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Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II

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Et le roi, que dit-il? le roi ne dit rien.

Ainsi finit madame de Montespan, maîtresse de Louis XIV, mère du duc d’Antin, le possesseur du château de Petit-Bourg.

Pétillant d’esprit, d’une figure remarquablement belle, homme de cour comme peu l’ont été, infatigable à tous les exercices comme à tous les jeux, il avança assez vite sur le chemin de la fortune, dès que sa mère eut cessé de vivre. Jusqu'à ce moment, il avait trouvé dans madame de Maintenon un invincible obstacle aux projets de son ambition. Il mit adroitement à profit sa position qu’aucun interdit ne gênait plus. Le maréchal de Villeroi, chez lequel le roi avait l’habitude de s’arrêter, était sous le coup de la disgrâce. Son château, un des beaux monumens de la splendeur seigneuriale, avait perdu la faveur des royales visites. Pourtant, Louis XIV, déjà très-vieux, ne pouvait guère se rendre d’un trait à son palais de Fontainebleau; les carrosses, même ceux de la cour, n’avaient ni la souplesse ni la calme rapidité des voitures d’aujourd’hui; la route n'était pas celle qui s'étend maintenant, comme un seul pavé, des Tuileries à Orléans. Fontainebleau était aux déserts. D’Antin saisit le beau côté de l’empêchement. Son château de Petit-Bourg, placé entre Paris et Fontainebleau, offrait une étape naturelle à la course si longue et si difficile du roi. Avec beaucoup de modestie, avec peu d’espoir de voir accepter son offre téméraire, il lui fit proposer de vouloir bien s’arrêter à son château de Petit-Bourg, si, sur son passage, il n’en trouvait pas de plus dignes que le sien. Madame de Maintenon consultée, Louis XIV agréa la proposition du duc d’Antin, et il promit d’aller coucher au château de Petit-Bourg le 13 septembre. On était en 1707.

D’Antin perdit la tête quand il sut que le roi voulait bien descendre chez lui. Le roi et madame de Maintenon! c'étaient deux rois à loger, à fêter pendant tout un jour et toute une nuit. Comment être neuf dans cette circonstance? Comment éclipser les Condé et les Villeroi, ces princes qui s'étaient montrés d’une si ingénieuse magnificence chaque fois que Louis XIV avait honoré leurs châteaux de sa présence? On avait tant tiré de feux d’artifice chez Fouquet! on avait tant usé et abusé des promenades sur l’eau à Chantilly! D’ailleurs à Petit-Bourg le terrain par sa pente ne permet pas d’offrir de belles et limpides eaux à la proue d’une escadre dorée. D’Antin se rongeait les ongles. Se confier à quelqu’un, c'était admettre quelqu’un à partager le bénéfice de l’invention. Enfin, la muse des courtisans le visita: il eut une idée; et le jour de la visite arriva.

«Le roi partit de Versailles le 12 septembre, à midi, pour aller à Petit-Bourg. Dans son carrosse étaient madame la duchesse de Bourgogne, madame la duchesse de Lude, dame d’honneur, et madame la comtesse de Mailly, dame d’atour. Les gardes-du-corps, les gendarmes, les chevau-légers et les mousquetaires gris et noirs étaient disposés sur la route par escadrons.

»A Juvisy, le roi fit très-obligeamment arrêter son carrosse pour recevoir des corbeilles de fruits qui lui furent présentées par M. le président Portail, qui a une maison en ce lieu-là. Sa majesté reçut ces fruits avec la bonté qui lui est naturelle, dit le Mercure galant, que nous citons, et elle les présenta elle-même à madame la duchesse de Bourgogne et à Madame. Ces corbeilles étaient accompagnées d’autres rafraîchissemens dont sa majesté remercia M. Portail. Avant que d’arriver à Petit-Bourg, elle fut rencontrée par M. le marquis d’Antin, qui était venu pour la saluer sur la route, et qui reprit les devans pour la recevoir à Petit-Bourg. Sa majesté y arriva à quatre heures, et entra dans l’appartement que ce marquis lui avait fait préparer; elle le trouva fort beau. Au retour de la promenade, le roi travailla jusqu'à l’heure du souper, qui fut servi par les officiers de sa majesté, qui s’y étaient rendus la veille. Toutes les tables tinrent comme à Versailles, et furent servies de même. Les gardes-du-corps ne manquèrent de rien, et les gardes françaises et les Suisses ne purent vider tous les tonneaux de vin qu’on leur distribua.»

Telle est la manière sèche et officielle dont le Mercure galant de septembre 1707 rend compte de la visite de Louis XIV au château de Petit-Bourg. Il est d’autres mémoires du temps, et ceux de Saint-Simon ne doivent pas être omis, qui parlent de l’honneur fait au duc d’Antin en termes plus étendus: nous n’avons pas manqué d’y puiser.

