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Jim l'indien

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Ils s’acheminèrent donc tout doucement hors du salon et allèrent rejoindre sous le portique leur hôte sauvage. Ce dernier fumait toujours avec la même énergie silencieuse, et sa pipe illuminait vigoureusement son visage, à chaque aspiration qui la rendait périodiquement incandescente. Il garda un mutisme obstiné jusqu’au moment où l’oncle John l’interpella directement.



– Jim, vous paraissez tout changé ce soir. Pourquoi n’êtes-vous pas venu prendre part à la prière ? Vous ne refusez pas d’adresser vos remerciements au Grand-Esprit qui vous soutient par sa bonté.



– Moi, lui parler tout le temps. Moi, lui parler quand vous lui parlez.



– Dans d’autres occasions vous aviez toujours paru joyeux de vous joindre à nous pour ces exercices.



– Jim n’est pas content : il n’a pas besoin que les femmes s’en aperçoivent.



– Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire ?



– Les trafiquants Blancs sont des méchants ; ils trompent le Sioux, lui prennent ses provisions, son argent, jusqu’à ses couvertures.



– Ça a toujours été ainsi.



– L’Indien est fatigué ; il trouve ça trop mauvais. Il tuera tous les Settlers.



– Que dites-vous ? s’écria l’oncle John.



– Il brûlera la cabane de l’Agency ; il tuera hommes, femmes, babys, et prendra leurs scalps.



– Comment savez-vous cela ?…



– Il a commencé hier ; ça brûle encore. Le Tomahawk. est rouge.



– Dieu nous bénisse ! Et, viendront-ils ici, Jim ?



– Je crois pas, peut-être non. C’est trop loin de l’Agency ; ils ont peur des soldats.



– Enfin, les avez-vous vus, Jim ?



– Oui j’ai vu quelques-uns. Ça contrarie Jim. Il y a trop chrétiens qui sont redevenus Indiens pour tuer les Blancs. C’est mauvais, Jim n’aime pas voir ça, il s’est en allé.



– Fasse le ciel qu’ils ne viennent pas dans cette direction. Si je savais qu’il y eût danger pour l’avenir, nous partirions instantanément.



– Ne serait-il pas convenable de nous embarquer demain, sur le Steamboat, pour Saint-Paul ? demanda Halleck, singulièrement ému par les inquiétantes révélations de l’Indien.



– Ah ! répliqua l’oncle John en réfléchissant, si nous quittons la ferme, elle sera pillée par ces larrons à peau rouge, en notre absence. Je n’aimerais pas, à mon âge, perdre ainsi tout ce que j’ai eu tant de peine à amasser.



– Mais cependant, père, si notre sûreté l’exige ! observa Will.



– S’il en était ainsi je n’hésiterais pas un seul instant ; néanmoins, je ne crois pas qu’il y ait à craindre un danger immédiat. C’est probablement une terreur panique dont on s’émeut aujourd’hui, comme cela est arrivé au printemps dernier : le seul vrai danger à redouter c’est que ce désordre prenne de l’extension et arrive jusqu’à nous.



– Les Sauvages sont vindicatifs et implacables lorsque le diable les a soulevés, remarqua sentencieusement Halleck en allumant un autre Havane ; mais, comme je le soutenais tout à l’heure à table, leurs actions même blâmables reposent toujours sur une base honorable.



– Christian Jim, voulez-vous ce cigare ? Il sera je crois, préférable à votre pipe.



– Je n’en ai pas besoin, répliqua l’autre sans bouger.



– À votre aise ! il n’y a pas d’offense ! Oncle John, nous disons donc qu’il n’y a pas lieu de s’effrayer ?



– Ah ! ah ! mon garçon, il y a bien réellement un danger, c’est certain ; viendra-t-il, ne viendra-t-il pas jusqu’à nous ?… c’est incertain. Avez-vous entendu dire quelque chose de ces troubles pendant que vous étiez sur le steamer ?



