Za darmo

Coeur de panthère

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– Et où se trouve Mary? demanda Quindaro.

– Quelle Mary?

– Votre fille.

– Ah! oui; Molly. C’est comme ça que je l’appelle, cette petite fille; cependant c’est malgré la vieille femme qui me répète toujours qu’il faut dire Mary.

– Où est-elle?

– En lieu sûr, allez! dans la cabane de l’ermite, avec sa vieille mère.

– La croyez-vous réellement en sûreté?

– Certes! Dieu vous bénisse! Il n’y a pas de ce côté-ci de la Californie, un Peau-Rouge qui ose toucher au vieux John. Mais venez donc par ici, je vais vous dire un secret que vous garderez pour vous seul.

– Qu’est-ce que c’est?

– Ce vieux bonhomme là est plus fort qu’un ours brun. Je l’ai éprouvé il y a peu d’instants!

Parlant ainsi, l’honnête Jack se frotta vigoureusement les épaules.

– Ah! où est-il donc le vieux? demanda Quindaro avec un intérêt soudain.

– Il était par là haut, il y a une demi-heure tout au plus; maintenant, il est parti sur une piste et je ne serais point étonné de lui voir faire quelque rude besogne. Je vais vous dire un autre secret; le vieil ermite est avec nous sur le sentier de guerre contre les Rouges. Ça c’est vrai comme parole d’Évangile; car il l’a dit, et je le sais homme à ne pas mentir. Mais pourquoi n’êtes-vous pas venu voir Molly depuis si longtemps? Je crois qu’elle prend ça à cœur; elle est devenue pâle et sérieuse, elle ne rit plus; elle n’est plus joyeuse fille comme à l’époque de notre arrivée au Settlement.

– Hélas! monsieur Oakley, les troubles de ces contrées suffiraient pour enlever son sourire à la nature elle-même, et pour mettre en deuil l’azur du firmament. Pourquoi ne vous ai-je pas visité depuis longtemps?… parce que j’ai trop d’ouvrage à accomplir ici; parce que, jusqu’à la fin de cette guerre, je me suis voué à une seule et unique tâche. Il est vrai, entièrement vrai, que je porte toujours dans mon cœur l’image de votre fille; mais mon cœur saigne d’une blessure toujours ouverte; le sang en sort avec une telle abondance qu’il obscurcit ma vue pour tout autre objet. Quand ma vengeance sera accomplie, grandement, complètement, alors j’irai vous voir. Mais non auparavant… non, pas avant cette heure.

Quindaro parlait avec une vive émotion.

– Vous m’excuserez, monsieur Quindaro, mais je vois que vous êtes un homme d’éducation et j’ai peur que ma pauvre Molly ne soit pas un parti pour vous. Mais vous ne voudriez pas…– Oh! je confesse que je suis un vieux fou, et je mériterais qu’on me trépignât sur le nez pour cette question…– Voyez-vous, j’aime ma fille à tel point, que mon vieux cœur se briserait, s’il arrivait quelque chose à mon enfant.

– Bien: que vouliez-vous me demander?

– Vous ne voudriez pas jouer avec l’amour de ma petite Molly;… l’abandonner au désespoir et à la mort?…

Quindaro bondit sur ses pieds et regarda fixement Oakley sans prononcer une parole.

– Oh! vous n’avez pas besoin de répondre, continua le brave Jack d’une voix émue, je lis votre pensée dans vos yeux. Souffletez-moi pour ma sotte question! C’est une idée qui m’a traversé la tête. Je vous ai toujours considéré comme un cœur loyal, un homme droit et honorable; ma pensée sur vous n’a pas changé. Vous m’excuseriez si vous saviez ce que c’est que d’être père,.... et père d’une fille tendre et dévouée.

L’énergique visage de Quindaro fut agité d’une émotion terrible: il se couvrit la face des deux mains et resta longtemps sans pouvoir parler.

