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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8)

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En sommes-nous là, monsieur l'avocat impérial? Faudra-t-il encore vous citer Jean-Jacques Rousseau dans les Confessions et ailleurs? Non, je dirai seulement au tribunal que si, à propos de sa description de la voiture dans la Double méprise, M. Mérimée était poursuivi, il serait immédiatement acquitté. On ne verrait dans son livre qu'une œuvre d'art, de grandes beautés littéraires. On ne le condamnerait pas plus qu'on ne condamne les peintres ou les statuaires qui ne se contentent pas de traduire toute la beauté du corps, mais toutes les ardeurs, toutes les passions. Je n'en suis pas là; je vous demande de reconnaître que M. Flaubert n'a pas chargé ses images, et qu'il n'a fait qu'une chose: toucher de la main la plus ferme la scène de la dégradation. A chaque ligne de son livre il fait ressortir la désillusion, et au lieu de terminer par quelque chose de gracieux, il s'attache à nous montrer cette femme arrivant, après le mépris, l'abandon, la ruine de sa maison, à la mort la plus épouvantable. En un mot, je ne puis que répéter ce que j'ai dit en commençant la plaidoirie, que M. Flaubert est l'auteur d'un bon livre, livre qui est l'excitation à la vertu par l'horreur du vice.

J'ai maintenant à examiner l'outrage à la religion. L'outrage à la religion commis par M. Flaubert! Et en quoi, s'il vous plaît? M. l'avocat impérial a cru voir en lui un sceptique. Je puis répondre à M. l'avocat impérial qu'il se trompe. Je n'ai pas ici de profession de foi à faire, je n'ai que le livre à défendre, c'est ce qui fait que je me borne à ce simple mot. Mais quant au livre, je défie M. l'avocat impérial d'y trouver quoi que ce soit qui ressemble à un outrage à la religion. Vous avez vu comment la religion a été introduite dans l'éducation d'Emma, et comment cette religion, faussée de mille manières, ne pouvait pas retenir Emma sur la pente qui l'entraînait. Voulez-vous savoir en quelle langue M. Flaubert parle de la religion? Écoutez quelques lignes que je prends dans la première livraison, p. 231, 232 et 23378.

«Un jour que la fenêtre était ouverte, et qu'assise au bord elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau, qui taillait le buis, elle entendit tout à coup sonner l'Angelus.

«On était au commencement d'avril, quand les primevères sont écloses; un vent tiède se roule sur les plates-bandes labourées, et les jardins comme des femmes semblent faire leur toilette pour les fêtes de l'été. Par les barreaux de la tonnelle et au delà, tout autour, on voyait la rivière dans la prairie, où elle dessinait sur l'herbe des sinuosités vagabondes. La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d'une teinte violette, plus pâle et transparente qu'une gaze subtile arrêtée sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux marchaient; on n'entendait ni leurs pas ni leurs mugissements, et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique.

«A ce tintement répété, la pensée de la jeune femme s'égarait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de pension. Elle se rappela les grands chandeliers qui dépassaient, sur l'autel, les vases pleins de fleurs et le tabernacle à colonnettes. Elle aurait voulu comme autrefois être encore confondue dans la longue ligne de voiles blancs que marquaient de noir, çà et là, les capuchons raides des bonnes sœurs inclinées sur leur prie-Dieu.»

Voilà la langue dans laquelle le sentiment religieux est exprimé; et à entendre M. l'avocat général, le scepticisme règne d'un bout à l'autre dans le livre de M. Flaubert. Où donc, je vous prie, trouvez-vous là du scepticisme?

