Za darmo

Coeur de panthère

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Cet obstacle imprévu faillit déconcerter le Sauvage: attendre, c’était perdre un temps précieux, et, aux premiers rayons du jour, courir risque d’une mort certaine; enfoncer la porte, c’était jeter sur lui toute la garnison que Manonie, réveillée, appellerait à grands cris…

Que faire donc?… Wontum sentait chanceler son audace.

Mais, lorsqu’un de ses favoris accomplit l’œuvre du mal, Satan leur procure parfois une chance toute spéciale: ainsi arriva-t-il en cette occasion.

La démarche lourde et cadencée d’une ronde de nuit se fit soudain entendre, tirant de leur silence les échos endormis sous les voûtes sombres. Un mouvement se fit entendre dans la chambre de Manonie. Wontum prêta l’oreille avec avidité, puis il fit un bond en arrière, et eût à peine le temps de se cacher dans l’embrasure d’une autre porte. Manonie sortait, un bougeoir à la main, et se dirigeait vers l’escalier.

Tout en descendant légèrement les marches elle murmurait quelques mots, comme si elle eût répondu à ses propres pensées.

– Le voilà peut-être arrivé! dit-elle avec joie.

Et elle courut vers la porte, croyant aller au-devant de son mari.

Pendant qu’elle s’éloignait, le Sauvage se glissa à pas de loup dans la chambre, se cacha derrière les doubles rideaux de la fenêtre et attendit les événements.

Il eût le temps de faire l’examen de la pièce: elle était meublée sans luxe, mais néanmoins elle renfermait tout ce qui constitue une simplicité confortable. Près du lit de sa mère, le petit Harry reposait dans un joli berceau.

Le petit Harry… le fils de celle qu’il avait aimée avec tant d’emportement, tant de fureur!… L’innocente créature allait servir d’instrument aux angoisses de son père et de sa mère!…

Un infernal sourire crispa les lèvres du Sauvage; il lui fallut un effort suprême pour retenir un cri de triomphe, le redoutable cri de guerre du Pawnie.

Son attente ne fut pas longue; Manonie reparut bientôt. C’était la première fois que Wontum la revoyait depuis trois ans. Une émotion profonde et étrange le saisit à son aspect; son visage s’assombrit en la contemplant; il caressa de la main son couteau avec une amère volupté.

La jeune femme s’approcha du berceau et se pencha sur son premier-né. Il dormait d’un paisible et profond sommeil.

– Mon Dieu! merci! murmura-t-elle en joignant ses mains sur cette petite tête chérie, mes craintes étaient vaines; il repose sans souffrance, mon mignon baby, et ses jolies lèvres roses ont un sourire.– Oh! Seigneur! si j’allais le perdre! Mais non, je suis folle; le lieutenant Blair a raison de me dire que je dois prendre soin de moi pour me conserver à mon fils. Oui, allons dormir, il le faut, je me sens bien lasse. Chose étrange! lorsque je vivais dans les bois de la montagne je n’étais jamais fatiguée; porter des fardeaux, suivre une piste, pagayer un canot, tout cela n’était qu’un jeu pour moi. Et maintenant que je vis au milieu du luxe, dans le bien-être, je suis harassée pour peu de chose.– Ah! c’est qu’alors mon esprit et mon cœur étaient insouciants: aujourd’hui, quand mon cher Henry est absent seulement une heure, je n’ai devant les yeux que des visions de mort,… j’ai peur, toujours peur quand mon enfant est souffrant, je le crois perdu!…– Et pourtant, je ne voudrais pas changer d’existence, redevenir ce que j’étais…, seule… isolée… sans famille…! Oh! non! ce serait terrible, de perdre tout ce bonheur inquiet mais précieux, que le ciel m’a donné.– Je ne sais si mes parents m’aimaient comme j’aime mon fils. Ils doivent être morts, car je sens bien que je ne survivrais pas à une telle perte… Allons nous coucher.

A ces mots, la jeune mère s’agenouilla auprès du berceau, leva ses mains vers le ciel, et fut absorbée pendant quelques instants dans une fervente prière. Elle se releva ensuite doucement, pressa contre ses lèvres une petite main rose que l’enfant avait arrondie sur son front; puis elle se glissa doucement vers son lit, marchant sur la pointe des pieds, pour ne point troubler le sommeil du cher petit innocent.

Fatiguée de ses veilles et de ses inquiétudes, Manonie s’endormit profondément.

