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Jim l'indien

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CHAPITRE IX. JIM L’INDIEN EN MISSION

Sur l’extrême sommité du coteau, les deux amis aperçurent en reflet la tige d’un arbre qui se balançait à droite et à gauche, de façon à indiquer l’intervention active d’un homme ou d’un animal.

L’artiste fit usage de son télescope pour inspecter longtemps en silence ce phénomène inexpliqué.

– Pouvez-vous me définir cela ? demanda-t-il à son compagnon, en lui passant la lunette.

– Au moment où l’arbre s’est incliné à droite, reprit Will en parlant lentement sans cesser de regarder, il m’a semblé apercevoir quelque chose comme une tête. Maintenant, appartient-elle à un Indien ou à un blanc, je l’ignore. Voyez un peu Adolphe.

L’artiste regarda longuement et avec une attention soutenue, sans pouvoir déterminer à quelle espèce humaine appartenait l’être mystérieux, objet de sa curiosité.

Cependant les deux jeunes gens avaient arrêté leurs chevaux ; cette halte fût sans doute remarquée par l’inconnu, car ses signaux devinrent plus agités qu’auparavant.

– Approchons-nous, dit Brainerd ; au moins nous saurons à quoi nous en tenir.

– Ce sera quelque pauvre réfugié, épuisé par une longue course, et ne sachant plus à quel saint se vouer.

– Dans tous les cas, pourquoi ne descend-il pas vers nous pour se faire connaître ?

– Impossible à dire ; ma curiosité est piquée au plus haut degré, il faut que j’aille savoir ce que c’est.

– Je crains quelque perfidie, observa Brainerd. Suivant toute probabilité, il y a quelque bande Indienne blottie, là-haut, dans les broussailles.

– Bah ! ils auraient déjà fondu sur nous, pour nous envelopper.

– Non ; ils ne possèdent sans doute pas de chevaux, et leur ruse constitue à se cacher. Ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent rien contre nous, à moins que nous n’approchions à portée de fusil : c’est là ce qu’ils attendent.

– Nous ne saurons rien d’ici, reprit Halleck, il faut nous approcher un peu.

Brainerd mesura soigneusement la distance du regard.

– Nous pouvons faire une centaine de pas dans cette direction ; à cette distance nous courons quelques chances d’être fusillés sans trop de danger. Il y a peu de tireurs capables d’atteindre leur but à pareil éloignement ; néanmoins j’ai connu des Indiens qui s’en seraient chargés.

Ils s’avancèrent vers la colline, doucement et avec mille précautions ; puis, lorsqu’ils se crurent au point extrême qu’il était prudent de ne pas dépasser, ils firent halte.

L’artiste regarda au travers de sa lunette ; à ce moment l’arbre tomba par terre, mais personne n’apparut derrière.

– Qu’est-ce encore, cela ? demanda-t-il en se retournant vers son compagnon.

– Il s’aperçoit que nous venons à lui, et il juge convenable de suspendre ses signaux.

– Eh bien ! s’il en est ainsi, tournons-lui le dos ; il recommencera son manège.

Les jeunes gens ramenèrent leurs chevaux dans une direction opposée, comme s’ils avaient voulu s’éloigner. Mais lorsqu’ils eurent fait quelques pas, un appel lointain arriva à leurs oreilles ; en retournant la tête ils aperçurent un Indien qui étendait vers eux sa couverture blanche.

– Bon ! fit Brainerd ; le voilà furieux de notre prudence, il nous insulte de loin.

– Voyons, que je le lorgne cette fois, comme si je voulais faire son portrait.

À ces mots, l’artiste braqua sur lui son télescope, le regarda attentivement ; puis, baissant soudain son instrument :

– Je parie que je connais cet homme, Will. Qui croyez-vous ?…

– Un Petit-Corbeau, un Nez-Coupé quelque autre de cette espèce ?…

– C’est Christian Jim.

Au moment où Brainerd, avec un signe d’incrédulité, cherchait à vérifier cette assertion, ils purent distinguer Christian Jim accourant vers eux à grande vitesse.