– Non, M. Oakley, dit-il; non, je ne sais pas ce que c’est que d’être père. Je connais à peine le bonheur d’être fils et frère… Je connais l’angoisse… le deuil… la mort… Oh! nuit horrible! continua-t-il comme répondant à ses propres pensées: nuit de terreurs! Flots de sang! clameurs mourantes des agonisants! Flammes dévorantes! créatures chères que j’aimais! je vous ai vengées déjà; mais elle n’est pas pleine encore, la coupe de la vengeance!

En parlant, cette homme si fort et énergique sentait son cœur se gonfler comme l’Océan par une furieuse tempête; le sang brûlant bouillonnait à ses tempes; une flamme sinistre s’allumait dans ses yeux.

Oakley le regarda avec une émotion mêlée de surprise. Il supposait bien que les Sauvages n’étaient pas étrangers au désastre dont il venait de parler; mais c’était la première fois que Quindaro laissait échapper une parole de nature à jeter quelque lumière sur son existence étrange et mystérieuse.

– Ce sont les Indiens qui vous ont fait tout cela? demanda Oakley après quelques instants de silence: ils sont capables de tout.

– Oui; ce sont ces Pawnies maudits.

– Ils ont massacré vos parents?

– Oui; père, mère, frères, sœurs;– tous sont morts, excepté moi.

– Êtes-vous sûr que personne n’ait échappé au carnage?

– Oh oui! j’en suis sûr. J’ai vu les corps sanglants, étendus sous mes yeux.

– Avez-vous pu les ensevelir, décemment, comme il convient de le faire?

– Hélas non! à peine ai-je pu m’échapper vivant. Mais quelques jours après, lorsque je suis revenu sur le lieu du désastre, j’ai vu cinq tombes fraîchement découvertes…

– Alors, vous avez suivi les Pawnies?

– Oui: j’ai constamment rôdé autour d’eux pendant qu’ils fréquentaient les environs du Lac Willow; depuis qu’ils sont dans les montagnes, je me suis attaché à leurs pas. Je leur ai déjà arraché vie pour vie, depuis longtemps; mais je ne regarderai ma vengeance comme accomplie et mon œuvre comme terminée, que lorsque cette race infernale aura disparu de dessus terre. Mon nom excite leur terreur, mais ce sera bien pire encore, plus tard, si mes projets d’extermination réussissent.

– Où est votre habitation, Quindaro?

– Au milieu des rocs de la montagne, dans la vallée, sur la rivière, partout où ma tâche m’appelle. Quindaro est comme l’oiseau sauvage, libre de tous ses mouvements.

– Avez-vous quelquefois rencontré le vieux Père John?

– Je l’ai aperçu; mais nous ne nous sommes jamais abordés face à face.

– Quindaro, promettez-moi une chose.

– Laquelle?

– C’est de rendre visite à l’Ermite lorsque vous en aurez l’occasion.

– Pourquoi cela?

– Je vous le dirai plus tard. Promettez-moi.

– Bien! ce sera fait suivant votre désir. Pour le moment il faut que je vous quitte; je vais me mettre sur la piste de cette bande: peut-être pourrai-je être utile à la jeune femme et à l’enfant dont vous m’avez parlé. En même temps je ferai mon possible pour rencontrer le vieil Ermite s’il se trouve dans ces parages.

A ces mots Quindaro étendit la main, saisit celle d’Oakley, la secoua cordialement, et s’éloigna d’un pas agile dans la direction des collines noires.

Oakley resta immobile à le regarder jusqu’à ce qu’il l’eût perdu de vue: puis il se mit en route de son côté en grommelant:

– Je parierais ma vieille chevelure contre un cuir de Peau-Rouge, que le père John et ce jeune gaillard pourraient se convenir beaucoup. Ils ont tous deux une histoire funeste et mystérieuse à se raconter: ils gardent tous deux une vieille rancune contre les Indiens.– Décidément ils seront très-bien ensemble.– Mais, que fais-je ici?… courons vite je n’ai pas une minute à perdre.

Sur ce propos, maître Jack se remit vivement en route et continua sa marche avec une telle activité qu’il arriva sain et sauf, au Fort, avant la nuit.

Il fut chaudement accueilli par cette vaillante petite armée, toujours indomptable malgré ses revers. Chaque soldat était dévoué de cœur et d’âme à l’Héroïne du fort Laramie; chacun se sentait atteint par le terrible événement qui la frappait; chacun voulut devenir son vengeur.