– Depuis que vous me parlez de tout çà, il me revient un peu dans l’esprit que j’ai dû ouïr murmurer je ne sais quoi au sujet des craintes qu’inspiraient les Sauvages. Mais je ne me suis point préoccupé de ces fadaises ; d’ailleurs, je commence à croire que les Blancs par ici n’ont qu’une toquade, c’est de dénigrer les Peaux-Rouges.



– Ah ! pauvre enfant ! comme vous aurez changé d’opinion, lorsque vous serez plus âgé d’un an seulement ! dit le jeune Will qui semblait beaucoup plus affecté que son père des mauvaises nouvelles apportées par le Sioux. Les plus funestes légendes que nous aient léguées nos ancêtres sur la barbarie Indienne, ont pris naissance dans ce pays même, dans le Minnesota.



– Sans nul doute, les informations de Jim sont sures, et il ne voudrait pas sciemment nous tromper, reprit l’oncle John sans prendre garde à cette dernière remarque ; je vais tirer cela au clair avec lui. – Jim devons-nous quitter les lieux cette nuit ?



L’Indien resta deux bonnes minutes sans répondre. Les bouffées s’envolèrent de sa pipe plus épaisses et plus rapides ; son visage se contracta sous les efforts d’une méditation profonde : enfin il lâcha une monosyllabe



– Non.



– Quand faudra-t-il partir ? demanda Will.



– Sais pas. Peux pas dire. Il faut attendre d’en savoir davantage ; j’irai voir et je dirai ce que j’aurai vu ; peut-être il vaudra mieux rester.



– Enfin, il sera encore temps demain, n’est-ce pas.



– Je l’ignore. Attendez que Jim ait vu ; il parlera à son retour.



– Eh bien ! je pense que nous pourrons dormir tranquilles cette nuit. En tout cas, nous sommes entre les mains de Dieu, et il fera de nous ce que bon lui semblera. Je suis fâché, mon cher Adolphe, qu’un semblable déplaisir trouble la joie que nous éprouvions tous de votre visite.



– Ne prenez donc pas cela à cœur, par rapport à moi, cher oncle, répliqua l’artiste en renversant la tête et lançant méthodiquement des bouffées, tantôt par l’un tantôt par l’autre coin de la bouche ; je suis parfaitement insoucieux de tout cela, et je prolongerais, s’il le fallait, ma visite exprès pour vous convaincre de mon inaltérable sang-froid en ce qui concerne les Peaux-Rouges. Vous connaissez mon opinion sur les Indiens, je suppose ; au besoin, je vais vous la manifester de nouveau.



– L’expérience ne la modifiera que trop ! répondit l’oncle John.



– La vérité parle par votre bouche, cher oncle ! Lorsque j’aurai été témoin de ces atrocités dont on me menace tant, alors seulement je croirai que les guerriers sauvages ne ressemblent pas à l’idéal de mes rêves.



– Je crains fort…



L’oncle John s’arrêta court ; en se retournant par hasard, il venait d’apercevoir dans l’entrebâillement de la porte, le visage inquiet de sa femme, plus pâle que celui d’une morte.



– John ! murmura-t-elle ; au nom du ciel ! de quoi s’agit-il ?



Le mari était trop franc pour se permettre le moindre mensonge ; il se contenta dire :



– Polly, regagnez votre chambre ; je vous dirai çà tout à l’heure.



Mistress Brainerd resta un moment irrésolue, hésitant à obéir et à rester ; enfin elle s’éloigna en disant à son mari



– Ne vous faites pas attendre longtemps, John, je vous en supplie.



Aussitôt qu’elle fut hors de portée de la voix, l’oncle John reprit :



– Allons nous reposer ; il est temps de dormir pour réparer nos forces. Allons Jim !



– Non, il faut partir, moi, répondit le Sioux.



– Vous ne voulez pas passer la nuit avec nous, mon ami ? lui demanda Halleck, de sa voix affable et gracieuse.



– Je ne peux rester ; il faut aller loin, moi grommela l’Indien en se levant et s’éloignant à grands pas.



