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Coeur de panthère

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CHAPITRE II. OLD JOHN

Si le lecteur le trouve agréable, nous lui rappellerons cette cabane installée au confluent des rivières Platte et Medicine-Bow, sur le flanc d’une colline: nous le conduirons auprès de cette habitation rustique, si bien cachée, comme un nid d’aigle au sein de la forêt, qu’elle avait échappé aux yeux perçants des rôdeurs Indiens.



Nous sommes au 20 septembre 1857; les premiers rayons de l’aube matinale commencent à peine à répandre sur la terre quelques lueurs indécises.



Un jeune homme, monté sur un pur-sang de toute beauté, s’approche lentement de la colline. Ses regards observateurs ont découvert une guirlande de fumée qui monte au-dessus des arbres; attiré par ce signe indicateur de la civilisation, il marche dans sa direction. Bientôt le chemin devenant impraticable pour sa monture, il est obligé de mettre pied à terre et de cheminer tant bien que mal, trébuchant, maugréant, soufflant, pendant que son cheval souffle et trébuche aussi, mais sans maugréer.



– Décidément, dit à haute voix notre voyageur; décidément, il a le goût du romantique, cet ermite enragé! Sans quoi, jamais il n’aurait choisi pour habitation un pareil site. C’est égal, son nom ne répond pas à la qualité de son logis. Old John!.... est-ce un nom assez vulgaire!.... Quoiqu’il en soit, c’est un homme étrange, et sur lequel les Settlers de la plaine n’ont pu me fournir aucun renseignement.



Ces dernières paroles du monologue furent adressées au cheval, qui, n’y comprenant pas grand’chose, n’y répondit rien, comme son maître pouvait bien s’y attendre.



A ce moment, l’homme et son coursier atteignirent la petite clairière où était bâtie la cabane:



– Que voudriez-vous donc savoir sur son compte? demanda soudainement une voix très-proche et qui semblait sortir d’un gros arbre.



En effet un vieillard apparût, soulevant un grand lambeau d’écorce qui cachait la cavité du tronc vermoulu.



Le jeune voyageur surpris, tressaillit et fixa des regards curieux sur son interlocuteur. C’était un homme de haute et puissante stature; aux yeux noirs voilés par d’épais sourcils grisonnants; à la longue chevelure blanche tombant en désordre sur ses épaules; à la barbe épaisse, rude, pendante sur sa poitrine, digne en tous points du reste de sa personne.



Sa voix était basse, un peu voilée par une expression mélancolique, mais ferme et vibrante comme celle d’un homme accoutumé au commandement.



Sans bien se rendre compte des sentiments qui l’agitaient, le jeune homme resta quelques instants sans répondre.



Le vieillard remarquant son hésitation lui dit:



– Vous avez amené par ici un trop bel animal: c’est dommage de sacrifier une aussi superbe bête aux griffes des Legyos.



– Je ne vous comprends pas.



– Aôh! Legyos; ce mot vous est inconnu?



– Entièrement: c’est la première fois que je l’entends prononcer, et j’avoue que j’en ignore parfaitement la signification. Dans tous les cas, je serais désolé qu’il arrivât malheur à Dahlgren.



– Bien! bien! je comprends: c’est le nom que vous donnez à votre cheval. Alors, si vous vous intéressez à lui, empêchez-le de s’éloigner.



Le jeune homme se retourna vivement; Dahlgren, qu’il avait négligemment attaché à une branche d’arbre, s’était rendu libre et se dirigeait vers la lisière du bois.



Après l’avoir ramené, le voyageur passa la bride autour de son bras pour ne plus le perdre de vue, et reprit la conversation:



– Je crois bien qu’il n’y avait pas grand risque à laisser la pauvre bête se rafraîchir un peu, avec l’herbe tendre, de sa course matinale; néanmoins je préfère l’avoir sous la main.



– Vous faites prudemment, car au bout de cinq minutes il aurait disparu; et pour le retrouver il aurait fallu l’aller demander aux Legyos.