Par une heureuse coïncidence, un renfort de troupes était arrivé à Laramie; il se composait de deux cents hommes bien montés, bien armés, venus du Fort Jefferson. Dans de pareilles conditions, il devenait possible de lancer en expédition un détachement considérable sans avoir à craindre de dégarnir les débris de la citadelle.

Les préparatifs de campagne furent bientôt faits. Le lendemain, bien longtemps avant les premières lueurs de l’aurore, deux cent cinquante cavaliers parfaitement équipés, munis de deux pièces d’artillerie, se mirent allègrement en route pour cette expédition mémorable. Une généreuse ardeur faisait battre toutes ces vaillantes poitrines; on se hâtait pour atteindre au plus tôt le territoire des Eaux-Douces, de façon à devancer les Sauvages.

Oakley marchait devant en guide et en éclaireur, ne laissant pas un buisson sans le fouiller d’outre en outre, pas un défilé sans le sonder du regard.

CHAPITRE VII. UN MESSAGE

Le soleil se leva, brillant, gai, superbe: aux feux de ses rayons naissants les petits ruisseaux faisaient miroiter leurs ondes capricieuses tout en égayant les côteaux de leurs murmures joyeux. Tout respirait la paix, le bonheur, la tranquillité profonde que la bonne mère nature dispense en prodigue à ses enfants du désert.

Mais toujours grondait un noir orage au cœur de Wontum: cet être farouche et vicieux n’avait jamais compris un sentiment doux ou paisible.

Il restait debout sur cette rive enchantée du Deer Creek, l’œil menaçant, le front sombre, dardant sur sa victime des regards de serpent.

A chaque coup d’œil la malheureuse mère frissonnait: puis elle serrait contre son sein le petit Harry, ce frêle objet de tant de joies, de tant d’angoisses, de tant de souffrances!

Sans cesse retentissait à son oreille le cri de cette voix mystérieuse et secourable: «Pourquoi le sang du méchant n’a-t-il pas coulé? Pourquoi la mort n’est-elle pas descendue sur lui?»

Wontum y pensait aussi avec une méfiance inquiète, et ne laissait pas s’écouler une seconde sans promener sur les alentours un regard inquisiteur: on eût dit qu’il soupçonnait la présence secrète d’un ennemi. Son hésitation était visible; il redoutait de continuer sa marche; son instinct sauvage lui faisait pressentir une poursuite ou des embûches cachées.

 

Manonie eût un mouvement de joie en contemplant la belle vallée qui se déroulait devant elle: après un court examen, elle s’était reconnue; ce territoire, qu’elle avait souvent parcouru dans sa jeunesse, s’étendait, avec la Rivière-Douce, sur un espace de cinquante milles, et offrait à l’œil le plus admirable paysage qu’il soit donné à l’homme de voir. La jeune femme avait l’espérance et le désir de voir Wontum continuer sa course au travers de cette vallée, car dans ce parcours elle avait beaucoup de chances d’être secourue par les nombreux Settlers disséminés dans cette riante contrée. Dans tous les cas, si les Blancs, trop inférieurs en forces, ne pouvaient la délivrer, elle avait au moins l’espoir que son mari serait averti par eux et recevrait les renseignements suffisants pour venir à son aide.

Toute agitée par mille pensées fiévreuses, elle se leva et se mit à se promener lentement sur le bord de la rivière. Le petit Harry avait voulu la suivre, mais Wontum le retint. Alors l’enfant se retourna irrité et lança dans la figure du Sauvage un coup de toutes les forces de son petit poing. Au lieu de s’irriter, le Pawnie eut un demi-sourire et murmura avec une sorte de satisfaction.

– Ugh! bon! Il fera un brave Indien!

Et il passa une main caressante sur la tête du petit garçon. Mais celui-ci, fidèle instinctivement à la cause maternelle, se gardait bien de «fraterniser» avec le ravisseur; il secoua énergiquement sa brune chevelure et se raidit dans les bras du chef.

