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Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II

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Qu’on parle bien ou mal du fameux maréchal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien.
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal;
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.»
 

Tout s'éteint ensuite: plus de haines; tout est dit. Favart et sa délicieuse femme rentrent au théâtre, l’un pour y écrire des petits chefs-d'œuvre, l’autre pour jouer avec le même succès qu’auparavant. Vingt ans s'écoulent dans cette heureuse union, qui, quoique très-étroite, admet cependant l’abbé de Voisenon, qui devient de la famille: triple amitié, où la bonté, l’indulgence et l’esprit remplacent les liens du sang.

Tout l’avantage de la comparaison entre le marquis de Brunoy et l’abbé de Voisenon appartient au premier, malgré de plus grandes folies, malgré de colossales extravagances, dont l’antiquité, à qui il est d’usage de tout rapporter, n’offre pas d’exemple. Si le marquis de Brunoy souille, de la base au sommet, le monument de la noblesse auquel il s’appuie, quel scandale plus profond ne cause pas l’abbé de Voisenon, en balayant de sa robe de prêtre les foyers de théâtres, la poussière des salons, les roses effeuillées sur les tapis des boudoirs, et en chantant toutes les Thémires fardées, toutes les Glycères en panier, toutes les Thaïs décolletées, toutes les Iris de son temps? L’un ne blessait que l’honneur d’une institution humaine, utile peut-être; l’autre portait violemment atteinte à ce qui est un objet de respect pour tout le monde: il outrageait en face la religion dont il était le prêtre. C’est un prêtre d’un rang illustre, d’un nom remarquable, d’une position au-dessus des petits avantages que pouvait procurer la petite poésie athée en vogue et en crédit, sous la raison de commerce Voltaire et compagnie; c’est un prêtre qui fut presque évêque, et, ce qu’il y a aussi d'étrange, ce fut un prêtre toujours malade, qui rima des contes, des madrigaux et des épîtres si hardies, que les échantillons en sont difficiles à produire. Ouvrez ses œuvres, si vous êtes d'âge à cela, et vous serez édifié: C’est un discours sur la nécessité d’aimer, où l’abbé de Voisenon dit à Daphné, et Dieu sait ce qu'était cette Daphné:

 
Ainsi l’amour de la voûte céleste
Descend pour nous dans ce séjour funeste;
C’est dans ton sein qu’il retrouve aujourd’hui
L’unique temple encor digne de lui.
 

Après ces jolies choses dites à mademoiselle Daphné, nous trouvons une épître de M. l’abbé à mademoiselle Elie, qui voulait me faire son chapelain. Quelle idée si extraordinaire, en effet, de choisir un prêtre pour chapelain! Ne dirait-on pas que la proposition s’adressait à un mousquetaire? Au reste, l’abbé de Voisenon ne la repousse pas; il répond à mademoiselle Élie, qui prétendait le faire son chapelain:

 
Le chapelain, rempli de ta divinité,
Ressentira de plus grands troubles
Que ceux que tourmentait l’oracle de Phébus;
Tous les jours seront fêtes doubles,
Et les désirs feront le plan des orémus;
C’est dans tes yeux qu’on lira son rosaire,
Les amours répondront en chœur;
La relique sera ton cœur,
Le mien sera le reliquaire.
 

Et non seulement ce malheureux abbé péchait pour lui, mais il se damnait pour les autres. Il avait du libertinage en magasin; il en cédait à ses amis, qui l’envoyaient à leurs amies, à l’occasion d’une fête ou d’un mariage. Ainsi le grave Duclos s’adresse à lui, afin d’avoir quatre vers bien tournés pour envoyer à une mademoiselle Olympe; et aussitôt l’abbé prend la plume et intitule ainsi le quatrain demandé: Vers au nom de Duclos, à mademoiselle Olympe, qui désirait une vierge qui était dans son lit. Nous ignorons comment mademoiselle Olympe trouva les vers: quant à nous, nous les trouvons trop vifs pour les transcrire. C’est là le service qu’un grave historien obtenait d’un abbé au dix-huitième siècle.