– Encore les Legyos!



– Mais oui: vous ne savez donc pas que c’est le nom indien des assassins, des brigands nocturnes?



– Ainsi, vous croyez qu’ils auraient mis la main sur mon cheval?



– Sans doute: vous ne vous y attendiez guère, il me semble?



– Ma foi! non, je considère même vos appréhensions comme mal fondées: dans mon opinion, les Sauvages ne se sont pas aperçus de mon passage dans la vallée.



– Excusez-moi, jeune homme; vous êtes fou.



– Excusez-moi, vous même, sir: je ne suis pas accoutumé à m’entendre qualifier ainsi, je ne puis permettre cette licence à personne.



– Vous préférez agir à votre guise, je suppose?



– Non, sir! Lorsque je serai certain que nous sommes amis, je profiterai de vos avis. Mais je persiste à repousser la qualification dont vous venez de me gratifier.



– Eh bien! je vous demande pardon. Vous savez que la vieillesse a des priviléges.



– Vous parlez courtoisement, sir; je vous octroie un plein et entier pardon.



– Pourquoi êtes-vous venu seul? demanda le vieillard en interrogeant son visiteur du regard; il n’est sain pour personne de traverser cette vallée sans escorte, encore moins pour un cavalier bien monté et qui porte l’uniforme de l’armée des États-Unis.



– Je n’ai pas eu le choix de faire autrement. Permettez-moi une question, sir. N’est-ce pas vous qui êtes connu sous le nom de John l’ermite?



Le vieillard baissa la tête et demeura quelque temps silencieux. Pendant cet intervalle un frisson parut le faire tressaillir, sa poitrine comprima un soupir demi-étouffé.



Le jeune voyageur le regardait avec un intérêt sympathique, tout en se demandant quel terrible événement avait pu pousser cet homme à vivre dans cette obscure et triste solitude. Un moment il regretta ses dernières paroles, craignant qu’elles n’eussent ouvert involontairement quelque plaie mal cicatrisée dans l’âme du pauvre ermite.



Il avait beaucoup entendu parler de ce Vieux John: on le dépeignait comme un homme étrange, mais bon et pacifique. Les Sauvages en avaient une crainte superstitieuse: ils lui attribuaient une puissance surnaturelle, et n’approchaient jamais de sa cabane; ils n’osaient même s’aventurer sur la colline où elle était bâtie.



Les causes de son existence isolée et triste étaient ignorées; était-ce le remords, était-ce le chagrin?… Personne n’avait jamais pénétré ce mystère. De l’avis des Settlers qui avaient fait au Solitaire quelques rares visites, ce devait être un homme pieux, car ils l’avaient trouvé en prières. Tout ce qu’on avait pu deviner c’était que sa mélancolie se reportait à des scènes lointaines dans son existence, et qu’il s’était exilé dans cette solitude pour fuir des lieux témoins d’un bonheur perdu.



Après un long silence, le vieillard releva la tête, et répondit à la question du jeune homme:



– Oui… je suis le viel ermite pour tous ceux qui me connaissent un peu. Cependant je ne suis pas un anachorète, un reclus, comme vous paraissez le croire.



Le jeune homme promena ses regards autour de lui, comme pour chercher les compagnons qui partageaient la solitude du vieillard.



Ce dernier l’observait en souriant:



– Non, poursuivit-il, vous ne verrez ici ni femme, ni enfants, ni famille; et pourtant je ne suis pas seul: regardez bien autour de vous; qu’aperçoit-on?



– Pas grand’chose, si ce n’est le désert sombre;… la vallée;… la montagne: toute cette nature est belle et grandiose, mais monotone. Là bas, la rivière étincelle au soleil; à la longue, ces reflets fatiguent, ce sont toujours les mêmes.



