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Jim l'indien

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Enfin on se mit en marche dans la direction de Saint-Paul.

CHAPITRE XI. PÉRIPÉTIES

Comme il importait de ménager les chevaux dont la marche devait se prolonger jusqu’à une heure avancée de la soirée, on régla leur course à une allure modérée.

Jim avait pris place sur le siège de devant à côté de l’oncle John qui tenait les rênes avec la calme habileté d’un vétéran du sport. Chose bizarre ! l’Indien, malgré les cahots de la voiture, se tenait debout sans chanceler, et, de ses yeux noirs toujours en mouvement, fouillait au loin les environs.

Halleck avait pris place sur le second rang, avec Maggie ; depuis leur réunion il avait manifesté une préférence marquée pour la société de sa douce et sympathique cousine. Celle-ci paraissait encore plus grave et plus pensive que de coutume ; les dangers que sa famille traversait, les horreurs de cette guerre sauvage, les regrets du passé, les craintes de l’avenir avaient imprimé à cette âme impressionnable une teinte ineffaçable de tristesse mélancolique.

Du reste, tous les visages étaient mornes et préoccupés ; si, par intervalles, une joyeuse saillie de l’oncle John, un éclat de rire argentin de Maria rompaient le lourd silence, c’étaient comme des éclairs passant et s’éteignant aussitôt dans un ciel sombre.

Pendant que Maria et Will babillaient de leur côté, Halleck poursuivait la conversation avec Maggie.

– Quelle est maintenant votre opinion sur les Indiens du Minnesota en général ? demanda la jeune fille en tournant vers l’artiste ses doux yeux noirs.

– Je pense à tout hasard, qu’il y a parmi eux un étrange ramassis de vauriens, de vagabonds, de bandits !…

– Enfin, croyez-vous que la majorité soit bonne ou mauvaise ?

– Je ne saurais trop… pour parler il faut connaître… répondit Adolphe avec un sourire embarrassé.

– Vous êtes désillusionné, je le vois, et revenu un peu de vos poétiques théories sur cette race barbare. Voyons, soyez franc, dites votre pensée telle qu’elle est.

– Ma franchise est indubitable, chère Maggie ; aussi je vous dirai que je ne désespère point d’y trouver quelque noble type.

– Votre admiration pour le caractère Indien a quelque chose de surprenant, reprit la Jeune fille avec une énergie qui la surprit elle-même ; mais irait-elle jusqu’à vous dévouer pour l’instruction de ces peuplades perdues dans la solitude ? Irait-elle jusqu’à vous faire oublier le confort, les délices de la civilisation, pour aller vivre au milieu d’elles, afin de les évangéliser ?

– Mon opinion est que j’aurais d’abord moi-même besoin de quelques sermons, répliqua l’artiste en riant.

–N’avez-vous pas quelque autre pensée plus réellement sérieuse ? reprit Maggie. Pardonnez-moi d’amener la conversation sur un sujet pareil ; je suis franche au point de ne pouvoir garder aucune secrète pensée. Nous sommes sur le bord d’un précipice, celui de la mort ; nous pouvons y tomber à chaque instant ; il est raisonnable d’être prêts… de songer à ce grand voyage de l’Éternité.

– Assurément, Maggie, vous seriez la digne femme d’un missionnaire, vous êtes déjà une sainte, je l’affirme.

La jeune fille allait répliquer, lorsqu’une exclamation de Jim attira l’attention de tout le monde.

Toujours debout, l’Indien paraissait regarder avec attention un objet qui avait attiré ses yeux.

– Eh bien ! qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’oncle John.

– Une ferme là-bas ! répliqua le Sioux.

Effectivement, par dessus les cimes des arbres se montrait un grand toit allongé dont l’aspect fut d’agréable augure pour les voyageurs. La soirée s’avançait, la fatigue de la journée avait été accablante ; c’était une perspective attrayante que de pouvoir se reposer une heure ou deux sous un toit hospitalier.

Ce settlement avait une apparence confortable ; les bâtiments, de construction moderne, entourés de vastes dépendances, étaient construits près d’un cours d’eau considérable.