Puis vient un madrigal sur les limbes! oui, sur les limbes! ce sujet de si sévères controverses; puis un envoi de M. le duc de Richelieu à madame d’Egmont, sa fille, en lui donnant un autel de l’amour. Il a rimé pour l’historien, il rime pour un duc. C’est maintenant un peu son tour: A madame de ***, qui m’apprenait à faire du filet, et à qui j’offrais mon premier essai de cet ouvrage. Et il débute de cette manière:

 
Saint Pierre, Vulcain et l’Amour
Firent des filets tour à tour.
Ceux de l’Amour, qu’on idolâtre,
Forment le plus doux des métiers.
 

Ainsi les filets de saint Pierre n’ont que le dernier rang comparés aux autres filets. Il est à remarquer ici, comme ailleurs, que l’abbé de Voisenon est toujours entraîné à prendre ses images dans le domaine de la théologie. J’ai pensé que le remords était pour beaucoup dans ses réminiscences pieuses, acharnées à le poursuivre. Cela est d’autant plus vraisemblable, qu’il ne se montra jamais ouvertement athée ni dans ses vers, ni dans sa prose, ni même dans sa correspondance avec Voltaire; et l’occasion était pourtant assez belle! Avec le patriarche il se rabat sur la tolérance, thème élastique: il crie un peu contre la persécution; mais au fond il n’attaque pas les bases de la religion; non que ceci l’excuse; car, impiété pour impiété, mieux vaut celle, s’il y a un choix à faire, qui a pour elle les luttes et les fatigues du raisonnement que l’impiété infirme qui se compromet sans réflexion et tombe dans l’abîme, non avec la dignité du plongeur hardi, mais en deux doubles et les yeux fermés. Satan est noble, les diablotins sont ridicules. L’abbé de Voisenon ne fut jamais qu’un diablotin en impiété.

Si l’abbé de Voisenon n'était pas un aigle en fait de bon sens, que penser de M. de Choiseul, qui voulut le faire nommer ministre de France dans une cour étrangère? l’abbé de Voisenon! cet homme que M. de Lauraguais appelait une poignée de puces! Mais, s’il ne fut pas ministre de France, il était écrit qu’il serait ministre de quelqu’un; il était trop incapable de l'être pour que cela n’arrivât pas. Quelques années après le projet ridicule de M. de Choiseul, le prince-évêque de Spire le nomma son ministre plénipotentiaire à la cour de France. Il ne lui manquait plus que d'être académicien: il le fut; il succéda à Crébillon, l’auteur d'Atrée et Thyeste.