M. l'avocat impérial.– Je n'ai pas dit qu'il y en eût là dedans.

Me Senard.– S'il n'y en a pas là dedans, où donc y en a-t-il? Dans vos découpures, évidemment. Mais voici l'ouvrage tout entier, que le tribunal le juge, et il verra que le sentiment religieux y est si fortement empreint, que l'accusation de scepticisme est une vraie calomnie. Et maintenant, monsieur l'avocat impérial me permettra-t-il de lui dire que ce n'était pas la peine d'accuser l'auteur de scepticisme avec tant de fracas. Poursuivons:

«Le dimanche à la messe, quand elle relevait sa tête, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuâtres de l'encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit, elle se sentit molle et tout abandonnée, comme un duvet d'oiseau qui tournoie dans la tempête, et ce fut sans en avoir conscience qu'elle s'achemina vers l'église, disposée à n'importe quelle dévotion, pourvu qu'elle y absorbât son âme et que l'existence entière y disparût79

Ceci, messieurs, est le premier appel à la religion, pour retenir Emma sur la pente des passions. Elle est tombée, la pauvre femme, puis repoussée du pied par l'homme auquel elle s'est abandonnée. Elle est presque morte, elle se relève, elle se ranime; et vous allez voir maintenant ce qui est écrit (no du 15 novembre 1856, p. 54880):

«Un jour qu'au plus fort de sa maladie elle s'était crue agonisante, elle avait demandé la communion; et à mesure que l'on faisait dans sa chambre les préparatifs pour le sacrement, que l'on disposait en autel la commode encombrée de sirops, et que Félicité semait par terre des fleurs de dahlia, Emma sentait quelque chose de fort passant sur elle, qui la débarrassait de ses douleurs, de toute perception, de tout sentiment. Sa chair allégée ne pesait plus, une autre vie commençait; il lui sembla que son être, montant vers Dieu…» (Vous voyez dans quelle langue M. Flaubert parle des choses religieuses.) «Il lui sembla que son être, montant vers Dieu, allait s'anéantir dans cet amour, comme un encens allumé qui se dissipe en vapeur. On aspergea d'eau bénite les draps du lit; le prêtre retira du saint ciboire la blanche hostie; et ce fut en défaillant d'une joie céleste qu'elle avança les lèvres pour accepter le corps du Sauveur qui se présentait.»

J'en demande pardon à M. l'avocat impérial, j'en demande pardon au tribunal, j'interromps ce passage; mais j'ai besoin de dire que c'est l'auteur qui parle, et de vous faire remarquer dans quels termes il s'exprime sur le mystère de la communion; j'ai besoin, avant de reprendre cette lecture, que le tribunal saisisse la valeur littéraire empruntée à ce tableau, j'ai besoin d'insister sur ces expressions qui appartiennent à l'auteur:

«Et ce fut en défaillant d'une joie céleste qu'elle avança les lèvres pour accepter le corps du Sauveur qui se présentait. Les rideaux de son alcôve se bombaient mollement autour d'elle en façon de nuées, et les rayons des deux cierges brûlant sur la commode lui parurent être des gloires éblouissantes. Alors elle laissa retomber sa tête, croyant entendre dans les espaces le chant des harpes séraphiques, et apercevoir en un ciel d'azur, sur un trône d'or, au milieu des saints tenant des palmes vertes, Dieu le père, tout éclatant de majesté, et qui d'un signe faisait descendre vers la terre des anges aux ailes de flammes, pour l'emporter dans leurs bras.»

Il continue:

«Cette vision splendide demeura dans sa mémoire comme la chose la plus belle qu'il fût possible de rêver; si bien qu'à présent elle s'efforçait d'en ressaisir la sensation qui continuait cependant, mais d'une manière moins exclusive et avec une douceur aussi profonde. Son âme, courbaturée d'orgueil, se reposait enfin dans l'humilité chrétienne; et, savourant le plaisir d'être faible, Emma contemplait en elle-même la destruction de sa volonté, qui devait faire aux envahissements de la Grâce une large entrée. Il existait donc à la place du bonheur des félicités plus grandes, un autre amour au-dessus de tous les amours, sans intermittences ni fin, et qui s'accroîtrait éternellement! Elle entrevit, parmi les illusions de son espoir, un état de pureté flottant au-dessus de la terre, se confondant avec le ciel et où elle aspira d'être. Elle voulut devenir une sainte. Elle acheta des chapelets; elle porta des amulettes; elle souhaitait avoir dans sa chambre, au chevet de sa couche, un reliquaire enchâssé d'émeraudes pour le baiser tous les soirs.»

