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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8)

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Léon était derrière elle.

«Il se tenait derrière elle, s'appuyant de l'épaule contre la cloison; et de temps à autre elle se sentait frissonner sous le souffle tiède de ses narines qui lui descendait dans la chevelure25

On vous a parlé tout à l'heure des souillures du mariage; on va vous montrer encore l'adultère dans toute sa poésie, dans ses ineffables séductions. J'ai dit qu'on aurait dû au moins modifier les expressions et dire: les désillusions du mariage et les souillures de l'adultère. Bien souvent quand on s'est marié, au lieu du bonheur sans nuages qu'on s'était promis, on rencontre les sacrifices, les amertumes. Le mot désillusion peut donc être justifié, celui de souillure ne saurait l'être.

Léon et Emma se sont donné rendez-vous à la cathédrale. Ils la visitent, ou ils ne la visitent pas. Ils sortent.

«Un gamin polissonnait sur le parvis.

« – Va me chercher un fiacre! lui crie Léon. L'enfant partit comme une balle…

« – Ah! Léon!.. vraiment… je ne sais… si je dois!.. et elle minaudait. Puis d'un air sérieux: C'est très inconvenant, savez-vous?

« – En quoi? répliqua le clerc, cela se fait à Paris.

«Et cette parole, comme un irrésistible argument, la détermina26

Nous savons maintenant, messieurs, que la chute n'a pas lieu dans le fiacre. Par un scrupule qui l'honore, le rédacteur de la Revue a supprimé le passage de la chute dans le fiacre. Mais si la Revue de Paris baisse les stores du fiacre, elle nous laisse pénétrer dans la chambre où se donnent les rendez-vous.

Emma veut partir, car elle avait donné sa parole qu'elle reviendrait le soir même. «D'ailleurs Charles l'attendait; et déjà elle se sentait au cœur cette lâche docilité qui est pour bien des femmes comme le châtiment tout à la fois et la rançon de l'adultère…27»

«Léon, sur le trottoir, continuait à marcher; elle le suivait jusqu'à l'hôtel; il montait; il ouvrait la porte, entrait. Quelle étreinte!

«Puis les paroles après les baisers se précipitaient. On se racontait les chagrins de la semaine, les pressentiments, les inquiétudes pour les lettres; mais à présent tout s'oubliait, et ils se regardaient face à face, avec des rires de volupté et des appellations de tendresse.

«Le lit était un grand lit d'acajou en forme de nacelle. Les rideaux de levantine rouge, qui descendaient du plafond, se cintraient trop bas vers le chevet évasé, – et rien au monde n'était beau comme sa tête brune et sa peau blanche, se détachant sur cette couleur pourpre, quand, par un geste de pudeur, elle fermait ses deux bras nus, en se cachant la figure dans les mains.

«Le tiède appartement, avec son tapis discret, ses ornements folâtres et sa lumière tranquille, semblait tout commode pour les intimités de la passion28

Voilà ce qui se passe dans cette chambre. Voici encore un passage très important comme peinture lascive.

«Comme ils aimaient cette bonne chambre pleine de gaieté, malgré sa splendeur un peu fanée! Ils retrouvaient toujours les meubles à leur place, et parfois des épingles à cheveux qu'elle avait oubliées, l'autre jeudi, sous le socle de la pendule. Ils déjeunaient au coin du feu, sur un petit guéridon incrusté de palissandre. Emma découpait, lui mettait les morceaux dans son assiette en débitant toutes sortes de chatteries, et elle riait d'un rire sonore et libertin, quand la mousse du vin de Champagne débordait du verre léger sur les bagues de ses doigts. Ils étaient si complètement perdus en la possession d'eux-mêmes, qu'ils se croyaient là dans leur maison particulière, et devant y vivre jusqu'à la mort, comme deux éternels jeunes époux. Ils disaient notre chambre, nos tapis, nos fauteuils; même elle disait mes pantoufles, un cadeau de Léon, une fantaisie qu'elle avait eue. C'étaient des pantoufles en satin rose, bordées de cygne. Quand elle s'asseyait sur ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en l'air, et la mignarde chaussure, qui n'avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils à son pied nu.