Quand il fut nommé par le prince-évêque de Spire ministre plénipotentiaire à la cour de France, il reçut les félicitations du haut clergé, honoré dans sa personne d’une distinction aussi rare. Toute flatteuse qu’elle fût, cette mission n’arrêta pas cependant son entraînement vers le théâtre: l’eût-on fait pape, il aurait encore écrit des opéras et des vaudevilles à la face de la chrétienté scandalisée. Au nombre des nobles ecclésiastiques qui allèrent le complimenter, il s’en trouva un qui, s'étant présenté plus tard que les autres, et au moment où les réceptions semblaient épuisées, causa quelque surprise au château de Voisenon. Descendu à Melun, où il avait été invité à déjeuner par le chapitre, l'évêque de Meaux, qui n'était plus Bossuet, résolut, la journée étant belle, le chemin agréable, d’aller à pied et à travers champs de Melun à Voisenon, pour y apporter ses félicitations au ministre du prince-évêque de Spire. Tout en écoutant le bruit des cloches du couvent, qui avait toujours quelque chose à sonner, comme disait l’abbé de Voisenon, l'évêque de Meaux parvint, de sentier en sentier tracé dans la campagne, au château, où il n'était pas attendu. On était en automne: il y avait plus de fruits que de feuilles sur les arbres. Sous un pommier, l'évêque aperçoit, dans un costume fort différent du costume villageois, une jeune fille occupée à manger des fruits avec une avidité peu commune aux gens de la campagne. Son corset était en satin rose, semé de paillettes d’argent. – Qui êtes-vous? lui demanda l'évêque en s’arrêtant près de l’arbre. – Monsieur, je suis un jeu; mademoiselle, qui est sur l’arbre, est aussi un jeu; et nous mangeons des pommes, comme vous voyez. Après avoir regardé dans le pommier l’autre demoiselle qui était aussi un jeu, en corset amaranthe avec des paillettes d’or, l'évêque, fort entrepris, s’achemina vers le château. A vingt pas plus loin, dans la vigne, il voit luire des reflets rouges comme du feu, et il entend de grands éclats de rire: il s’avance, et il aperçoit d’autres jeunes filles, portant au-dessus du front des touffes écarlates, ayant des ailes et des pantalons de tricot. C’est du sortilége, dirait-on, pensa l’abbé, qui demanda cependant aux vendangeuses qui elles étaient. – Nous sommes une troupe de génies, et voilà deux plaisirs, répondirent-elles; n’avez-vous pas rencontré les jeux plus loin? – J’ai rencontré les jeux, répliqua l'évêque plus pressé que jamais d’arriver au château pour avoir l’explication de ces étranges divinités en train de gaspiller la propriété de l’abbé de Voisenon. Que se passe-t-il donc ici? murmurait-il. Je ne me suis pas trompé cependant! je suis bien dans le château de Voisenon: voilà le château, voilà l'église, voilà l’abbaye. Des bruits nouveaux frappent encore son oreille dans une haie de groseilliers, plantée à très-peu de distance du château même. Il écarte quelques rameaux épineux, et il voit une fort belle femme ayant pour ceinture, sous son sein à demi nu, deux gros serpens en soie noire. On ne donna pas le temps à l'évêque de s’informer en compagnie de qui il se trouvait. – Si le voyageur est altéré, lui dit la joyeuse et belle femme de la troupe, il n’a qu'à cueillir des groseilles; la Discorde et sa suite le lui permettent. —La Discorde et sa suite! s'écria l'évêque; mais je suis donc à Saint-Lazare, parmi les fous! Les jeux et les plaisirs, les génies et la Discorde!

Il touchait au seuil du château, dont quelques portes avaient été enlevées pour que le salon apparemment eût une plus longue perspective. Au moment où il entra, une femme vêtue d’une longue robe bariolée de figures astrologiques, le front étincelant d’une étoile en papier d’argent, vint à lui en chantant:

 
 
Le soleil nous ramène au jour où tous les ans
Le conseil souverain m’appelle:
Évitez de l’Amour les piéges séduisans;
Souvent sa blessure est cruelle.
 

– Je ne comprends rien à tout cela, madame ou mademoiselle, dit l'évêque, dont la surprise devenait de l’inquiétude mêlée de honte; ne suis-je pas au château de Voisenon?

– Vous y êtes, monsieur, répondit une autre femme, qui, montrant des bras et des épaules nues sur une draperie blanche, se prit à chanter avec roulades ces paroles presque de circonstance:

 
Aucun mortel ne peut pénétrer en ces lieux.
 

– Mais, mademoiselle, expliquez-moi… La demoiselle reprit:

 
Comment effacer de mon cœur
Les traits de ce mortel si tendre,
Que m’offre un songe trop flatteur?
Quel charme pourra m’en défendre?
 

Quelles paroles pour un évêque! Il ne savait que devenir, où aller, puisqu’il était au château. Dehors? mais dehors il y avait des jeux, des plaisirs, des génies et des discordes. Quand il interrogeait, on lui répondait en chantant. Cependant il dit avec beaucoup de douceur à la même personne: Je désirerais être présenté à M. l’abbé de Voisenon; pourrais-je…

 
L’Amour est un dieu trop léger,
Il s’envole et produit la haine;
Il sait nous cacher le danger.
Je ne veux point porter sa chaîne.
 

– Qu’il en soit comme vous le voudrez, madame; mais je m’en irai sans avoir vu M. de Voisenon.

– Vous prenez assez mal votre temps, lui dit enfin en prose la folle chanteuse; ne voyez-vous pas que nous répétons au château Mirzèle?