Quoique certains, cette fois, d’avoir affaire à un ami, les jeunes gens ne firent aucun mouvement pour aller au-devant de lui, tant ils redoutaient de faire quelque fausse démarche.

Mais, dès qu’il fût à portée de la voix, Brainerd, incapable de maîtriser sa fiévreuse impatience, s’écria :

– Où les avez-vous laissés, Jim ?

– Là-bas, à quarante milles environ dans les bois.

– Et comment vous trouvez-vous ici ?

– Je vous cherche, riposta l’Indien d’un air mécontent ; prenez-moi vite sur un cheval, vite ! les Indiens sont là !

Tous deux jetèrent un regard inquiet sur les environs ; mais n’apercevant rien, ils interrogèrent le Sioux du regard :

– Ils sont là-bas, dans l’herbe ; c’est pour çà que je restais sur la colline ; je n’aime pas ces Indiens fermiers.

– Comment se sont passées les choses, au commencement de votre fuite ?

– Bien ; nous avions pris une grande avance dans la prairie. Vers le soir, il y a eu des pistes derrière nous ; l’oncle John était parti trop tard ; les Wacoutahs suivaient nos traces.

– Ah ! mon Dieu ! Et, ma mère, ma sœur, que disaient-elles ?

– Rien ; les femmes Faces-Pâles ont été courageuses, elles ont chargé les armes en se préparant au combat. L’oncle John a poussé les chevaux ; le char courait très vite. Ensuite Christian Jim a prêté l’oreille jusqu’à terre, des plaintes volaient en l’air et retombaient dans la prairie ; les maisons craquaient dans les flammes. Le massacre et l’incendie étaient partout, devant, derrière, à côté, avec les Indiens.

– Diable ! interrompit Halleck, la situation est donc vraiment terrible ?

– Continuez, Jim ! dit Brainerd impatiemment.

– Alors, l’oncle John a dit : « Nous ne sommes pas en force pour combattre un aussi grand nombre d’ennemis ; il faut que Will et Adolphe arrivent au plus tôt.

– Et alors ?… demanda Halleck.

– Alors, Christian Jim a conduit le chariot dans un fourré impénétrable ; il y a caché les femmes et le vieux guerrier. Ensuite il a effacé avec soin toutes les traces, et il a couru chercher les amis qu’on attendait.

– Mais, pourquoi ne descendiez-vous pas de la colline, au lieu d’y rester occupé à manœuvrer comme un télégraphe incompréhensible ? demanda Halleck.

– Quand Christian Jim vous a vus, il a aperçu en même temps, une bande d’Indiens à cheval qui cheminait à très peu de distance. Pour ne pas être découvert par eux, il est resté caché derrière un arbre, tout en vous faisant des signaux capables d’attirer votre attention.

– Eh bien ! nous l’avons échappé belle ! murmura Will en pâlissant. C’est une chose terrible ! Un voyage ainsi côte à côte avec la mort, sans même le soupçonner ! Et ces indiens, que sont-ils devenus ?

Jim, au lieu de répondre, incline son oreille presque jusqu’à terre, et écouta pendant quelques instants avec une anxiété profonde.

– Ils partent au grand galop ; entendez ! fit-il en se relevant.

Les jeunes gens prêtèrent l’oreille ; un bruit semblable à un tonnerre lointain parvint jusqu’à eux, accompagné d’une clameur sauvage.

– Oui, répondit Brainerd, c’est le galop de leurs chevaux ; ils s’éloignent.

– Puissent-ils aller jusqu’en enfer et ne jamais revenir ! soupira sentencieusement Halleck.

Personne ne répondit, la marche continua silencieusement dans la direction de l’ouest. La journée était lourde et brûlante, comme il arrive souvent au mois d’août ; par cette suffocante atmosphère, hommes et chevaux étaient accablés ; cependant les jeunes gens, dans leur hâte d’arriver, auraient surmené leurs montures si Christian Jim ne les eût retenus.

– La route est longue, dit-il, les chevaux tomberont.

– Mais pourtant, il nous faut joindre, à tout prix, les pauvres fugitifs, répliqua Brainerd avec une légère disposition à la mutinerie ; ils peuvent avoir besoin de notre secours à chaque instant :

– Je ne le crois pas.