Néanmoins, malgré cet extérieur satisfaisant, Will surprit dans le regard de Jim une expression particulière empreinte d’une certaine inquiétude. Il semblait trouver que tout n’y était pas pour le mieux.

Lorsqu’on fut arrivé à une centaine de pas, après avoir bien examiné les lieux, il demanda qu’on fît halte.

Comme chacun l’interrogeait des yeux, il répondit :

– Où sont les gens ?

En effet, partout, en ce lieu, régnaient un silence, une immobilité, une absence de vie, qui n’avaient rien de naturel. La porte d’entrée était grande ouverte, semblable à une vaste plaie béante ; personne n’entrait ni ne sortait ; on n’entendait pas un souffle à l’intérieur, pas de mugissements de bestiaux, rien…

– C’est drôle, tout çà ! fit l’oncle John après avoir promené en tous sens ses yeux inquisiteurs : les fermiers se seraient-ils tous endormis après souper ?…

– Les Indiens sont passés par là, dit le Sioux en secouant la tête ; voyons donc, ajouta-t-il en sautant à terre et en courant vers la maison.

Will et Halleck le suivirent de près ; un spectacle horrible les attendait à l’intérieur.

Au milieu de la première pièce gisait, sanglant et froid, le cadavre d’un homme d’un certain âge, le père de famille, sans doute. Plus loin était étendu celui d’une femme, littéralement haché de blessures affreuses. Entre ses bras crispés était serré un petit enfant raide et glacé ; derrière, dans les cendres du foyer, apparaissaient des débris humains qu’on pouvait reconnaître comme étant ceux d’un enfant.

Les Indiens avaient laissé là l’empreinte sanglante de leur passage. Il avait dû y avoir une terrible lutte : tous les meubles étaient bouleversés, brisés, maculés de sang. Le père avait vendu chèrement sa vie et celles de sa famille ; dans ses mains raidies étaient serrées des poignées de cheveux noirs et brillants, arrachés aux têtes de ses sauvages adversaires. Mais dans cette lutte épouvantable, le nombre des assaillants l’avait emporté, le settler avait été écrasé avec tous les siens.

– Comment se fait-il qu’ils n’ont pas brûlé la maison ? demanda l’artiste qui, le premier, avait repris son incroyable sang-froid et dessinait à la hâte toutes ces scènes effrayantes.

– Trop pressés, n’ont pas eu le temps, avaient peur des soldats, répondit laconiquement le Sioux.

– Est-ce qu’il y a des troupes dans la voisinage ? demanda, avec empressement le jeune Brainerd.

– Je ne sais pas, peux pas dire, c’est possible.

– En tout cas, voilà une triste affaire, reprit Halleck, et suivant moi, si ces vagabonds.….

Une fusillade soudaine l’interrompit brusquement. Jim bondit, rapide comme l’éclair ; les deux jeunes gens le suivirent.

Ils aperçurent le chariot entouré d’un groupe d’Indiens. Les deux chevaux avaient été tués raides. L’oncle John luttait comme un lion. Maria, Maggie, mistress Brainerd étaient aux mains des Sauvages qui les tiraient brutalement sur leurs chevaux.

L’oncle John, debout sur l’avant du chariot, faisait tourbillonner avec une force irrésistible, une barre de chêne arrachée au siège de la voiture ; plus d’une tête Indienne fut brisée par ce terrible moulinet. Mais un coup de tomahawk l’atteignit traîtreusement par derrière ; il tomba en jetant un grand cri ; au même instant, son meurtrier eut le crâne troué par une balle que lançait l’infaillible carabine de Jim.

En voyant tomber le vieux Brainerd, les Indiens firent un mouvement pour se jeter sur lui et l’achever par terre ; mais le coup de feu tiré par Jim leur donna à réfléchir, ils reculèrent de quelque pas et regardèrent de tous côtés afin de découvrir ces adversaires imprévus.

Les deux jeunes gens voulurent s’élancer au secours de leur famille ; le Sioux, sombre et les sourcils froncés, leur barra rudement le passage.

– Ici ! restez ! grands fous ! Eux vous tuer, vous scalper, comme rien !

