas ce pauvre fou! dit Allen en se détournant avec une expression de mépris.



Au même instant Newcome lui lança sur la tête un énorme gourdin qu’il avait tenu tout prêt: Allen aurait été assommé, si le docteur n’eût paré le coup avec sa hache en coupant le bâton, et le rejetant sur Newcome.



Les yeux de ce dernier étincelèrent comme ceux d’un loup; instinctivement il prit et arma son fusil qui, jusque-là, était resté appuyé contre un arbre.



– Faites attention! Newcome! Malheur à vous si vous faites feu! cria Allen. Je retirerai si vous voulez mes propos offensants, que vous avez pourtant provoqués. Croyez-moi, restons-en là, avant qu’il survienne entre nous matière à quelque terrible regret.



– Pas de trève, non! cet homme doit être mis en arrestation! vociféra le docteur hors de lui.



– Eh bien! arrêtez-moi si vous pouvez! répondit Newcome en serrant les dents.



A ces mots, il jeta son fusil sur son épaule et disparut dans le fourré.



Les jeunes gens restèrent durant quelques minutes en délibération, ne sachant quelle allure donner à cette méchante affaire, en présence d’un tel ennemi.



Tout à coup un éclair brilla dans l’ombre du bois, une détonation se fit entendre; le docteur tomba à la renverse en s’écriant:



– Allen! mon Dieu! je suis frappé à mort!



Allen fut tellement abasourdi de cette catastrophe, qu’il resta pendant quelques instants sans savoir que faire.



Cependant, au bout de quelques secondes, s’étant assuré que le pauvre Doc était réellement mort, le jeune homme reprit un peu son sang-froid et songea à poursuivre le meurtrier. Mais désespérant de l’atteindre, seul et sans armes, il courut au plus près, c’est à dire au Comptoir de la Compagnie d’Hudson: là il demanda aide et vengeance.



Sur le champ le Settlement tout entier fut sur pied, à la recherche du criminel. Chose étrange! ce dernier n’avait pas même songé à fuir: on le trouva dans le bois, à proximité du théâtre de son crime. Quand il vit arriver la foule menaçante et irritée, il promena sur elle des regards hautains et resta fièrement immobile: mais lorsque les clameurs dont il était le but lui eurent appris qu’on l’accusait d’avoir commis un homicide volontaire sur la personne d’Henry Edwards, il eut un tressaillement terrible et renversa sa tête en arrière avec une expression de mortelle angoisse.



Le corps inanimé d’Edwards fut transporté à Fairview, le chef-lieu du comté; là il fut déposé dans un caveau provisoire, en attendant la session des assises criminelles du district.



CHAPITRE IV. L’INFORMATION

C’était Allen qui soutenait l’accusation contre Newcome; lorsqu’on lui demanda quel autre témoignage pourrait être fourni dans l’enquête préparatoire, il fut forcé, bien à contre-cœur, de nommer Alice Newcome comme étant la seule personne qui pût confirmer la terrible vérité.



Cependant il devait y avoir d’autres individus informés des sentiments hostiles que le prévenu nourrissait contre sa victime; suivant l’usage, le juge les adjura de se produire pour éclairer la justice.



D’autre part, il semblait par trop cruel de demander à la propre fille du prisonnier des révélations fatales pour son père: chacun comprenait bien les angoisses dans lesquelles devait être plongée la malheureuse enfant. Allen s’offrit pour aller la trouver et entrer en pourparlers avec elle.



La cabane de Thomas Newcome était placée au centre d’une clairière, sur le sommet d’une colline dont la pente gazonnée descendait en ondulant jusqu’à la rivière Iowa: de cette élévation la vue découvrait un riant paysage tout le long du Missouri. Cette esplanade naturelle était couverte, sur trois côtés, par une épaisse ceinture de hautes futaies; verdoyants remparts tout crénelés de festons fleuris où s’entrelaçaient la liane odorante et la vigne sauvage. Devant la maison surgissaient partout des groseillers, des fraisiers, des ronces aux fruits rouges et des arbrisseaux disposés en bosquets irréguliers; le tout formant un fouillis adorable comme tous les trésors naturels que la main prodigue du Créateur a semés au sein de cette heureuse nature vierge.



La jeune maîtresse du logis s’occupait diligemment de préparer le repas de midi, mais non sans faire de fréquentes pauses pour aller sur le seuil enguirlandé de la chaumière réjouir ses yeux à l’aspect des cieux, des bois, des flots joyeux: comme un écho vivant des harmonies printanières, la gracieuse enfant chantait aussi en même temps que les oiseaux et les brises murmurantes.