Le monstre à figure humaine qui veillait, caché dans un recoin obscur, quitta sang bruit sa sombre retraite et s’approcha lentement du lit, le couteau tiré en cas de besoin. Il prit l’enfant dans ses bras avec une précaution telle que ni lui ni sa mère ne furent éveillés: il ouvrit silencieusement la porte, traversa le vestibule, descendit l’escalier comme un fantôme et arriva dans la chambre du lieutenant qu’il avait tué. En ouvrant les volets il s’aperçut avec un sentiment de malaise qu’il faisait presque grand jour. Les fils de Satan craignent la lumière; leur élément c’est la nuit.

Mais, au mouvement qu’il fit pour bondir par la fenêtre, l’enfant s’éveilla; à peine ses yeux se furent-ils ouverts sur l’horrible visage courbé vers lui qu’il se mit à pousser des cris lamentables de terreur.

Sur le champ, la mère, se levant en sursaut, répondit par d’effrayantes clameurs qui allèrent troubler la garnison jusque dans les derniers recoins du Fort. L’étincelle électrique est moins rapide que la vigilance maternelle.

Wontum en entendant ce tumulte soudain, comprit qu’il n’avait pas une seconde à perdre, et s’élança comme une flêche dans la direction des remparts. Son apparition était si inattendue et les sentinelles si peu sur leurs gardes, qu’avant le commencement des poursuites, l’Indien était déjà sur les parapets. Vingt carabines se levèrent dans sa direction; mais personne ne fit feu: on craignait pour l’enfant.

Le démon rouge franchit les murailles, courut comme un daim jusqu’à la rivière Laramie, s’y jeta à corps perdu, la traversa à la nage avec une rapidité surprenante, puis s’enfonça dans les bois qui garnissaient la rive opposée.

La malheureuse mère avait eu à peine le temps d’ouvrir sa fenêtre et de voir disparaître l’enfant aux bras de son ravisseur.

Un premier mouvement d’angoisse et de désespoir paralysa ses forces, elle retomba inanimée. Mais, dans la même seconde, elle se releva impétueuse, invincible, capable de tout; la force maternelle, infinie, irrésistible, venait de la transformer.

Plus de cris, plus de gémissements; la flamme dans les yeux, elle se dressa comme un ressort d’acier et bondit au travers de la fenêtre; soutenue dans sa chûte par des ailes invisibles, elle effleura à peine le sol et reprit son essor, les cheveux au vent, les bras tendus, courant dans la direction du Pawnie, plus rapide, plus intrépide que lui.

Elle traversa l’Esplanade comme une apparition vengeresse, franchit les remparts, les fossés, la rivière. Bientôt on pût voir une ombre s’enfonçant dans les bois: c’était la mère ardente, hors d’elle-même, en pleine chasse pour son enfant.

Quand elle eût disparu, les soldats de la garnison se portèrent tumultueusement à la chambre où le lieutenant Blair gisait dans son sang. L’examen du corps donna lieu à mille conjectures qui, toutes, vinrent se confondre en une incertitude profonde: la mort de l’infortuné officier resta pour le moment un mystère inexpliqué.

Dans la pensée que les Indiens du voisinage étaient à coup sûr les auteurs ou les complices de ce double crime, la majeure partie de la garnison se mit en campagne pour les poursuivre chaudement.

Cette imprudente expédition devint la perte du Fort: les Sauvages le sachant dégarni de la presque totalité de ses forces, lui donnèrent un assaut terrible auquel rien ne pût résister. Après avoir anéanti cette poignée de braves qui leur avaient opposé une défense héroïque, les Indiens firent de la forteresse un monceau de ruines et de cendres. Quelques malheureux soldats échappés par miracle purent seuls raconter les péripéties de ce désastre: le Fort Laramie et ses défenseurs avaient vécu.

CHAPITRE IV. AVENTURES DE MONTAGNES.– QUINDARO.

Ce n’était pas une petite besogne pour le lieutenant Marshall et ses nouveaux amis que de se frayer une route au travers des roches, des arbres, des inextricables buissons qui hérissaient les flancs de la montagne. Le jeune officier se sentait dévoré d’impatience, et si ce n’eût été la crainte de désobliger ses amis, il aurait passé par la vallée sans se préoccuper des dangers mortels qu’il y aurait infailliblement rencontrés.

La nuit venue, les voyageurs firent halte pour prendre le repos dont ils avaient grand besoin car la journée avait été rude.