Chacun se rendit à sa chambre respective et se coucha. Halleck ne put s’endormir ; il agitait dans son esprit les probabilités des événements, mais n’accordait aucune confiance aux appréhensions que chacun manifestait autour de lui. Les jours néfastes de massacre et de vengeance indienne, lui apparaissaient éloignés de plus d’un siècle ; il considérait comme une absurdité inadmissible l’occurrence d’une catastrophe semblable, en plein Minnesota, c’est-à-dire en pleine civilisation ; décidément les terreurs de ses amis lui faisaient pitié.



Néanmoins il éteignit sa bougie ; déjà un agréable assoupissement, précurseur du sommeil, commençait à fermer ses paupières, lorsqu’une clarté indéfinissable se montra au travers de ses volets. Il sauta vivement à bas de son lit, et courut à la fenêtre pour explorer les alentours. Un coin de l’horizon lui apparut rouge et sanglant des reflets d’un incendie ; ce sinistre semblait être à une distance considérable, dans la direction des basses prairies ; l’obscurité ne permettait de distinguer aucun détail du paysage.



Cependant, les regards investigateurs de l’artiste finirent par remarquer une grande forme sombre découpée en silhouette sur le fonds lumineux ; Ce fantôme humain marchait à grands pas dans la direction du feu ; à sa longue couverture blanche, Halleck reconnut Christian Jim ; il resta longtemps à sa fenêtre, le regardant s’éloigner, jusqu’à ce qu’il ne fut plus visible que comme un point mourant ; enfin il alla se coucher en murmurant :



– C’est un drôle de corps que ce Sioux ; bien certainement, lui et mes honorables parents vont mettre cet incendie sur le compte des pauvres Indiens… comme si ces malheureux Sauvages n’avaient pas assez de leurs petites affaires, sans venir se mêler des nôtres !…



Sur quoi Halleck s’endormit et rêva chevalerie indienne.



CHAPITRE IV. CROQUIS, BOULEVERSEMENTS, AVENTURES

Dans la maison du settler, personne, excepté Halleck, n’avait aperçu la lueur nocturne de l’incendie. Il se garda bien d’en parler, estimant judicieusement que cette nouvelle ne servirait qu’à fournir un thème inépuisable aux propos désobligeants sur les pauvres Sauvages ; il s’assura donc un secret triomphe en gardant le silence.



La matinée suivante fut admirable, tiède, transparente ; une de ces splendides journées où il fait bon vivre !



Halleck décida qu’il passerait sa matinée à croquer les paysages environnants, et il invita Maria et Maggie à lui servir de guides dans son excursion. Mais Mistress Brainerd, pour diverses nécessités du ménage, jugea convenable de retenir sa fille à la maison ; le nombre des touristes se trouva donc réduit à deux.

 



Personne, mieux que Miss Allondale, ne pouvait servir de cicérone à l’artiste ; pendant son séjour d’été elle avait parcouru le pays en tous sens, ne négligeant pas un bosquet, pas une clairière. Elle avait fait connaissance avec les plus beaux sites, et dans sa mémoire, elle conservait comme dans un musée vivant, une collection admirable de points de vue.



– Et maintenant, très excellent sir, dit-elle une fois en route, quel genre de beauté pittoresque faut-il offrir à votre crayon habile ?



– Tout ce qui se présentera.



– Et vous pensez accomplir cette tache aujourd’hui ?



– Oh non ! il me faudra des semaines, des mois peut-être.



– Cependant je désirerai connaître vos préférences.



– Peu m’importe. Je me réjouis de m’en rappeler à votre choix.



– Tenez, voici une perle de lac, un vrai bijou, qui scintille là-bas au pied des paisibles collines ; il est à demi caché par un rideau de nobles sapins qui se mêlent harmonieusement aux bouleaux argentés. C’est tout petit, tout mignon ; mais j’ai souvent désiré de posséder vos crayons pour reproduire ce merveilleux coin du désert.



– Allons-y !