Manonie s’avança insensiblement jusqu’à ce qu’elle fût arrivée à une trentaine de pas loin de Sauvages. Wontum, quoique acharné comme un oiseau de proie à surveiller tous ses mouvements, ne prit pas garde à ce qu’elle faisait; sa petite querelle avec Harry l’avait distrait pour quelques instants.

La jeune femme cherchait curieusement dans les environs, espérant découvrir l’auteur mystérieux de l’avis qu’elle avait reçu dans le cours de la nuit précédente. Tout à coup elle tressaillit; quelque chose venait de tomber à ses pieds: c’était un petit cailloux roulé dans un bout de papier. Elle le saisit avec l’avidité d’un naufragé qui se cramponne à une corde de salut; en même temps elle jeta un regard oblique du côté de Wontum pour savoir s’il s’était aperçu de quelque chose; ce dernier continuait à s’occuper du petit Harry; depuis quelques instants il ne prenait pas garde à ce que faisait Manonie.

Elle déplia le papier qui portait quelques lignes d’écriture, et lut avidement:

– Espérez! cette nuit vous serez libre. Votre mari est informé de votre situation, il fait tous ses efforts pour courir à votre aide. Je suis votre ami, je resterai auprès de vous.

Manonie leva les yeux; en face d’elle, à une trentaine de pas, elle distingua, dans l’ombre d’un arbre creux une paire d’yeux étincelants qui la regardaient d’une façon étrange. Au bout d’une seconde, un jeune homme de haute taille, sortant de sa cachette, se laissa voir un instant, appuya un doigt sur ses lèvres pour recommander le silence, et disparut comme un météore.

Manonie eut peine à retenir un cri de bonheur qui gonflait sa poitrine: son premier mouvement fut de s’élancer vers l’inconnu. Un instant de réflexion la calma: elle comprima son émotion, et revint à l’endroit où Wontum était assis avec le petit Harry. Toute tremblante, elle serra avec une sorte d’emportement maternel son cher enfant sur son sein, comme si elle eût voulu le disputer à l’univers entier. Wontum ne fit pas attention à cette exaltation fébrile qu’il considérait comme une infirmité féminine.

Le mystérieux allié qui venait de se révéler lui était complètement étranger; elle ne se souvenait point de l’avoir jamais vu. Pourtant elle se sentait agitée d’une émotion inconcevable… chose facile à comprendre: son cœur battait à se rompre lorsqu’elle songeait que le bonheur, la liberté, la vie étaient proches et que quelques heures seulement la séparaient de la délivrance!

Au milieu de ces pensées tumultueuses vint se mêler tout à coup un sentiment de crainte: sans doute il y aurait quelque nouvelle bataille, où son mari courrait risque d’être tué. En effet, ses ravisseurs formaient une bande d’au moins quatre-vingt guerriers valides et courageux; comment viendrait-on à bout de cette horde féroce alors qu’un seul allié s’était présenté pour la pauvre captive?…

Sans soupçonner les tempêtes de crainte, d’espoir, de découragement qui se disputaient l’esprit de leur prisonnière, les Sauvages levèrent leur camp et se préparèrent à continuer leur route. Au grand chagrin de Manonie, ils se disposèrent à quitter la vallée et s’enfoncèrent dans la montagne: bientôt leur caravane fut perdue au milieu d’un océan de vallées, du fond desquelles on distinguait difficilement la plaine par quelques échappées lointaines.

Cette journée fut rude pour Manonie: épuisée par les fatigues des courses précédentes, elle fut forcée de se reposer fréquemment. La marche des Sauvages en fut considérablement retardée; ils perdirent ainsi leur avance, ce qui les contraria d’une manière sensible. Bientôt leur mécontentement se trahit par des coups-d’œil irrités et des propos menaçants: Manonie les comprenait parfaitement, car elle n’avait point oublié l’idiôme Pawnie qui lui avait été familier durant sa jeunesse.

Une querelle ouverte ne tarda point à s’engager. Un des Sauvages reprocha avec aigreur à Wontum d’avoir engagé cette expédition dans un intérêt tout personnel, uniquement pour s’emparer de la squaw Face-Pâle, et de les avoir poussés à une bataille qui leur coûtait plus de cent hommes.