En s’approchant de la cabane, Allen entendit la fraîche voix d’Alice: ses genoux fléchirent sous lui, le cœur lui manquait pour broyer cette joie innocente sous le fardeau de la douleur!



La jeune fille trottait allègrement par la maison; Allen le reconnaissait aux notes, tantôt assourdies, tantôt éclatantes de sa voix. Au moment où il apparaissait dans la clairière, Alice venait une dernière fois sur le seuil de la porte sourire avec la belle journée, messagère du printemps. Elle était ravissante à voir, toute rose de l’exercice auquel elle venait de se livrer, couronnée de ses beaux cheveux blonds flottant dans un joyeux désordre, les yeux animés et riants, les lèvres entr’ouvertes comme une grenade en fleur.



A l’aspect de ce visiteur imprévu, ses joues pâlirent un peu, sa physionomie devint sérieuse; elle étendit involontairement ses mains comme pour repousser une vision importune.



Allen s’approcha, saisit avec un tendre respect ses doigts mignons, encore teints des rougeurs de la fraise ou de la cerise. Il la fit rentrer dans la maison: la table était mise et portait sur son milieu la belle corbeille pleine, cueillie le matin par les deux jeunes gens.



– Ah! bégaya-t-il en essayant un sourire, vous offrirez bien, sans doute, quelques-uns de ces beaux fruits au convive qui vous surprend sans être invité?



Puis il se tut, retenant toujours les mains d’Alice dans ses mains tremblantes, et fixa ses yeux sur elle avec tristesse, mais ne put ajouter un mot.



La jeune fille, impressionnée par l’étrange contenance d’Allen, restait muette, effarée, immobile, pressentant quelque chose de terrible, n’osant même pas faire une question.



Allen, de son côté, ne savait comment rompre le silence: tout à coup des bruits de voix animées s’approchèrent, il se vit forcé de parler pour préserver Alice de quelque secousse plus foudroyante.



– Pauvre enfant! s’écria-t-il d’une voix navrée, j’ai de malheureuses nouvelles à vous apprendre… Votre père est en prison, et…



Il ne put achever sa phrase; la jeune fille s’arracha de ses mains et bondit en arrière avec égarement, puis elle retomba évanouie.



Allen la relevait et s’efforçait de la ranimer, lorsqu’un constable apparut sur le seuil de la porte, accompagné de deux citoyens de Fairview.



Le constable, au milieu de sa rude profession, avait conservé un cœur accessible à la sensibilité: il fut ému et hésita à remplir son pénible devoir.



– Pauvre créature! comme elle a pris cela à cœur! murmura-t-il; ouf! je n’aime pas ces affaires-là; et puis, ça me fend le cœur de voir les femmes mêlées à de semblables catastrophes; elles n’ont pas la force de supporter ça comme les hommes.



Allen ne répliqua rien. Il songeait amèrement à la triste fonction qu’il remplissait dans cette lamentable occurrence, et se figurait l’aversion que la jeune fille allait éprouver contre lui… lui, l’accusateur de son père!



– Eh! mais! ce n’est qu’une enfant, remarqua l’un des deux assistants regardant par-dessus l’épaule du constable: n’est-ce pas étrange qu’elle composât, à elle seule, toute la famille de Newcome – ce vieux gredin!



– En vérité, on se demande d’où elle tient sa beauté, dit l’autre; elle est positivement très-jolie, c’est formel.



– Retirez-vous un peu, gentlemen, s’il vous plaît, dit Allen avec un mouvement d’impatience, vous empêchez l’air d’arriver jusqu’à elle.



– Elle reprend connaissance, observa le constable en se reculant jusqu’au dehors.



Les deux citoyens de Fairview avaient moins de délicatesse que le recors; ils firent semblant de bouger, mais ils restèrent à proximité pour surveiller les mouvements de la jeune fille.



Allen les aurait souffletés s’il ne s’était retenu. Il garda un sombre silence, s’occupant avec une sollicitude et une délicatesse toutes féminines à réparer le désordre des vêtements d’Alice.



Quelques mouvements convulsifs entremêlés de sanglots annoncèrent bientôt que la jeune fille revenait à elle:



– Oh! mon père! mon pauvre père! s’écria-t-elle.



En même temps ses yeux s’ouvrirent et manifestèrent une expression d’effroi en rencontrant tous ces regards étrangers fixés sur elle. Cet entourage inattendu sembla lui inspirer une résolution effarée qui ranima ses forces.



Elle comprima ses sanglots et se leva debout dans une attitude désolée, pendant que des larmes brûlantes roulaient sur ses joues pâles et glacées.