– Oui! oui! enfant! Cette région ressemble à son Créateur,– elle ne change jamais.– C’est bon, bien bon! ce qui ne change pas.– Vous aimez la nouveauté, jeune homme? regardez-moi: j’ai été jeune comme vous,… mais j’ai changé. Ma vie a changé encore plus que ma personne.– Vous êtes heureux maintenant; eh quoi! voudriez-vous changer?… pour avoir quoi?… du malheur?… Gardez-vous de devenir indifférent aux bienfaits dont vous a comblé la Providence: faites comme les oiseaux de ces forêts; ils sont toujours contents et ne changent jamais. Voyez ce miroir argenté de la rivière; toujours le même lit paisible, les mêmes ondes murmurantes, la même fraîcheur enchantée. Depuis bien des années je la contemple, je l’aime, je rêve au bruit de sa voix immense; elle n’a pas changé: la trouvez-vous moins belle pour cela? Jeune homme! Dieu vous garde d’avoir à regretter ce qui était, mais qui n’est plus!



– Votre langage, sir, conviendrait à peindre une existence pleine d’éclat, de jeunesse, de félicité: mais il y a des cas, où je suppose que le changement serait bon et désirable. Prenons votre position elle-même pour exemple: croyez-vous que rien ne pourrait la rendre plus heureuse?



– C’est mon opinion. Connaissez-vous les remarquables paroles prononcées par le baron de Humboldt au moment de sa mort?



– Je ne pourrais vous dire.



– Les voici: le vénérable savant voyait arriver le terme de son existence si belle et si bien remplie. Un jour, par une fente de ses volets passa un rayon de soleil qui vint se jouer sur son lit. Il contempla pendant quelques instants cette gerbe lumineuse, puis il murmura avec une expression de joie: «Oh! que c’est beau! Dieu! que c’est beau!»– Il avait vu pareille chose dix mille fois en sa vie, mais jamais son admiration pieuse ne s’était lassée.– Excusez-moi, jeune homme, je me livre à des pensées rustiques et trop naïves pour un homme civilisé comme vous; et j’oublie de vous demander quel est le but de votre visite: car vous venez du Fort, je suppose?



– Je suis le lieutenant Henry Marshall.



– Ah oui! je me souviens de vous avoir vu passer dans la vallée, il y a une dizaine de jours; mais vous étiez si loin, qu’aujourd’hui je n’aurais pu vous reconnaître. Où sont vos hommes?



– Ils sont tous morts.



– Que me dites-vous là?



– Oui; nous avons été surpris par une troupe de Sauvages dans la Passe du Sud; moi seul ai pu m’échapper pour aller porter cette triste nouvelle au Fort. Une triste nouvelle, sir; en vérité, une triste nouvelle!

 



Et le jeune officier poussa un soupir en songeant à ses malheureux compagnons d’armes.



– A quelle tribu appartenaient les assaillants?



– Je ne sais pas; il me semble que c’étaient des Pawnies. Wontum, un de leurs chefs, a juré de me tuer, et d’enlever ma femme avec mon enfant; pourtant je ne l’ai pas aperçu parmi les Indiens; mais je suis convaincu qu’ils agissaient d’après ses ordres.



– Non, il a traversé la Vallée derrière Laramie, il y a trois jours.



– Est-il possible…? Et,… était-il seul? demanda Marshall avec animation.



– Non: ses guerriers étaient avec lui,– tous peints en guerre, prêts pour le sang.



– Ils étaient nombreux?



– Au moins trois cents.



– Et peints en guerre…? murmura Marshall. Êtes-vous certain que Wontum les conduisit en personne?



– Je ne pourrais en répondre positivement, car ils étaient à grande distance. Mais, soit parce qu’ils étaient peints en guerre, soit pour plusieurs autres raisons, je suis convaincu que c’était la bande de Wontum.



Henry Marshall poussa un profond soupir et devint très-pâle; au bout d’un instant le sang monta à son visage, il pressa son front entre ses deux mains. Le vieillard qui l’observait lui dit:



– Pensez-vous que, réellement, ils aient l’intention d’attaquer le Fort?



– Oui, et je tremble pour les suites; car la garnison est si faible!



