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Coeur de panthère

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CHAPITRE V. POURSUITE.– FUITE DU TIGRE

Wontum ne s’était point attendu à être poursuivi de si près par la mère. Il avait supposé qu’un grand nombre de soldats quitteraient le Fort pour le rechercher, et qu’alors un assaut pourrait être donné avec toutes les chances possibles de succès.



Cependant il avait songé aussi à attirer dans les bois la mère désolée, et s’était réservé l’espoir de s’en emparer aisément.



Ses espérances étaient dépassées. Le Fort allait tomber sous une nuée d’assaillants: l’heure du triomphe et de la vengeance était arrivée.



Un rayon de joie cruelle illumina son farouche visage lorsqu’il aperçut Manonie s’élançant des remparts et traversant la vallée avec la rapidité d’un oiseau. Sa proie courait vers lui!



Ce fut avec une orgueilleuse inquiétude— aussitôt dissipée— qu’il constata l’agilité de la jeune femme. Les trois années de civilisation qui venaient de s’écouler n’avaient point anéanti ses facultés sauvages: il retrouvait Cœur-de-Panthère, l’indomptable fille des bois que n’arrêtaient ni la montagne, ni le fleuve, ni la forêt.



Wontum s’arrêta, moitié pour l’attendre, moitié pour contempler la chute du Fort. Bientôt la mêlée se ralentit, l’incendie s’alluma, les soldats se dispersèrent, fuyant éperdus dans toutes les directions.



Laramie avait vécu!… Et Manonie approchait!



Le cœur du chef Pawnie se gonflait d’une joie farouche; ses yeux voyaient flotter dans l’air le spectre de la vengeance, ses oreilles entendaient les cris des victimes!…



Manonie arriva comme une flèche: le petit Harry était assis par terre à côté de l’Indien, pleurant et se désolant: lorsqu’il aperçut sa mère, il vola dans ses bras et se suspendit à son cou. Elle fit aussitôt volte-face et reprit le chemin du Fort, mais Wontum l’arrêta en lui disant:



– Que Cœur-de-Panthère prenne du repos.



– Pas auprès de vous, monstre infernal que vous êtes! s’écria-t-elle.



– Wontum n’est pas un monstre. Il est un grand guerrier; il tue ses ennemis.



– Et il dérobe les enfants! Wontum n’est qu’un voleur ignoble!



– Ugh!



– Pourquoi avez-vous enlevé mon fils? N’est-ce pas là un misérable exploit, indigne d’un grand guerrier?



– Cœur-de-Panthère veut-elle ravoir son enfant?



– Oh! oui! rendez-le moi et je vous serai reconnaissante toute ma vie!



– Qu’elle devienne la femme de Wontum.



– Comment le pourrais-je? je suis mariée déjà.



– Ugh! Cœur-de-Panthère va venir avec le chef.



– En quel lieu?



– Aux wigwams du pays des Pawnies. Cœur-de-Panthère deviendra la squaw de Wontum, sinon l’enfant sera tué. Allons.



Le Sauvage saisit de nouveau le petit Harry et se dirigea brusquement-vers le Fort qui venait d’être pris par les Indiens. Pour traverser la rivière Laramie, il prit un petit canot amarré sur la rive et se dirigea vers le théâtre du carnage.



Manonie, la pauvre mère, s’était attachée à ses pas.



La destruction de la forteresse marchait rapidement: tout ne fut bientôt plus que cendres et ruines: alors les Sauvages s’arrêtèrent satisfaits, et, au commandement de Wontum ils commencèrent à effectuer leur retraite.



Dans le butin se trouvaient plusieurs superbes chevaux d’officiers: Manonie fut placée sur l’un d’eux, Wontum monta sur un autre, portant l’enfant dans ses bras. Il partit sur le champ au grand galop entraînant après lui la malheureuse femme qui, pour ne pas perdre son fils de vue, l’aurait suivi jusque dans les plus affreux précipices.