«Il savourait pour la première fois (et dans l'exercice de l'amour29) l'inexprimable délicatesse des élégances féminines. Jamais il n'avait rencontré cette grâce de langage, cette réserve du vêtement, ces poses de colombe assoupie. Il admirait l'exaltation de son âme et les dentelles de sa jupe. D'ailleurs, n'était-ce pas une femme du monde, et une femme mariée? une vraie maîtresse, enfin30

Voilà, messieurs, une description qui ne laisse rien à désirer, j'espère, au point de vue de la prévention? En voici une autre ou plutôt voici la continuation de la même scène:

«Elle avait des paroles qui l'enflammaient avec des baisers qui lui emportaient l'âme. Où donc avait-elle appris ces caresses presque immatérielles, à force d'être profondes et dissimulées31

Oh! je comprends bien, messieurs, le dégoût que lui inspirait ce mari qui voulait l'embrasser à son retour, je comprends à merveille que lorsque des rendez-vous de cette espèce avaient lieu, elle sentît avec horreur la nuit contre «sa chair, cet homme étendu qui dormait».

Ce n'est pas tout, à la page 73, il est un dernier tableau que je ne peux pas omettre; elle était arrivée jusqu'à la fatigue de la volupté.

«Elle se promettait continuellement pour son prochain voyage une félicité profonde; puis elle s'avouait ne rien sentir d'extraordinaire. Mais cette déception s'effaçait vite sous un espoir nouveau, et Emma revenait à lui plus enflammée, plus haletante, plus avide. Elle se déshabillait brutalement, arrachant le lacet mince de son corset qui sifflait autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Elle allait sur la pointe de ses pieds nus regarder encore une fois si la porte était fermée, puis elle faisait d'un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements; – et pâle, sans parler, sérieuse, elle s'abattait contre sa poitrine, avec un long frisson32

Je signale ici deux choses, messieurs, une peinture admirable sous le rapport du talent, mais une peinture exécrable au point de vue de la morale. Oui, M. Flaubert sait embellir ses peintures avec toutes les ressources de l'art, mais sans les ménagements de l'art. Chez lui point de gaze, point de voiles, c'est la nature dans toute sa nudité, dans toute sa crudité!

Encore une citation de la page 78:

«Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu'il était fatigué d'elle. Emma retrouvait dans l'adultère toutes les platitudes du mariage33

Platitudes du mariage, poésie de l'adultère! Tantôt c'est la souillure du mariage, tantôt ce sont ses platitudes, mais c'est toujours la poésie de l'adultère. Voilà, messieurs, les situations que M. Flaubert aime à peindre, et malheureusement il ne les peint que trop bien.

 

J'ai raconté trois scènes: la scène avec Rodolphe, et vous y avez vu la chute dans la forêt, la glorification de l'adultère, et cette femme dont la beauté devient plus grande avec cette poésie. J'ai parlé de la transition religieuse, et vous y avez vu la prière emprunter à l'adultère son langage. J'ai parlé de la seconde chute, je vous ai déroulé les scènes qui se passent avec Léon. Je vous ai montré la scène du fiacre – supprimée – mais je vous ai montré le tableau de la chambre et du lit. Maintenant que nous croyons vos convictions faites, arrivons à la dernière scène; à celle du supplice.

Des coupures nombreuses y ont été faites, à ce qu'il paraît, par la Revue de Paris. Voici en quels termes M. Flaubert s'en plaint:

«Des considérations que je n'ai pas à apprécier ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans le numéro du 1er décembre. Ses scrupules s'étant renouvelés à l'occasion du présent numéro, elle a jugé convenable d'enlever encore plusieurs passages. En conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent; le lecteur est donc prié de n'y voir que des fragments et non pas un ensemble.»

Passons donc sur ces fragments et arrivons à la mort. Elle s'empoisonne. Elle s'empoisonne, pourquoi? «Ah! c'est bien peu de chose la mort, pensa-t-elle, je vais m'endormir et tout sera fini34.» Puis, sans un remords, sans un aveu, sans une larme de repentir sur ce suicide qui s'achève et les adultères de la veille, elle va recevoir le sacrement des mourants. Pourquoi le sacrement, puisque, dans sa pensée de tout à l'heure, elle va au néant? Pourquoi, quand il n'y a pas une larme, pas un soupir de Madeleine sur son crime d'incrédulité, sur son suicide, sur ses adultères?

Après cette scène, vient celle de l'extrême-onction. Ce sont des paroles saintes et sacrées pour tous. C'est avec ces paroles-là que nous avons endormi nos aïeux, nos pères ou nos proches c'est avec elles qu'un jour nos enfants nous endormiront. Quand on veut les reproduire, il faut le faire exactement; il ne faut pas du moins les accompagner d'une image voluptueuse sur la vie passée.

Vous le savez, le prêtre fait les onctions saintes sur le front, sur les oreilles, sur la bouche, sur les pieds, en prononçant ces phrases liturgiques: quidquid per pedes, per aures, per pectus, etc., toujours suivies des mots misericordia… péché d'un côté, miséricorde de l'autre. Il faut les reproduire exactement, ces paroles saintes et sacrées; si vous ne les reproduisez pas exactement, au moins n'y mettez rien de voluptueux.