– Qu’est-ce que Mirzèle? Oserai-je vous demander…

– Ah çà! d’où sortez-vous? Tout Paris sait pourtant à cette heure que M. de Voisenon achève sa féerie de Mirzèle pour la Comédie-Italienne; et nous la répétons aujourd’hui. Et la preuve, écoutez-moi bien. C’est le morceau de Zéphis.

 
Jeune Mirzèle,
Voulez-vous voir vos jours par le bonheur formés?
Aimez!
Zéphis, triste pour vous, Zéphis sera fidèle;
Aimez!
Regardez à vos pieds l’amant que vous charmez.
Aimez!
Le plaisir dit, quand on est belle:
Aimez!
 

– Vous jouez donc ici la comédie? demanda dans la plus profonde confusion l'évêque de Meaux.

– La comédie, non, mais l’opéra. Vous voyez en nous les artistes de la Comédie-Italienne, qui répètent, comme j’ai eu l’honneur de vous l’apprendre, la dernière féerie de M. de Voisenon.

– Et moi, pensa l'évêque en descendant les marches du salon pour s’en aller de ces lieux beaucoup trop mondains, qui croyais trouver ici des moines à profusion! Comme il terminait sa triste réflexion, il entendit la voix des moines qui chantaient dans les corridors du couvent. Quelle bizarre impiété! se dit-il en prêtant l’oreille tantôt au latin des moines, tantôt à la musique des chanteuses; M. de Voisenon ne pense guère à son salut.

Sa méditation fut dérangée par une troisième voix chevrotante, mêlée de toux, qui grinçait ces paroles dans le salon:

 
Impitoyable Amour, dieu trompeur, dieu barbare,
Je connais de tes traits la perfide douceur;
Je ne vois plus en toi qu’un tyran qui prépare
Les crimes des mortels, et la honte et l’horreur.
 

– A la fin, je vous trouve, monsieur de Voisenon! s'écria l'évêque de Meaux.

– Monseigneur l'évêque de Meaux chez moi! s'écria à son tour Voisenon un peu décontenancé, mais remis aussitôt. Monseigneur, vous arrivez à temps; mes moines vont chanter vêpres: allons à la chapelle.

A cinquante-deux ans, toujours pour se défaire de son asthme, il voulut essayer de l’effet des eaux minérales sur son tempérament étiolé. Son voyage de Paris à Cauterets et son séjour dans ce bourg de bitume et de soufre, racontés par lui-même dans ses lettres, peuvent être considérés, à quatre-vingts ans de distance, comme une peinture historique de la manière de voyager chez les grands seigneurs du temps, et comme les pages les plus vraies de la vie oiseuse, empaquetée, gourmande et chétive du narrateur: «Nous passâmes hier par Tours, dit-il à son ami Favart, dans sa première lettre datée de Châtellerault, et du 8 juin 1761, où madame la duchesse de Choiseul reçut tous les honneurs dus à la gouvernante de la province: nous entrâmes par le mail, qui est planté d’arbres aussi beaux que ceux du boulevard. Il y eut un maire qui vint haranguer madame la duchesse: M. Sainfrais, pendant la harangue, s'était posté précisément derrière; de sorte que son cheval donnait des coups de tête dans le dos de l’orateur, ce qui coupait les phrases en deux, parce que l’orateur se retournait; après il reprenait le fil de son discours: nouveaux coups de tête du cheval, et moi de pâmer de rire. A deux lieues d’ici, nous avons eu une autre scène: un ecclésiastique a fait arrêter le carrosse et prononcé un discours pompeux adressé à M. Poissonnier, en l’appelant mon prince. M. Poissonnier a répondu qu’il était plus, que tous les princes dépendaient de lui, et qu’il était médecin. – Comment! vous n'êtes pas M. le prince de Talmont? a dit le prêtre. – Il est mort depuis deux ans, a répondu madame la duchesse. – Mais qui est donc dans ce carrosse? – C’est madame la duchesse de Choiseul. Aussitôt il a commencé par la louer sur l'éducation qu’elle donnait à son fils. – Je n’en ai point, monsieur. – Ah! vous n’en avez point; j’en suis fâché. Ensuite il a tiré sa révérence.

»Adieu, mon bon ami. Nous arriverons à Bordeaux jeudi: je m’attends à me bourrer comme il faut.»