– Mais, au nom du ciel ! Jim, les croyez-vous en sûreté ?

– Ils sont entre les mains du Grand Père ! répondit l’Indien avec une solennité qui impressionna vivement les jeunes gens.

– Nous le savons, Jim, reprit Brainerd après un moment de silence ; mais nous savons aussi que, pour mériter le secours du Tout-Puissant, nous devons, nous-mêmes, remplir nos devoirs et agir courageusement jusqu’à la dernière limite de nos forces.

– Le Grand Père fait ce qui lui paraît le meilleur.

– Parlez-moi d’eux… Que pensez-vous de leur situation, des chances qu’ils ont d’échapper aux poursuites des Indiens ?

– Moi, je les crois sains et saufs. On ne les verra pas s’ils restent cachés dans le bois.

– Mais le chariot avec ses roues, les sabots des chevaux, ont dû laisser des traces profondes et faciles à reconnaître. Les yeux des Hommes-Rouges sont perçants, ils aperçoivent ce qui resterait invisible pour nous.

– Leurs regards sont voilés aujourd’hui par la fumée de l’incendie ; ils voient tout couleur de sang ; ils n’aperçoivent que les scalps des femmes, des babies ; ils ne regardent que le pillage. Le démon est dans leurs cœurs, ils ne savent plus ce qu’ils font.

Jusque-là l’artiste n’avait presque rien dit ; mais, pour plaider la cause de ses honorables Indiens, il retrouva la parole :

– Vous ne pouvez, dit-il, établir aucun parallèle entre ces honteux coquins, ces affreux vagabonds et le vrai Aborigène. Le vrai guerrier Indien est chevaleresque, honorable et loyal dans la guerre ; n’est-ce pas, Jim ?

Le Sioux le regarda avec des yeux étonnés, dont l’expression indiquait qu’il n’avait pas compris son interlocuteur. L’artiste recommença une explication ;

– Vos guerriers, c’est-à-dire vos vrais Indiens, ne sont pas semblables à ces hommes-la. !… Ils sont meilleurs, plus sensés, plus modérés dans la guerre ?… hein ?…

– Je n’en connais point comme çà, répliqua Jim en détournant la tête.

Brainerd se mit à rire et ajouta :

– Vous aurez besoin d’un fier microscope ; mon pauvre Halleck, pour découvrir les phénomènes que vous rêvez. Car ; vous venez de vous en convaincre, ils sont invisibles à tous les yeux.

 

L’artiste eut une moue dédaigneuse et sardonique ; indiquant que sa foi n’était nullement ébranlée, et qu’il admettait une seule chose, savoir que le nombre des vagabonds exceptionnels était considérable sur les frontières.

Dévoré d’inquiétude, Brainerd n’avait pu se résoudre à faire halte ; il s’était contenté de ralentir le pas ; mais, malgré cette modération à leur fatigue, les pauvres animaux continuaient de souffler et de transpirer d’une façon inquiétante.

Pour ne pas imposer toujours au même, une surcharge au-dessus de ses forces, l’Indien montait en croupe tantôt derrière Halleck, tantôt derrière Will.

Après avoir marché pendant quelques heures Jim annonça qu’on approchait et que, si aucun accident ne survenait, on aurait rejoint l’once John à la tombée de la nuit.

Mais, à peine eût-on fait cent pas que l’Indien poussa un grognement de déplaisir.

– Qu’y a-t-il encore ? demanda Will, derrière lequel celui-ci était en croupe à ce moment.

– Ugh ! les Indiens ! grommela Jim en indiquant le côté nord de l’horizon.

Tous les yeux se tournèrent dans cette direction – les jeunes gens aperçurent à une grande distance un tourbillon qu’on aurait pu prendre pour un troupeau d’animaux sauvages lancés à fond de train dans la prairie. Leur course impétueuse soulevait derrière elle des nuages de poussière ; les yeux inexpérimentés des deux hommes Blancs ne virent d’abord là autre chose qu’une horde de buffles ou de sangliers nomades. Mais bientôt le télescope d’Halleck révéla des cavaliers qui caracolaient çà et là, activant la marche de ce groupe effaré.