«Elle tourna sa figure lentement et parut saisie de joie à voir tout à coup l'étole violette, sans doute retrouvant au milieu d'un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.

«Le prêtre se releva pour prendre le crucifix; alors elle allongea le cou comme quelqu'un qui a soif, et collant ses lèvres sur le corps de l'homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d'amour qu'elle eût jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur et l'Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l'huile et commença les onctions: d'abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses; puis sur la bouche, qui s'était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d'orgueil et crié dans la luxure; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l'assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus35

Maintenant il y a les prières des agonisants que le prêtre récite tout bas, où, à chaque verset, se trouvent les mots: Ame chrétienne, partez pour une région plus haute. On les murmure au moment où le dernier souffle du mourant s'échappe de ses lèvres. Le prêtre les récite, etc.

«A mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines qui tintaient comme un glas lugubre36

L'auteur a jugé à propos d'alterner ces paroles, de leur faire une sorte de réplique. Il fait intervenir sur le trottoir, un aveugle qui entonne une chanson dont les paroles profanes sont une sorte de réponse aux prières des agonisants.

«Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton, et une voix s'éleva, une voix rauque qui chantait:

 
«Souvent la chaleur d'un beau jour
«Fait rêver fillette à l'amour.
«Il souffla bien fort ce jour-là.
«Et le jupon court s'envola37
 

C'est à ce moment que Mme Bovary meurt.

Ainsi voilà le tableau: d'un côté, le prêtre qui récite les prières des agonisants; de l'autre, le joueur d'orgue, qui excite chez la mourante «un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement… une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus38

Et puis ensuite, lorsque le corps est froid, la chose qu'il faut respecter par-dessus tout, c'est le cadavre que l'âme a quitté. Quand le mari est là, à genoux, pleurant sa femme, quand il a étendu sur elle le linceul, tout autre se serait arrêté, et c'est le moment où M. Flaubert donne le dernier coup de pinceau:

«Le drap se creusait depuis ses seins jusqu'à ses genoux, se relevant ensuite à la pointe des orteils39

Voilà la scène de la mort. Je l'ai abrégée, je l'ai groupée en quelque sorte. C'est à vous de juger et d'apprécier si c'est là le mélange du sacré au profane, ou si ce ne serait plutôt le mélange du sacré au voluptueux.

J'ai raconté le roman, je l'ai incriminé ensuite et, permettez-moi de le dire, le genre que M. Flaubert cultive, celui qu'il réalise sans les ménagements de l'art; mais avec toutes les ressources de l'art, c'est le genre descriptif, la peinture réaliste. Voyez jusqu'à quelle limite il arrive. Dernièrement un numéro de l'Artiste me tombait sous la main; il ne s'agit pas d'incriminer l'Artiste, mais de savoir quel est le genre de M. Flaubert, et je vous demande la permission de vous citer quelques lignes de l'écrit qui n'engagent en rien l'écrit poursuivi contre M. Flaubert, et j'y voyais à quel degré M. Flaubert excelle dans la peinture; il aime à peindre les tentations, surtout les tentations auxquelles a succombé Mme Bovary. Eh bien, je trouve un modèle du genre dans les quelques lignes qui suivent de l'Artiste du mois de janvier, signées Gustave Flaubert, sur la tentation de saint Antoine. Mon Dieu! c'est un sujet sur lequel on peut dire beaucoup de choses, mais je ne crois pas qu'il soit possible de donner plus de vivacité à l'image, plus de trait à la peinture. Apollinaire40 à saint Antoine: – «Est-ce la science? Est-ce la gloire? Veux-tu rafraîchir tes yeux sur des jasmins humides? Veux-tu sentir ton corps s'enfoncer comme en une onde dans la chair douce des femmes pâmées?»

Eh bien! c'est la même couleur, la même énergie de pinceau, la même vivacité d'expressions!

Il faut se résumer. J'ai analysé le livre, j'ai raconté, sans oublier une page, j'ai incriminé ensuite, c'était la seconde partie de ma tâche; j'ai précisé quelques portraits, j'ai montré Mme Bovary au repos, vis-à-vis de son mari, vis-à-vis de ceux qu'elle ne devait pas tenter, et je vous ai fait toucher les couleurs lascives de ce portrait! Puis, j'ai analysé quelques grandes scènes: la chute avec Rodolphe, la transition religieuse, les amours avec Léon, la scène de la mort, et dans toutes j'ai trouvé le double délit d'offense à la morale publique et à la religion.

