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Coeur de panthère

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– Comment croyez-vous qu’ils sauront cela?

– D’abord ils n’ignorent pas qu’il vous était impossible de vous délier seule. En second lieu, ils découvriront bientôt le corps de l’Indien que j’ai laissé derrière un rocher.

– En effet, j’ai vu comme un fantôme sortir de l’ombre; puis un Sauvage s’est débattu convulsivement.

– C’était moi que vous avez aperçu: c’était moi aussi qui vous ai lancé un billet, hier matin, pour vous avertir que j’étais proche.

– Je l’ai supposé. Mais vous n’êtes donc pas un Indien, quoique vous en portiez le costume?

– Non. Prévoyant le cas où un Sauvage viendrait à se réveiller sur mon passage, j’avais songé à me procurer un de leurs costumes; car j’étais sûr de cheminer ainsi au milieu d’eux sans être remarqué: j’eusse même été avec vous, qu’ils n’auraient fait aucune attention, me prenant pour Wontum. Pour me procurer le vêtement nécessaire, je ne pouvais le prendre que sur le dos d’un Indien: le moyen était facile; je me suis approché sans bruit du coquin le plus proche et tout en lui serrant convulsivement la gorge, je lui ai planté mon couteau dans le cœur. Vous avez vu;… ce n’a pas été long. Tout allait pour le mieux; aussitôt mon homme mort je l’ai porté derrière un rocher; là, j’ai changé de toilette avec lui.

– Était-ce votre voix qui a prononcé mystérieusement ces paroles: «Pourquoi le sang n’a-t-il pas coulé?…»

– Oui.

– Où allons-nous maintenant?

– Je vous conduis à la cabane du vieux John qu’on appelle l’Ermite.

– En quel lieu?

– Au confluent des rivières Swet-Water et Platte.

– Pensez-vous que, là, je serai en sûreté jusqu’à ce que mon mari ait été averti et vienne me rejoindre?

– Peut-être y sera-t-il arrivé avant nous. Son intention était de se mettre en campagne avec un fort détachement sur les rives de Swet-Water, afin d’intercepter le passage à la bande qui vous avait capturée.

– Ainsi donc mon mari sait maintenant quel a été mon sort?

– Oui; il se hâte de toutes ses forces pour vous venger et châtier sévèrement toute cette canaille sanguinaire qui vous a si fort maltraitée.– N’auriez-vous pas besoin de vous reposer un instant?

– Oh non! la perspective de revoir mon bien aimé Henry éloigne de moi toute lassitude. Hâtons le pas, au contraire; je crains que ces horribles persécuteurs viennent à retrouver notre trace et se mettent à notre poursuite. Ce serait la mort s’ils nous rejoignaient dans cette solitude!

Les deux fugitifs continuèrent en silence leur course rapide; l’inconnu portant toujours avec tendresse l’enfant dans ses bras. Le soleil apparaissait à l’horizon lorsqu’ils arrivèrent aux dernières déclivités de la montagne: à peu de distance ils rencontrèrent une petite cabane.

– C’est là que demeure l’Ermite, dit l’inconnu; ici vous serez en sûreté; vous pouvez entrer avant moi.

Manonie pénétra dans l’humble chaumière, tenant le petit Harry par la main: à peine la porte fut-elle ouverte, que la jeune femme se trouva en pays de connaissance. Mary Oakley et sa mère la reçurent avec les démonstrations du plus vif intérêt et la comblèrent de caresses.

A l’apparition de son guide elles éprouvèrent un tressaillement de terreur, causé par son apparence Indienne.

Mais la crainte dura peu; un éclair de joie étincela dans les yeux de Mary: elle s’élança vers le nouveau venu et prit ses mains avec un transport de joie.

– Quindaro! bien cher! Est-ce vous? oh! que je suis heureuse! s’écria-t-elle d’une voix tremblante.