Édifiant état du haut et du bas clergé à cette époque! L’abbé de Voisenon voyage en carrosse pour se bourrer à Bordeaux, et un abbé affamé harangue à tort et à travers, pour avoir de quoi dîner, les premiers gentilshommes venus.

C’est à madame Favart que Voisenon écrit de Bordeaux: «Nous arrivâmes hier ici à dix heures du soir. M. le maréchal de Richelieu avait passé la Garonne pour venir au-devant de madame la duchesse de Choiseul. Il la conduisit dans sa belle frégate bien vernie, bien musquée surtout, et meublée d’un beau damas cramoisi avec des galons et des crépines d’or. Cette ville-ci est admirable avant que l’on n’y arrive; tout ce qui tient à l’extérieur est tout au mieux; mais ce qui m’afflige, c’est qu’on n’y voit point de sardines à cause de la guerre. Je ne savais pas que les sardines eussent pris parti contre nous; je m’en vengeai sur deux ortolans que je mangeai hier à souper, et sur un pâté de perdrix rouges aux truffes, fait depuis le mois de novembre, à ce que dit M. le maréchal, et qui était aussi frais, aussi parfumé que s’il avait été fait la veille.»

Si l’on s'étonnait de ce qu’un asthmatique mangeât des perdrix et des truffes, sans être horriblement malade, l'étonnement ne serait pas long. Le lendemain, Voisenon écrivait à Favart: «Mon ami, j’ai passé une nuit affreuse; je viens de fumer et de prendre mon kermès. Je ne pourrai voir aucune rareté de cette ville. Si je suis trois jours de suite à Cauterets dans cet état-là, vous me reverrez à la fin du mois.»

On croit que l’abbé va être plus sobre. Dans la même lettre, il ajoute: «La table, hier à dîner, fut couverte de sardines: j’en mangeai six en six bouchées; c’est un morceau délicieux; je compte, malgré mon kermès, en manger autant aujourd’hui avec mes deux ortolans. Nous partons demain, et mercredi nous arriverons à Cauterets.»

Ainsi, malade, le 11, d’un monstrueux souper pris le 10; le lendemain 11, il mange enfin des sardines six par six, et encore des ortolans! Le 18, il écrit de Cauterets à Favart: «Je suis arrivé hier en bonne santé; j’ai mal dormi, parce que la maison où je loge est sur un torrent qui fait un bruit affreux. Ce pays-ci ressemble à l’enfer comme si on y était, excepté pourtant que l’on y meurt de froid; mais c’est une horreur à la glace, comme était la tragédie de Térée

Et Voisenon écrit douze jours après, en s’adressant à madame Favart: «L’oncle de madame la duchesse de Choiseul, qui vous faisait tant de complimens dans le foyer, est arrivé d’hier: il loge avec moi. Il trouve déjà que l’on mène une vie triste ici. Je l’ai cependant présenté ce matin dans la meilleure maison de Cauterets. J’avoue que j’y suis les trois quarts du jour. Il n’y a point de femmes; mais il y a des choses dont je fais plus d’usage; en un mot, c’est chez le pâtissier. Il fait des tartelettes admirables, des petits gâteaux d’une légèreté singulière, et des petites tourtes composées avec de la crême et de la farine de millet: on appelle cela des millassons. Je m’en gave toute la journée; cela fait aigrir mes eaux; cela me rend jaune; mais je me porte bien.»

Cette goinfrerie de l’abbé de Voisenon, toujours entre des pâtés et son tombeau, finit par être curieuse comme une étude. On tient à savoir qui l’emportera sur lui de l’asthme ou de la pâtisserie. «Mon cher neveu, continue-t-il d'écrire à Favart, c’est aujourd’hui que j'étouffe, mais par ma faute. Je dînai si fortement hier que je ne pouvais plus me remuer en jouant au cavagnole; j'étais si plein, que je disais à tout le monde: Ne me touchez pas, car je répandrai. Je soupai par extraordinaire; ma poitrine a sifflé toute la nuit, et j’ai actuellement dans l’estomac mes six gobelets d’eau, qui disent comme ça qu’ils ne veulent pas passer; je vais les pousser avec mon chocolat. Cela ne m’empêche pas de dire cette chanson:

 
La sagesse est de bien dîner,
En commençant par le potage;
La sagesse est de bien souper,
En finissant par le fromage.
On est heureux si l’on peut se gaver,
Et si l’on digère on est sage.
 