Après avoir promptement expédié un frugal repas, on se mit à causer, et on calcula les ravages que pourraient faire les Indiens avant que des forces militaires, suffisantes pour réprimer leurs expéditions, fûssent arrivées sur les lieux.

Oakley se plaisait à supposer que le soulèvement Indien s’évanouirait en fumée; mais l’Ermite secouait la tête d’une façon significative.

– Si seulement, disait Oakley, nous pouvions mettre la main sur ce Chat des Montagnes, comme leur coquin de chef s’intitule lui-même, on lui signerait une feuille de route pour le grand voyage et tout serait dit.

– Qu’entendez-vous par ces mots? lui demanda Marshall.

– Quels mots…? le grand voyage…?

– Oui.

– Ah! ah! la question est bonne! deux onces de plomb dans le crâne, et six pieds d’eau tout autour de lui: voilà ce qu’il lui faudrait, jeune homme: avec çà, en suivant le cours du Laramie, il irait loin! Je crois qu’on peut appeler une semblable promenade un grand voyage.

– C’est vrai..: mais à qui appliquez-vous ce titre de «Chat des Montagnes?»

– Eh donc! je suppose que c’est à Nemona le chef Pawnie.

– Mon avis, interrompit l’Ermite, est que Wontum a plus d’influence dans sa tribu que le chef lui-même. Nemona est un peu trop civilisé, cela choque ses guerriers: mais l’autre leur convient beaucoup mieux, car c’est une bête fauve altérée de sang.

– Ce que vous dites là, mon ancien, est juste comme la parole d’un prédicant en chaire. Et moi je puis ajouter que si ces vermines rouges n’étaient pas tenues en respect par certain gaillard de ma connaissance, nous en verrions de cruelles. Wontum en a une peur épouvantable; il le craint plus que tous les serpents de Rattlesnake-Ridge.

 

– De qui voulez-vous parler? demanda Marshall.

– Ah! par exemple, capitaine, voilà une question facile, mais la réponse ne l’est pas autant. Dans tous les environs il n’y a que ma fille Molly qui sache quelque chose sur cet être mystérieux: mais elle reste bouche close sur ce chapitre. Oh! c’est une étrange fille que Molly, je vous l’affirme.

– Enfin! savez-vous au moins son nom? reprit Marshall dont la curiosité était visiblement excitée.

– Miséricorde! c’est un nom de l’autre monde, qui me déchire le gosier chaque fois que je le prononce. Molly l’appelle Quindaro.

– Comment se fait-il, demanda le vieux John, que ce soit votre fille qui sache quelque chose sur cet étranger, et que vous n’en sachiez rien?

– Oh! voyez-vous, John, je n’aime pas trop à me fourrer dans les affaires de femmes; d’ailleurs je n’y entends rien: Molly est une fille prudente, je n’ai nul besoin de me mêler de ce qu’elle fait. Je me suis dit: «Jack! voilà deux amoureux; ne les trouble pas! Lorsque ta vieille femme et toi vous étiez jeunes et amoureux, tu n’aurais pas souffert qu’on vînt vous inquiéter.» Donc je considère que je ne dois pas m’immiscer dans leurs combinaisons.

– Savez-vous si elles sont honorables pour votre enfant, les prétentions de cet homme étrange?

– Père John!! s’écria Oakley en bondissant sur ses pieds; je suis incomparablement surpris de vous entendre me faire une telle question! Comment je sais si cet homme a de bonnes intentions à l’égard de ma fille?.... En deux ou trois mots je vais vous l’apprendre: Vous souvenez-vous d’une sombre nuit, il y a environ six ans,– Molly n’était qu’une petite fille, alors;– les Peaux-Rouges arrivèrent sur nous comme une meute enragée et se mirent à nous saccager… Moi, je me jetai tête baissée dans la mêlée; je faisais mon possible, lorsqu’un grand diable de Sauvage se mit en devoir de m’embrocher avec son long couteau. Ah! ma foi! je croyais sincèrement que tout était fini pour le vieux Jack Oakley: à ce moment l’Homme arriva comme la foudre, prit l’Indien par le cou, le cloua contre un volet!....– C’était plaisir à voir pareil ouvrage! Oui, sir, ce fut vite et proprement exécuté! Je ne me considère ni comme un fainéant ni comme un maladroit, et pourtant je serais fort embarrassé d’en faire autant… Seigneur! ce n’était pas un homme, c’était un éclair! Quand il eût terminé cette première besogne, il traversa la mêlée comme un boulet, prit la petite Molly dans ses bras, l’embrassa tendrement en l’appelant sa mignonne, puis il la déposa en sûreté, acheva de culbuter les Sauvages et disparut comme une ombre, sans me dire ni qui il était, ni d’où il venait, ni où il allait; sans seulement me laisser le temps d’ouvrir la bouche pour le remercier.