– Allons donc ! répliqua Will ; resterons-nous là, à voir massacrer nos amis ?

– Restez ! mauvais sortir de la maison, feu par les fenêtres !

Joignant l’exemple aux paroles, l’Indien arma sa carabine, visa un Sauvage prêt à poignarder l’oncle John, et l’abattit. Les jeunes gens l’imitèrent, et mettant le fusil à l’épaule, épièrent le moment favorable pour faire feu.

Les Sauvages ne s’attendaient nullement à ce qu’il y eût des êtres vivants dans la ferme, ils laissèrent les femmes aux mains de ceux qui les avaient saisies, et s’avancèrent avec précaution contre les bâtiments.

Les trois Indiens, chargés des captives, prirent leur course dans la direction du nord-est.

Lorsque le groupe de ceux qui restaient fut à proximité, Jim et ses deux compagnons firent feu. Ces détonations reçues presque à bout portant eurent un résultat prodigieux, les assaillants firent halte, pleins d’hésitation.

Malheureusement la balle de Jim avait seule touché le but ; l’agitation exaltée des jeunes gens leur avait fait manquer leur coup. Cependant les Sauvages, intimidés par cette chaude réception, craignant sans doute de rencontrer un nombre considérable de combattants, se retirèrent à l’écart, et peu à peu se rabattirent dans la direction prise par le reste de leur bande.

– Chargeons vite ! murmura Jim, ils vont vers le wagon tuer oncle John.

Effectivement, deux bandits rouges s’étaient détachés du gros de la troupe, et se rapprochaient du chariot. L’œil perçant de Jim les surveillait comme celui de l’aigle guettant sa proie.

Au moment où ils passèrent près du char, celui qui marchait le dernier lança violemment son tomahawk contre John toujours étendu sans mouvement. Par bonheur, le cheval du Sauvage broncha au même instant ; la direction du coup fut dérangée, et le vieux settler ne fut pas atteint. Cette circonstance sauva la vie à l’Indien que Jim tenait au bout de son fusil, mais sur lequel il ne voulut pas gaspiller inutilement ses munitions.

Les trois Indiens partis les premiers avec leurs captives avaient ralenti leur marche pour attendre les autres ; lorsque ceux-ci les eurent rejoints, toute la bande s’élança ventre à terre dans la direction du nord-est ; au bout de quelques secondes elle avait disparu dans les profondeurs des bois, et le plus profond silence régna dans cette solitude désolée.

 

S’il avait été possible à l’artiste de reproduire sur la toile le tableau qu’il offrait lui-même avec ses deux compagnons, il aurait certainement réalisé une œuvre capable, plus que toutes les autres, de le rendre illustre.

Le Sioux sombre, silencieux, le front pensif et menaçant, suivait du regard les ombres lointaines et fugitives des Indiens ravisseurs.

Will, pâle, abattu, les yeux voilés, regardait aussi cette route par laquelle venait de disparaître ce qu’il chérissait le plus au monde.

Halleck, l’air égaré, les yeux errants au hasard, paraissait perdu dans les idées les plus complexes ; on aurait dit un homme cherchant sa route par une nuit obscure.

Tous trois avaient oublié le vieux John Brainerd ; ils revinrent au sentiment de la réalité en le voyant se relever et accourir vers eux.

– Vous n’êtes donc pas blessé, père ? s’écria Will en s’élançant au-devant de lui.

– Pas le moins du monde ! étourdi seulement. Mais, Ô mon Dieu ! que vont-elles devenir aux mains de ces bandits ?

– Hélas ! qui peut le dire ? murmura le jeune homme avec un sanglot.

– Nos chevaux, où sont-ils ? Les miens sont tués. Ne pourrions-nous pas poursuivre cette canaille ? Qu’en dites-vous, Jim ?

Le Sioux secoua tristement la tête :

– Impossible de les atteindre, dit-il ; nous ne réussirons qu’à nous faire tuer ou à faire tuer les prisonnières.

– Miséricorde du ciel ! mais voyez donc ces scènes d’horreur qui nous entourent ! N’est-ce pas là un menaçant augure ? Plus de ressources ; mon Dieu ! plus de ressources !