En effet, c’était cet homme étrange qui avait arraché Manonie à un sort affreux.

CHAPITRE VIII. PARADIS PERDU

Mary Oakley et son ami Quindaro ne s’étaient pas rencontrés depuis plusieurs mois; ils avaient donc beaucoup de choses à se dire— beaucoup de ces importantes futilités qui encombrent le répertoire des amoureux.

On aurait eu peine à croire que cet homme au caractère de bronze, à l’âme pleine de sombres pensées, toujours rêvant la vengeance, toujours familier avec le sang et les combats, pût s’amollir le cœur à parler de douces choses, si toutefois il avait un cœur capable d’aimer.

On se serait trompé: Quindaro devenait bon, doux, simple comme un enfant, lorsqu’un reflet de l’heureuse vie de la famille venait illuminer la nuit de ses souvenirs.

Ce fut donc avec une juvénile allégresse qu’il retint dans ses mains les petits doigts de Mary, et qu’il engagea avec elle un joyeux babil.

Pour arriver à la bienheureuse cabane où elle espérait retrouver son mari, la pauvre Manonie avait épuisé ses forces. Une fois en sûreté, elle se sentit anéantie et retomba presque sans connaissance. On se hâta de lui préparer un bon lit de bruyères et de mousse, dans lequel elle s’endormit aussitôt d’un profond sommeil, ayant à ses côtés le petit Harry.

Quindaro et Mary s’étaient assis au pied d’un grand chêne, sur le vert gazon, au bord de la rivière murmurante. Le jeune homme venait de raconter les péripéties au milieu desquelles s’était accomplie la délivrance de Manonie; puis, il avait narré ses propres aventures depuis plusieurs mois.

– Cher Walter!– j’aime mieux vous appeler ainsi, ce nom est plus doux à mes lèvres, plus harmonieux à mes oreilles; murmurait la jeune fille en ouvrant tout grand ses yeux bleus, pleins d’une tendre admiration.

– Appelez moi Walter, ma bien-aimée, si cela vous fait plaisir. Je n’ai jamais entendu résonner ce nom de Quindaro qu’au milieu du carnage et des combats, il est un signal de mort. Moi aussi j’aime à écouter l’autre nom, le nom de ma jeune enfance. Il n’y a plus une créature vivante qui me l’ait répété depuis que ma famille a été anéantie: aussi, lorsque votre voix si douce le murmure à mon oreille, un frisson de bonheur me rafraîchit l’âme, en me ramenant aux beaux jours évanouis. Oh, Mary! que je voudrais voir ma mission accomplie, mes vengeances satisfaites, ma tâche terminée! Ce serait une nouvelle vie pour moi de fuir ces terribles scènes d’extermination où mon sang bouillonne, où mes forces s’usent, et de trouver dans quelque solitude paisible, une existence bénie, adorée, auprès de vous.

– Ne pouvez-vous donc satisfaire immédiatement ce désir, cher Walter? Laissez, laissez à d’autres mains cet horrible labeur, vous qui étiez né pour le repos et la paix!

– Je ne le puis encore. Il y en a un encore qui doit disparaître de la terre des vivants; ensuite je quitterai cette vie cruelle et impie à laquelle m’a condamné jusqu’à ce jour mon misérable sort.

– Quelle est cette dernière victime?

– Wontum. Depuis deux jours j’ai eu cent occasions de le tuer, ce monstre! mais la pauvre femme et son enfant l’ont sauvé.

– Comment cela?