– Oui, je me souviens que vous m’aviez déjà raconté cette histoire, dit le vieux John.

– C’est vrai; et ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’il a tiré d’affaire les Settlers de la plaine: Ah oui! il leur a rendu de fameux services: partout où il y a du danger on est sûr de le voir apparaître.

– J’ai entendu parler de ce Quindaro, dit Marshall; et ce que je connais de son caractère me donne à penser qu’il ne serait pas homme à tromper une innocente fille.

– Non! de par tous les diables! je suis de votre avis, capitaine; j’ai confiance, moi, dans la petite Molly; elle est dans le droit chemin, je vous le dis. Oui, sir, je vivrais jusqu’au jugement dernier, que je ne changerais pas de sentiment là-dessus: ma vieille femme pense comme moi. Or, je présuppose que les femmes en savent plus long sur cet article que les hommes; donc je me suis dit: «Jack! halte-là! ceci n’est pas de ta compétence, mon vieux papa.» Et je me suis tenu l’esprit tranquille. La mère a surveillé son enfant, elle a eu l’œil sur elle comme un chat sur une souris. Elle m’a dit que Molly était une brave et bonne fille, suivant toujours le droit chemin comme une flèche bien lancée. Que faut-il de plus? S’ils s’aiment, on les mariera, et tout sera dit. Oui, oui, sir, je réponds de Molly et de Quindaro. Si elle ne m’en a pas dit davantage, c’est parce qu’elle n’en sait pas plus. Ou si elle connaît quelque autre détail, elle respecte le secret de cet homme; elle fait bien.

– Vous avez raison, Mister Oakley, répliqua Marshall, votre jugement vous fait honneur.

– Appelez-moi Jack tout court, s’il vous plaît. Personne, dans tous les environs, ne connaît Mister Oakley, pas même ma vieille femme.

– Fort bien, Jack, vous suivez le droit chemin. Je suppose que Quindaro a ses raisons pour rester ainsi mystérieux, je n’y vois rien de suspect. Seulement j’ai cru voir qu’il nourrissait une haine profonde contre les Sauvages.

– Et cependant, dans plusieurs occasions il n’a montré aucun acharnement contre les Indiens. Ainsi, jamais on ne l’a vu maltraiter un Peau-Rouge qui ne commettait aucun acte d’hostilité: seulement, si un de ces vauriens fait la moindre méchanceté il le corrige cruellement.

– L’avez-vous vu quelquefois? demanda Marshall au vieux John.

– Oui, en une seule occasion: répliqua l’ermite.

– Décrivez-nous donc sa personne.

– Cela me serait difficile. Oakley le pourrait mieux que moi, lui qui l’a rencontré fréquemment.

– Oh! oh! je ne l’ai pas seulement regardé une demi-douzaine de fois. J’ai pris son signalement au vol, comme je le ferais pour un coq de bruyère qui passe.

– Dites toujours ce que vous savez.

– Il est grand et mince, mais élastique comme un roseau. Il porte la chevelure longue, à la manière du père John; mais elle est noire…, noire, sir, comme la poitrine du corbeau, et ondoyante comme l’eau.

– C’est donc un jeune homme? demanda Marshall.

– Je pense qu’il a environ trente ans. Mais ce qu’il y a de plus remarquable en lui, ce sont ses yeux. Ah! sir, les Sauvages en ont peur, bien plus que de sa carabine.

– Qu’ont-ils donc de particulier?

– Ce qu’ils ont de particulier! C’est du feu, sir! deux jets de flamme! Je veux être pendu, si, dans la nuit dont je viens de parler, ils n’éclairaient pas les ténèbres! mes regards ont rencontré les siens: ah! seigneur! j’ai cru voir une promenade d’éclairs autour de moi. Eh bien! ses yeux ne sont ainsi que lorsqu’il est au milieu du combat; car au moment où il a pris et embrassé la petite Molly en nous regardant, ma femme et moi, des larmes tremblaient au bord de ses paupières; plus d’éclairs, plus de flammes; c’était le regard humide et doux d’une jeune mère.