– Prenez courage, miss Newcome, dit Allen: votre père est sain et sauf pour le moment. Peut-être la Providence lui ouvrira une voie de salut; en tout cas, il est trop tôt pour vous livrer au désespoir.



Le constable qui s’était approché pour savoir comment elle allait, entreprit de lui fournir aussi des consolations.



– Là! là! oui, miss, lui dit-il avec sa grosse voix enrouée; de par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur! Eh! il n’y aurait plus d’hommes sur la terre si la moitié seulement des accusés étaient coupables. Qui sait s’il ne surviendra pas quelque incident de nature à, établir que ce coup de feu a été purement accidentel? De par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur.



– Serait-il vrai?… mon père a donc tué quelqu’un…? s’écria Alice avec désespoir. Mais.... vous êtes vivant, sir, continua-t-elle en s’adressant à Allen; et… et… qui donc… a été tué?



– Mon ami, le docteur Edwards a été frappé d’un coup de fusil, répliqua sombrement Allen, tout palpitant au souvenir de la scène sanglante arrivée le matin.



Alice resta muette; mais les douloureuses contractions de son visage trahissaient l’amertume intérieure de son âme. Bientôt elle remarqua la présence persistante des étrangers, et comprit qu’ils attendaient quelque chose. Allen était resté assis près d’elle; elle lui demanda à voix basse quelles pouvaient être leurs intentions.

 



Allen fit approcher le constable:



– Ce gentlemen, dit-il, vous expliquera ce qu’on attend de vous.



– Ma chère miss, commença celui-ci embarrassé; de par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur: c’est toujours parfaitement désagréable pour une fille de porter témoignage contre son père; et, pour votre bonheur, j’espère que vous n’aurez pas grand’chose à dire sur son compte, quand on vous interrogera; pour votre bonheur, je l’espère. Mais la loi et la justice le veulent; de par tous les diables!… je veux dire, n’ayez pas peur: oui, il faut qu’aujourd’hui même, devant le juge, vous déclariez ce que vous savez sur cette affaire.



Alice avait dévoré avec angoisse les moindres paroles de cet homme, espérant, jusqu’à la fin, y trouver quelque lueur de consolation. Lorsqu’elle eût compris que tout ce verbiage ne signifiait qu’une seule chose: déposer contre son père! le désespoir la gagna; malgré tous ses efforts pour se raidir contre eux, ses sanglots éclatèrent à lui briser la poitrine, et elle s’écria d’une façon déchirante:



– Oh! mon père! mon pauvre père!



Ce spectacle navrant arracha des larmes à tous ceux qui l’entouraient.



– De par tous les diables!… murmura le bon constable en se plongeant les poings dans les yeux; je veux dire… non… Enfin, bref,… nous avons encore trois bonnes heures devant nous, en attendant que l’information commence: nous ferions bien de retourner en ville, et de dépêcher ici quelques femmes pour consoler cette pauvre affligée. Sans cette précaution elle ne fera qu’un cri, comme ça, jusqu’à ce soir.



Allen fit un pénible effort pour parler:



– Miss Newcome, je suis obligé d’aller au village pour vaquer aux soins funèbres qui concernent mon pauvre ami. Vous enverrai-je quelqu’un?



– Oh! non! non! non! je ne veux voir personne, si ce n’est mon père: pourrai-je le voir? demanda-t-elle en regardant le constable.



– Je ne puis rien vous dire là-dessus, jeune lady, je suis vraiment désolé, de par tous les diables,… mais il vous sera impossible de voir votre père avant l’interrogatoire.



– Reviendrai-je vous voir dans l’après-midi? demanda Allen espérant que, dépourvue d’amis comme elle l’était, Alice accepterait ses services, que, du reste, il lui offrait de bon cœur.



– Non! non! sir, répondit-elle avec une nuance de froideur: j’irai bien toute seule au village. Mais où faudra-t-il me rendre?



– Plaît-il? fit l’honnête constable toujours ému; ah! très-bien… il sera dans la maison du Juge, je pense, car nous n’avons pas encore de prison à Fairview. J’amènerai mon cabriolet pour vous prendre en passant: ne vous préoccupez de rien si ce n’est de surmonter votre chagrin. Eh!… de par tous les diables!… Je veux dire, n’ayez pas peur: tout ça tournera peut-être moins mal que nous ne le pensons.



Sur ce propos consolant, le constable se mit en route, emmenant avec lui ses deux assistants qui ne le suivaient qu’à regret, car c’était pour eux un grand crève-cœur de voir Allen rester encore, et de ne pas assister jusqu’au bout à cette lamentable représentation.