– Elle était sa prisonnière: je voulais la délivrer. Si j’avais fait feu sur ce chien sauvage, toute sa bande se serait aperçue de ma présence; je n’aurai plus rien pu faire pour elle; on l’aurait hachée sur place à coups de tomahawk. J’ai donc mis de côté ma vengeance, pour sauver la captive.– Oh! la nuit dernière, quand j’ai pénétré dans le wigwam où elle était chargée de liens, je me suis penché sur le Pawnie, mon couteau est sorti tout seul de son fourreau, le cœur de l’ennemi l’attirait! Mais je me suis retenu; il fallait délivrer la mère et l’enfant. Un geste, un souffle, pouvaient donner l’alarme, la bande se levait comme un tourbillon, tout était perdu. J’en aurais tué beaucoup après lui, cela est certain; mais le nombre aurait fini par triompher. Pour le salut de Manonie, pour celui de son pauvre petit enfant, pour le bonheur de l’époux et du père qui aime si tendrement ces deux chères créatures, j’ai consenti à épargner cette bête fauve. D’ailleurs, je ne veux pas le tuer endormi, ce Wontum: je veux, qu’avant sa mort, mon regard le glace d’effroi, je veux qu’il sache quel est CELUI qui a si longtemps poursuivi lui et sa tribu, semant parmi eux la terreur!

– Mais qui donc êtes-vous? Dites-le moi, Walter, je vous en prie. Expliquez-moi pourquoi vous avez si souvent levé sur les Pawnies des mains ensanglantées. Sans doute, vous exerciez une juste vengeance, je le crois; cependant j’ose vous demander le motif… le secret redoutable que vous gardez au fond du cœur… le moment n’est-il pas venu, ami bien cher, de vous confier à moi?

– Bientôt, oui bientôt; avant notre mariage, vous saurez tout. Pour le moment, je vous en conjure, contentez-vous de ce qu’il m’est permis de vous dire; et fiez-vous à ma loyauté et à mon amour pour vous, chère Mary.

Ils demeurèrent tous deux, pendant quelques instants, plongés dans leurs réflexions silencieuses. Mary poussa un profond soupir, après avoir promené un long regard sur l’admirable paysage qui les entourait; puis elle dit d’un ton mélancolique:

– Walter, il me semble que je n’aimerais point à demeurer dans ce qu’on appelle le monde civilisé.

– Vous préféreriez donc rester exposée aux dangers que nous courons sans cesse dans ces régions inhospitalières?

– Mon ami, je ne suis pas assez aveugle pour ignorer que vous êtes bien supérieur à moi. Quelquefois il me vient en pensée que si vous aviez quelque autre personne à aimer, votre affection ne serait point arrêtée sur moi. Il me vient aussi en pensée que si nous allions vivre dans ce Grand Monde que vous m’avez si souvent dépeint, vous y deviendriez l’idole de tous, et alors vous oublieriez la pauvre Mary Oakley, la pauvre fille sans éducation… Oui, je voudrais vivre et mourir dans cette solitude ignorée, car ici vous m’appartiendrez tout entier, vous qui serez ma seule joie;… et au milieu de la foule civilisée, il n’en serait pas ainsi, car de nombreux amis se disputeraient votre attention. Je suis sotte et folle de parler ainsi, mais un seul de vos regards détourné de moi me ferait au cœur une blessure que rien ne pourrait guérir.

Walter regarda un moment la jeune fille avec une tendresse grave et mélancolique:

 

– Mary, bonne et chère créature, dit-il enfin, est-ce que l’esprit de la jalousie vous aurait effleuré de son aile?

– Je ne sais ce que vous voulez dire, mon ami; est-ce que mes pensées sont répréhensibles?

– Savez-vous ce que signifie ce mot, jalousie?

– Pas très-bien.

– Jalousie, sous-entend suspicion; or, soupçonner quelqu’un, c’est admettre qu’il cache quelque sentiment blâmable. Me croiriez-vous donc capable d’une action ou d’une pensée mauvaise?…

– Non! répliqua vivement la jeune fille; Dieu me garde de douter de votre loyauté! Si ce que je viens de vous dire ressemble à la jalousie, je voudrais n’avoir jamais parlé ainsi.

Walter réunit dans les siennes les deux mains mignonnes de la jeune fille et les serra affectueusement, en silence.