– Connaissez-vous quelque chose de son histoire?

– Absolument rien; si ce n’est qu’il fréquente la plaine.

– Où demeure-t-il?

– Ceci est encore un secret; nul ne le sait. Quelque part dans la montagne; au fond d’une caverne, probablement. Et encore, je ne serais pas étonné qu’il fit comme les oiseaux en se gîtant, à droite, à gauche, là où il est surpris par la nuit.

– Tout cela est singulier et très-intéressant, je l’avoue, observa Marshall; mais il est temps de faire nos préparatifs pour la nuit. Toutes les fois que je campe, la nuit, surtout en pays dangereux comme celui-ci, j’ai l’habitude de placer des factionnaires en vedette. Nous sommes si peu nombreux, qu’une pareille mesure sera difficile à prendre: croyez-vous utile que nous fassions chacun notre tour de garde, en nous relevant successivement, tout le long de la nuit? demanda-t-il au vieux John.

– Il est certain que ce sera une excellente chose de faire activement le guet, répondit le vieillard; si nous ne sommes point inquiétés, tant mieux; mais si l’ennemi nous surprenait hors de garde nous serions perdus: mieux vaut donc veiller.

A ce moment le cheval du lieutenant dressa les oreilles, renifla l’air bruyamment et s’agita d’une façon extraordinaire.

En mille occasions il a été constaté que l’instinct de ces généreux animaux égale l’intelligence subtile du chien, lorsqu’ils ont été habitués à la vie des camps ou de la guerre sauvage. On ne saurait croire l’impassibilité courageuse avec laquelle bien des chevaux se comportent au milieu des batailles. On en a vu brouter l’herbe tranquillement pendant les plus longues et chaudes canonnades sans avoir l’air seulement de prendre garde aux boulets ou aux volées de mitraille qui passaient en sifflant autour d’eux. Il est même arrivé que des chevaux aient été blessés sans qu’aucun mouvement dénonçât leur souffrance; le cavalier ne s’en apercevait que lorsque la pauvre bête tombait morte.

Un fait de ce genre s’est passé, dans la dernière guerre, à Gettysburs: le cheval d’une batterie fut atteint à l’épaule par une balle Minié; le projectile lui laboura le flanc sur une longueur d’au moins soixante centimètres, et y resta profondément enterré. Pendant tout le temps que cette batterie fut engagée, le brave cheval se tint immobile; pas un frisson, pas un mouvement ne vint trahir l’atroce douleur qu’il devait éprouver. Ce ne fut qu’après la bataille, et lorsque la batterie fut hors d’engagement, que l’on s’aperçut de sa blessure et que l’on songea à faire un pansage dont le pauvre animal se montra fort reconnaissant. Depuis lors il garda un souvenir intelligent des batailles, et toujours on le vit dresser les oreilles et renifler d’une façon inquiète à l’approche d’un corps d’armée ennemi; et cela longtemps avant tout engagement.

Cet instinct extraordinaire est développé d’une façon surprenante chez les chevaux élevés dans le désert et accoutumés à la vie sauvage.

Lorsque Marshall remarqua l’inquiétude de son brave Dahlgren, il donna l’alarme.

– Quelqu’un s’approche de nous; dit-il.

– Les Sauvages? croyez-vous? répondit le vieux John.

– Je ne saurais dire si ce sont des amis ou des ennemis, mais je suis certain que quelqu’un se trouve dans notre voisinage.

Cependant le cheval parut se tranquilliser et même au bout de quelques instants il se coucha sur le sol gazonné.

Oakley persista à se déclarer fort peu rassuré. Il fit tout autour du campement une petite exploration; mais ses regards inquiets ne parvinrent pas à sonder l’obscurité.

Le vieillard et Marshall s’enveloppèrent de leurs couvertures, et, s’étendant par terre sans façon, ils parurent disposés à dormir. Ils avaient pris soin de choisir chacun un abri qui pût les mettre à couvert contre une attaque soudaine.

Mais le sommeil vint-il visiter leurs paupières....? Tous deux avaient le cœur gonflé d’émotions diverses bien capables d’éloigner le repos: Marshall était agité de projets ardents, de vives craintes pour sa femme et son enfant: le vieux John entendait gronder au fond de son âme les orages de la vie qui avaient creusé des sillons sur ses joues et blanchi sa longue chevelure.