Le chef Pawnie avait réussi à souhait dans tous ses projets: son plus grand triomphe était d’avoir pu s’emparer de la mère et de l’enfant. Peu lui importait le désespoir du père, car il était peut-être mort ou prisonnier à cette heure, si l’embuscade de la montagne avait réussi. Wontum, en habile stratégiste, n’avait rien oublié. Informé qu’un détachement de soldats avait fait une sortie dans la vallée, et présumant que ce petit corps d’armée reviendrait par les bords de la rivière Platte, Wontum avait dépêché une horde de Pawnies pour intercepter la route, à la hauteur du pic Laramie.



Au point où en étaient les choses, le chef Indien n’avait plus aucun désir de livrer bataille; son unique but était de regagner Devil’s Gate, parce que dans ces défilés inaccessibles il n’avait plus à craindre l’artillerie des blancs. Les deux très-petites pièces de campagne que possédait la garnison de Laramie étaient l’épouvantail des Sauvages depuis la sévère leçon qu’ils avaient reçue à South-Pass.



Manonie marchait dans un morne silence, sachant bien que toute parole serait inutile au milieu de cette troupe ennemie. Évidemment elle était prisonnière; entièrement à la merci de son ravisseur, elle et son petit Harry: quel sort affreux lui réservait l’avenir?… Ce qui augmentait encore l’amertume de ses angoisses, c’était la disparition inexplicable de son mari, et la pensée cruelle que, jamais peut-être, elle ne le reverrait.



Lorsqu’on eut atteint les premières collines du pic Laramie, Wontum fit halte subitement et donna ordre à ses guerriers de l’imiter. Puis il se jeta dans un petit chemin creux, profondément encaissé dans les rochers, et servant de lit à un ruisseau. Dans un pareil défilé, les Sauvages étaient certains de ne laisser aucune trace de leur passage.



A peine y étaient-ils entrés que Manonie entendit à peu de distance des piétinements de chevaux qui lui donnèrent à penser qu’un corps de cavalerie était proche. Peut-être étaient-ce des amis, des sauveurs que le ciel lui envoyait! Peut-être son mari était-il dans les rangs de cette troupe expéditionnaire!



Les Sauvages, pour éviter d’être aperçus se jetèrent par terre, et gardèrent la plus silencieuse immobilité.



Une pensée illumina Cœur-de-Panthère… si elle appelait au secours? En même temps elle songea que, dans la bataille qui allait infailliblement s’engager, son fils et elle courraient les plus grands dangers.



Néanmoins elle se disposait à crier: mais, au moment où la troupe régulière fut tout à fait proche, Wontum appuya la pointe de son couteau sur la poitrine du petit garçon, en disant à voix basse:



– Si Cœur-de-Panthère fait du bruit, je tue l’enfant.



Manonie frissonna et se renferma dans un douloureux silence. Le piétinement des chevaux, le cliquetis des sabres, les cris et les éclats de rire des cavaliers, venaient frapper ses oreilles!… et elle ne pouvait donner un signal! Des amis étaient là, en force imposante, apportant avec eux le salut.– S’ils eussent soupçonné sa misérable position!– Et elle ne pouvait pas pousser un cri, faire un signe, sans tuer son enfant!…



Les soldats s’éloignèrent lentement, sans rien voir, sans rien deviner. Le cœur de Manonie se glaça et perdit tout espoir; l’heure de la délivrance n’avait pas sonné.



Au même instant se produisit un incident imprévu: le cheval monté par Wontum se mit à fouiller la terre du pied: puis, il poussa un hennissement auquel répondit celui de Manonie. Le corps de cavalerie fit halte sur le champ, et à la même seconde un énorme chien, après avoir fouillé les buissons, s’enfuit en hurlant vers ses maîtres.



– Ugh! mauvais! très-mauvais! grommela Wontum.



Aussitôt il jeta un regard rapide tout autour de lui, et sans dire une parole il s’élança sur le revers de la montagne avec la vélocité d’un cerf, tenant toujours l’enfant entre ses bras: la mère courut sur ses traces, décidée à mourir plutôt que de perdre de vue son innocent trésor.