– Mary! lui dit-il tout-à-coup; regardez donc dans la vallée!

Elle tourna aussitôt les yeux dans la direction indiquée.

– Voyez, continua Walter, précisément derrière cette grande roche noire, sur la rive de Sweet-water.

– J’aperçois… Oui, ce sont des cavaliers qui s’avancent.

– En effet: c’est le mari de Manonie avec les militaires du Fort. Vraiment, je suis heureux de songer que cette pauvre mère et son enfant sont ici et vont lui être rendus. Chose inexplicable, mais que j’attribue à une sympathie bien naturelle, chaque fois que j’ai entendu la voix de cette jeune femme, il m’a semblé qu’un écho s’éveillait dans mon cœur, qu’un souvenir évanoui se retrouvait au plus profond de mon âme… Oh! mais, voyez; les cavaliers descendent au galop une pente rapide: sans doute Marshall s’attend à trouver ici les objets de son affection. Qu’il arrive vite! le bonheur l’attend ici.

– Éveillerai-je Manonie?

– Ce sera le meilleur. Ma première pensée avait été de respecter son sommeil, et de ménager à son mari la joie de la surprendre ainsi par sa présence: Mais je craindrais les effets d’une joie trop soudaine et violente. Éveillez-la; qu’elle puisse voir arriver ses amis!

Mary fit un mouvement pour s’éloigner; Walter la rappela:

– Chère! dit-il, votre père est avec eux: ne serez-vous pas bien joyeuse de le revoir?

– Ah oui! comme je vais l’embrasser!

– Ils seront tous ici dans une demi-heure.

A cet instant Manonie apparût sur la porte de la cabane.

– Voyez! là-bas dans la vallée! s’écria-t-elle avec une exaltation joyeuse; voilà nos amis qui arrivent! voilà le bonheur!

Elle n’avait pas achevé ces paroles qu’un tourbillon de Sauvages s’élança de derrière les rochers environnants. Quindaro écrasé par vingt guerriers, se vit renversé et maintenu sur le sol, pieds et poings liés, en dépit d’une résistance désespérée et de ses efforts surhumains.

La malheureuse Manonie était de nouveau prisonnière, et avec elle l’homme dévoué qui avait bravé tant de périls pour la délivrer. Mary Oakley fut également garottée. Sa mère eût un meilleur sort: elle fut renversée d’un coup de tomahawk; son âme innocente et pieuse, devenue libre à jamais, pût prendre son vol vers le séjour des anges.

Wontum s’était aperçu de la fuite de Manonie peu d’heures après son évasion: avec son infernale perspicacité qu’aiguisait la rage, il parvint à découvrir la fuite des fugitifs et se lança à leur poursuite.

Accompagné de sa terrible bande, il était arrivé à la cabane de l’Ermite peu d’instants après ses victimes: mais la crainte superstitieuse que les Pawnies avaient du vieillard, les empêcha de violer l’asile choisi par Manonie: ils attendirent qu’elle en fût sortie.

Pendant que Walter et Mary causaient paisiblement, insoucieux du péril ignoré, les yeux de Wontum, fascinateurs et funestes comme ceux du serpent à sonnettes, couvaient cette double proie, objet d’une haine mortelle. Il reconnaissait le libérateur de Manonie; il reconnaissait la meurtrier de l’Indien trouvé gisant au pied du rocher; il reconnaissait l’homme détesté et redouté qui, depuis si longtemps, semait la mort et l’effroi parmi les tribus Sauvages.

Du même coup d’œil, Wontum voyait arriver les troupes dans la vallée lointaine. L’heure était propice pour la vengeance et le triomphe.

En effet Wontum, avait gagné une effrayante revanche!

Il s’assit sur le gazon à côté de ses victimes en les narguant du regard, avec un mauvais sourire.