Voilà des sentiments religieux! Et si vous vouliez vous arrêter un instant sur la pensée principale de l'auteur, je vous demanderais de tourner la page et de lire les trois lignes suivantes du deuxième alinéa81:

«Elle s'irrita contre les prescriptions du culte; l'arrogance des écrits polémiques lui déplut par leur acharnement à poursuivre des gens qu'elle ne connaissait pas, et les contes profanes relevés de religion lui parurent écrits dans une telle ignorance du monde, qu'ils l'écartèrent insensiblement des vérités dont elle attendait la preuve.»

 

Voilà le langage de M. Flaubert. Maintenant, s'il vous plaît, arrivons à une autre scène, à la scène de l'extrême-onction. Oh! monsieur l'avocat impérial, combien vous vous êtes trompé quand, vous arrêtant aux premiers mots, vous avez accusé mon client de mêler le sacré au profane, quand il s'est contenté de traduire ces belles formules de l'extrême-onction, au moment où le prêtre touche tous les organes de nos sens, au moment où, selon l'expression du rituel, il dit: Per istam unctionem, et suam piissimam misericordiam, indulgeat tibi Dominus quidquid deliquisti!

Vous avez dit: il ne faut pas toucher aux choses saintes. De quel droit travestissez-vous ces saintes paroles: «Que Dieu, dans sa sainte miséricorde, vous pardonne toutes les fautes que vous avez commises par la vue, par le goût, par l'ouïe, etc.?»

Tenez, je vais vous lire le passage incriminé, et ce sera toute ma vengeance. J'ose dire ma vengeance, car l'auteur a besoin d'être vengé. Oui, il faut que M. Flaubert sorte d'ici, non seulement acquitté, mais vengé! Vous allez voir de quelles lectures il est nourri. Le passage incriminé est à la page 27182 du no du 15 décembre, il est ainsi conçu:

«Pâle comme une statue, et les yeux rouges comme des charbons, Charles, sans pleurer, se tenait en face d'elle, au pied du lit, tandis que le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses…»

Tout ce tableau est magnifique, et la lecture en est irrésistible; mais tranquillisez-vous, je ne la prolongerai pas outre mesure. Voici maintenant l'incrimination!

«Elle tourna sa figure lentement et parut saisie de joie à voir tout à coup l'étole violette, sans doute retrouvant au milieu d'un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient:

«Le prêtre se releva pour prendre le crucifix; alors elle allongea le cou comme quelqu'un qui a soif, et collant ses lèvres sur le corps de l'Homme-Dieu, elle y déposa, de toute sa force expirante, le plus grand baiser d'amour qu'elle eût jamais donné83

L'extrême-onction n'est pas encore commencée; mais on me reproche ce baiser. Je n'irai pas chercher dans sainte Thérèse, que vous connaissez peut-être, mais dont le souvenir est trop éloigné, je n'irai pas même chercher dans Fénelon le mysticisme de Mme Guyon, ni des mysticismes plus modernes dans lesquels je trouve bien d'autres raisons. Je ne veux pas demander à ces écoles que vous qualifiez de christianisme sensuel, l'explication de ce baiser; c'est à Bossuet, à Bossuet lui-même que je veux la demander:

«Obéissez et tachez au reste d'entrer dans les dispositions de Jésus en communiant, qui sont des dispositions d'union, de jouissance et d'amour: tout l'Évangile le crie. Jésus veut qu'on soit avec lui; il veut jouir, il veut qu'on jouisse de lui. Sa sainte chair est le milieu de cette union et de cette chaste jouissance: il se donne.» Etc.

Je reprends la lecture du passage incriminé:

«Ensuite il récita le Misereatur et l'Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l'huile et commença les onctions: d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité les somptuosités terrestres; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus.

«Le curé s'essuya les doigts, jeta dans le feu les brins de coton trempés d'huile, et revint s'asseoir près de la moribonde pour lui dire qu'elle devait à présent joindre ses souffrances à celles de Jésus-Christ, et s'abandonner à la miséricorde divine.

«En finissant ses exhortations, il essaya de lui mettre dans la main un cierge béni, symbole des gloires célestes dont elle allait tout à l'heure être environnée. Mais Emma, trop faible, ne put fermer les doigts, et le cierge, sans M. Bournisien, serait tombé par terre.

«Cependant elle n'était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l'eût guérie.