– Oh! elle se défendra bien un peu, dans tous les cas; si je ne me trompe, vous craignez bien davantage pour les Settlers que pour les soldats?



– Je ne pourrais dire si j’ai plus de sollicitude pour les uns que pour les autres, mais, à ce moment, j’ai un poids énorme sur la poitrine; mon absence est peut être un acte de lâcheté qui livre ma femme et mon enfant aux chances des plus terribles dangers.



– Ne sont-ils pas en sûreté dans le Fort?



– Oui; du moins, je le suppose. Je n’ai aucune raison pour les croire en danger, et pourtant je suis oppressé par un pressentiment sombre: s’il leur arrivait malheur, je n’y survivrais pas.



– Gardez-les bien, jeune homme, ces trésors… une fois perdus on ne les retrouve plus! répondit le vieillard d’un ton pénétré, pendant qu’une larme tremblait au bord de sa paupière.



– Certainement, je voudrais les sauvegarder; c’est le but unique de mon existence; mais il faut que je sois partout à la fois. Si je me suis arrêté ici jusqu’à présent, c’était pour procurer à mon pauvre cheval quelques moments de repos: je ne l’ignore pas, les moments sont précieux.



– Il y a de grands dangers à courir d’ici au Fort. La vallée est pleine de coquins altérés de sang.



– Il faut que je marche, quand même: les sentiers fussent-ils hérissés de serpents à sonnettes, il faut que je leur passe sur le corps.



– C’est noblement parler, mon jeune ami, je vous félicite de votre courage: mais vous ne partirez pas seul; c’est impossible.



– Qui voudrait venir avec moi? qui voudrait partager de tels périls?



– Moi.



– Eh quoi! vous laisseriez pour moi, votre solitude si paisible, si sûre?



– Je ne suis pas aussi solitaire que vous le croyez; je consacre une bonne portion de mon temps à secourir les malheureux voyageurs.– Encore une fois, vous ne pouvez pas traverser la vallée; je serai votre guide dans la montagne, la seule voie qui reste praticable.



– Et je vous tiendrai compagnie, aussi sûr que mon nom est Jack Oakley; dit d’une voix hardie un nouvel arrivant.



Le vieil ermite lui tendit la main en signe de bienvenue, et lui demanda:



– Nous apportez-vous quelque nouvelle d’importance?



– Oui, quelque chose d’important pour moi surtout.



– Qu’est-ce que c’est?



– Oh! toujours la bonne chance à l’envers. J’ai amené ici Molly, le baby et la vieille femme. Çà me ferait bien plaisir de pouvoir les laisser ici.



– Il faut que les choses aillent bien mal pour que vous soyez obligé de chercher ici un refuge pour votre famille. En tout cas, elle est la bienvenue comme toujours.



– Merci! je savais bien que nous trouverions bon accueil. Les pauvres enfants seront en sûreté ici; au moins les Legyos n’oseront pas venir les relancer ici, jusque dans la maison du Vieux Nick.



Sur un signal d’Oakley deux femmes et un bébé firent leur apparition dans la cabane et furent paternellement reçus par le vieillard.



– Enfin; quelles nouvelles? demanda de nouveau ce dernier.



– Rien; répondit Oakley, si ce n’est qu’environ deux cents canailles rouges ont descendu la Platte et rôdent par là bas dans tous les environs. Je pense donc que notre meilleure route sera de filer dans les montagnes en suivant le cours du Laramie; ce sera le plus sûr, et si nous faisons quelque rencontre sur les collines, ce ne seront que des coquins isolés.



Les préparatifs furent bientôt faits; la petite caravane se mit en route dans la direction du Fort.



CHAPITRE III. L’EMBUSCADE DU TIGRE ROUGE

Les Sauvages avaient reçu un châtiment sévère sous les murs du Fort. Mais peu à peu l’impression s’en était effacée, et trois années s’étaient à peine écoulées depuis le mariage de Marshall avec Manonie que les Pawnies avaient recommencé leurs déprédations.