– Ugh! dit-il au bout de quelques instants en montrant du doigt les troupes qui s’approchaient dans le lointain; Chiens Blancs, voyez-vous arriver vos amis; sans doute vous préféreriez partir avec eux?…

Quindaro ne répondit rien. Il comprenait parfaitement que le Sauvage pensait à mal, et ne cherchait qu’un prétexte, un mot, un signe pour rendre plus cruelle encore la misérable position de ses prisonniers. S’il n’eût été retenu par la crainte d’attirer sur ses malheureuses compagnes d’atroces représailles, il aurait essayé de recommencer la lutte, car sa fureur était comparable à celle du tigre pris au piége.

Il regarda Manonie, également chargée de liens comme lui. L’infortunée avait les yeux noyés de larmes; tout en tenant son petit garçon convulsivement serré contre sa poitrine, elle jetait d’avides regards sur ces amis qui arrivaient, hélas! trop tard, des confins de la vaste plaine. Évidemment il n’y avait aucun espoir de ce côté, car le Pawnie les avait aperçus et n’aurait pas l’imprudence de les attendre.

Mary Oakley se roulait sur le sol, auprès du cadavre de sa mère, dans les transports d’une douleur frénétique. Ses cris déchirants auraient touché une bête féroce, mais Wontum, inaccessible à tout sentiment humain, prêtait l’oreille à ce concert de douleurs, comme un dilettante savoure un beau passage de musique.

Après s’être rassasié de vengeance il donna l’ordre du départ. La horde Sauvage se forma en demi-cercle, poussant devant elle, comme un troupeau d’animaux captifs, Quindaro, Manonie, Mary Oakley et le petit Harry tous cruellement garottés.

Wontum entraînait vers les solitudes inaccessibles de Devil’s Gate, ses tristes victimes, dont le cœur saignait en pensant aux amis, aux sauveurs qui, au bout de quelques minutes allaient arriver, mais trop tard.

CHAPITRE IX. TROP TARD!

Le cœur du lieutenant Marshall bondissait de joie, d’orgueil, d’espérance, en contemplant la vaillante phalange qui le suivait avec ardeur. Tout son sang bouillonnait d’impatience lorsqu’il songeait au but de son expédition.

Sa femme! son enfant! tout ce qu’il aimait au monde attendaient son arrivée!…

Jamais pareille angoisse n’avait atteint son âme: jusqu’alors sa vie avait coulé douce et calme, pleine de jours heureux; son ciel avait toujours été sans nuages. Le bonheur avait suivi son mariage, et l’idée même d’un désastre n’avait jamais effleuré l’esprit du jeune officier.

Manonie, sa bien-aimée Manonie, enlevée au milieu du Fort!… c’était là un rude coup, sous lequel il fut sur le point de faillir. Mais l’adversité trempe les âmes fermes; Marshall se sentit devenir d’acier et de bronze; quelques secondes avaient suffi pour le transformer.

Tous ses soldats, impatients comme lui, couraient aux dangers de cette campagne aventureuse comme à une fête. Le galop rapide des chevaux ferraillait avec les cailloux aigus; c’était une sorte de prélude au cliquetis de la bataille qui allait s’engager.

Deux fois leur guide, le brave Oakley, prétendit avoir aperçu des Sauvages sur les Collines Noires; chaque fois on avait fait halte et on avait minutieusement fouillé tous les alentours. Ces recherches avaient été infructueuses, et ce n’aurait été que demi-mal, si elles n’avaient pas apporté dans la marche un ralentissement qui devait avoir le funeste résultat qu’on vient de voir. Effectivement, si le détachement avait couru sans s’arrêter jusqu’à Sweet-Water, la partie était gagnée pour Marshall.

– Je n’aperçois aucune trace des Sauvages, dit tout à coup ce dernier; et pourtant nous approchons de Sweet-Water. Mille tonnerres! si nous ne parvenons pas à leur couper les devants, qu’en résultera-t-il?

– Ma foi! capitaine, répondit Oakley, je pense qu’il faudra se battre, et rudement.