Je n'ai besoin que de deux scènes: l'outrage à la morale, est-ce que vous ne le verrez pas dans la chute avec Rodolphe? Est-ce que vous ne le verrez pas dans cette glorification de l'adultère? Est-ce que vous ne le verrez pas surtout dans ce qui se passe avec Léon? Et puis, l'outrage à la morale religieuse, je le trouve dans le trait sur la confession, p. 3041 de la 1re livraison, no du 1er octobre, dans la transition religieuse, p. 85442 et 55043 du 15 novembre, et enfin dans la dernière scène de la mort.

Vous avez devant vous, messieurs, trois inculpés: M. Flaubert, l'auteur du livre, M. Pichat qui l'a accueilli, et M. Pillet qui l'a imprimé. En cette matière, il n'y a pas de délit sans publicité, et tous ceux qui ont concouru à la publicité doivent être également atteints. Mais nous nous hâtons de le dire, le gérant de la Revue et l'imprimeur ne sont qu'en seconde ligne. Le principal prévenu, c'est l'auteur, c'est M. Flaubert, M. Flaubert qui, averti par la note de la rédaction, proteste contre la suppression qui est faite à son œuvre. Après lui, vient au second rang M. Laurent Pichat, auquel vous demanderez compte non de cette suppression qu'il a faite, mais de celles qu'il aurait dû faire, et enfin vient en dernière ligne l'imprimeur, qui est une sentinelle avancée contre le scandale. M. Pillet, d'ailleurs, est un homme honorable contre lequel je n'ai rien à dire. Nous ne vous demandons qu'une chose, de lui appliquer la loi. Les imprimeurs doivent lire; quand ils n'ont pas lu ou fait lire, c'est à leurs risques et périls qu'ils impriment. Les imprimeurs ne sont pas des machines; ils ont un privilège, ils prêtent serment, ils sont dans une situation spéciale, ils sont responsables. Encore une fois ils sont, si vous me permettez l'expression, comme des sentinelles avancées; s'ils laissent passer le délit, c'est comme s'ils laissaient passer l'ennemi. Atténuez la peine autant que vous voudrez vis-à-vis de Pillet; soyez même indulgents vis-à-vis du gérant de la Revue; – quant à Flaubert, le principal coupable, c'est à lui que vous devez réserver vos sévérités!

 

Ma tâche remplie, il faut attendre les objections ou les prévenir. On nous dira comme objection générale: mais après tout, le roman est moral au fond, puisque l'adultère est puni?

A cette objection deux réponses: je suppose l'œuvre morale, par hypothèse, une conclusion morale ne pourrait pas amnistier les détails lascifs qui peuvent s'y trouver. Et puis je dis: l'œuvre au fond n'est pas morale.

Je dis, messieurs, que des détails lascifs ne peuvent pas être couverts par une conclusion morale, sinon on pourrait raconter toutes les orgies imaginables, décrire toutes les turpitudes d'une femme publique, en la faisant mourir sur un grabat à l'hôpital. Il serait permis d'étudier et de montrer toutes ses poses lascives! Ce serait aller contre toutes les règles du bon sens. Ce serait placer le poison à la portée de tous et le remède à la portée d'un bien petit nombre, s'il y avait remède. Qui est-ce qui lit le roman de M. Flaubert? Sont-ce des hommes qui s'occupent d'économie politique ou sociale? Non! les pages légères de Madame Bovary tombent en des mains plus légères, dans des mains de jeunes filles, quelquefois de femmes mariées. Eh bien! lorsque l'imagination aura été séduite, lorsque cette séduction sera descendue jusqu'au cœur, lorsque le cœur aura parlé aux sens, est-ce que vous croyez qu'un raisonnement bien froid sera bien fort contre cette séduction des sens et du sentiment? Et puis, il ne faut pas que l'homme se drape trop dans sa force et sa vertu, l'homme porte les instincts d'en bas et les idées d'en haut, et chez tous la vertu n'est que la conséquence d'un effort, bien souvent pénible. Les peintures lascives ont généralement plus d'influence que les froids raisonnements. Voilà ce que je réponds à cette théorie, voilà ma première réponse, mais j'en ai une seconde.