Tous deux se dirigèrent au nord, vers le lac Witta-Chaw-Tah. Ils marchaient dans une prairie moussue, dans les hautes herbes de laquelle dormaient de grands arbres couchés comme des géants sur un lit de velours vert ; plus loin se présentèrent de gracieuses collines en rocailles jaunes, grises, bronzées, chatoyantes des admirables reflets que fournit le règne minéral ; au milieu de tout cela, des fleurs inconnues, des plantes merveilleuses aux feuillages dorés, diamantés, des arbrisseaux bizarres, des senteurs divines, des harmonies célestes murmurées par la nature joyeuse.



Ils arrivèrent au lac ; c’était bien, comme l’avait dit Maria, une perle enchâssée dans la solitude. Tout au fond, formant le dernier plan, s’élevait un entassement titanique de roches amoncelées dans une majestueuse horreur. Leur aspect sévère était adouci par un déluge de petites cascades mousseuses et frétillantes qui sillonnaient toutes les faces rudes, grimaçantes, froncées de ces géants de granit. Des touffes d’herbes sauvages, de guirlandes folles, de lianes capricieuses, s’épanouissaient dans les creux, sur les saillies, autour des corniches naturelles ; des fleurs gigantesques, sorties du fond des eaux, montaient le long des pentes abruptes que décoraient leurs immenses pétales de pourpre ou d’azur.



À droite, à gauche, des forêts profondes, silencieuses, incommensurables ; des déserts feuillus, enguirlandés, mystérieux, pleins d’ombres bleues, de rayons d’or, de murmures inouïs !



Le lac, plus pur, plus uni qu’une opulente glace de Venise ; le lac, transparent comme l’air, dormait dans son palais sauvage, sans une ride, sans une vague à sa surface d’émeraude bleuissante.



Quelques grands oiseaux, fendant l’air avec leurs ailes à reflets d’acier, planaient au-dessus des eaux, dont le miroir profond renvoyait leur image.



Halleck poussa des rugissements de joie.



– Je vous le dis, en vérité, aucun pays du monde, pas même la Suisse, ou l’Italie ne sauraient approcher d’une sublimité pareille. Cependant il y manque un élément, la vie ; sans cela le paysage est mort.



Maria lui montra du doigt les oiseaux qui tournoyaient sur leurs têtes.



– Non, ce n’est pas assez. Il me faudrait autre chose encore, plus en harmonie avec ces grandeurs sauvages. Nous pourrions bien y figurer nous-même ; mais nous n’y sommes que des intrus…. et pourtant, il me faut de la vie là-dedans !…. un daim se désaltérant au cristal des eaux ; un ours grizzly contemplant d’un air philosophe les splendeurs qui l’entourent ; ou bien…



– Un Indien sauvage, pagayant son canot ?



– Oui, mieux que tout le reste ! Là, un vrai Sioux, peint en guerre, furieux, redoutable ! ce serait le comble de mes désirs.



– Bah ! qui vous empêche d’en mettre un ?… Je suis sûre que vous en avez l’imagination si bien pénétrée, que la chose sera facile à votre crayon.



– Sans doute, sans nul doute ; mais, vous le savez, chère Maria, rien ne vaut la réalité.



– Mon cousin, je crois que vous avez une chance ébouriffante ? Si je ne me trompe, voilà là-bas un canot indien. Sa position, à vrai dire, n’est guère favorable pour être dessinée.



En même temps, Maria montra du doigt, un coin du lac hérissé d’un gros buisson de ronces qui faisaient voûte au-dessus de l’eau. Dans l’ombre portée par cet abri, apparaissait d’une façon indécise, un objet qui pouvait être également une pierre, le bout d’un tronc d’arbre, ou l’avant d’un canot.



Si l’œil exercé d’un chasseur avait reconnu là un esquif, il aurait constaté aussi que son attitude annonçait la secrète intention de se cacher, comme si le Sauvage qui s’en servait eût cherché à se dérober aux regards. Mais, quelle raison mystérieuse aurait pu dicter cette conduite ?… Et quel chasseur ou settler aurait eu l’idée de concevoir quelque inquiétude à l’apparition de cette frêle embarcation ?