Le visage bronzé du vieillard s’abaissa convulsivement dans ses mains, et des larmes brûlantes jaillirent au travers de ses doigts. Un silence douloureux régna pendant quelques instants au milieu de ce groupe désolé.

Le bras de Christian Jim s’étendit doucement vers lui et se reposa sur son épaule :

– Mon frère n’est pas sans espoir ! lui dit-il de cette voix douce et harmonieuse qui étonne quiconque n’a pas vécu parmi les Indiens.

John releva la tête et le regarda :

– Que mon frère parle au Père qui est dans les Terres Heureuses ; son oreille entend toujours la voix qui pleure ; sa main est toujours ouverte pour soutenir celui qui est affligé.

– Vous avez raison, Jim, répondit le vieillard en raffermissant sa voix ; vous me rappelez à mon devoir de chrétien… Il est vrai, le Seigneur est désormais notre unique appui, notre suprême espérance…

Tous tombèrent à genoux, et prièrent ardemment au travers de leurs larmes.

CHAPITRE XII. AMIS ET ENNEMIS

Les dernières paroles de prière montaient encore vers le ciel, lorsque le galop de plusieurs chevaux se fit entendre dans le lointain ; il approcha successivement, devint plus distinct ; bientôt une voix brève et retentissante cria : « Halte ! »

En s’avançant de quelques pas, les quatre fugitifs aperçurent un peloton de cavalerie et son officier, portant l’uniforme des États-unis.

– Holà, hé ! par là ! dit l’officier ; quelles nouvelles ?

En même temps, il mit pied à terre et s’approcha de la ferme.

C’était un homme de six pieds, gros à proportion de sa taille, coiffé d’une cape ronde de chasse, ayant pistolets à la ceinture, carabine en bandoulière, revolver suspendu à la boutonnière, sabre à la main. Son visage, allongé démesurément par une barbe pointue descendant sur sa poitrine comme un fer de lance, son visage, disons-nous, était illuminé par deux yeux d’un bleu clair fulgurant ; un nez prodigieux en bec d’épervier, des sourcils noirs, de longs cheveux roux, un teint bronzé, composaient à cet être extraordinaire le physique le plus étrange qu’on puisse rêver.

Quel type pour Halleck !… s’il eut eu le cœur à dessiner !

Le nouveau venu entama, la conversation avec une mémorable loquacité :

– Avez-vous quelque notion d’un lot de Diables peints qui doivent rôder par ici ? Ah ! ah ! Ils ont laissé dans ce lieu l’empreinte de leurs satanées griffes ! Hello ! ouf ! ils ont fait du bel ouvrage ! Ah ! je vois que vous avez fait un prisonnier ! Vous le savez, la consigne est de ne faire aucun quartier à cette vermine ; vous allez voir.

Will n’eut que le temps de relever le revolver auquel l’officier avait expéditivement recours. La balle siffla sur la tête de Jim qui n’avait pas daigné faire un mouvement.

– Eh bien ! qu’y a-t-il donc, jeune cadet ? demanda l’autre avec un air surpris ; pas de sensiblerie, jeune homme ! pas de sensiblerie ! c’est mal porté !… vous allez voir.

Il coucha de nouveau l’Indien en joue.

– Ne touchez pas à un seul cheveu de sa tête ! s’écria le jeune homme ; c’est notre meilleur ami !

– Tiens ! tiens ! tiens ! Je ne dis pas le contraire. Enchanté de faire sa connaissance !… Vous avez parlé à temps, jeune homme ; un quart de seconde plus tard, il n’aurait plus été temps de sauver sa peinture. Je m’y connais…. vous auriez vu ! Quel est ce gaillard-là ?

– Christian Jim, un Indien Sioux qui nous a rendu les meilleurs et les plus fidèles services dans ces temps de trouble.

– Très bien. Je ne dis pas le contraire. Mais, jeune homme, vous n’avez pas répondu à ma première question. Avez-vous quelque notion d’un lot de Peaux-rouges, en campagne par ici ? Répondez-moi, je vous le demande positivement.