Je soutiens que le roman de Madame Bovary, envisagé au point de vue philosophique, n'est point moral. Sans doute Mme Bovary meurt empoisonnée; elle a beaucoup souffert, c'est vrai; mais elle meurt à son heure et à son jour, mais elle meurt, non parce qu'elle est adultère, mais parce qu'elle l'a voulu; elle meurt dans tout le prestige de sa jeunesse et de sa beauté; elle meurt après avoir eu deux amants, laissant un mari qui l'aime, qui l'adore, qui trouvera le portrait de Rodolphe, qui trouvera ses lettres et celles de Léon, qui lira les lettres d'une femme deux fois adultère, et qui, après cela, l'aimera encore davantage au delà du tombeau. Qui peut condamner cette femme dans le livre? Personne. Telle est la conclusion. Il n'y a pas dans le livre un personnage qui puisse la condamner. Si vous y trouvez un personnage sage, si vous y trouvez un seul principe en vertu duquel l'adultère soit stigmatisé, j'ai tort. Donc, si dans tout le livre il n'y a pas un personnage qui puisse lui faire courber la tête, s'il n'y a pas une idée, une ligne en vertu de laquelle l'adultère soit flétri, c'est moi qui ai raison, le livre est immoral!

Serait-ce au nom de l'honneur conjugal que le livre serait condamné? Mais l'honneur conjugal est représenté par un mari béat, qui, après la mort de sa femme, rencontrant Rodolphe, cherche sur le visage de l'amant les traits de la femme qu'il aime (liv. du 15 décembre, p. 28944). Je vous le demande, est-ce au nom de l'honneur conjugal que vous pouvez stigmatiser cette femme, quand il n'y a pas dans le livre un seul mot où le mari ne s'incline devant l'adultère?

Serait-ce au nom de l'opinion publique? Mais l'opinion publique est personnifiée dans un être grotesque, dans le pharmacien Homais, entouré de personnages ridicules que cette femme domine.

Le condamnerez-vous au nom du sentiment religieux? Mais ce sentiment, vous l'avez personnifié dans le curé Bournisien, prêtre à peu près aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu'aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales, à peu près matérialiste.

Le condamnerez-vous au nom de la conscience de l'auteur? Je ne sais pas ce que pense la conscience de l'auteur; mais dans son chapitre X, le seul philosophique de l'œuvre, livraison du 15 décembre45, je lis la phrase suivante:

«Il y a toujours après la mort de quelqu'un comme une stupéfaction qui se dégage, tant il est difficile de comprendre cette survenue du néant et de se résigner à y croire.»

Ce n'est pas un cri d'incrédulité, mais c'est du moins un cri de scepticisme. Sans doute il est difficile de le comprendre et d'y croire, mais enfin pourquoi cette stupéfaction qui se manifeste à la mort? Pourquoi? Parce que cette survenue est quelque chose qui est un mystère, parce qu'il est difficile de le comprendre et de le juger, mais il faut s'y résigner. Et moi je dis que si la mort est la survenue du néant, que si le mari béat sent croître son amour en apprenant les adultères de sa femme, que si l'opinion est représentée par un des êtres grotesques, que si le sentiment religieux est représenté par prêtre ridicule, une seule personne a raison, règne, domine: c'est Emma Bovary; Messaline a raison contre Juvénal.

Voilà la conclusion philosophique du livre, tirée non par l'auteur, mais par un homme qui réfléchit et approfondit les choses, par un homme qui a cherché dans le livre un personnage qui pût dominer cette femme. Il n'y en a pas. Le seul personnage qui y domine, c'est Mme Bovary. Il faut donc chercher ailleurs que dans le livre, il faut chercher dans cette morale chrétienne qui est le fond des civilisations modernes. Pour cette morale, tout s'explique et s'éclaircit.

En son nom l'adultère est stigmatisé, condamné, non pas parce que c'est une imprudence qui expose à des désillusions et à des regrets, mais parce que c'est un crime contre la famille. Vous stigmatisez et vous condamnez le suicide, non pas parce que c'est une folie, le fou n'est pas responsable, non pas parce que c'est une lâcheté, il demande quelquefois un certain courage physique, mais parce qu'il est le mépris du devoir dans la vie qui s'achève, et le cri de l'incrédulité dans la vie qui commence.

Cette morale stigmatise la littérature réaliste, non pas parce qu'elle peint les passions: la haine, la vengeance, l'amour; – le monde ne vit que là-dessus, et l'art doit les peindre; – mais quand elle les peint sans frein, sans mesure. L'art sans règle n'est plus l'art; c'est comme une femme qui quitterait tout vêtement. Imposer à l'art l'unique règle de la décence publique, ce n'est pas l'asservir, mais l'honorer. On ne grandit qu'avec une règle. Voilà, messieurs, les principes que nous professons, voilà une doctrine que nous défendons avec conscience.

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29Supprimé dans les dernières éditions.
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40Apollinaire, sic, pour Apollonius de Thyanes!
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