Il était temps de fuir! La détonation d’une pièce d’artillerie fit gronder les échos: une volée de mitraille faucha les buissons en rebondissant sur les rochers avec mille sifflements. Le cheval que Manonie venait de quitter fit quelques bonds convulsifs, poussa un cri lamentable et roula mort dans les rochers.



Les Sauvages bondirent hors de leur retraite avec d’atroces hurlements, et engagèrent le combat: mais un feu de file foudroyant les accueillit d’une façon si terrible, qu’un tiers des Indiens tomba pour ne plus se relever.



Ils avaient affaire à environ cent dragons des États-Unis, bien montés, bien armés, munis chacun d’une carabine et d’une paire de pistolets.



En entendant le hennissement du cheval ils se doutèrent qu’il y avait là, près d’eux, quelque chose de suspect. Sans perdre une minute ils se formèrent en ligne, mirent en batterie deux pièces de six qui formaient leur artillerie de campagne, et firent feu, au jugé, dans les buissons pour en faire sortir les tigres à face humaine qui s’y cachaient.



Le chien que les dragons avaient envoyé en éclaireur était dressé à ce service: ce n’était pas la première fois que le fidèle et intelligent animal se signalait ainsi.



En se voyant assaillis par une nuée de Sauvages, les braves cavaliers furent surpris désagréablement; néanmoins ils ne se déconcertèrent pas et soutinrent intrépidement leur choc. Un second, puis un troisième feu de peloton fut tiré sans produire autant de ravages que le premier; cette fois c’était le tour des pistolets, beaucoup moins meurtriers que les carabines.



Heureusement le canon fonctionna de nouveau et décima les Sauvages. Pour eux, ces formidables détonations étaient la voix terrible d’un tonnerre auquel rien ne pouvait échapper.



Bientôt on en vint à une lutte corps à corps. Les Indiens combattirent avec une rage désespérée; mais ils ne purent tenir longtemps contre les flamboyants revers des grands sabres. D’ailleurs ils se sentaient tous découragés, n’ayant plus de chef: la voix de Wontum leur manquait, elle qui les avait si souvent excités au combat. Personne ne l’avait vu fuir, on le croyait mort dans la mêlée.



L’engagement ne fut pas long; en une demi-heure, cent cinquante Sauvages sur deux cents étaient tués ou grièvement blessés: le reste, épouvanté, prenait la fuite et disparaissait au travers des précipices.



Wontum n’avait pas été aperçu par les dragons: l’épaisseur du fourré avait dissimulé sa fuite. Il s’arrêta donc à bonne distance, et attendit tranquillement l’issue de la bataille. Sa fureur, lorsqu’il vit la déroute des siens, serait impossible à décrire: il s’adressa intérieurement les plus amers reproches d’avoir quitté furtivement le théâtre de la lutte; ses regrets étaient d’autant plus vifs que cette espèce de désertion n’avait point eu la crainte pour motif; la haine du chef Pawnie contre les blancs exaltait son courage jusqu’à la témérité. Mais sa passion de vengeance personnelle l’avait entraîné trop loin: pour s’assurer de Manonie et de son enfant il s’était sauvé comme un lâche!…

 



Ces réflexions orageuses faillirent devenir funestes au petit Harry; la main du Sauvage se leva pour le briser contre les rochers, et si la mère, prompte comme l’éclair, ne se fut interposée, le pauvre innocent était mort.



Il était impossible à la cavalerie de poursuivre les fuyards à travers les rochers, les Dragons se replièrent donc en ordre de bataille, et s’occupèrent de leurs morts et de leurs blessés: ces derniers étaient au nombre de cinquante environ: il n’y avait que quatre tués, les Indiens ayant fait usage seulement du tomahawk et du couteau.



Manonie, le cœur brisé, avait vu s’éloigner sans retour ces amis nombreux dont un seul aurait pu la sauver, et qu’elle n’avait pu avertir ni par un cri, ni même par un geste.