– Je suis prêt à parler, mais lorsque vous m’en laisserez le temps, répliqua Will.

Aussitôt il s’empressa de lui raconter tous les événements déjà connus du lecteur.

L’officier écouta le récit avec un calme imperturbable ; rien ne semblait capable de l’étonner. En temps utile il se coupa une énorme chique et en offrit une pareille à Jim. Puis il s’occupa d’épousseter la poussière qui couvrait ses grandes bottes. Enfin il rechargea son revolver et promena méthodiquement un cure-dent entre ses incisives et ses molaires qui rappelaient celles d’une bête fauve.

Lorsque le jeune Brainerd eut fini sa narration, l’officier reprit :

– Tout ça, c’est une rude affaire de sport… une rude affaire ! À la dernière campagne j’ai eu un cheval tué sous moi ; oui, Monsieur, tué comme un lapin par un grand drôle peint en vert. Celui-là, je l’ai embroché en tierce. Un autre cheval fourbu, et un autre, couronné des deux genoux. Ah ! c’était trop fort ; mais je vous le dis.….

Il y eut un instant de silence pendant lequel l’honorable gentleman lissa sa formidable moustache avec le bout de sa langue et la tortilla fort agréablement en croc avec le pouce et l’index ; puis, il renouvela sa chique, et continua :

– Je suis, moi, un vétéran de la guérilla, voyez-vous. Il n’y a pas un coin du Minnesota où je n’aie tué net ma demi-douzaine de Peaux-rouges. Le tout est de savoir s’y prendre ; je vous en avertis. D’abord…

À ce moment il fut interrompu par l’oncle John qui lui dit :

– Sir, ne pensez-vous pas qu’il y ait urgence de nous mettre en chasse ? Ces bandits auront le temps de s’éloigner tellement qu’il deviendra impossible de retrouver leur piste, si nous nous laissons gagner par la nuit.

– Mon ancien, répliqua le commandant, je partage votre avis et je l’exécuterai en temps utile. Mais…. mais !… il faut de la méthode ! en tout, Sir, il en faut ! À ce sujet, souffrez que je vous dise… les Indiens sont des brutes, des bêtes fauves dont on ne fera jamais rien…. Savez-vous pourquoi ?… Parce qu’ils n’ont pas de méthode ; oui, Sir, parce qu’ils n’en ont pas. J’irai même plus loin, et je dirai qu’ils seraient de bons soldats, s’ils avaient de la méthode. Il me sera facile de vous démontrer cela par une simple histoire vous allez voir.

– Sir, reprit douloureusement le vieux Brainerd ; ma femme, ma fille, ma nièce souffrent peut-être en ce moment mille morts… hâtons-nous, je vous en supplie.

– Du calme, honorable Settler, du calme ! quel est votre nom ?

– Brainerd, sir ; ou, si vous aimez mieux, l’oncle John Brainerd.

–Très-bien, sir ; votre nom était arrivé jusqu’à moi, comme celui d’un intrépide chasseur d’ours grizzly. Vous avez mon estime.

– Alors, nous pouvons faire nos préparatifs ?…

L’officier lança obliquement un long jet noirâtre provenant de sa chique, regarda le soleil et dit :

– Oui, nous allons essayer une chasse en règle, destinée à rendre la liberté à vos dames. Honneur au beau sexe ! Mes hommes ne sont pas des conscrits, la chose ne traînera pas en longueur avec eux. Je désire avoir un renseignement préalable est-ce que cet Apollon cuivré ne pourra pas nous être de quelque utilité ?

Jim ne sourcilla point jusqu’à ce qu’on l’eût interpellé directement.

– Je ne sais pas, répondit-il.