Quoiqu’il en soit, il fallut plusieurs minutes à l’artiste pour distinguer l’objet que lui indiquait sa vigilante compagne ; lorsque enfin il l’eût aperçu, sa forme et sa tournure répondirent si peu aux idées préconçues du jeune homme qu’il ne put se décider à y voir un canot.



– Mais je suis sure, moi ; insista Maria ; j’en ai vu plusieurs fois déjà ; il est impossible que je me trompe. Je vois dans ce canot un fac-similé exact de ceux que Darley a si bien dessinés dans ses illustrations de Cooper. Vous êtes donc forcé de convenir que vos amis ont de meilleurs yeux que vous.



– Mais où est son propriétaire, l’Indien lui-même ? Nous ne pouvons guère tarder de le voir ?



– Il est sans doute à rôder par là dans les bois. Adolphe ! s’écria soudain la jeune fille ; savez-vous que nous ne sommes pas seuls !



– Eh bien ! quoi ? répliqua vivement Halleck, ne sachant ce qu’elle voulait dire.



– Regardez à une centaine de pas vers l’ouest de ce canot ; vous me direz ensuite s’il vous manque l’élément de vie, comme vous dites.



– Tiens ! tiens ! voilà, un gaillard qui en prend à son aise, sur ma vie ! Eh ! qui pourrait le blâmer d’avoir choisi une aussi ravissante retraite pour se livrer aux délices de la pêche ?



Nos deux touristes étaient fort surpris de ne l’avoir pas vu tout d’abord. Il était en pleine vue, assis sur un roc avancé ; les pieds pendants ; les coudes sur les genoux ; le corps penché en avant, dans l’attitude des pécheurs de profession. Sa contenance annonçait une attention profonde, toute concentrée sur la ligne dont il venait de lancer l’hameçon dans le lac après l’avoir balancé au-dessus de sa tête.



L’artiste commença à dessiner ; Maria choisit une place d’où elle pouvait facilement suivre les progrès du travail.



Tout en faisant voltiger à droite et à gauche son crayon docile, Halleck jasait gaîment et entretenait la conversation avec une verve intarissable. Peu à peu les traits se multipliaient, l’esquisse prenait une forme.



– Si seulement nous avions à portée l’homme rouge, observa-t-il, je le croquerais en détail. Mais, j’y pense, nous pouvons nous procurer cette jubilation ; je vais d’abord placer, dans mon ébauche, le canot bien en vue, j’y dessinerai ensuite l’Indien maniant l’aviron, lorsque nous serons parvenus à nous rapprocher de ce pêcheur.



– Assurément voilà un homme bien paisible et bien occupé ; il a l’air de poser pour son portrait. Croyez-vous qu’il se soit aperçu de notre présence ?



– Sans nul doute, car nous sommes aussi fièrement en vue ; cependant j’affirmerais que son poisson le préoccupe beaucoup plus que nous. Tenez ! il a levé la tête et nous a regardés. Ah ! le voilà qui regarde en bas ; il vient d’enlever quelque chose au bout de sa ligne.



– Chut ! fit Maria vivement ; regardez encore ce canot là-bas. Ne voyez-vous pas, au-dessus, quelque chose comme le plumage brillant d’un oiseau ?



– Je ne puis m’occuper que de mon dessin ; je n’ai pas de temps à perdre en babioles, et il faut que je travaille maintenant que me voilà en train.



– Mais regardez donc, insista la jeune fille, vous verrez quelque chose qui vous intéressera ; je suis sûre maintenant qu’il y a là une tête d’Indien.



L’artiste se décida enfin à jeter les yeux dans la direction indiquée ; il daigna même admettre qu’il voyait quelque chose d’extraordinaire dans ce buisson



– Oui, murmura-t-il, c’est bien la touffe de chevelure ornée que portent les guerriers sauvages ; c’est leur panache bariolé de plumes éclatantes.



Pendant qu’il parlait, le Sauvage surgit entièrement hors des broussailles, faisant voir son corps peint en guerre ; presque aussitôt il disparut.