Le même orateur, s’adressant à ses autres compagnons, leur proposa de mettre à mort la femme blanche, pour terminer toute discussion à son sujet.– «Mieux vaut, dit-il, emporter son scalp que de laisser nos chevelures sur un nouveau champ de combat; elle ne sera jamais des nôtres, elle sera toujours une source de discorde.»

On agita ensuite la question relative au sort de l’enfant.

– Qu’il vive, continua l’orateur; il est si jeune qu’il oubliera sans doute ses parents, et pourra devenir un guerrier utile à la tribu. Quoique dans un âge tendre, il a fait preuve de courage; il sera peut-être un jour fameux sur le sentier de guerre.

La pauvre Manonie suivait cette discussion avec un intérêt anxieux qu’il est facile d’imaginer. A tout instant ses regards inquiets sondaient furtivement les environs pour tâcher de découvrir son mystérieux protecteur; mais il restait invisible comme s’il eut fait partie du monde des esprits.

Après avoir longuement discuté, les Sauvages prirent une résolution, qui, en lui laissant quelque répit, permettait à Manonie d’espérer encore. Ils décidèrent que, malgré son mariage avec un blanc, ils n’avaient pas le droit de la mettre à mort sans avoir consulté le grand chef de la tribu à laquelle la jeune femme avait appartenu, et sans avoir obtenu son assentiment. On la conduisait donc devant Nemona pour qu’il fut le juge suprême de son sort.

Le soleil allait disparaître de l’horizon lorsque Wontum donna le signal de faire halte pour procéder aux préparatifs de campement. La troupe sauvage s’installa en un grand cercle comme la nuit précédente. Au centre, on ébrancha deux jeunes sapins proches l’un de l’autre, on les lia par leurs cîmes de façon à ce qu’ils formâssent la charpente d’un wigwam; ensuite ils furent couverts de branches, de feuilles, de fougères et de mousses; ainsi arrangée cette tente offrait à Manonie un abri chaud et confortable.

Ce ne fut pas sans une curiosité inquiète que la jeune femme suivit de l’œil tous ces préparatifs. Mais elle ne s’en approcha pas; assise sur une roche élevée d’où sa vue pouvait dominer la plaine, elle regardait avec tristesse ce désert dont les limites allaient se confondre avec l’horizon, et qui dormait du sommeil profond de la solitude. A tout instant elle espérait voir surgir de quelque ravin une troupe armée; elle tendait l’oreille au moindre bruit, pensant que le pas des chevaux se ferait entendre sur les cailloux roulants de la montagne.....

Vain espoir! efforts inutiles! Les torrents lointains faisaient seuls entendre leurs sourds grondements: les cîmes d’arbustes seules, ondoyant au vent, apparaissaient seules entre les interstices des rochers noirs; et si quelque pas furtif troublait le morne silence, c’était celui du loup des prairies en route pour chercher pâture.

Au moment où elle s’y attendait le moins, Wontum vint la trouver et s’assit à côté d’elle sur le gazon. Il la regarda longtemps avec une fixité étrange; son visage avait une expression indéfinissable dont Manonie ne put s’expliquer la signification.

Enfin il lui adressa la parole en langage Pawnie entrecoupé de mauvais anglais:

– Cœur-de-Panthère a voulu me tuer cette nuit!

Manonie tressaillit: elle était bien loin de se douter que le Sauvage soupçonnât seulement ses pensées de la nuit précédente. Il ne l’avait assurément pas vue levant le couteau sur lui, le tenant suspendu sur sa poitrine, le replaçant ensuite à sa ceinture sans avoir frappé. Wontum dormait, rêvait même à cet instant; comment donc avait-il pu surprendre le secret que Manonie et l’ombre seules connaissaient?

Une vive rougeur monta aux joues de la jeune femme à cette question inattendue: c’était pour l’Indien une réponse suffisante.

– Pourquoi voulez-vous tuer Wontum? demanda-t-il.

Manonie comprit qu’une dénégation serait inutile.