Le plus souvent, leurs méchancetés étaient l’œuvre indirecte de Wontum, qui, à sa haine invétérée contre les Blancs joignait une exécration toute particulière contre l’homme qui lui avait ravi les bonnes grâces de Cœur-de-Panthère.



Dans le but de se venger, il avait concentré toute son intelligence à méditer des plans diaboliques et on pouvait dire à coup sûr qu’il ne faisait pas un mouvement, ne se livrait pas à une pensée qui n’eût pour but quelque atrocité contre son ennemi.



L’Indien, revenu à son caractère natif, est ainsi: fidèle à l’amitié, plus fidèle encore à la haine; persévérant jusqu’à la mort dans ses farouches projets de vengeance; indomptable, impitoyable; plus sanguinaire que le Loup, plus féroce que le Tigre; se faisant une gloire, un triomphe suprême d’arriver à ses fins, dût-il payer le triomphe de sa vie.



Les difficultés que Wontum avait rencontrées dans l’accomplissement de ses fureurs, au lieu de le décourager, avaient augmenté son exaltation; il avait tourné tous ses efforts vers une entreprise désespérée, et qui, à son avis, devait frapper Marshall au cœur: il s’agissait de lui enlever son jeune enfant.



Pour mieux préparer les événements au gré de ses désirs, Wontum se mit à semer entre les Blancs et les Indiens les germes d’une haine nouvelle, gonflée de tout l’ancien levain de leurs vieilles discordes: il eût même l’infernale précaution d’irriter entre elles les tribus Peaux-Rouges. Par ces moyens perfides il organisa les éléments d’une guerre générale.



Tous les jours se commettaient des meurtres, des vols, des atrocités de toute espèce dont il était le ténébreux auteur. Ensuite il pérorait contre les Visages-Pâles qu’il accusait de ces méfaits. Et cet état de choses devenait d’autant plus irritant que les victimes étaient toujours choisies parmi les Pawnies, ou dans quelque tribu amie du voisinage.



A la fin, le chef suprême, Nemona, poussé par tous ses guerriers exaspérés, décida qu’on commencerait les hostilités. Ce jour-là Wontum faillit mourir de joie: il déploya, à lui seul, plus d’ardeur que tous ses compagnons ensemble, et mérita de recevoir une part importante du commandement supérieur.



Les Sauvages prirent possession de Devil’s Gate, s’y fortifièrent avec un art infini, et se lancèrent en expédition.



Leur première attaque tomba justement sur une caravane escortée par Henry Marshall: voyageurs et soldats furent massacrés; le lieutenant seul échappa d’une façon presque miraculeuse à ce désastre sanglant; nous l’avons vu arriver seul et désolé chez le vieil ermite.



Après ce premier succès, sans perdre un seul instant, Wontum descendit la rivière Platte par un mouvement rapide, et arriva sous les murs du Fort, bien longtemps avant que l’on y connût la fatale destinée de la caravane.



Le vindicatif Indien touchait à son but; il ne s’agissait plus que de tenter à propos quelque ruse audacieuse: en un tour de main Cœur-de-Panthère et son petit enfant pouvaient être enlevés.



Par une sombre nuit d’orage, il conduisit ses guerriers tout près des fortifications et les embusqua dans un petit bois extrêmement fourré. Puis il s’avança en éclaireur, seul, sans peinture ni vêtement de guerre.



On était loin de s’attendre à un péril semblable dans le Fort; plus loin encore de prévoir un assaut aussi proche. La vigilance des sentinelles s’était considérablement relâchée; on ne se croyait plus en danger.



Wontum n’eût aucune difficulté à se glisser jusqu’à l’intérieur des ouvrages avancés qui entouraient les fortifications: mais pour pénétrer plus avant dans la place se présentait un obstacle plus grave.