Et plus loin il ajoute: «Je me baigne tous les matins; je ressemble à une allumette que l’on soufre. Je m’en porte assez bien; cependant j’ai des ressentimens de mon asthme, dont je ne guérirai jamais.»

Il était difficile qu’il guérît avec ces malheureux excès de table qui auraient tué un homme sain et vigoureux. Inutilement vous chercheriez dans sa correspondance avec Favart et sa femme une seule pensée détachée des plaisirs de la bouche. On a lu avec quelle estime il cite un pâtissier établi à Cauterets, fameux par ses tourtes. Son bonheur ne devait pas s’arrêter là. «Un second pâtissier, s'écrie-t-il, sur ma réputation, est venu s'établir ici: tous les jours il y a une émulation et un combat entre ces deux artistes. Je mange et juge: c’est mon estomac qui en paie les dépens. Je vais au bain et je reviens au four. Je reviendrai dans le temps des grives; j’en ferai manger à ma petite nièce (madame Favart). Vous les effaroucherez, et moi je les tuerai. Nous avons ici des perdreaux rouges que l’on apporte de toutes parts: ils sont délicieux.»

Enfin il resta si long-temps aux eaux, où il était allé uniquement pour se soigner et vivre dans la plus rigoureuse sobriété, que la veille de son départ de Cauterets il écrivait tristement à madame Favart: «Je suis tel que vous m’avez vu: quelquefois asthmatique, me traînant toujours et me livrant trop à ma gourmandise.» Les douleurs qu’il éprouva pendant son séjour à Baréges, avant son retour définitif à Paris, sont la preuve du déplorable résultat des eaux minérales sur sa santé. «Je suis, de mon côté, souffrant comme un malheureux, et je suis actuellement dans une attaque d’asthme si violente que je ne puis douter que ce ne soit l’air de ce pays-ci qui me soit aussi contraire que celui de Montrouge. Si je suis demain aussi mal, je retournerai passer la semaine à Cauterets, et samedi j’irai à Pau, afin d’y attendre les dames qui y passeront lundi pour gagner Bayonne. Je suis sûr que je serai dans un cruel état pendant la route.»

Tel fut le bienfait qu’obtint l’abbé de Voisenon d’une résidence de quatre mois aux eaux de Cauterets et de Baréges. Il retournait à Voisenon infiniment plus malade qu’il ne l'était en partant. La veille même du jour où il monta en voiture pour rentrer chez lui, où il voulait, comme il le dit quelque temps après, se trouver de plain-pied avec les tombeaux de ses pères, il se livra à un monstrueux dîner sur les montagnes de Baréges. Un poète aurait salué la nature d’un adieu touchant; lui mangea comme un ogre: «Mes porteurs étaient des chèvres plutôt que des hommes, qui sautaient de rochers en rochers, qui descendaient dans des endroits si escarpés, que, si je ne m'étais pas cramponné contre ma chaise, je serais tombé vingt fois dans des abîmes. Nous arrivâmes à un lac qui a une grande lieue de circonférence: l’eau en est bleue, vive et claire comme celle de la mer; nous fîmes pêcher des truites que nous mîmes griller sur-le-champ dans la cabane d’un Espagnol; elles étaient bien saumonées et d’un goût merveilleux. Nous avions porté beaucoup de daubes, de rôti froid, des fricassées de poulet dans des pains, des tartes et des pièces de pâtisserie délicieuses. Je mangeais à effrayer toute la compagnie; l’air de la montagne m’avait donné un appétit dévorant: on ne pouvait pas concevoir comment une aussi mince personne avait un aussi grand estomac. J’espère arriver à Paris le 2 octobre; je compte que nous coucherons à Belleville dès le lendemain.»