Vainement elle essaya de sonder Wontum sur ses intentions, mais il opposa à toutes ses questions un dédaigneux silence. Quand elle se hasarda à demander des nouvelles de son mari, il lui répondit par un sourire de tigre.



Le voyage recommença; chacun était épuisé de fatigue; plusieurs Sauvages étaient sans chevaux. Au lieu de descendre dans la vallée, on suivit le flanc escarpé de la montagne, et on arriva, le soir, sur le bord d’une belle petite rivière qui serpentait au pied des collines.



Les débris de la troupe sauvage s’étaient ralliés autour de Wontum et commençaient à reprendre courage: on fit halte, et les préparatifs d’un campement pour la nuit furent commencés.



Le site était complètement solitaire et désert, sans la moindre apparence de route ou même d’une simple piste; Manonie ne pût s’y reconnaître, elle à qui, pourtant, tous les sentiers de la plaine avaient été familiers. Néanmoins elle reconnut avec satisfaction que le cours d’eau était un des affluents de la Platte… Son active et courageuse imagination se mettait déjà en travail pour préparer une évasion.



Le camp établi, la jeune femme fut placée au centre d’un cercle formé par la troupe sauvage. On lui laissa le petit Harry pour qu’il put reposer à côté d’elle:



Avant de se livrer au sommeil, Wontum fit avec l’écorce de quelques jeunes arbrisseaux une longue et forte corde avec un bout de laquelle il lia un bras de sa captive; l’autre bout resta roulé autour de sa ceinture. Cette précaution diabolique devait être d’une funeste efficacité contre toute tentative de fuite.



Ensuite, la bande entière se coucha pour dormir.



Les instants s’écoulèrent, lents comme des siècles, pour Manonie inquiète, avant que la respiration égale et bruyante des dormeurs indiquât que leurs yeux étaient fermés par un vrai sommeil. La pauvre femme avait, plus que personne, ressenti les fatigues de cette triste journée: son enfant s’était immédiatement assoupi d’un profond sommeil entre ses bras: elle se sentait chanceler sous l’invincible étreinte d’un engourdissement général; ses paupières s’abaissaient comme si elles eussent été de plomb. Il lui fallut toute l’énergie du désespoir pour lutter contre ce nouvel ennemi… le sommeil!



Enfin tout devint immobile autour d’elle; Wontum lui-même dormait. Le premier soin de Manonie fût de travailler à dénouer la corde qui la retenait: elle y parvint en employant ses dents. Cette première tâche accomplie elle essaya de quitter doucement sa place. Mais au premier mouvement qu’elle fit, Wontum la saisit par le coude avec une telle force, et la serra si brutalement qu’elle ne put retenir une exclamation de douleur. Cependant le Sauvage ne parut point s’éveiller, et, après quelques secondes d’une immobilité pleine d’angoisses, Manonie resta convaincue que le geste du Pawnie avait été simplement fortuit et exécuté en plein sommeil.



Probablement un instinct de bête fauve continuait à veiller en lui, et les nerfs surexcités se crispaient machinalement sur la malheureuse captive au moindre mouvement tenté par elle.



Néanmoins elle n’osa plus bouger et attendit immobile. La respiration du Sauvage devenait bruyante et agitée; ses lèvres frémissantes laissaient échapper des imprécations sourdes, entremêlées de mots inintelligibles. C’était encore de la fureur, jusques dans les rêves!



Manonie promena ses regards autour d’elle; son oreille attentive sonda les profondeurs du silence. Tout dormait… le moment d’agir était venu.



Un flot de sang bouillonna aux tempes de la pauvre désespérée lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur le couteau du chef: à demi sorti de sa ceinture, il brillait d’un reflet sinistre. D’une main ferme et souple elle retira l’arme de son fourreau, puis elle regarda sa pointe aiguë, rouge encore du sang de ce pauvre Blair! un frisson glacial la pénétra jusqu’à la moelle des os: elle se sentait au milieu d’une atmosphère de mort. Aussitôt elle enveloppa son petit Harry d’un tendre regard: l’enfant dormait paisiblement, illuminé par la clarté douce des étoiles.