– Je n’aurais voulu vous tuer que si cela eût été nécessaire pour assurer ma liberté.

– Vous avez donc eu l’intention de me faire mourir?

– Oui.

– Pourquoi n’avez-vous pas exécuté votre projet?

– Parce que, au moment où j’allais frapper, vous avez lâché ma main que vous reteniez pendant votre sommeil; à ce moment j’espérais pouvoir fuir sans être forcée de commettre un meurtre. Mais comment avez-vous su tout cela?

Wontum lui montra son couteau:

Vous avez tiré ceci, dit-il, mais vous n’avez pas pris garde, en le remettant dans ma ceinture, que vous le placiez dans mon sac à balles. Pourquoi vouliez-vous fuir loin de moi?

– Pour revenir auprès de mon mari; vous ne pouvez en douter.

– Très-bien! mais Wontum ne remettra jamais l’enfant en liberté.

Manonie eût un grondement de douleur maternelle: le Sauvage continua:

– Et de plus, je ferai votre mari prisonnier; je le brûlerai. Consentez à devenir ma squaw, et je ne le brûlerai pas. Wontum veut Cœur-de-Panthère pour squaw; il l’aura, ou malheur au mari.

– Mon mari mourra alors, répondit Manonie avec fermeté, car je ne serai jamais votre squaw. Mais il n’est pas en votre pouvoir, mon bien-aimé Henry; il ne succombera pas sous vos coups. Prenez garde vous-même; et, si vous voulez avoir la vie sauve vous ferez bien de me rendre la liberté, car la vengeance de mon mari sera sûre et terrible.

– Ugh! Wontum n’a pas peur d’un soldat Face-Pâle! Ces hommes-là sont de pauvres guerriers. Qu’il vienne, l’officier! je serai content de l’emmener avec moi à Devil’s Gate.

A ce moment l’œil toujours vigilant de Manonie crut apercevoir derrière les rochers quelque chose comme l’ombre d’un homme: Elle ne fit qu’entrevoir cette apparition qui s’évanouit sur le champ, comme une vision fugitive. Malgré sa vive émotion, elle eut la présence d’esprit de détourner les yeux afin de ne pas attirer sur ce point l’attention du Sauvage: Néanmoins un sourire d’espoir erra sur ses lèvres et fut remarqué par Wontum.

– Cœur-de-Panthère pense à quelque chose d’agréable? demanda-t-il.

– Je songeais à mes amis et à la terrible revanche qu’ils vont prendre sur vous.

– Ugh! Cœur-de-Panthère les attend cette nuit?

Un sourire significatif resta empreint sur la face rusée du Pawnie; Manonie trembla un instant qu’il n’eût démêlé le secret du mystérieux étranger: mais quelques secondes de réflexion la rassurèrent, elle répondit courageusement:

– Oui! je suis certaine de revoir bientôt mes amis. Je m’échapperai à la première occasion; soyez en sûr!

– Wontum sait à quoi s’en tenir là-dessus; mais il prend soin de ses prisonniers. Demain, dans la soirée, nous serons au village des Pawnies. Alors Cœur-de-Panthère sera la femme ou l’esclave du chef: elle choisira!

– Vous n’irez pas si loin sans être attaqué.

– Je ne crains rien. Sans quitter les montagnes, je regagnerai nos cavernes par les défilés d’Indépendance-Rock. Vos soldats sont tous à cheval; ils ne pourront nous atteindre tant que nous serons dans les rochers. S’ils entreprennent de traverser Devil’s Gate, ils sont perdus. Vous le voyez, il n’y a pour vous aucune espérance d’évasion: le parti le plus sage sera donc de vous résigner à votre sort.

 

Wontum lui montra ensuite la tente improvisée, et continua en idiôme Pawnie.

– Vous allez reposer là-dedans cette nuit. Mais pour vous empêcher de faire quelque sottise, je vais vous lier les mains et les pieds.

Manonie ne répondit rien, et la conversation en resta là. Lorsque la soirée fut plus avancée, Wontum attacha les deux poignets de Manonie avec une corde solide:

– La nuit dernière, dit-il, vous avez fait usage de vos dents; je vais prendre mes précautions à ce sujet.