La présence d’un Indien à pareille heure (il était minuit passé), devait nécessairement exciter des soupçons, s’il venait à être aperçu: le risque était d’autant plus grand, qu’avec les bruits de guerre sauvage qui commençaient à circuler, Wontum avait toute chance d’être pris et passé par les armes dans la même minute, à titre d’espion ou de maraudeur nocturne.



Cependant le rusé coquin arriva sans mésaventure jusqu’à la porte du Fort. Elle était fermée et sa massive membrure de chêne opposait une barrière infranchissable. Devant était un factionnaire languissamment appuyé contre la muraille, son fusil à côté de lui.



– Voilà un homme qui serait bien facile à égorger, sans bruit et sans peine, pensa Wontum.



Tout en songeant ainsi, et cherchant le parti qu’il allait prendre, il caressait son couteau de la main; l’instinct farouche du meurtre lui montait au cœur, la sentinelle courait sans s’en douter un danger mortel.



Tout à coup la porte s’ouvrit avec un bruit sourd, un peloton de soldats apparût; on venait relever le factionnaire. Ce dernier, réveillé en sursaut, sauta sur son fusil et présenta les armes; puis, tous les militaires se groupèrent pour échanger la consigne et le mot d’ordre.



Le Pawnie profita de ce moment pour se glisser comme un serpent au travers du guichet béant devant lui. Un sentiment d’orgueil gonfla sa poitrine; il était au cœur de la place.



Mais là il se trouvait en pays inconnu, au milieu des plus épaisses ténèbres. Il était entré dans la citadelle une seule fois peut-être, et alors il n’avait pas songé à en connaître la topographie intérieure, jusque-là sans intérêt pour lui.



Or, ce n’était pas chose facile de cheminer dans ce dédale tout hérissé de périls et dans lequel il ne savait pas comment faire le premier pas.



Son ardeur de vengeance était telle qu’il s’arrêta à peine à réfléchir, et qu’il entendit d’une oreille impassible la porte énorme retomber dans son cadre de granit, fermant ainsi toute issue pour la retraite. Pendant quelques secondes le pas cadencé des soldats résonna dans l’esplanade, puis tout retomba dans un lugubre silence.



Wontum ignorait les usages des camps civilisés; mais son instinct naturel lui révélait que, comme dans un village Indien, les logements les plus beaux devaient être réservés aux chefs: cette première donnée lui suffit pour s’orienter.



Devant lui s’étendait une double rangée de tentes ou de baraques, dont les formes basses et blanchâtres se profilaient sur les noires profondeurs de l’horizon. A sa droite s’élevaient des maisons dont les apparences étaient plus confortables: il en augura que ce devait être là son but.



Pour s’en approcher l’Indien était obligé de traverser un espace découvert: mais l’obscurité était si épaisse, qu’en usant de précautions, il ne risquait nullement d’être aperçu.



L’audacieux espion s’avança donc hardiment, rampant à la manière Indienne, invisible, silencieux, rapide comme un démon de la nuit.



Partout la nuit noire! Au travers d’un volet mal joint, au rez-de-chaussée, s’échappait un mince filet de lumière: deux ou trois clartés tremblotantes se montraient vaguement aux fenêtres de l’étage supérieur. Pas une voix, pas un son ne troublait le morne silence, si ce n’étaient les pleurs lamentables de la pluie ruisselante et le râlement obstiné du vent.



Tous dormaient d’un sommeil de plomb, excepté ceux dont le devoir était de veiller ou ceux qui entretenaient les lumières brillant à leurs fenêtres:.... Et si des yeux étaient éveillés, si un cœur était inquiet, pourquoi ne serait-ce pas ceux de Manonie, de Cœur-de-Panthère!



A ce nom, les muscles de l’Indien se crispèrent dans ses mains brûlantes; l’heure de la vengeance arrivait enfin!!