– Je ne sais pas !… ne sais pas !… répéta impatiemment le capitaine ; ils font tous la même réponse, ces sournois-là ! Une fois, je faisais de la guérilla en Virginie ; nous avions besoin d’un guide au milieu de ces régions diaboliques, j’avisai un Nez-Coupé que m’avaient recommandé les missionnaires ; il commença par répondre à toutes mes questions : « Je ne sais pas… je ne sais pas… » Tout comme celui-ci ! Eh bien, sir, je n’ai jamais vu de renard plus futé que ce garçon là ; à lui seul il me dépista un demi-cent de Peaux-rouges que nous tuâmes fort proprement dans l’espace de deux matinées. C’est ce qui arrivera aujourd’hui, n’est-ce pas Jim ? Il me plaît vraiment, je vous le dis. J’aime ces coquins silencieux. Maintenant, attention ! il faut filer vivement. Avez-vous des chevaux ?

– Il ne nous en reste que deux, répliqua Will ; ceux du chariot ont été tués.

– Eh ! qu’importe ? deux de perdus, trois de retrouvés : regardez là-bas.

Parlant ainsi, l’officier leur montra, rôdant dans les environs, les chevaux des Indiens abattus par la carabine de Jim.

Ce dernier, avec l’aide de Will, se fut bientôt emparé de deux de ces animaux ; la petite troupe se trouvait donc parfaitement montée ; on se mit en marche sans tarder.

Tout en cheminant au petit galop de chasse, l’infatigable commandant reprit la conversation.

– Vous allez voir, gentlemen ; cette vermine sauvage peut être fort loin de nous ; elle peut aussi être fort près. Les coquins ne se doutent pas de ma présence par ici ; ils n’ont eu aucune raison pour se presser ; au contraire, je pencherais à croire qu’il leur sera venu en idée de se blottir dans quelque coin, pour se reposer d’abord, et vous tendre une embuscade ensuite ; car tout doit leur faire présumer que vous tenterez de les poursuivre. Ils savent les settlers si stupides… pardon, je voulais dire ; si inexpérimentés en matière de stratégie !… Enfin, à tort ou à raison je pense ainsi ; que dit Master Jim ?

– Je pense comme le capitaine ; répondit le Sioux qui connaissait l’officier de longue date, et qui trouvait fort satisfaisante l’attention qu’avait eue celui-ci de lui offrir une superbe chique.

– Très bien, Peau-rouge mon ami. Dans quelques minutes nous allons voir un peu le dessous des cartes, comme disent les settlers franco-canadiens. Quand nous serons au sommet de cette colline, tout un panorama de prairies s’étalera sous nos veux.

On galopa pendant près d’un quart d’heure en silence ; après quoi on arriva au sommet d’une éminence boisée qui dominait deux plaines fort étendues.

Dans le lointain, sur le bord d’une forêt épaisse, circulait un cours d’eau important ; à gauche, s’élevaient à perte de vue des coteaux boisés dont les élévations progressives aboutissaient à des montagnes bleues qui se confondaient avec l’horizon ; au pied du mamelon occupé par la petite caravane serpentait une espèce de clairière allongée et tortueuse, toute bordée d’arbres qui la recouvraient en partie ; cette avenue naturelle se prolongeait jusqu’à un gros bouquet de sapins dont l’issue devait donner immédiatement sur la rivière.

– Mes enfants ! dit le commandant, ralentissons un peu notre allure ; vous savez l’axiome du parfait cavalier : En plaine au trot, et la montée au galop, à la descente au pas ! D’ailleurs, il ne faut pas nous conduire comme des hannetons d’avril qui n’ont jamais rien vu ; notre affaire, maintenant, c’est de dépister ces rascals sans être dépistés par eux. Or donc, pour arriver à cet intéressant résultat, nous devons nous remiser sous un abri convenable, pendant que Master Jim ira en éclaireur flairer ce que contient le gros bouquet de pins, là-bas. C’est drôle, j’ai comme un avant-goût d’injuns.

Le capitaine appuya en riant sur cette façon d’articuler le mot Indien à la mode sauvage ; en même temps il regarda Jim d’un air si facétieux, en imitant la pose d’un chef Corbeau bien connu, que Jim faillit sourire et partit aussitôt en rampant sous les broussailles.

 

Pour charmer les ennuis de l’attente, l’officier, après avoir rangé son petit escadron dans une aile de forêt qui finissait en pointe du côté de la clairière, renouvela copieusement sa chique ; après quoi il passa en revue ses trois nouveaux amis.