– Des Indiens chassant les bestiaux pillés dit le Sioux.

– Quelle direction prennent-ils ?

– Droit sur nous.

– Alors faisons vite un écart pour nous dissimuler à leur vue, nous courons les plus grands dangers ; ils sont bien montés, et nos chevaux sont trop épuisés pour nous tirer d’affaire.

Mais une double difficulté se présentait ; s’ils faisaient un trop grand détour, il leur devenait impossible de joindre les amis avant la nuit ; s’ils ne se cachaient pas promptement et sûrement, le danger était pire encore.

En quelques secondes l’état des choses empira de telle façon que les fugitifs n’eurent même plus le temps de délibérer. Les Indiens arrivaient sur eux, au vol, toujours chassant devant eux les bestiaux affolés de terreur. Cette espèce d’avalanche vivante n’était plus qu’à deux ou trois cents pas de distance, lorsque Jim fit signe à ses compagnons de se jeter à terre et de renverser leurs chevaux dans les grandes herbes.

Les pauvres animaux, épuisés de fatigue, comprenant peut-être aussi le danger, restèrent étendus sur le sol, sans faire aucun mouvement, à côté de leurs maîtres également immobiles et silencieux.

Il était temps ! Comme une trombe beuglante, mugissante, hurlante, bestiaux et Indiens passèrent si près, qu’un moment Brainerd se crut découvert. Mais, aveuglée par la poussière, enivrée de fureur et d’orgueil sauvage, la bande rouge passa sans rien apercevoir.

Les fugitifs les regardèrent s’éloigner, toujours cachés, l’oreille et l’œil au guet, la carabine au poing, prêts à disputer chèrement leurs vies, si le malheur voulait qu’une mêlée s’engageât.

Aussitôt qu’ils furent hors de vue, Jim donna le signal du départ, et on se remit vivement en route. Les premières ombres du soir ne tardèrent pas à arriver, et, avec elles, une brise agréable, dont la fraîcheur ranima les hommes et les chevaux ; la marche se continua plus allègrement, plus promptement ; bientôt, à l’extrême limite de l’horizon bleuissant, apparut un bouquet d’arbres ; c’était le refuge où l’oncle John et sa famille attendaient anxieusement l’arrivée de leurs trois amis.

– Si une horde de ces vagabonds vient à tomber sur les traces du chariot, dit l’artiste, ils se mettront en tête de les suivre ; et alors, Dieu sait qu’il faut nous hâter.

– Cela peut arriver, répliqua Brainerd, mais c’est le cas le moins à craindre. En ce moment, il y a des fuyards dans toutes les directions, les Indiens auraient trop à faire pour suivre toutes les pistes ; ils prennent au hasard. Je crains surtout que quelque groupe ennemi ait eu l’idée fortuite de camper dans le bois et ait ainsi découvert nos amis ; je crains aussi que ces derniers aient eu la malheureuse idée de fuir.

La perspective immense de la prairie trompe comme celle de l’Océan ; plus on marchait, moins on paraissait s’approcher du petit bois : deux ou trois fois, dans son ardeur impatiente, Brainerd manifesta le désir de lancer les chevaux au triple galop ; heureusement la sage influence de Jim tempéra cette hâte imprudente qui n’aurait abouti qu’à épuiser les montures dont ils avaient si grand besoin.

Sur la route s’offraient à eux, çà et là, un spectacle navrant, des scènes effrayantes. Ici une ferme brûlée ; là des corps sanglants, criblés d’affreuses blessures ; plus loin des groupes surpris dans leur fuite, des familles entières massacrées, mais qui avaient eu le triste bonheur de rester unies dans la mort comme elles l’avaient été dans la vie ; plus loin encore, les restes mutilés d’un enfant, d’une jeune fille, d’un vieillard, tombés sous l’horreur d’une mort solitaire, en un épouvantable duel avec quelque bourreau plus acharné que les autres.