«Le prêtre ne manqua point d'en faire l'observation; et il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l'existence des personnes lorsqu'il le jugeait convenable pour leur salut. Et Charles se rappela un jour, où ainsi, près de mourir, elle avait reçu la communion. Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.»

Maintenant quand une femme meurt, et que le prêtre va lui donner l'extrême-onction, quand on fait de cela une scène mystique et que nous traduisons avec une fidélité scrupuleuse les paroles sacramentelles, on dit que nous touchons aux choses saintes. Nous avons porté une main téméraire aux choses saintes, parce que au deliquisti per oculos, per os, per aurem, per manus et per pedes, nous avons ajouté le péché que chacun de ces organes avait commis. Nous ne sommes pas les premiers qui ayons marché dans cette voie. M. Sainte-Beuve, dans un livre que vous connaissez, met aussi une scène d'extrême-onction, et voici comment il s'exprime:

«Oh! oui donc, à ces yeux d'abord, comme au plus noble et au plus vif des sens; à ces yeux, pour ce qu'ils ont vu, regardé de trop tendre, de trop perfide en d'autres yeux, de trop mortel; pour ce qu'ils ont lu et relu d'attachant et de trop chéri; pour ce qu'ils ont versé de vaines larmes sur les biens fragiles et sur les créatures infidèles; pour le sommeil qu'ils ont tant de fois oublié, le soir, en y songeant!

«A l'ouïe aussi, pour ce qu'elle a entendu et s'est laissé dire de trop doux, de trop flatteur et enivrant; pour ce son que l'oreille dérobe lentement aux paroles trompeuses; pour ce qu'elle y boit de miel caché!

«A cet odorat ensuite, pour les trop subtils et voluptueux parfums des soirs de printemps au fond des bois, pour les fleurs reçues le matin et tous les jours, respirées avec tant de complaisance!

«Aux lèvres, pour ce qu'elles ont prononcé de trop confus ou de trop avoué; pour ce qu'elles n'ont pas répliqué en certains moments ou ce qu'elles n'ont pas révélé à certaines personnes; pour ce qu'elles ont chanté dans la solitude de trop mélodieux et de trop plein de larmes; pour leur murmure inarticulé, pour leur silence!

«Au cou, au lieu de la poitrine, pour l'ardeur du désir, selon l'expression consacrée (propter ardorem libidinis); oui, pour la douleur des affections, des rivalités, pour le trop d'angoisse des humaines tendresses, pour les larmes qui suffoquent un gosier sans voix, pour tout ce qui fait battre un cœur ou ce qui le ronge!

«Aux mains aussi, pour avoir serré une main qui n'était pas saintement liée; pour avoir reçu des pleurs trop brûlants; pour avoir peut-être commencé d'écrire, sans l'achever, quelque réponse non permise!

«Aux pieds, pour n'avoir pas fui, pour avoir suffi aux longues promenades solitaires, pour ne s'être pas lassés assez tôt au milieu des entretiens qui sans cesse recommençaient!»

Vous n'avez pas poursuivi cela. Voilà deux hommes qui, chacun dans leur sphère, ont pris la même chose, et qui ont, à chacun des sens, ajouté le péché, la faute. Est-ce que vous auriez voulu leur interdire de traduire la formule du rituel: Quidquid deliquisti per oculos, per aurem, etc.?

M. Flaubert a fait ce qu'a fait M. Sainte-Beuve, sans pour cela être un plagiaire. Il a usé du droit qui appartient à tout écrivain, d'ajouter à ce qu'a dit un autre écrivain, de compléter un sujet. La dernière scène du roman de Madame Bovary a été faite comme toute l'étude de ce type, avec les documents religieux. M. Flaubert a fait la scène de l'extrême-onction avec un livre que lui avait prêté un vénérable ecclésiastique de ses amis, qui a lu cette scène, qui en a été touché jusqu'aux larmes, et qui n'a pas imaginé que la majesté de la religion pût en être offensée. Ce livre est intitulé: Explication historique, dogmatique, morale, liturgique et canonique du catéchisme, avec la réponse aux objections tirées des sciences contre la religion par M. l'abbé Ambroise Guillois, curé de Notre-Dame-du-Pré, au Mans, 6e édition, etc., ouvrage approuvé par Son Éminence le cardinal Gousset, N. N. S. S. les Évêques et Archevêques du Mans, de Tours, de Bordeaux, de Cologne, etc., tome IIIe, imprimé au Mans par Charles Monnoyer, 1851. Or vous allez voir dans ce livre, comme vous avez vu tout à l'heure dans Bossuet, les principes et en quelque sorte le texte des passages qu'incrimine M. l'avocat impérial. Ce n'est plus maintenant M. Sainte-Beuve, un artiste, un fantaisiste littéraire que je cite, écoutez l'Église elle-même:

«L'extrême-onction peut rendre la santé du corps si elle est utile pour la gloire de Dieu…» et le prêtre dit que cela arrive souvent. Maintenant voici l'extrême-onction:

«Le prêtre adresse au malade une courte exhortation, s'il est en état de l'entendre, pour le disposer à recevoir dignement le sacrement qu'il va lui administrer.

«Le prêtre fait ensuite les onctions sur le malade avec le stylet, ou l'extrémité du pouce droit qu'il trempe chaque fois dans l'huile des infirmes. Ces onctions doivent être faites surtout aux cinq parties du corps que la nature a données à l'homme comme les organes des sensations, savoir: aux yeux, aux oreilles, aux narines, à la bouche et aux mains.

«A mesure que le prêtre fait les onctions (nous avons suivi de point en point le rituel, nous l'avons copié), il prononce les paroles qui y répondent.

«Aux yeux, sur la paupière fermée: Par cette onction sainte et par sa pieuse miséricorde, que Dieu vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par la vue. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau tous les péchés qu'il a commis par la vue: tant de regards indiscrets, tant de curiosités criminelles, tant de lectures qui ont fait naître en lui une foule de pensées contraires à la foi et aux mœurs.»

Qu'a fait M. Flaubert? Il a mis dans la bouche du prêtre, en réunissant les deux parties, ce qui doit être dans sa pensée et en même temps dans la pensée du malade. Il a copié purement et simplement

«Aux oreilles: Par cette onction sainte et par sa pieuse miséricorde, que Dieu vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par le sens de l'ouïe. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau toutes les fautes dont il s'est rendu coupable en écoutant avec plaisir des médisances, des calomnies, des propos déshonnêtes, des chansons obscènes.

«Aux narines: Par cette onction sainte et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par l'odorat. Dans ce moment, le malade doit détester de nouveau tous les péchés qu'il a commis par l'odorat, toutes les recherches raffinées et voluptueuses des parfums, toutes les sensualités, tout ce qu'il a respiré des odeurs de l'iniquité. —A la bouche, sur les lèvres: Par cette onction sainte et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par le sens du goût et par la parole. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau tous les péchés qu'il a commis, en proférant des jurements et des blasphèmes… en faisant des excès dans le boire et dans le manger… —Sur les mains: Par cette onction sainte et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par le sens du toucher. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau tous les larcins, toutes les injustices dont il a pu se rendre coupable, toutes les libertés plus ou moins criminelles qu'il s'est permises… Les prêtres reçoivent l'onction des mains en dehors, parce qu'ils l'ont déjà reçue en dedans au moment de leur ordination, et les autres malades en dedans. —Sur les pieds: Par cette onction sainte et par sa grande miséricorde, que Dieu vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par vos démarches. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau tous les pas qu'il a faits dans les voies de l'iniquité, tant de promenades scandaleuses, tant d'entrevues criminelles… L'onction des pieds se fait sur le dessus ou sous la plante, selon la commodité du malade, et aussi selon l'usage du diocèse où l'on se trouve. La pratique la plus commune semble être de la faire à la plante des pieds.

 

«Et enfin à la poitrine. (M. Sainte-Beuve a copié, nous ne l'avons pas fait parce qu'il s'agissait de la poitrine d'une femme.) Propter ardorem libidinis, etc.

«A la poitrine: Par cette onction sainte et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par l'ardeur des passions. Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau toutes les mauvaises pensées, tous les mauvais désirs auxquels il s'est abandonné, tous les sentiments de haine, de vengeance qu'il a nourris dans son cœur.»