Tout était calme dans la nature; le ruisseau murmurait, les feuillages babillaient, les insectes nocturnes bourdonnaient çà et là; dans le lointain désert, profond, incommensurable, s’élevaient, s’éteignaient des rumeurs confuses: toutes ces voix de la solitude et de la nuit parlaient de liberté à la triste prisonnière.



Puis ses yeux retombèrent sur le monstre endormi près d’elle, sur l’ennemi implacable qui l’avait faite malheureuse. Le couteau sembla s’agiter dans la main de la jeune femme… N’avait-elle pas le droit d’en faire usage?… Un seul coup, et la terre était débarrassée!… Mais sa main, sa faible main de femme serait-elle assez ferme pour porter un coup mortel?… Enfin, le ciel approuverait-il un pareil acte?…



L’infortunée leva les yeux au ciel et lui adressa avec ferveur une courte prière.



– Oh! Grand Esprit! murmura-t-elle, inspirez-moi, fortifiez-moi!



Ensuite, se sentant raffermie par le même courage qui jadis anima Judith, elle leva l’arme meurtrière pour l’enfoncer dans la poitrine du Sauvage. A cet instant suprême, un simple mouvement de Wontum changea la face des choses: il lâcha le bras de Manonie qu’il tenait serré depuis quelques instants. La captive devenait libre de ses mouvements; elle échappait à l’horrible nécessité de faire couler le sang: le couteau s’abaissa sans frapper.



Craignant de perdre une seconde, Manonie se leva doucement et prit son fils entre ses bras. Ses regards se portèrent anxieusement autour d’elle, pour chercher la route à suivre: tout était tranquille et muet. Elle se mit en marche, posant légèrement ses pieds entre les dormeurs. Pendant cette périlleuse et critique entreprise, son cœur battait si fort, que ses pulsations lui semblaient capables d’éveiller les Sauvages qui l’entouraient.



Enfin elle atteignit le bord de la rivière: elle était libre!… Malheureusement le petit Harry se réveilla effrayé et se mit à crier. Il n’en fallait pas tant pour réveiller Wontum: d’un bond il fut auprès de la fugitive.



La pauvre mère l’avait bien vu au moment même où il se levait; mais il n’était plus temps de fuir; alors, avec une étonnante présence d’esprit, elle se mit à parler à l’enfant d’une voix assez élevée pour être entendue du Sauvage.



– Mon petit Harry demande à boire? Il va avoir ce qu’il désire: Manonie va lui donner de l’eau.



En même temps elle se pencha vers la rivière, remplit une petite tasse et la présenta à son fils, qui but avec avidité.



– Et maintenant, ajouta-t-elle, Harry va dormir encore, s’il est un gentil petit garçon.



– Où est papa? demanda l’innocente créature.



– Cette question était un coup de poignard dans le cœur de Manonie, mais elle répliqua d’une voix calme:



– N’aie pas peur, mon mignon, nous verrons bientôt papa.



– Demain matin?…



– Demain matin, peut-être.



– Où est ce méchant homme qui m’a emporté de la maison?



– Chut!



– Ici! gronda le Sauvage en s’approchant; ici, le méchant homme.



Alors Wontum ramena sa prisonnière au centre du camp. Tout espoir d’évasion était perdu; Manonie se résigna à prendre du repos.



Mais avant que le sommeil eut appesanti ses paupières, les échos profonds de la vallée envoyèrent à ses oreilles une sorte de rumeur plaintive et menaçante qui peu à peu devint une voix… Des paroles étranges planaient dans l’atmosphère sombre:



– Pourquoi le sang du méchant n’a-t-il pas coulé?… Pourquoi la mort n’est-elle pas descendue sur lui?



Ainsi parlait la voix mystérieuse dont la brise nocturne emporta rapidement les derniers murmures.