Le sang bouillonnait dans les veines des jeunes gens, à de pareils spectacles : Brainerd surtout, le visage sombre, les sourcils froncés, la main crispée sur son rifle, regardait des yeux du cœur, plus loin, là-bas, où peut-être il faudrait chercher aussi dans les herbes rougies, les restes aimés de ceux qui l’attendaient pleins d’angoisse.

Jim conservait son visage de bronze, vrai masque métallique de l’Indien ; cependant à quelques ressauts des muscles de ses joues, au tremblement insaisissable de ses narines, un observateur attentif aurait pu deviner un orage intérieur et de dangereuses dispositions pour les bandits auteurs de tous ces forfaits.

Quant à l’artiste, il s’était d’abord furieusement indigné de tant d’atrocités et avait jeté feu et flammes ; mais au bout de quelques instants son caractère mobile et frivole reprenant le dessus, il s’était remis à admirer le paysage, et avait même parlé de s’arrêter un peu pour dessiner un site « délirant ». Mais une sévère rebuffade de Brainerd le ramena à des sentiments plus sérieux.

Le soleil venait de se coucher lorsque la petite cavalcade arriva, auprès du petit bois où était cachée la famille Brainerd, Les jeunes gens ralentirent l’allure de leurs chevaux pour laisser à leur ami Indien le soin de reconnaître les lieux.

Mais à peine ce dernier eût-il fait quelques pas qu’il poussa une exclamation étouffée. En réponse à la muette interrogation de Will, il montra du doigt un mince filet de fumée qui surgissait précisément du milieu du bois, et s’évanouissait dans l’azur du ciel après s’être élevé tout droit dans l’air.

Cet indice, presque imperceptible, était d’un fâcheux augure ; il pouvait déceler la présence des Indiens dans le fourré où s’étaient abrités l’oncle John et les siens ; et, dans ce cas, que s’était-il passé !

Il serait impossible de définir les émotions qui bouleversèrent les deux jeunes gens à l’aspect de ce signe alarmant. Brainerd terrifié voyait déjà une scène de massacre et d’horreur ; les cheveux blancs de son père souillés de son sang, sa mère gisante sur le sol défigurée à coups de tomahawk, Maggie, Maria, massacrées aussi, ou, sort également affreux ! entraînées en captivité ?

L’artiste amorça et examina son revolver en proférant de terribles menaces contre ces « vagabonds odieux qui déshonoraient la race Indienne ».

Le Sioux ne disait rien ; il aurait été difficile de savoir ce qu’il pensait, car il ne répondit point aux questions que lui adressaient les jeunes gens.

– Il faut que j’examine le bois, avant tout, leur dit-il enfin ; retirez-vous derrière ces broussailles avec vos chevaux et ne bougez qu’à la dernière extrémité.

Aussitôt l’Indien se mit à ramper dans l’herbe de façon à faire le tour du bois, et arriver ainsi inaperçu jusqu’à ce feu mystérieux dont la fumée était si inquiétante.

CHAPITRE X. UNE NUIT DANS LES BOIS

Le Sioux déploya toute la ruse et l’agilité indiennes dans cette difficile entreprise : les hautes broussailles, tout en le favorisant par leur abri protecteur, opposaient mille obstacles à la marche qui devait rester entièrement silencieuse. Aussi, quoique la distance à parcourir fût courte, avançait-il lentement ; une heure s’écoula ainsi, et la nuit était venue entièrement lorsqu’il arriva sous la voûte sombre du bois.

Jim s’était fait aussi son opinion concernant la fumée suspecte qu’on venait d’apercevoir. Il ne pouvait admettre que ce feu eût été allumé par ses amis : la chaleur du jour en excluait la nécessité ; d’autre part, les fugitifs avaient une trop grande crainte d’attirer l’attention de leurs mortels ennemis, pour commettre une pareille imprudence ; enfin, l’oncle John était trop expérimenté pour se départir ainsi des règles d’une précaution sévère.

Jim n’était donc pas sans appréhensions, et, quoiqu’il n’en laissât rien voir, il se sentait agité de sombres pressentiments.

Progressant plus silencieusement qu’une ombre, il glissait au milieu des branches sans froisser une feuille, sans déplacer un brin d’herbe ; l’oreille de son plus cruel ennemi n’aurait pu l’entendre, eût-il rampé à ses pieds.