– Le major Hachtincson, commandant le 3° escadron du 6° régiment de cavalerie légère, Minnesota’s division, dit-il en saluant tour-à-tour Brainerd père, Will et Halleck ; excusez-moi, gentleman, si je me présente moi-même, le manque absolu de société convenable dans ce désert, m’y oblige.

– Will Brainerd mon fils, sir répondit John ; Adolphus Halleck mon neveu, un Sketcher (dessinateur) distingué qui a fait, en artiste, quelques campagnes de la guerre de cinq ans.

On s’entre salua avec tout le décorum convenable ; les présentations étaient faites régulièrement, on pouvait causer.

Le major s’adressa sur-le-champ à l’artiste.

– Sir Halleck, voua avez beaucoup pratiqué le champ de bataille ? lui demanda-t-il d’un ton qui ne dissimulait point une légère ironie.

Adolphe rougit un peu, malgré son sang-froid habituel :

– Fort peu, major, le troisième coup de fusil tiré à la bataille de Bull-run m’a écorné le bout d’une oreille ; ma foi, comme je n’avais pas précisément une vocation militaire transcendante, j’ai renoncé aux travaux de guerre…

– Et maintenant, mon cousin fait des études sauvages… ajouta malicieusement Will Brainerd : Voici une belle occasion mon cher Adolphe de vous renseigner sur les vrais indiens, poursuivit-il avec un léger sourire ; le major doit s’y connaître, lui !

Halleck eut un moment d’embarras et d’hésitation, sous les regards moqueurs qui se fixaient sur lui. Cependant il reprit bonne contenance et demanda à l’officier :

– Certainement, je serais fort aise d’être fixé sur le compte de cette race d’hommes étranges, peu connus, diversement appréciés, que les uns représentent comme nobles et chevaleresques, les autres…

– Peu connus !… diversement appréciés !… Chevaleresques !… interrompit l’officier avec un éclat de rire strident ; écoutez, sir, un homme qui a vécu trente ans dans ce monde là, et que vous pouvez croire sur parole, je vous le garantis. Voici la photographie morale et physique du vrai Sauvage : tous les instincts réunis du chat, de la hyène, du tigre, du vautour, et généralement des carnassiers de bas étage ; tous les vices agglomérés des populations civilisées, des hordes barbares, des bandits hors la loi ; un amalgame de la bête fauve et du scélérat sans conscience. Voilà pour le côté moral… que j’adoucis passablement… La force, la souplesse, l’agilité, la vigueur indomptable, supérieures à celles du singe, de la panthère, du cerf, de l’aigle et de tous les animaux les plus surprenants ; une finesse de sens inouïe ; une adresse phénoménale à, tous les exercices physiques ; un corps de diamant, de bronze, d’acier, de caoutchouc ; le diable au corps et mille fois plus. Voilà pour le côté physique. Total, des monstres infernaux à figure humaine et qui réalisent l’impossible, l’inimaginable, surtout au point de vue du crime et de la méchanceté.

– Le portrait ne me semble guère flatté, murmura Halleck avec un rire forcé.

– Peuh ! J’en dis peut être encore plus de bien qu’ils n’en méritent. Et je vais vous étonner… Ces êtres-là, si, par hasard, le bon esprit du Christianisme réussit à s’introduire en eux, ces êtres-là deviennent des sujets d’élite, de nobles et dignes créatures valant beaucoup mieux que nous tous hommes civilisés.

– Mais alors ! interrompit Halleck d’un ton triomphant.

– Doucement, jeune homme ! Distinguo… comme nous disions au collège. Le Sauvage christianisé…

– Eh bien ?

– Ce n’est plus un Sauvage ! puisqu’il n’est plus mauvais.

Halleck se mordit les lèvres, en se souvenant que Maggie lui avait fait exactement la même réponse.

L’officier reprit :

–Tandis que le sauvage… le vrai sauvage… le sauvage pur…

– Eh bien ?

– C’est un méprisable et haïssable et redoutable monstre. Ergo ! ma démonstration est faite. Attention ! continua l’officier en changeant de ton, voilà Jim qui nous fait un signe, là-bas.