 

Cette citation est prise de la dernière lettre écrite des eaux par l’abbé de Voisenon. A Belleville, où il parle de se rendre, était la petite maison de campagne de Favart, qui y recevait ses amis, le vieux Crébillon, Boucher et Vanloo. Voisenon y avait sa chambre, comme, du reste, il en avait une chez tous ses amis. Sa vie s'éparpillait comme ses petits vers et ses dîners. Cependant l'époque approchait où sa déplorable santé allait l’obliger à ne plus quitter son château de Voisenon, habité plus souvent que par lui, jusque là, par son frère et sa belle-sœur, excellentes personnes pleines d’indulgence pour ses mœurs décousues. L’air de la Brie lui rendait parfois des apparences de santé dont il abusait bien vite. Sans son estomac, qui a une si large part dans son histoire, il aurait réuni en lui les deux belles qualités exigées par Fontenelle pour atteindre à une grande longévité: Un bon estomac et un mauvais cœur. Il n’eut qu’un mauvais cœur, non qu’il fût ingrat ou dur; mais il était indifférent au suprême degré, et c’est là ce qui constitue le mauvais cœur, selon Fontenelle. On ne saurait en avoir de meilleures preuves que la lettre suivante écrite par lui à Favart du château de Voisenon, où il était réinstallé. C’est, du reste, une des plus jolies pages qu’il ait écrites de sa main si paresseuse et si peu châtiée. Nous la mettons à côté des plus adorables facilités de madame de Sévigné, cette divine plume.

Il s’adresse encore à Favart.

«Mon cher neveu,

»Depuis jeudi je m’engraisse d’ennui, et j'éprouve que rien ne rend plus imbécile que de s’ennuyer. Ma tête ressemble à un terrain sablonneux où rien ne peut pousser; c’est le jardin de Belleville, il n’y pousse que des lilas, et c’est ma petite nièce qui est le lilas, à l’exception qu’elle s’y maintient toujours en fleurs, et que les lilas de Belleville passent au bout de quinze jours. J’ai eu la visite de mes moines; il y en avait un très-sourd qui est mort; mais ceux qui entendent et qui ne comprennent point sont restés. Je me promène les après-dîners. Il fait un froid excessif; cependant tout mon bois n’est qu’un tapis de bouquets jaunes et de violettes. Ils semblent dire à mon neveu: Venez, venez, afin de nous chanter; et à ma nièce: Venez, venez, afin de nous parer. Vous êtes de bien mauvaises gens de n'être pas venus passer quelques jours avec nous. Ma belle-sœur me charge de vous en faire des reproches, aussi bien que de votre silence à son égard. Je ne la vois qu'à dîner. Je rentre à la fin du jour, je prends mon chocolat, et je suis dans mon lit à neuf heures et demie au plus tard. J’ai ici un architecte qui fait le mémoire et le plan de tous les ouvrages de mon église; il en viendra demain un autre pour attester la vérité de tout ce que celui-ci inventera, et l’on agira ensuite.

»J’eus hier un spectacle bien triste, mon bon ami, et qui me fit pleurer. Nous avons dans le village une Jeannette fort jolie; son mari est mort avant-hier; je trouvai l’enterrement le soir: la bière était dans une charrette, et la petite veuve se précipitait sur son pauvre mari en faisant des cris affreux. Ah! pauvre Jeannette, disait-elle, pauvre Jeannette! que vas-tu devenir? Quoi! mon cher homme, tu n’es plus avec ta femme; je ne te verrai donc plus? Et mes malheureux enfans, qu’en ferai-je? Ah! mon pauvre cher homme!

»Je n’ai jamais vu une douleur aussi violente, aussi sincère, aussi communicative; ce nom de Jeannette rendait, il est vrai, la chose bien intéressante; tous nos poètes tragiques se feraient péter les veines avant d'être aussi touchans. Je crois même que le grand Opéra, malgré ses beaux sentimens, ne l’est pas autant. Votre lettre m’a bien fait rire, Fumichon; écrivez-moi souvent, etc.»

Le ton vrai, les lignes abandonnées de cette jolie lettre, contrastent singulièrement avec la comparaison du grand Opéra et les paroles insoucieuses de la fin. L’homme est là tout entier, mais l’homme touché, à son insu et comme malgré lui, du spectacle d’un beau printemps et d’une douleur déchirante.