En arrivant vers le lieu où s’était cachée la famille Brainerd, il s’arrêta et écouta, concentrant toutes ses facultés pour saisir le moindre son. Mais pas une feuille ne remua ; un silence de mort régnait sur toute la nature ; il sembla à Jim d’un funeste augure. Par intervalles un souffle de la brise nocturne planait dans l’air, puis il expirait aussitôt.

Si quelque ennemi se trouvait dans le bois, il dissimulait bien habilement sa présence !

Après avoir avancé encore un peu, il arriva près du foyer demi-éteint. Un seul coup d’œil lui suffit pour reconnaître qu’il était abandonné depuis plusieurs heures. Soupçonnant tout à coup la terrible réalité, il se leva, marcha droit à la cachette et la trouva vide.

Sûrement, une bande d’Indiens avait découvert les fugitifs et les avait emmenés en captivité ! Les traces du campement étaient visibles, les signes du départ étaient certains ; tout cela s’était passé depuis quelques heures seulement.

Après avoir vérifié les lieux et s’être assuré qu’il n’y avait personne, le Sioux désolé revint dans la prairie, où il fit un signal pour appeler les deux jeunes gens.

Ceux-ci accoururent au galop.

– Où sont-ils ? demanda Brainerd haletant.

– Je ne sais pas, Dieu le sait, murmura Jim avec découragement.

– Ô ciel ! est-il possible ! s’écria le jeune homme chancelant sur sa selle. Bientôt une ardeur fébrile lui monta au cerveau ; il reprit :

– Où les aviez-vous laissés, Jim ?

– Là-bas, droit devant nous.

– Y a-t-il des signes du passage des Indiens ?

– Il fait trop noir pour suivre la piste.

– Mais, Jim, demanda l’artiste, êtes-vous sûr qu’ils aient été capturés par cette race de vagabonds ?

– Je ne sais pas ; je le pense.

À ce moment Will mit pied à terre.

– Qu’allez-vous faire, Will ?

– Ils doivent être encore dans le bois ; je vais me mettre à leur recherche.

En agissant ainsi, Brainerd pensait bien qu’il faisait une chose inutile ; mais cette agitation même tempérait son désespoir.

Tous deux s’élancèrent vers le fourré avec une égale ardeur.

Jim les regardait faire avec son stoïcisme habituel, et resta immobile.

– Il ne nous faut pas marcher ensemble, observa l’artiste ; divisons nos recherches ; vous, Will, passez à gauche, moi à droite ; dans une demi-heure, au plus tard, nous nous rejoindrons à l’autre extrémité du bois. Et vous, Jim, qu’allez-vous faire ?

– Vous attendre ici.

Brainerd commença son exploration avec d’affreux battements de cœur. Chaque bête fauve fuyant devant lui, chaque oiseau s’envolant sur sa tête le faisait tressaillir ; le murmure du vent lui donnait des frissons involontaires.

Il avança pourtant, avec la résolution du désespoir, et pénétra jusqu’au centre de la forêt, cherchant, regardant, écoutant avec anxiété. Mais tous ses efforts furent inutiles ; il ne rencontrait que l’ombre et le silence.

Bientôt il arriva au bout de la forêt, et il pût voir scintiller les étoiles à travers les derniers arbres ; tout à coup il s’arrêta éperdu, palpitant ; une grande forme sombre se dressait devant lui… c’était le chariot !

N’en pouvant croire ses yeux, il fit un pas en avant et posa la main sur une roue ; le froid contact du fer dissipa tous ses doutes.

 

– Mon père ! mon père ! ma mère ! chère mère ! êtes-vous là ? demanda-t-il d’une voix frissonnante.

Aucune réponse ne se fit entendre ; Will sauta convulsivement dans le char. Son front se heurta contre un objet souple qui se balançait en l’air, c’était une courroie rompue. Il n’y avait pas autre chose ; plus rien, pas même les sièges.

Il chercha le timon, les chevaux n’y étaient plus. Cette froide et muette épave gardait son sinistre secret, tout en faisant pressentir une formidable catastrophe.