– Ah ! en voilà plus que vous ne demandiez ! observa Maria ; votre élément de vie a fait apparition, le cadre est complet.



– Je me déclare satisfait, réellement.



– Vraiment ! je regrette que Maggie ne soit pas venue avec nous. Combien elle se serait réjouie de ce spectacle enchanteur ! je suis bien désolée de son absence.



– Et moi aussi ; savez-vous, Maria, qu’elle m’a surpris et charmé bien agréablement hier soir ; elle a une distinction et une intelligence qu’envieraient nos plus belles dames des cités civilisées ; je vous assure qu’elle a fait impression sur moi.



– Cela ne m’étonne pas ; elle mérite l’estime et l’amitié de chacun. c’est le plus noble cœur que je connaisse ; honnête, pure, modeste, sincère, elle a toutes les qualités les plus adorables.



L’artiste, tout en continuant de promener son crayon sur le papier, leva les yeux sur sa cousine qui était assise devant lui, un peu sur la droite.



Elle considérait le lac, et ne s’aperçut pas du regard furtif d’Halleck. Ce dernier laissa apparaître sur ses lèvres un singulier sourire qui passa comme un éclair, puis il se remit silencieusement à l’ouvrage.



– Elle parait être l’enfant gâté de l’oncle John, reprit-il au bout de quelques instants ; je suppose que cette faveur lui revient de droit, comme à la plus jeune ?



– Mais non, c’est à cause de son charmant naturel Adolphe, remarquez-vous l’immobilité extraordinaire de ce pêcheur ?



Les deux jeunes gens s’amusèrent à regarder cet individu qui, en effet, paraissait identifié avec le roc sur lequel il était assis. Tout à coup il fit un bond en avant, tête baissée, et tomba lourdement dans l’eau, avec un fracas horrible. En même temps les échos répétaient la, détonation d’un coup de feu ; et une guirlande de fumée qui planait au-dessus d’un roc peu éloigné trahissait le lieu où était posté le meurtrier.



Un silence de mort suivit cette péripétie sanglante ; Halleck et Maria s’entreregardèrent terrifiés. Le jeune artiste ne tarda pas à reprendre son sang-froid.



– Mon opinion, cousine, est que nous ferons bien de terminer nos dessins un autre jour, dit-il de son ton tranquille, tout en repliant son portefeuille méthodiquement.



– Ah ! ! mon Dieu ! s’écria Maria avec terreur, vous ne savez pas… non, vous ne savez pas quels dangers nous menacent !



Ces mots étaient à peine prononcés qu’un second et un troisième coup de feu cinglèrent l’air ; des balles sifflèrent à leurs oreilles, indiquant d’une façon beaucoup trop intelligible que cette dangereuse conversation s’adressait à eux.



– Que l’enfer les confonde ! grommela Halleck ce sont quelques renégats qui déshonorent leur race.



Il s’arrêta court, Maria venait de le saisir convulsivement par le bras pour lui faire voir ce qui se passait au bord du lac. Trois Indiens, bondissant et courant comme des cerfs, accouraient rapidement. Adolphe, malgré tout son sang-froid, ne put se dissimuler qu’il fallait prendre un parti prompt et décisif.



– Soyez courageuse, ma chère Maria, lui dit-il en la prenant par la main, et venez vite.



Puis il l’entraîna vers le fourré, en sautant de rocher en rocher. La jeune fille s’apercevant qu’il avait l’intention de fuir tout d’une traite jusqu’à la maison, lui dit, toute essoufflée



– Jamais nous ne pourrons nous échapper en courant ; il vaut mieux nous cacher.



Adolphe regarda hâtivement autour de lui, et avisa un vaste tronc d’arbre creux enseveli dans un buisson inextricable.



– Vite, là-dedans ! dit-il à sa cousine ; cachez-vous vite ! Les voilà, ces damnés coquins !



– Et vous ? qu’allez-vous faire ? lui demanda-t-elle en le voyant rester dehors.



– Je vais chercher une autre cachette, répondit-il ; il ne faut pas nous cacher tous deux dans en même terrier, nous serions découverts en trois minutes. Cachez-vous bien, restez immobile, et ne bougez d’ici que lorsque je viendrai vous chercher.