Wontum l’entendit et se dressa en sursaut pour mieux écouter; mais tout était rentré dans le silence, le sauvage pût croire qu’il avait été le jouet d’une illusion.



Manonie, au contraire, crût reconnaître dans ces sons fugitifs l’accent d’une voix amie descendant du ciel pour la consoler. Elle ne se sentit plus aussi abandonnée, l’espoir revint dans son âme: un sommeil réconfortant vint clore ses paupières, et la nuit égrena une à une ses lentes heures sans qu’aucun incident nouveau se produisit.



CHAPITRE VI. AMIS

Le vieux John et Oakley, après avoir quitté le Fort, ou plutôt ses ruines, s’arrêtèrent pendant quelques instants, sur les bords du Laramie, pour se consulter au sujet de la direction à prendre, et des résolutions à former pour mener à bonne fin leur poursuite.



Oakley avait souvent rencontré Manonie pendant qu’elle demeurait au milieu des Sauvages, il lui avait conservé une paternelle affection.



Le vieux John, non-seulement ne l’avait jamais vue, mais encore, chose singulière, n’avait jamais entendu parler d’elle jusqu’au moment où le lieutenant Marshall était venu implorer son aide et ses bons conseils. Cependant jusqu’à l’époque de son mariage, Manonie avait vécu dans le voisinage du vieillard.



Décidément le vieux John était plus ermite encore qu’on ne pouvait le croire.



Les trois amis décidèrent que le meilleur parti à prendre serait de suivre la piste des Sauvages, et que, lorsque Wontum aurait été découvert, l’un des poursuivants resterait pour épier secrètement sa marche ainsi que la manière dont il traiterait sa captive, pendant que les deux autres courraient avertir les troupes régulières.



Oakley était fort adroit à suivre une piste; après un examen approfondi il jugea que le ravisseur ne marchait point séparé de sa bande, car aucun vestige isolé ne se montrait dans les bois.



Leur départ du Fort avait été si promptement effectué qu’ils n’avaient rien pu savoir de la rencontre entre les dragons et les Sauvages. Leur surprise fut donc grande lorsqu’ils aperçurent les piétinements de la cavalerie qui effaçaient entièrement les traces des Indiens. Sur le premier moment ils pensèrent que la bande Pawnie s’était détournée à l’approche des soldats pour ne pas être aperçue par eux, et pour éviter un engagement.



Après avoir rapidement marché pendant quelques heures, ils se trouvèrent inopinément sur le théâtre du combat. Ce fut pour Oakley un trait de lumière; d’autant mieux qu’en rôdant au travers des broussailles, il découvrit, soigneusement caché sous les branches, le cadavre du cheval que les Indiens avaient emmené du Fort, et qu’une décharge de mitraille avait tué.



Dès ce moment Oakley pût retracer avec une exactitude merveilleuse toutes les péripéties du sort de Manonie. A un chasseur de profession devenu aussi habile qu’un Indien à suivre une piste, il suffit d’un rien pour se maintenir dans la bonne voie: une branche rompue, une feuille déplacée, un brin de mousse froissé sont pour lui des indices clairs et infaillibles.



Ce fut ainsi que Oakley suivit pas à pas Wontum et Manonie, soit sur les rochers, soit sur le gazon, soit sur le sol humide des bois.



– Oh! s’écriait-il de temps en temps, voyez-moi donc les larges empreintes du gros vilain pied de ce Pawnie… Et ces petits mocassins de Manonie! de vraies pattes de biche! légère et forte, malgré son chagrin… courageuse enfant! elle suivait son fils. Ah! je connais quelque part une carabine qui parle bien, très-bien même, et qui voudrait dire un seul mot à ce Peau-Rouge maudit. Allons, mes amis, courage! ça va bien.



Lorsqu’ils arrivèrent au campement nocturne des Indiens, toute incertitude se dissipa; la bande des ravisseurs, sans chercher aucunement à cacher sa piste, avait pris la route qui conduisait directement aux Collines-Noires en suivant le Ruisseau du Daim.