Il avançait sans relâche, glissant sur le sol avec lequel se confondaient les teintes brunes de son corps, s’arrêtant souvent pour sonder l’ombre dans une muette immobilité. Bientôt il fût tout près de la fenêtre éclairée au rez-de-chaussée: il se redressa, tout palpitant d’une curiosité farouche. D’épais rideaux interceptaient complétement la vue de l’intérieur; l’Indien ne pût rien apercevoir. Alors il appliqua son oreille contre les vitres et écouta: aucun son ne se fit entendre.

 



Après un instant d’observation infructueuse l’audacieux bandit frappa un léger coup sur un carreau: nul mouvement ne répondit.



– Dors! dors! grommela-t-il; c’était ici la chambre du capitaine, lorsqu’il fût blessé, il y a longtemps: il faut savoir si c’est encore la sienne.



Et il frappa de nouveau contre les vitres, mais plus fort, cette fois. Aussitôt il se fit du bruit dans l’intérieur. Prompt comme l’éclair, le sauvage recula et se coucha par terre.



Quoiqu’on fût au mois de septembre et que les journées fussent encore chaudes, les nuits commençaient à être fraîches, surtout celle qu’avait choisie Wontum, à cause de la tempête. Les volets étaient donc fermés; mais celui près duquel s’était arrêté Wontum, s’ouvrit en dedans de la croisée, et une forme humaine se montra derrière les vitres dans une espèce d’auréole lumineuse. Il était impossible de distinguer si c’était un homme ou une femme.



Au même instant, une fenêtre située directement au-dessus s’ouvrit, la tête d’une femme apparut, et une voix féminine s’écria:



– N’avez-vous pas entendu un bruit inusité, lieutenant Blair?



– Oui, Manonie. Avez-vous remarqué quelque chose de suspect?



– Certainement! je ne dormais pas et j’écoutais avec attention pour savoir si je n’entendais pas arriver mon mari que j’attends cette nuit. Eh bien! je jure qu’un individu ou un objet quelconque a frappé à votre volet.



– Moi, au contraire, j’estime que nous nous sommes trompés tous deux. Ce sera le clapotement de la pluie ou le grincement des volets qui nous aura inquiétés.



– Non! non! mon oreille a été attentive aux moindres bruits depuis la chûte du jour, elle n’avait rien entendu de semblable jusqu’à ce moment. Je ne serais pas du tout surprise que les Indiens fussent en train de rôder par ici.



– Vous me paraissez dans l’erreur, Manonie. Vous êtes dans une agitation nerveuse occasionnée par l’absence de votre mari. Il serait impossible à un Sauvage d’entrer ici sans être aperçu. Je vous conseille de vous reposer; cet état d’attente et de vigilance forcée vous fait mal.



– Il me serait impossible de prendre du repos, alors même que je le voudrais. D’ailleurs, mon petit Harry a eu la fièvre et a passé une partie de la nuit dans l’insomnie. Il dort à cette heure.



– Sans doute vos inquiétudes l’ont agité. Croyez-moi, remettez-vous au lit, sans vous tourmenter davantage de tout cela. Si, par hasard, le bruit se renouvelait, je sortirais aussitôt pour faire une ronde sévère, et vérifier ce qui se passe.



– Vous n’avez rien entendu dire sur le sort de mon mari et de nos amis, n’est-ce pas?



– Pas encore; mais je n’ai aucune crainte à leur sujet.



– Je n’en puis dire autant: tout ce que je vois depuis quelques jours me donne à penser que les Sauvages préparent quelque méchanceté. J’en ai aperçu bon nombre errant dans les environs, et leur apparition en ces lieux ne présage rien de bon. Je suis tourmentée de l’idée que mon mari n’était pas escorté de forces suffisantes.



– Oh! nous lui avons encore envoyé cent hommes de renfort. Demain, sans doute, nous les verrons arriver sains et saufs.



– Dieu le veuille! bonsoir, lieutenant Blair.



Sur ce propos Manonie ferma ses contrevents.



Le jeune officier resta encore un moment occupé à sonder les obscurités de la nuit, puis il referma sa fenêtre et alla se coucher.



Wontum se releva d’un seul bond.