Halleck tourna lestement sur ses talons, enfonça son chapeau sur ses yeux, et, ainsi qu’il le raconta lui-même plus tard, « se mit à courir comme jamais homme ne l’avait fait jusqu’alors ». Une longue et constante pratique des exercices gymnastiques l’avait rendu nerveux et agile à la course.

 



Mais ses muscles n’étaient point encore au niveau de ceux de ses ennemis rouges, car à peine avait-il fait cent pas, qu’un Indien énorme, le tomahawk levé, était sur ses talons ; avec un hurlement féroce, il se lança sur Halleck.



– Inutile de discuter avec toi, mon coquin ! pensa l’artiste.



Sur-le-champ, il prit son revolver au poing et le dirigea sur son adversaire. Du premier coup il lui envoya une balle dans l’épaule : il lâcha successivement quatre autres coups, mais sans l’atteindre ; les deux derniers ratèrent.



Soudainement la pensée vint à Halleck, qu’il n’avait plus qu’une charge disponible, et il suspendit son feu pour ne plus tirer qu’à coup sûr.



L’entrée en scène du revolver avait eu pourtant un résultat ; l’Indien s’était arrêté à quelques pas ; mais aussitôt qu’il s’était aperçu que l’arme avait raté, il lança furieusement son tomahawk à la tête de l’artiste. Si ce dernier n’eût trébuche fort à propos sur une pierre, évidemment le projectile meurtrier lui aurait fendu le crâne. Se relevant de toute sa hauteur, Halleck brandit son pistolet et l’envoya dans la figure bronzée de l’Indien avec tant de force et de précision, qu’il lui cassa une douzaine de dents et lui déchira les lèvres.



L’Indien bondit en poussant un rugissement de bête fauve ; mais il fut reçu par un foudroyant coup de pied dans les côtes qui l’envoya rouler sur les cailloux.



La boxe pédestre aussi bien que manuelle, n’avait aucun mystère pour Halleck, et sur ce terrain il était maître de son ennemi ; sa seule crainte était de le voir employer quelque nouvelle arme, car l’artiste n’avait plus que ses pieds et ses poings.



Aussi, ce fut avec un vif déplaisir qu’Adolphe le vit extraire du fourreau un couteau énorme, puis se diriger sur lui avec précaution.



Néanmoins, l’artiste, n’ayant pas le choix de mieux faire, se préparait à une lutte corps à corps, lorsqu’il entendit s’approcher les deux camarades du bandit. Une pareille rencontre devait être trop inégale pour qu’Halleck s’y engageât autrement qu’à la dernière nécessité. Aussi, réfléchissant que ses jambes s’étaient reposées, et qu’elles étaient admirablement prêtes à fonctionner, il s’élança plus prestement qu’un lièvre et se mit à courir.



Inutile de dire que son adversaire acharné se précipita à sa poursuite ; cette fois l’artiste avait si bien pris son élan que l’Indien fût distancé pendant quelques secondes. Toutefois l’avance gagnée par Halleck fut bientôt reperdue ; ce qui ne l’empêcha pas de prendre son temps pour raffermir sous le bras son portefeuille, dont, avec une ténacité rare, il n’avait pas voulu se dessaisir ; on aurait pu croire qu’il le conservait comme un talisman pour une occasion suprême.



Au bout de quelques pas il entendit craquer les broussailles sous les pas du Sauvage ; son approche était d’autant plus dangereuse qu’il avait retrouvé son tomahawk.



Craignant toujours de recevoir, par derrière, un coup mortel, Halleck se retournait fréquemment. Cet exercice rétrospectif lui devint funeste, il se heurta contre une racine d’arbre et roula rudement sur le sol la tête la première.



Le Sauvage était si près de lui, que sans pouvoir retenir son élan, il culbuta sur le corps étendu de l’artiste. Halleck se releva d’un bond, recula de trois pas, et voyant que l’heure d’une lutte suprême était arriv