En même temps il fit asseoir sa victime par terre, le dos appuyé contre une grosse pierre, lui passa sous le cou une branche longue et flexible qu’il enroula des deux bouts sur l’un des sapins soutenant le wigwam, et lui rendit ainsi impossible tout mouvement de la tête. Une autre corde lui serrait les pieds et revenait se nouer aux poignets qu’elle maintenait arrêtés contre le corps.

A moins d’être délivrée par une main secourable, la pauvre captive devait passer les longues heures de la nuit dans une cruelle immobilité. Elle ne dit pas un mot, ne proféra pas une plainte. En apportant auprès d’elle le petit Harry, Wontum ne pût s’empêcher de lui accorder un regard d’admiration.

Tous ces préparatifs accomplis, le Pawnie se coucha sur le sol, directement en face de l’entrée, et resta longtemps immobile mais éveillé, comme une bête fauve à l’affût.

Cependant, lorsqu’arrivèrent les premières heures matinales après minuit, sa tête s’inclina sur le gazon, ses poings fermés s’entr’ouvrirent; il s’endormit d’un sommeil d’autant plus profond qu’il avait lutté davantage.

Il était impossible à Manonie de faire un mouvement. Elle aurait bien voulu écarter un peu les branches de sa tente pour apercevoir ce qui se passait dans la campagne. S’apercevant que son petit garçon était éveillé, elle l’appela avec un sourire, et lui demanda, bien bas, de pratiquer une ouverture dans les feuillages.

L’enfant obéit avec une adresse et une précaution au-dessus de son âge. Alors Manonie pût voir au dehors par cette éclaircie: sa vue, il est vrai, ne pouvait se porter que dans une seule direction, mais c’était déjà quelque chose.

La nuit était splendide: les clartés d’une lune resplendissante étaient adoucies plutôt qu’obscurcies par les flocons légers de blancs nuages qui erraient lentement dans l’azur. Les gigantesques silhouettes de ces voyageurs aériens revêtaient tour à tour les formes les plus fantastiques; ici c’était un chêne au feuillage touffu, là, un palais, plus loin un volcan au cratère de feu; puis c’était un géant armé, un dragon fantastique, un lion couché, une panthère bondissante: et toutes ces images mouvantes, confuses, entrelacées, changeant de forme à chaque seconde, se balançaient au clair de lune comme un essaim capricieux de puissances surnaturelles mises en gaîté par cette belle nuit.

Au milieu de ces fantômes insaisissables, l’œil fasciné de la captive croyait parfois démêler la haute stature de son ami inconnu surgissant du fond de quelque ravin… mais un rayon glacé immobilisait soudain la forme entrevue et la changeait en roc, en sapin, en bosquet, en tronc d’arbre; et, avec l’illusion s’évanouissait l’espérance.

Ah! ciel! qu’est-ce que cela? Les prunelles noires de la jeune femme sondent ardemment l’espace! Est-ce une erreur, un rêve, encore? Là, tout près, un corps sombre se détache d’un noir rocher;… une tête intelligente épie à la hâte les alentours;… on s’avance,… on rampe,… on s’approche!

Manonie eût un affreux battement de cœur; l’espérance rentrait si violemment dans sa pauvre âme qu’elle en était déchirée comme par une blessure. Il arrivait enfin, cet ami! L’heure de la délivrance allait sonner!

Effectivement c’était un homme: il s’avança avec une merveilleuse souplesse près des avant-gardes des Sauvages. Manonie le vit s’incliner sur le corps sombre de l’un des dormeurs; elle crut qu’une lutte allait s’engager. Mais non; un point lumineux parut et disparut sur la poitrine de l’Indien; celui-ci leva convulsivement les bras; ils retombèrent inertes et morts; l’agonie avait été foudroyante et muette.

Alors le vainqueur prit dans ses mains robustes le cadavre du Pawnie et disparut en l’emportant derrière un rocher.

Le regard inquiet de Manonie ne le perdit pas longtemps de vue: bientôt il reparut en pleine lumière; à ce moment il s’était transformé en Indien. Il se remit à ramper silencieusement.