Glacé jusqu’au cœur, le jeune homme prit entre les mains sa tête qu’il sentait prête à éclater ; des larmes brillantes jaillirent de ses yeux. Il resta ainsi pendant quelques minutes sans trouver une pensée, sans savoir que devenir.

L’idée lui vint ensuite de retourner hâtivement auprès de Jim pour lui faire part de sa découverte. Mais il la rejeta aussitôt, et, poussé par une impatience dévorante ; il continua ses recherches.

Courbé presque jusqu’à terre, il sondait chaque motte de gazon, s’attendant toujours à y trouver un cadavre. L’obscurité était si profonde qu’il cherchait davantage avec les mains qu’avec les yeux.

Il rencontra les empreintes profondes qu’avaient laissées les sabots des chevaux. Ces traces étaient profondes et avaient violemment déchiré le sol. Évidemment il y avait eu là une lutte furieuse entre les braves animaux et leurs ravisseurs. Effectivement c’étaient de nobles bêtes, pleines de race, et qui n’avaient pas dû supporter patiemment l’approche d’un étranger.

Après avoir tâtonné encore pendant quelques instants sans aucun succès, il prit dans sa poche une allumette, et l’enflamma, espérant que cette clarté auxiliaire pourrait l’aider à faire quelque autre découverte. Hélas, la petite flamme tremblotante alla se refléter sur les feuilles les plus proches, mais là se borna sa faible action ; en définitive elle n’aboutit qu’à faire paraître plus épais, plus impénétrable, le cercle de ténèbres qui se resserrait autour du jeune homme.

Au moment où il laissait tomber l’imperceptible tison qui avait survécu à la brève combustion de l’allumette, Will crut entendre à peu de distance, un long et profond soupir, pareil à celui d’une créature humaine oppressée par un lourd fardeau.

Dire la terreur, le saisissement vertigineux qui s’emparèrent de lui, serait chose impossible ! Mille fantômes tourbillonnèrent autour de lui, pendant que ses yeux égarés ne voyaient partout que des milliards d’étincelles. Jamais encore le pauvre enfant n’avait éprouvé d’épouvante pareille.

Cependant sa tendresse filiale le soutint dans la lutte et l’emporta sur tout autre sentiment. Il se remit à écouter avec une attention profonde, espérant que le son plaintif allait se renouveler et lui révéler la voix de quelque personne chère.

Ce fut peine perdue ; et le silence continua d’être si profond, si absolu, que Brainerd en vint à se demander si son oreille n’avait pas été le jouet d’une illusion effrayante.

Néanmoins il se raidit contre le découragement et marcha dans la direction où il avait cru entendre gémir.

Quoiqu’il n’avançât qu’avec des précautions infinies, il trébucha tout à coup, et tomba rudement sur un corps mou qui s’agita sous lui. Ses mains, en cherchant à se retenir, rencontrèrent la tête d’un cheval ; à côté, en était un autre. Tous deux étaient vivants et venaient d’être réveillés par le jeune homme.

– Cher père ! mère chérie ! parlez, si vous êtes là ! s’écria Will.

– Eh ! c’est donc toi, mon pauvre William ? fit une voix bien connue et aimée, celle de l’oncle John ; nous t’avions pris pour un de ces brigands Indiens, et nous n’osions souffler.

Alors une ombre s’approcha, puis une autre, puis une autre et une autre encore ; toute la famille !

– Oh ! père ! balbutia Will suffoqué de joie ; quelqu’un de vous est-il blessé ou malade ?

Il saisit tendrement la main de son père et la serra ; puis il se jeta au cou de sa mère, en pleurant de joie ; Maggie, Maria furent aussi affectueusement embrassées.

– Oh ! Maria ! bien chère Maria ! murmura-t-il ; que Dieu soit béni ! je vous revois donc ? N’avez-vous aucun mal, aucune blessure ?

– Personne n’a à se plaindre, cher Will ; nous sommes tous sains et saufs. Et vous… et Adolphe ?…

– Nous allons parfaitement ; mais quelle a été notre inquiétude à votre sujet ! comment donc se fait-il que vous ayez quitté votre cachette ?