Oakley était de faction. Il s’était abrité sous un gros arbre et prêtait au moindre bruit une attention silencieuse. Une fois ou deux il crut entendre un froissement dans les feuilles, un craquement parmi les rameaux desséchés. Toutes ces rumeurs furtives du désert, inintelligibles et inobservées pour le voyageur novice, sont un langage bien compris par le chasseur expérimenté.

Minuit approchait. Marshall avait déjà deux fois invité Oakley à lui céder son poste: mais celui-ci avait toujours obstinément refusé. Le vieillard semblait profondément endormi, quoiqu’il serrât dans une vigoureuse étreinte le canon de son long fusil.

Tout à coup le cheval bondit sur lui-même, coucha ses oreilles en arrière, s’élança en avant, les narines dilatées, et chargea furieusement un être caché dans un buisson voisin. L’aboiement d’un chien se fit entendre, en réponse; mais en même temps cet ennemi invisible prit la fuite.

Le cheval revint tranquillement à sa place.

Marshall et le vieux John s’étaient dressés avec la rapidité de l’éclair.

– Qu’est-ce que cela signifie? dit le vieillard.

– Qu’en sais-je? répondit Oakley; par le diable, mes pensées ne peuvent trouver le droit chemin.

– Mais enfin! que supposez-vous? demanda Marshall.

– Ma foi! Capitaine, je ne puis rien dire, si ce n’est que votre cheval vient de mettre en fuite un chien au lieu d’un Indien. Mais je flaire quelque chose… taisez-vous! à terre! couchez vous!

Et au même instant Oakley se jeta sur le sol.

Bien en arriva à ses deux compagnons d’avoir suivi son exemple; car un sillon de feu éclaira l’espace, et la détonation d’une carabine cingla l’air, à peu de distance.

Marshall fit un mouvement pour s’élancer dans la direction du coup de feu; John le retint en murmurant à son oreille.

 

– N’ayez pas peur; ils ne veulent pas blesser Dahlgren, car ils ambitionnent de s’en rendre maîtres pour leur propre usage. Silence! ne bougeons pas! et attendons les événements. Les Sauvages qui nous entourent sont nombreux, sans quoi ils ne se seraient pas hasardés à brûler de la poudre. C’est une ruse de leur part pour connaître nos forces. En attendant le jour, tout ce que nous pourrons faire de mieux c’est de nous tenir cachés et immobiles le plus longtemps que nous pourrons.

Le jeune officier, qui n’écoutait en ce moment qu’une imprudente bravoure, eût bien de la peine à suivre cet avis; pourtant il se résigna de son mieux et attendit sans faire un mouvement.

La nuit s’écoula avec lenteur. Durant cet intervalle deux ou trois tentatives furent faites pour s’emparer du cheval: mais le noble animal se défendit victorieusement. On entendit aussi, à plusieurs reprises, des chuchotements, des frôlements dans les buissons, des respirations comprimées. Tout cela ne fit pas sortir les voyageurs de leurs cachettes: le conseil du vieux John était excellent; Marshall ne pût s’empêcher de le reconnaître intérieurement.

Enfin les premières lueurs de l’aurore se montrèrent; mais on n’aperçut pas une créature humaine.

– Partons, dit Marshall, et continuons notre route.

– Pas maintenant! répliqua le vieillard; nous avons encore une rude besogne à faire. Les Sauvages sont cachés tout autour de nous derrière ces rochers; ils n’attendent que notre apparition pour nous cribler de balles.

– Que faire, alors? demanda le jeune officier.

– Il faut être plus rusés qu’eux. Vous allez rester ici en embuscade avec Oakley, pendant que j’irai faire une ronde dans les environs pour tâcher de découvrir quelque chose.– Oh! ne me regardez pas avec tant de surprise! Je ne suis pas si vieux et si cassé que je ne puisse encore escalader assez lestement les rochers et pratiquer les souplesses de la guerre indienne.

A ces mots, le vieillard prit sa carabine et se perdit dans les défilés de la montagne. Une heure se passa ainsi dans la plus fiévreuse attente; à la fin, des mouvements furtifs se firent entendre dans les ravins environnants, et successivement plusieurs têtes empanachées de sauvages se montrèrent par dessus les buissons. Enfin l’un d’eux se hasarda en pleine clairière. Marshall, tout bouillant d’ardeur, fit feu de son revolver.