La jeune femme le vit se glisser, avec la souplesse d’un serpent, au milieu des Sauvages qui entravaient sa route; il approchait lentement, mais sûrement du wigwam. Quand il fut tout proche, le corps de Wontum l’obligea à se détourner; pendant quelques secondes, longues comme des siècles, Manonie ne vit et n’entendit rien.

Tout-à-coup, derrière elle, le feuillage murmura imperceptiblement.

L’homme était arrivé.

Il se glissa par l’ouverture qu’il venait de pratiquer, posa sa main sur l’épaule de la captive et l’attira à lui. Les liens la retenaient: il s’en aperçut bien vite, les trancha silencieusement, puis, d’une voix plus basse qu’un souffle, il lui dit:

– Donnez-moi l’enfant!

– Qui êtes-vous? demanda Manonie.

– Un ami. Donnez l’enfant et suivez-moi.

A l’instant même où elle soulevait le petit Harry de sa couche de feuilles, Wontum se souleva sur son coude et fit osciller sur ses épaules sa tête alourdie par le sommeil.

Manonie resta sans respiration, les bras tendus, le sang lui battant les tempes… Wontum retomba sur le gazon en murmurant quelques paroles inintelligibles et redevint immobile.

Après quelques minutes d’une mortelle attente Manonie souleva l’enfant et le remit à l’étranger, puis elle le suivit en rampant comme lui au milieu des Sauvages, menaçants jusque dans leur sommeil.

Dire les transes cruelles de la fugitive pendant ce périlleux trajet serait impossible; la vie était suspendue en elle à la pensée qu’à chaque seconde le vol d’un moucheron, le froissement d’un brin d’herbe, le reflet d’un rayon de lune pouvaient éveiller l’ennemi et la perdre ainsi que son enfant et son généreux sauveur.

Enfin la redoutable enceinte fut franchie; aussitôt l’homme se redressa et se mit à marcher rapidement: Manonie le suivit à pas précipités. On marcha ainsi pendant une heure, dans le plus profond silence. Bientôt il devint évident que leur fuite n’était pas découverte et qu’ils n’étaient pas poursuivis. Alors Manonie se hasarda à parler:

– Comment pourrai-je jamais reconnaître votre généreux dévouement pour moi? dit-elle à son sauveur, d’une voix tremblante de reconnaissance et d’émotion.

– J’ai fait peu de chose, répondit l’inconnu simplement mais avec bonté.

– Ah! sir! vous auriez été impitoyablement massacré par les Sauvages s’ils vous avaient aperçu!

– C’est possible. Mais j’ai souvent déjà couru les mêmes risques pour de moins bonnes causes. Au fait, qu’est ce que la vie pour moi?… et que puis-je craindre en la risquant?

– La vie est une douce chose pour moi, sir; elle m’est précieuse et chère. Je voudrais que pour tous elle fut aussi heureuse que pour moi!

– Madame, je suis bien aise d’avoir pu vous rendre ce service, et de pouvoir ramener à votre mari vous et votre enfant.

– Pourrais-je savoir qui est celui à qui je dois tant de reconnaissance?

– Pardonnez-moi de vous répondre brièvement à cet égard. Nous ne nous sommes jamais rencontrés jusqu’à ce jour. Je ne suis qu’un simple chasseur; le hasard m’ayant appris que ces coquins vous avaient faite captive, je me suis déterminé à vous suivre pour vous secourir s’il était possible. Maintenant nous sommes sauvés, je pense.

– Mais, si je ne me trompe, au lieu de nous diriger vers le Fort, nous lui tournons le dos?

– Oui.

– Vous avez certainement de bonnes raisons pour prendre cette direction; puis-je vous demander quelle est votre pensée.

– Oui sans doute. Les Sauvages découvriront notre fuite très-promptement, au plus tard, demain matin. Naturellement ils supposeront que nous avons pris la route de la vallée pour nous rendre au Fort. Mais, ne vous y trompez pas, ils auront bientôt démêlé nos traces et ne tarderont point à reconnaître leur vraie direction. Ils s’apercevront aussi que vous avez été aidée par quelqu’un.