 



Les choses étant ainsi éclaircies, on fit halte et la question fut agitée pour savoir qui retournerait en arrière afin d’avertir la garnison.



Il y eut discussion d’abord; car ni Oakley ni le vieux John ne voulaient reculer devant les dangers de la poursuite; chacun d’eux était emporté en avant par la même ardeur.



– Maintenant, ami John, dit Oakley, il s’agit de bien se comprendre et de ne pas se tromper. Que le bon Dieu vous bénisse! mais, je crois que vous vous connaissez en diableries indiennes, à peu près autant qu’un baby de deux mois. Vous êtes si mystique et si tranquille dans votre petit coin que vous avez sans doute oublié par quel bout on prend un mousquet; ma foi! je ne comprendrais pas, qu’à votre âge, vous fussiez tenté de courir aux méchantes aventures.



Le vieux John se mit à rire avec une bonhomie pleine de malice.



– Je ne suis peut-être pas aussi ignorant que vous le croyez de ce qui concerne les ruses sauvages. Il me semble que je saurais encore passablement suivre une piste et même jeter par terre un Peau-Rouge, s’il le fallait pour une juste cause.



– Bah! vraiment? Très-bien! je suppose que vous en seriez capable. Mais comment connaîtriez-vous leurs malices, vous qui, toujours enfermé dans votre cabane des montagnes, ne faites pas autre chose que lire dans vos livres? C’est comme je vous le dis, John; vos moyens de science vont aussi loin qu’une éducation par les livres peut mener, mais, à mon avis, le meilleur livre ne dit pas grand chose sur les Indiens. Vous avez peut-être trop peu étudié dans le grand livre qui se développe autour de nous.



A ces mots, Oakley montra d’un geste l’imposant paysage de la vallée; John inclina respectueusement sa tête vénérable.



Au bout de quelques moments il répondit:



– Enfin, Oakley, échangeons un peu notre opinion respective sur les projets du ravisseur Pawnie, et sur les motifs qui l’ont poussé à enlever l’enfant.



– Parfaitement! allez, donnez vos idées; nous verrons si vous avez jugé droit relativement à cette affaire de la vie des bois.



– Eh bien! il va suivre les Collines Noires jusqu’à ce qu’il ait atteint le Deer Creek.



– Par les cornes d’un moose! c’est mon avis aussi. Allons, parlez encore.



– Ensuite il traversera la vallée, en droite ligne pour gagner les Eaux-Douces.



– Précisément! je pense comme vous. Après!…



– Après…? il ne s’arrêtera pas qu’il n’ait atteint Devil’s Gate.



– Nous sommes du même avis, mon vieil ami. Continuez votre explication.



– Là, il se considérera comme sauvé, et il le sera en effet, jusqu’à un certain point; car il est impossible de traîner de l’artillerie dans ces territoires inaccessibles. Les Peaux-Rouges, une fois retranchés dans leurs cavernes, ne fussent-ils qu’une centaine d’hommes, pourraient tenir tête à une armée.



– Vous parlez droit, sir; je vous écoute toujours. Maintenant je me demande s’il y aurait quelque autre chemin pour arriver jusqu’à eux.



– Je vous comprends. Il faudrait pouvoir les surprendre et les écraser à l’improviste. Ce sera le seul moyen de réussir, s’ils parviennent à atteindre leur refuge.



– S’ils y parviennent?… et comment, tonnerre! calculez-vous qu’on pourrait les en empêcher; démontrez-moi çà, je vous prie!



– Bien, je vais l’expliquer. De quel nombre pensez-vous que leur bande soit composée?



– Hum! on ne pourrait pas dire cela au juste. Cependant, comme ils ne s’attendaient pas à être suivis, ils n’ont pas pris soin de marcher à la file indienne, chacun dans les traces de celui qui le précédait: nous allons donc peut-être voir quelque chose.



Oakley examina les alentours pendant quelques minutes.



– J’estime qu’ils sont environ une soixantaine. Maintenant, voyons votre plan.