La petite troupe se porta avec précaution vers le Sioux qui les attendait

– Eh bien ! quelles nouvelles ? demanda l’officier à voix si basse qu’à peine l’Indien pût l’entendre.

– Rien, répondit celui-ci ; je vais voir, attendez-là.

Il poursuivit sa marche silencieuse et invisible au bout d’une demi-heure on le vit surgir de broussailles à une assez grande distance, et faire des signaux pour que la cavalerie avançât avec les plus méticuleuses précautions.

Lorsqu’on l’eut rejoint :

– Une piste ! fit-il d’une voix semblable à un souffle, en montrant quelques vestiges à peine visibles sur l’herbe. – Attendez.

Cette fois, Jim repartit avec une prudence extraordinaire, et une ardeur contenue qui étincelait dans ses yeux noirs ; il sentait sa proie !

Une heure s’écoula ainsi dans une anxieuse attente ; le major commença à perdre patience et à s’inquiéter.

– Ah çà ! votre homme ne reparaît plus, dit il à l’oreille de Brainerd ; qu’est-ce que cela veut dire ? Nous trahirait-il comme un vilain ?

– Oh non ; il en est incapable, répliqua le settler.

– Eh bien ! alors, on nous l’a pris ou tué dans quelque coin.

– Ah mon Dieu ! il ne nous manquerait plus que ce nouveau malheur !

– Non, non ! fit le major en étendant doucement son doigt vers la prairie ; voyez-vous, dans ce creux, l’herbe qui remue contre la direction du vent… et puis cette tête noire qui se soulève un peu pour nous regarder… cette main qui se montre avec précaution et nous fait un petit signe. Très bien ! il nous indique un autre bouquet d’arbres auquel il pourra arriver sans être vu de la rivière… il nous recommande de marcher doucement, doucement, sans faire de bruit, de nous bien dissimuler le long des grandes broussailles. C’est compris ! ajouta le major en répondant par un petit signe de tête ; allons, enfants ! et de la prudence !

On se glissa, avec une adresse et des précautions incomparables jusqu’au point indiqué ; là on trouva Jim qui attendait avec un visage préoccupé.

– Pas de bruit, dit-il, ils sont là ! S’ils nous entendent, ils tueront les femmes.

On se groupa dans un recoin de la forêt et on tint conseil. Le soleil était sur le point de quitter l’horizon ; il importait d’avoir une solution avant la nuit.

Le major se frottait les mains, au comble de la jubilation.

– Il faut que ça chauffe tout de suite ! dit-il ; comme nous allons brûler tous ces gredins-la ! Vous autres, Continua-t-il en s’adressant à ses hommes, ayez l’œil au guet, le doigt sur la détente, et visez juste ; chaque coup de feu doit abattre son Sauvage.

Brainerd, son fils et Halleck ne pouvaient parler, tant était terrible leur émotion. Ils apprêtèrent convulsivement leurs armes.

– Marchons, dit Jim.

La moitié des cavaliers mit pied à terre ; tout le monde se mit à ramper dans le bois, suivant la direction indiquée par le Sioux.

L’arrivée des poursuivants fut tellement silencieuse, et les Indiens s’attendaient si peu à être poursuivis, qu’ils furent surpris à cinquante pas de distance, au moment où ils étaient occupés à harnacher leurs chevaux pour le départ. Ainsi, tout le désavantage était de leur côté.

– Feu ! et chargez ensuite ! cria le major d’une voix tonnante.

Un tourbillon de fumée et de flammes remplit la clairière ; des hurlements de mort répondirent aux détonations ; quatre Indiens seulement restèrent debout ; tous les autres se tordaient sur l’herbe dans les convulsions de l’agonie.

Les trois femmes tremblantes accoururent éperdues vers leurs libérateurs. Maggie se trouvait la plus proche d’Halleck ; il s’élança vers elle.

Au même instant, un des Indiens survivants bondit sur la jeune fille, le couteau à la main, et la saisit par les cheveux.

– Veux-tu la lâcher ! démon maudit ! hurla l’artiste en armant son revolver et en faisant feu.