Voyant que les eaux n’amélioraient pas sa santé, si toutefois il avait jamais eu une santé, l’abbé de Voisenon abandonna les médecins et leurs ordonnances infructueuses pour chercher ailleurs des remèdes à la guérison de son asthme de plus en plus fatigant à mesure qu’il vieillissait. Comme il parlait toujours de son mal, et qu’on lui en parlait sans cesse pour lui faire la cour, il lui fut dit, un jour, qu’il existait quelque part dans une mansarde de Paris un abbé extrêmement savant en chimie occulte, un adepte du grand Albert, le maître des maîtres dans l’art des empiriques. Comme tous les sorciers, et comme tous les savans du XVIIIe siècle, cet abbé était dans une affreuse misère, dans un dénuement de poète. Celui qui avait le secret des plantes et des minéraux, du feu et de la lumière, de la génération des êtres, n’avait pas celui de se procurer une soutane et du pain. Il montait, par les efforts de la magie, jusqu’au dernier cristallin sans pouvoir se maintenir plus d’un mois dans le même appartement à cause de son indifférence envers les propriétaires. A cela près, c'était un être merveilleux, inventant des spécifiques pour guérir toutes les maladies, et l’asthme par conséquent. On se disait même à voix basse, avec une espèce d’effroi, car on était très-superstitieux au XVIIIe siècle, quoiqu’on fût très-athée, que ses spécifiques se réduisaient à un seul: l’Or Potable. Chacun sait que l’or potable, or froid et liquide comme le vin, bu à certaine dose, combat toutes les maladies et en triomphe, est la santé même, la jeunesse perpétuelle, cela va sans dire, et ne serait pas moins que l’immortalité, si Paracelse, qui avait trouvé aussi l’or potable dans sa panacée, ne fût mort à trente-trois ou trente-cinq ans. Voisenon n’eut plus qu’une pensée, celle de voir ce magique abbé, et de l’attirer à son château. Désir insensé, monstrueux: car le Prométhée repoussait toute avance. Poursuivi par la faculté, cassé par le tribunal ecclésiastique, maltraité par la police, qui ne veut jamais qu’on fasse de l’or, il avait renoncé, dans sa misanthropie sauvage, à soulager l’humanité aux dépens de son repos et de son salut. Terrible perplexité de l’asthmatique Voisenon, qui ne se mit pas moins en campagne pour découvrir le grand médecin.

Où trouver un sorcier à Paris? à qui s’adresser décemment? à quelle catégorie de profession? Il y a tant de gens prêts à rire des choses les plus respectables! Toutes les fois que Voisenon coudoyait, aux Tuileries ou au Palais-Royal, une soutane en lambeaux, il s’imaginait avoir heurté son homme. Aussitôt il entrait en conversation, cherchait à lier connaissance, et il palpitait d’espérance jusqu’au moment où l’erreur se dévoilait. Il se désolait alors de nouveau, toussait et recommençait le lendemain ses voyages à la découverte de l’or potable. Il eut un jour une soudaine illumination. Puisque l’archevêque de Paris a censuré la conduite de l’abbé que je cherche depuis si long-temps, se dit-il, l’archevêque doit savoir où il est logé. Comme si les sorciers étaient logés! Dans la même journée, il parut à la chancellerie de l’archevêché. Si l’on demandait pourquoi Voisenon ne disait pas aux personnes qu’il interrogeait le nom de cet introuvable abbé, c’est qu’il ne savait pas ce nom. Les magiciens ne se font guère connaître que par leurs œuvres. Cependant il allait bientôt le savoir, à sa grande, à son indescriptible joie. Après quelques recherches faites dans les registres de la chancellerie épiscopale, on lui apprit que l’abbé, déplorable sujet à tous les titres, s’appelait Boiviel, et logeait, au moment des poursuites exercées contre lui, rue de Versailles, au faubourg Saint-Marceau. Voisenon y était déjà. Quelle rue que la rue de Versailles! elle est épouvantable aujourd’hui; et pourtant elle s’est considérablement embellie depuis le dix-huitième siècle.