– Nous serons peut-être forcés de les attaquer dans les défilés de Devil’s Gate, je suppose.

– Précisément!

– Ah! je crains bien que, dans ces parages, la victoire soit difficile, incertaine même.

– Je croyais que les soldats n’avaient pas peur! répliqua dédaigneusement Oakley en regardant Marshall entre les deux yeux.

– Je crois, moi aussi, que vous faites fausse route, mon camarade, riposta Marshall d’un ton sec; peu m’importe de servir de boulet à un canon pourvu que j’arrive au milieu de ces damnés Sauvages. Mais je ne veux pas mener tous ces braves gens à une boucherie pour satisfaire un intérêt de vengeance personnelle. Certes! tant d’existences sont trop précieuses pour en faire si bon marché! Si les choses se présentent mal; s’il faut tenter quelqu’entreprise désespérée, eh bien! je la tenterai seul.

– Non! oh! mais non! de par tous les diables!

– Vraiment! Et alors, quelle est votre idée, M. Oakley?

– Jack Oakley, sir, s’il vous plaît; la voici, mon idée: si vous allez parmi les Indiens, vous n’irez pas seul, je vous l’affirme.

– Et qui m’en empêchera?

– Un homme de ma taille, tout juste; ni plus petit ni plus grand.

– Vous?… vous m’en empêcherez?

– Moi-même, Votre Honneur, sans mentir.

– Je vous comprends, brave Jack! murmura Marshall plus ému qu’il ne voulait le paraître; vous voulez partager le danger avec moi. Mais, souvenez-vous, Oakley, que vous avez une femme et une fille; vous devez vous conserver pour elles.

– Eh! je ne fais pas autre chose qu’y penser tout le temps; c’est précisément le motif qui me fera marcher avec vous. Cependant elles sont en sûreté chez le Père John. Seigneur! si elles n’y étaient plus… je ne sais ce que je deviendrais!… Oui, je deviendrais enragé s’il arrivait malheur à la vieille femme et à Molly!

– N’avez-vous aucune crainte pour leur sûreté pendant votre absence?

– Oh! Dieu vous bénisse! non assurément; pas un seul rouge ne voudrait s’approcher de ce qui appartient au vieux John.

– Pour quelle raison?

– Ils lui attribuent des pouvoirs surnaturels; car il est toujours en méditations et en prières, les yeux tournés vers le ciel, comme s’il faisait la conversation avec quelqu’un là-haut: les Indiens le redoutent et le considèrent comme un sorcier. Çà n’empêche pas le vieux bonhomme d’être rude, après tout! Seigneur! j’ai cru l’autre jour qu’il m’avait brisé les os à la douzaine.

– Vous avez eu une querelle avec lui?

– Oh! c’était un badinage. J’étais d’avis qu’il ne pourrait pas me bousculer; alors, nous avons essayé nos forces, vous savez.– Mille carabines! il m’a lancé à plus de quarante pieds en l’air… J’ai cru que je ne retomberais jamais! Ensuite, lorsque j’ai touché terre, j’ai fait un tel pouf que mon corps a failli éclater en deux morceaux. C’est tout de même drôle que nous n’ayons reçu aucune nouvelle. Vous pouvez être certain qu’il est aux trousses de Wontum, et rudement j’ose le dire.

– Ne m’avez-vous pas dit que Quindaro était aussi sur la piste des Sauvages?

– Oui; s’ils viennent à se rencontrer avec le vieux, j’ai idée qu’il en résultera quelque chose de bon.

Le pauvre Oakley ne se doutait guère qu’au moment même où il parlait, sa femme était couchée, à quelques pas de lui, ensanglantée, morte sur le théâtre du massacre; que sa fille était emmenée prisonnière; que Wontum venait de remporter un éclatant triomphe!