– Eh ! répliqua l’oncle John, c’est une horde de ces damnés Indiens qui est venue camper dans ce bois ; il nous a fallu déguerpir, sans quoi nous étions découverts. Heureusement nous nous sommes dérobés avec une adresse parfaite, les marauds n’ont pas seulement soupçonné notre présence. Oh sont Halleck et Jim ?

– Sur l’autre limite de la forêt ; je vais leur faire un signal.

Ces deux derniers furent bientôt arrivés, et à l’aspect de leurs amis, éprouvèrent une stupéfaction joyeuse, facile à concevoir. Il y eût encore des embrassades et des poignées de main à n’en plus finir. L’artiste éprouvait une émotion telle qu’il ne pouvait dire un mot, exalté qu’il était par la joie et la surprise.

Pendant quelques instants ce fut un pêle-mêle de questions et de réponses presque joyeuses. À la fin l’oncle John demanda des nouvelles de la ferme.

– Ah ! ma foi ! qu’importe ! qu’importe ! s’écria-t-il d’un ton ferme, en apprenant qu’elle était brûlée ; nos vies sont sauves, c’est déjà beaucoup. J’ai fait deux fois ma fortune ; il n’est pas trop tard pour recommencer.

– Nous ne sommes pas encore hors des bois, observa son fils ; nous ferions bien de ne pas perdre un instant.

– À mon avis, il fait trop sombre pour marcher maintenant, dit M. Brainerd, nous ferons sagement de rester ici jusqu’au point du jour. Nous pourrions perdre notre route, nous égarer en pays ennemi, et lorsque le soleil nous avertirait de l’erreur, il ne serait plus temps de la réparer.

– Bast ! Jim est un trop bon guide pour s’égarer ainsi, répliqua l’oncle John ; il a si souvent parcouru les bois et la prairie qu’il s’y reconnaît les yeux fermés : N’est-ce pas Jim ? que dites-vous de ça ?

– Il faut rester ici jusqu’à demain et retourner au chariot ; les femmes y dormiront dedans.

L’Indien avait raison. Les voyageurs et leurs chevaux avaient un pressant besoin de se reposer, car ils venaient de subir les plus rudes épreuves, et une très longue marche leur était encore nécessaire pour se tirer entièrement hors du danger. D’autre part, ce n’était point un délai de quelques heures qui pouvait accroître les chances de danger, en augmentant d’une manière sensible le nombre des Indiens soulevés ; tout le mal qu’on pouvait craindre sur ce point étant à peu près réalisé.

On campa donc du mieux possible ; les femmes dans le chariot ; les hommes dans leurs couvertures, par terre ; et on s’endormit profondément.

Jim seul ne laissa pas le sommeil approcher de ses paupières ; avec cette vigueur physique et morale qui caractérise l’Indien dans son existence aventureuse des bois, il resta debout, appuyé contre un arbre, impassible comme une statue de bronze, vigilant comme un chat sauvage, entendant tout, voyant tout dans les profondeurs de la nuit et de la forêt.

Aux premières clartés de l’aurore, tous les fugitifs furent sur pied ; l’oncle John fit la prière matinale, lut un chapitre de la Bible ; tous ensemble demandèrent « au père qui est dans les cieux » le secours tout-puissant de la Providence paternelle.

C’était un spectacle touchent de voir ces créatures affligées, exilées dans la solitude, fuyant une mort pour en affronter une autre, de voir ce guerrier sauvage, remettre leur sort aux mains miséricordieuses de Celui dont la « bonté s’étend sur toute la nature ».

Les prières terminées on songea au repas, et, quoique les vivres fussent froids, on y fit grandement honneur.

Ensuite on partit. Ce ne fut pas une médiocre difficulté de tirer le chariot du bois et de le remettre dans la bonne route ; heureusement il y avait, à cette heure, deux chevaux de renfort : l’opération fut accomplie sans trop de peine.

Une fois en bonne direction, le petit convoi s’arrêta pendant quelques minutes, pour laisser au Sioux le temps d’examiner les alentours afin de se convaincre qu’il n’y avait pas d’ennemis.