– Je tiens beaucoup à vous affirmer, miss Newcome, dit Allen, que je n’ai nullement manqué à ma promesse de ce matin, ma conduite a été complètement civile et calme: j’aurais donné tout au monde afin que cette catastrophe ne vînt pas briser ainsi plusieurs existences précieuses.



– Ah! pauvre malheureuse que je suis! Ai-je à vous remercier pour cela, M. Allen, puisque ce sera précisément la condamnation de mon père.



– Souvenez-vous bien d’une chose, pauvre enfant, c’est que le crime de M. Newcome n’est connu de personne, et qu’il ne résulte d’aucune preuve juridique. Il vous sera facile de gouverner vos paroles et vos actions en conséquence. Et maintenant je dois vous quitter afin de me préparer pour l’information qui va avoir lieu. Pendant les courtes heures qui vont précéder cette solennité, pesez et préparez tout ce qui pourra être favorable à votre père.



– Je vous remercie sincèrement de ces généreux conseils, répliqua Alice pendant que le jeune homme s’en allait à grands pas, dans le but de rejoindre le constable.



Miss Newcome n’avait même pas songé à faire quelques questions sur l’événement imputé à son père, tant elle était convaincue que ce dernier méditait depuis longtemps un acte de violence. Dans la droiture de sa conscience elle le reconnaissait coupable, et n’espérait pas son acquittement. Jeune et inexpérimentée, elle ne comprenait pas que son témoignage aurait une importance fatale, bien supérieure à celle de toute autre personne, à l’exception d’un témoin oculaire. Comme elle ignorait les circonstances du meurtre, naturellement elle pouvait, sans altérer la vérité, dire qu’elle ne savait rien: elle pouvait aussi, sans blesser sa conscience, présenter sa déposition sous le jour le plus favorable; enfin, tout espoir ne lui semblait pas perdu, surtout lorsqu’elle se rappelait les dernières paroles d’Allen.



Ces réflexions rallumèrent dans son âme une lueur de confiance, elle se sentit un peu plus courageuse pour comparaître devant le tribunal.



Lorsque trois heures de l’après-midi furent arrivées, le logement du Juge, temporairement converti en salle d’audience, fut envahi par la population de Fairview qui s’y étouffait concurremment avec les curieux de tout le voisinage.



Au milieu de la salle, sur une table grossière était étendu le corps du défunt; un chirurgien l’avait examiné, et avait extrait la balle de sa blessure mortelle.



A une extrémité de cette table était le prisonnier; à l’autre, l’accusateur. Un peu en arrière, le Juge siégeait magistralement entre ses deux assesseurs.



Lorsqu’Alice apparut à l’audience, le prévenu eût un tressaillement terrible et il fronça les sourcils d’une façon convulsive: chacun le remarqua.



Après le léger murmure qui avait accueilli l’entrée de la jeune fille, régna un silence profond: les officiers de loi procédaient.



Allen fut le premier entendu: il relata avec une saisissante énergie tous les épisodes de cette rencontre funeste et de la mort de son ami Edwards. En parlant, il s’anima au point d’oublier totalement Alice et l’intérêt qu’elle lui avait inspiré; il fut écrasant pour l’inculpé.



D’autres personnes vinrent certifier ce qu’elles savaient, concernant les éternelles discussions de Newcome au sujet de la délimitation des Claims, ses colères, ses propos menaçants contre ses jeunes voisins.



Décidément la situation de l’accusé ne devenait pas bonne.



Enfin Alice fut entendue: il passa un frisson dans la foule, lorsqu’on remarqua ses joues pâles et les regards désolés qu’elle adressait à son père. Chose étrange! ce dernier tint constamment ses yeux détournés d’elle; tout le monde l’observa.



La pauvre enfant, d’une voix si faible qu’à peine on pouvait l’entendre, expliqua que son père s’était souvent exprimé avec agitation au sujet des disputes de limites, avait parlé d’arracher les pieux de ses voisins, mais qu’il n’avait jamais manifesté l’intention d’employer une arme à feu contre ses adversaires.



Questionnée sur le caractère et les habitudes de Newcome, elle confessa ingénûment qu’il était irritable et la rudoyait quelquefois; «mais, ajouta-t-elle en élevant la voix avec un peu plus de courage, au milieu de ses plus grandes vivacités il ne m’a jamais frappée, d’où je conclus que ses colères n’ont jamais été dangereuses.»



On n’en demanda pas davantage à la jeune fille, mai