– S’ils sont ici, il est étrange qu’ils ne nous aient pas vus encore, dit Marshall; car, de la cabane, ils découvrent parfaitement toute la vallée.

– C’est étrange, en effet, répéta l’honnête Jack comme un écho:

Et son visage se couvrit d’une pâleur inquiète.

Ils arrivaient à la dernière colline, but de leur voyage: Oakley descendit de cheval afin de la gravir à pied. Bientôt ils atteignirent le petit plateau sur lequel était situé la hutte de l’ermite.

Là, Oakley se trouva vis-à-vis du corps inanimé de sa femme. Cette vue produisit sur lui l’effet d’un coup de foudre: il demeura pendant quelques instants en contemplation devant le cadavre, les yeux secs et hagards, les lèvres pâles et frissonnantes, en homme qui va mourir: puis il poussa un cri rauque et se jeta sur cette dépouille froide et sanglante pour l’embrasser convulsivement.

Marshall s’approcha de lui et chercha à le relever: le malheureux retomba inerte sur le sol; on eut pu le croire mort. Des secours empressés le ranimèrent; mais il ne revint à lui que pour se tordre dans les transports d’une douleur frénétique. Un moment, Marshall craignit de le voir devenir fou.

– Les Sauvages viennent seulement de s’éloigner, dit le jeune officier lorsqu’il le vit un peu plus calme: ce meurtre a été commis il y a peu d’instants, car le corps de la pauvre victime est encore chaud. Allons! Oakley, mon ami, du courage. C’est le moment d’être fort! voici seulement que notre tâche commence.

 

Oakley se redressa lentement, sans dire un mot, et promena autour de lui des yeux égarés: puis il appela plusieurs fois sa fille d’une voix stridente. N’ayant reçu aucune réponse, il se mit à fouiller les alentours. Enfin il renonça à cette recherche inutile, et dit à Marshall:

– Les Sauvages étaient au nombre de plus de soixante: Wontum était parmi eux; je reconnais les empreintes de son pied. Quindaro ou l’Ermite se trouvaient là également; les traces sont apparentes et indubitables.

– Cela paraît évident, répondit Marshall. Mais, pouvez-vous reconnaître s’il y a des vestiges de femmes?

– Très-distinctement. Voici les pas de mon enfant, de ma petite Molly. Voici d’autres empreintes encore plus petites et délicates.

– N’y en a-t-il pas là qui ressemblent à celles d’un enfant?

– Oui: les mêmes se retrouvent à la porte de la cabane.

– Ah! mon Dieu! s’écria Marshall en serrant les poings, ce sont les pieds de mon petit Harry. Malédiction! quelle route ont prise les Sauvages; dites-moi Oakley…?

– Par-dessus les montagnes, du côté de Devil’s Gate.

– Nous ne pourrons leur couper les devants, car ils ont peut-être une heure d’avance sur nous; d’ailleurs, nos chevaux sont incapables de franchir ces rocailles aiguës. Repassons par la vallée et courons aux cavernes où se rendent les Pawnies: c’est notre seule ressource.

– Elle est cruellement dangereuse, mais n’importe, allons!

Oakley et Marshall transportèrent pieusement dans la cabane le corps de la vieille femme; ensuite ils revinrent vers le détachement qui les attendait au pied de la colline.

En apprenant le nouveau désastre qui venait d’être constaté, les soldats firent entendre de terribles imprécations; chacun jura d’infliger une punition exemplaire à ces hordes altérées de sang, et l’ardeur pour marcher en avant devint telle que Marshall fût obligé de les retenir.

On partit en grande hâte; on traversa la Platte et l’on remonta à la vallée de Sweet-Water. Chevaux et hommes firent une telle diligence, qu’avant le soir le corps expéditionnaire fut arrivé aux défilés rocheux où était le quartier général des Sauvages.

Mais, comme leur situation était tellement forte qu’une attaque devenait extrêmement périlleuse, on fit halte pour tenir conseil.