– Il est bien simple: il consiste à intercepter la marche des Indiens avant qu’ils soient parvenus à Sweet-Water.



– Certes! mais comment réussir à les intercepter? que pourrons-nous faire contre soixante hommes.



– Vous ne me comprenez pas. Tout ce que vous pourrez faire, ce sera de retourner au Fort en toute hâte, avertir les militaires, et les amener sur les lieux. Ils ont de la cavalerie, les Indiens n’en ont pas; on pourra atteindre la rivière avant eux.



– Oui; c’est clair comme bonjour. Mais pourquoi dites-vous que je vais retourner au Fort?



– Aimeriez-vous mieux que ce fût moi?



– Oui, oui, père John. Je ne disconviens pas que vous soyez un aussi bon éclaireur que moi; nonobstant, je suppose que vous êtes trop vieux pour courir dans les bois à la poursuite des Indiens. Si vous allez au Fort, vous aurez la chance d’avoir une monture.



– Ah! çà! mais, Oakley, vous êtes pour le moins aussi âgé que moi.



– C’est ce qui reste à savoir: Enfin, je vous le dis, j’ai un tel exercice des courses, des chasses, des batailles, que je suis devenu fort comme un chêne… deux fois plus fort que vous, quoique vous soyez plus gros que moi.



– Vous croyez çà?



– Un peu, s’il vous plaît; si vous voulez essayer une passe avec le vieux Jack Oakley, venez un peu voir. Vous trouverez votre pareil.



Le vieillard sourit, s’approcha d’Oakley et le saisit vigoureusement. Jack fit trois ou quatre efforts désespérés pour ébranler son adversaire et lui faire perdre pied, mais tout fut inutile; John resta immobile avec la tranquillité d’un rocher, serrant toujours son homme avec des mains qui semblaient des tenailles d’acier.



Tout-à-coup il le prit aux hanches, le souleva d’un puissant effort, et le fit passer par-dessus sa tête. Oakley alla tomber à quelques pas, lourdement comme une bûche. Il se releva agilement avec une exclamation et saisit l’ermite à pleins bras. Mais celui-ci, avec la promptitude de l’éclair, souleva de nouveau Jack en l’air et l’envoya mesurer le sol avec un bruit effrayant.



Cette fois, maître Oakley se releva lentement sur ses pieds, en se frottant les bras, le cou et la tête; en même temps il lança un regard empreint d’admiration au vieillard qui était resté debout et souriant.



– Jérusha! s’écria-t-il enfin; vous êtes un rude! touchez-là, mon homme.



– Eh bien! croyez-vous que je pourrais me tirer d’affaire avec un Indien? demanda paisiblement le vieux John.



– Copieusement! je vous le dis. Oh! oui, copieusement! Certes, comme vous y allez! Mais n’est-ce pas une honte à vous de rester enfermé comme vous l’êtes dans votre cabane, alors que vous devriez courir la montagne, tuant chaque jour votre demi douzaine de Peaux-Rouges!



– Je ne me permettrai jamais de prendre la vie d’un Sauvage sans y être contraint par la nécessité de ma défense personnelle, ou pour le salut d’autrui.



– Mais, puisque nous sommes en guerre, chaque Peau-Rouge est un ennemi.



– J’aurai l’œil sur quiconque se présentera à moi; à la moindre démonstration hostile, j’agirai en conséquence. Maintenant, dites-mot quel est celui de nous deux qui va retourner au Fort.



– Eh bien! calculez que ce sera moi. Il n’y a pas un instant à perdre, donc, je pars. Hurrah! pour le père John, jadis appelé l’ermite, aujourd’hui la terreur des Indiens et le vainqueur de Jack Oakley. Oui, sir, vous l’avez manié comme une vieille femme manie un balai.



A ces mots il s’éloigna à grands pas dans la direction du Fort.



Il eût bientôt atteint la pente des dernières collines, et se mit à traverser agilement la vallée.



– Par le grand diable rouge! murmurait-il en se frottant les épaules; ce vieux garçon est nerveux comme un jeune