Ce fut là une grande imprudence, car l’oreille exercée des Peaux-Rouges reconnut immédiatement la nature de l’arme, et en conclut que la petite caravane était de force minime. Aussitôt les Pawnies firent irruption avec d’affreux hurlements. Le lieutenant déchargea successivement les cinq coups de son arme impuissante; il ne réussit qu’à blesser trois Indiens. Quatre autres, sans blessures, s’élancèrent sur lui: ils savaient bien que ce n’était pas une fusillade de chasseurs, et méprisaient profondément les soldats réguliers.

Oakley épaula sa bonne carabine, l’Indien le plus proche tomba avec un hurlement de rage. Mais les trois survivants restaient intacts, leurs armes chargées: la partie était encore inégale et la position étrangement dangereuse. La grande difficulté était d’échapper à leur feu et de transformer la bataille en lutte corps à corps.

Au moment où Oakley se concertait à ce sujet avec Marshall, une clameur effrayante se fit entendre derrière les Sauvages; elle fut suivi d’un coup de feu. L’un des Pawnies tomba raide mort.

Les deux autres se retournèrent pour faire face au nouvel ennemi qui les prenait ainsi à l’improviste; mais, au même instant, la lourde crosse d’une carabine s’abattait avec une violence irrésistible sur la tête de l’un d’eux, et l’étendait par terre comme un bœuf assommé. Puis, avec la rapidité d’un Tigre, le nouveau venu enlaça dans ces bras le dernier sauvage, l’enleva comme un enfant et le brisa contre les rochers, sans qu’il eût pu pousser un cri.

– QUINDARO!! s’écria Oakley en reconnaissant le fantastique auxiliaire qui était survenu si à propos.

– Quindaro, à votre service.

Et sans dire un seul mot de plus, cet homme étrange se mit à remonter la montagne avec une agilité inouïe.

– Arrêtez-vous un moment! Quindaro! un seul instant! crièrent ensemble Oakley et Marshall.

– Non! j’ai autre chose à faire encore, répondit-il en disparaissant: nous nous rencontrerons plus tard.

Au bout d’une seconde le bruit de ses pas s’était évanoui.

Bientôt reparut le vieil Ermite, et la route se continua sans autre incident. Arrives à la rivière Laramie, les trois voyageurs se procurèrent aisément un bateau, et, comme il s’agissait simplement de suivre le fil de l’eau, Marshall et le vieux John arrivèrent au Fort, ou plutôt à ses ruines, avant la tombée de la nuit. Oakley était resté en arrière pour conduire Dahlgren en côtoyant le fleuve: néanmoins il arriva avant que l’obscurité fût complète.

Les Sauvages avaient quitté les environs du fort; quelques soldats s’étaient groupés dans ce dernier refuge. Marshall obtint d’eux un récit confus de ce qui s’était passé; mais aucun détail ne pût lui être donné sur le sort de sa femme et de son enfant: on ne savait rien à leur égard.

Pour le père, pour l’époux, ce fut une vraie agonie de désespoir. L’incertitude, plus cruelle que la réalité, le mordait au cœur avec ses terribles appréhensions; l’image implacable du vindicatif Pawnie surgissait comme un fantôme menaçant, au milieu de ce tourbillon de pensées amères. Le malheureux lieutenant se laissa tomber sur le sol et y resta immobile dans un transport de douleur.

La main amie du vieux John le tira doucement de sa mortelle atonie:

– Du courage! dit-il; ne vous abandonnez pas à cet abattement stérile, indigne d’un homme de cœur! Il faut agir, maintenant, et non pleurer. Qui vous dit qu’elle n’est pas vivante et implorant votre secours. Voici l’heure de montrer du courage et de faire voir que vous savez vous dévouer pour elle.

A cet instant arriva un soldat qui pût fournir quelques détails sur ce qui s’était passé; il indiqua la route prise par Wontum lorsqu’il avait enlevé l’enfant, route suivie par la mère.

Marshall se disposait à se mettre aussitôt en chasse; mais le détachement de soldats lancés à la poursuite du ravisseur étant revenu après d’infructueuses recherches, le jeune lieutenant renvoya le départ au lendemain pour leur laisser le temps de prendre un peu de repos.

Oakley et le vieillard partirent sans attendre les soldats, aimant mieux agir seuls qu’avec des auxiliaires qu’ils considéraient comme nuisibles, ou au moins profondément inutiles.