Si quelque spectateur invisible avait pu apercevoir le visage de l’Indien, il aurait été épouvanté de l’infernale et triomphante expression qui se peignait sur ses traits de bronze. Le démon rouge savait maintenant tout ce qu’il voulait: Manonie était enfin trouvée; sa chambre était connue; l’absence de son mari, l’absence des meilleurs soldats du Fort, la faiblesse numérique de la garnison, tout venait d’être révélé à l’audacieux espion.



Il eût peine à retenir le cri de joie qui gonflait sa poitrine.



Son premier mouvement fût de rejoindre ses guerriers et de donner immédiatement l’assaut; une réflexion l’arrêta: le jour allait se lever dans peu d’heures, trop tôt peut-être pour que les Indiens eussent le temps d’être prêts à l’attaque. Or il ne fallait pas se risquer à un combat douteux qui pût aboutir à une défaite.



D’autre part l’orgueilleux désir de mener tout seul à fin cette sinistre aventure le possédait. En un instant il eut combiné son plan, basé sur ce que le lieutenant Blair venait de dire; savoir, qu’il sortirait pour faire une ronde s’il entendait le moindre bruit.



Il se rapprocha donc du volet et le cogna doucement, de façon à ce que Manonie ne pût l’entendre, puis il s’étendit par terre vivement. La fenêtre de Blair s’ouvrit brusquement et cet officier demanda «qui va là?».



Bien entendu il ne reçut pas de réponse.



Alors le lieutenant sortit de sa chambre et ouvrit la grande porte d’entrée: le Sauvage, aussitôt qu’il entendit ses pas craquer sur le gravier des allées, s’élança, prompt comme la pensée, dans la chambre vacante et se blottit sous le lit.



Un sourire diabolique contracta ses traits, lorsque son oreille attentive saisit les ordres de recherche donnés par Blair à haute voix.



– Personne n’aura l’idée de regarder par ici, pensa-t-il; Wontum est plus rusé que le serpent, plus subtil que l’oiseau de la nuit: il se rit des Faces-Pâles.



Au bout de quelques minutes l’officier rentra dans sa chambre, s’assit devant sa table et se mit à feuilleter des papiers en attendant le résultat des perquisitions. Au bout d’une heure, un caporal se présenta et informa son chef que tout avait été visité dans le fort sans aucun résultat. Alors le lieutenant ferma ses volets, puis se coucha.



Une heure après, la respiration égale et retentissante du jeune homme annonça à son dangereux hôte qu’il était profondément endormi. Wontum rampa hors de sa cachette avec des précautions infinies, s’assit sur le bord du lit, et se mit à contempler le lieutenant, qui, certes, ne soupçonnait point le terrible péril auquel il était exposé.



Le Sauvage tira de sa ceinture un couteau long et acéré; il en essaya la pointe sur le bout de son doigt, et éprouva un mouvement de satisfaction intime en se voyant maître de la situation, en voyant un de ses ennemis mortels complètement à sa discrétion.



Il se redressa de toute la hauteur de sa grande faille et se pencha sur le dormeur en levant son couteau qui jeta, dans l’ombre, un éclair sinistre.



Puis, sa main s’abaissa sans frapper… Le jeune lieutenant souriait au milieu d’un rêve… peut-être son âme, libre pendant quelques instants des liens terrestres, s’était envolée aux régions heureuses où tout est joie, bonheur et amour.



Presque en même temps, troublé par les effluves magnétiques rayonnant autour de l’Indien, son sommeil fut interrompu soudain; Blair ouvrit les yeux.



En apercevant près de lui cette forme sombre et menaçante, le jeune officier chercha à se lever; sa poitrine rencontra la pointe du poignard.



– Silence! gronda le Sauvage.



– Que voulez-vous?



– Vous tuer— de suite— voilà!



Le malheureux lieutenant ferma ses paupières, poussa un soupir; la lame s’était enfoncée toute entière dans sa gorge.



Le bandit regarda froidement le cadavre et resta quelques moments immobile.