Et nous pourrions, d'après le Rituel, parler d'autre chose encore que de la poitrine, mais Dieu sait quelle sainte colère nous aurions excitée chez le ministère public, si nous avions parlé des reins:

«Aux reins (ad lumbos): «Par cette sainte onction et par sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par les mouvements déréglés de la chair.»

Si nous avions dit cela, de quelle foudre n'auriez-vous pas tenté de nous accabler, monsieur l'avocat impérial! et cependant le rituel ajoute:

«Le malade doit, dans ce moment, détester de nouveau tant de plaisirs illicites, tant de délectations charnelles…»

Voilà le rituel, et vous avez vu l'article incriminé; il n'y a pas une raillerie, tout y est sérieux et émouvant. Et je vous le répète, celui qui a donné à mon client ce livre, et qui a vu mon client en faire l'usage qu'il en a fait, lui a serré la main avec des larmes. Vous voyez donc, monsieur l'avocat impérial, combien est téméraire, – pour ne pas me servir d'une expression qui pour être exacte serait plus sévère, – l'accusation que nous avions touché aux choses saintes. Vous voyez maintenant que nous n'avons pas mêlé le profane au sacré quand, à chacun des sens, nous avons indiqué le péché commis par ce sens, puisque c'est le langage de l'Église elle-même.

Insisterai-je maintenant sur les autres détails du délit d'outrage à la religion? Voilà que le ministère public me dit: «Ce n'est plus la religion, c'est la morale de tous les temps que vous avez outragée; vous avez insulté la mort!» Comment ai-je insulté la mort? Parce qu'au moment où cette femme meurt, il passe dans la rue un homme que, plus d'une fois, elle avait rencontré demandant l'aumône près de la voiture dans laquelle elle revenait des rendez-vous adultères, l'aveugle qu'elle avait accoutumé de voir, l'aveugle qui chantait sa chanson pendant que la voiture montait lentement la côte, à qui elle jetait une pièce de monnaie, et dont l'aspect la faisait frissonner. Cet homme passe dans la rue; et au moment où la miséricorde divine pardonne ou promet le pardon à la malheureuse qui expie ainsi par une mort affreuse les fautes de sa vie, la raillerie humaine lui apparaît sous la forme de la chanson qui passe sous sa fenêtre. Mon Dieu! vous trouvez qu'il y a là un outrage: mais M. Flaubert ne fait que ce qu'ont fait Shakespeare et Gœthe, qui, à l'instant suprême de la mort, ne manquent pas de faire entendre quelque chant, soit de plainte, soit de raillerie, qui rappelle à celui qui s'en va dans l'éternité quelque plaisir dont il ne jouira plus, ou quelque faute à expier.

Lisons84:

«En effet, elle regarda tout autour d'elle lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe; puis, d'une voix distincte, elle demanda son miroir; elle resta penchée dessus quelque temps jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l'oreiller.

«Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement.»

Je ne puis pas lire, je suis comme Lamartine: «L'expiation va pour moi au delà de la vérité…» Je ne croyais pourtant pas faire une mauvaise action, monsieur l'avocat impérial, en lisant ces pages à mes filles qui sont mariées, honnêtes filles qui ont reçu de bons exemples, de bonnes leçons, et que jamais, jamais on n'a mises, par une indiscrétion, hors de la voie la plus étroite, hors des choses qui peuvent et doivent être entendues… Il m'est impossible de continuer cette lecture, je m'en tiendrai rigoureusement aux passages incriminés:

«Les bras étendus et à mesure que le râle devenait plus fort (Charles était de l'autre côté, cet homme que vous ne voyez jamais et qui est admirable), et à mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

«Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton; et une voix s'éleva, une voix rauque qui chantait:

 
«Souvent la chaleur d'un beau jour
«Fait rêver fillette à l'amour.
 

«Elle se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

 
«Pour amasser diligemment
«Les épis que la faux moissonne,
«Ma Nanette va s'inclinant
«Vers le sillon qui nous les donne.
 

« – L'aveugle! s'écria-t-elle.

«Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

 
«Il souffla bien fort ce jour-là,
«Et le jupon court s'envola!
 

«Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus85

Voyez, messieurs, dans ce moment suprême le rappel de sa faute, le remords, avec tout ce qu'il a de poignant et d'affreux. Ce n'est pas une fantaisie d'artiste voulant seulement faire un contraste sans utilité, sans moralité, c'est l'aveugle qu'elle entend dans la rue chantant cette affreuse chanson, qu'il chantait quand elle revenait toute suante, toute hideuse des rendez-vous de l'adultère: c'est l'aveugle qu'elle voyait à chacun de ses rendez-vous; c'est cet aveugle qui la poursuivait de son chant, de son importunité; c'est lui qui, au moment où la miséricorde divine est là, vient personnifier la rage humaine qui la poursuit à l'instant suprême de la mort! Et on appelle cela un outrage à la morale publique! Mais je puis dire au contraire que c'est là un hommage à la morale publique, qu'il n'y a rien de plus moral que cela; je puis dire que dans ce livre le vice de l'éducation est animé, qu'il est pris dans le vrai, dans la chair vivante de notre société, qu'à chaque trait l'auteur nous pose cette question: «As-tu fait ce que tu devais pour l'éducation de tes filles? La religion que tu leur as donnée est-elle celle qui peut les soutenir dans les orages de la vie, ou n'est-elle qu'un amas de superstitions charnelles, qui laissent sans appui quand la tempête gronde? Leur as-tu enseigné que la vie n'est pas la réalisation de rêves chimériques, que c'est quelque chose de prosaïque dont il faut s'accommoder? Leur as-tu enseigné cela, toi? As-tu fait ce que tu devais pour leur bonheur? Leur as-tu dit: Pauvres enfants, hors de la route que je vous indique, dans les plaisirs que vous poursuivez, vous n'avez que le dégoût qui vous attend, l'abandon de la maison, le trouble, le désordre, la dilapidation, les convulsions, la saisie…» Et vous voyez si quelque chose manque au tableau, l'huissier est là, là aussi est le juif qui a vendu pour satisfaire les caprices de cette femme, les meubles sont saisis, la vente va avoir lieu; et le mari ignore tout encore. Il ne reste plus à la malheureuse qu'à mourir!

Mais, dit le ministère public, sa mort est volontaire, cette femme meurt à son heure.

Est-ce qu'elle pouvait vivre? Est-ce qu'elle n'était pas condamnée? Est-ce qu'elle n'avait pas épuisé le dernier degré de la honte et de la bassesse?

Oui, sur nos scènes, on montre les femmes qui ont dévié, gracieuses, souriantes, heureuses, et je ne veux pas dire ce qu'elles ont fait. Questum corpore facerant. Je me borne à dire ceci. Quand on nous les montre heureuses, charmantes, enveloppées de mousseline, présentant une main gracieuse à des comtes, à des marquis, à des ducs, que souvent elles répondent elles-mêmes au nom de marquises ou de duchesses; voilà ce que vous appelez respecter la morale publique. Et celui qui vous présente la femme adultère mourant honteusement, celui-là commet un outrage à la morale publique!

Tenez, je ne veux pas dire que ce n'est pas votre pensée que vous avez exprimée, puisque vous l'avez exprimée, mais vous avez cédé à une grande préoccupation. Non, ce n'est pas vous, le mari, le père de famille, l'homme qui est là, ce n'est pas vous, ce n'est pas possible, ce n'est pas vous qui, sans la préoccupation du réquisitoire et d'une idée préconçue, seriez venu dire que M. Flaubert est l'auteur d'un mauvais livre! Oui, abandonné à vos inspirations, votre appréciation serait la même que la mienne, je ne parle pas du point de vue littéraire, nous ne pouvons pas différer vous et moi à cet égard, mais au point de vue de la morale et du sentiment religieux tel que vous l'entendez, tel que je l'entends.

On nous a dit encore que nous avions mis en scène un curé matérialiste. Nous avons pris le curé, comme nous avons pris le mari. Ce n'est pas un ecclésiastique éminent, c'est un ecclésiastique ordinaire, un curé de campagne. Et de même que nous n'avons insulté personne, que nous n'avons exprimé aucun sentiment, aucune pensée qui pût être injurieuse pour le mari, nous n'avons pas davantage insulté l'ecclésiastique qui était là. Je n'ai qu'un mot à dire là-dessus.

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