Quelques heures avant l’arrivée de Louis XIV au château de Petit-Bourg, le duc d’Antin fut frappé d’une pensée qu’il aurait pourtant dû avoir avant ce moment extrême. Le désespoir le saisit, sa raison s'égara, il sentit ses idées se brouiller dans sa tête, quand il n’avait peut-être jamais eu un besoin si grand de sang-froid, de contenance et de dignité. Il était un homme perdu, déshonoré, ridiculisé pour tout le reste de sa vie. Quelle était donc l’erreur où il était tombé? Quel oubli irréparable avait-il donc commis? Son oubli était, en effet, un crime pour un courtisan et un courtisan aussi délié que lui, sur le point de ressaisir la faveur du roi et celle de madame de Maintenon. Lui, qui avait donné à son château une forme si nouvelle, afin d'être récompensé d’un sourire de Louis XIV, lui, qui avait choisi grain à grain le sable où la cour passerait, lui, homme d’esprit, n’avait pas remarqué, jusqu'à ce moment fatal, que le chiffre du roi et de sa mère, madame de Montespan, était gravé, incrusté, peint partout. Ces deux lettres, L M, arrêtaient le regard, à quelque endroit qu’il se portât. Comment les faire disparaître? Elles brillaient aux panneaux des portes, sur le marbre des cheminées, au dos des fauteuils. Et madame de Maintenon allait voir ces terribles emblèmes, témoignages de la passion de Louis XIV pour une autre femme qu’elle! A ce spectacle si honteux pour elle, nul doute qu’elle remonterait en carrosse et partirait, furieuse, pour Fontainebleau. Quelle vengeance ne tirerait-elle pas d’un tel affront, qu’elle supposerait avoir été long-temps calculé par le fils de madame de Montespan? D’Antin se voyait à la Bastille ou au fond d’un cachot d’une prison d'état. Pourtant les heures s'écoulaient, déjà des mousquetaires caracolaient devant les grilles. D’Antin n’avait plus qu'à se noyer dans la Seine, tandis que le roi arrivait à Petit-Bourg par la route de Fontainebleau. Avant de se noyer, d’Antin voulut cependant tuer son intendant, en raison de ce principe qui veut qu’un intendant ait toujours moins d’esprit que son maître, quand il advient au maître d’en avoir, et qu’il soit plus sot que lui, lorsque le maître commet une sottise. Je le tuerai, criait-il en promenant ses mains irritées sur le chiffre entrelacé du roi et de sa mère: je le tuerai! n'était-ce pas à lui à remarquer, à effacer, à pulvériser ces emblèmes qui seront ma ruine et ma mort? Décidément, je le tuerai.

L’intendant fut appelé.

– Monsieur, lui dit le duc d’Antin, vous êtes un misérable.

– Monseigneur…

– Vous êtes un insensé!

– Mais, monseigneur, en quoi?

– Vous méritez un châtiment.

– Que je sache du moins…

– Eh! quoi, vous avez laissé subsister ces chiffres, quand le roi doit se rendre ici?

– Je pensais, monseigneur…

– Vous pensiez! vous ne savez donc pas?.. Faut-il que je vous apprenne que madame de Montespan fut autrefois distinguée par le roi?

– Je ne l’ignorais pas, monseigneur.

– C’est donc pour me nuire, me perdre, m’assassiner, que vous n’avez pas détruit ces chiffres?

– Pourquoi les aurais-je détruits?

– Il faut donc que je descende encore à vous dire que le roi a remplacé dans ses affections, où nul n’a le droit de pénétrer, madame de Montespan par madame de Maintenon?

– Je savais aussi cela, monseigneur, et je regrette une confidence semblable, puisqu’elle paraît tant vous affliger.

– Mais expliquez-vous, monsieur! puisque vous n’ignoriez aucun de ces faits, pourquoi ne m’avez-vous pas épargné la ruine dont je suis menacé?

– Monseigneur, répondit l’intendant, si j’ai conservé partout où il a été placé le chiffre de madame de Montespan et du roi, c’est que le nom de madame de Maintenon comme celui de madame de Montespan commence par un M. Le roi croira que c’est une des mille surprises que vous lui avez préparées. Il verra dans ce chiffre la première lettre de son nom et la première lettre du nom de madame de Maintenon, qui ne sera pas moins flattée de votre ingénieuse courtoisie. Voilà pourquoi je n’ai pas anéanti ces deux lettres qui vous ont tant causé de peine, monseigneur.

– Dès ce moment vos gages sont triplés, dit le duc d’Antin à son intendant. N’oubliez qu’une chose, c’est que je me suis mis en colère devant vous. Vous pouvez vous retirer, monsieur.

Ainsi que l’intendant l’avait prévu et si adroitement dit pour sa défense, le roi et madame de Maintenon prirent pour une délicieuse galanterie du duc d’Antin la répétition de leur chiffre semé avec tant de prodigalité autour d’eux.

Le roi et madame de Maintenon, au jour et à l’heure indiqués, vinrent donc à Petit-Bourg avec toute leur suite, leurs officiers, leurs gens et leurs carrosses.

La propriété était naturellement assez belle pour que le duc d’Antin n’eût pas eu, comme cela était à craindre, la triste fantaisie de faire planter des rosiers à la place de ses beaux chênes, et de dévaster ses parterres pour les remplir d’eau et de petits poissons. Le roi admira ce qui sera éternellement beau à Petit-Bourg (à moins que les chemins de fer ne veuillent le contraire), un parc superbement planté sur la crête d’un riche point de vue, et descendant, comme une décoration mouvante, jusqu'à la Seine, miroir de tant de beautés; un parc qui semble fait pour amuser le soleil, tant on lui a pratiqué de rues, de places, de portiques où courir, s'étendre et darder. En automne, il a des déclins inimaginables; il a des épanouissemens féeriques; il se fait à lui-même des illuminations sur son passage; tantôt il se montre rouge et découpé au ciseau au fond d’une lunette de verdure; tantôt il s’ouvre et s'élargit en teinte dorée derrière des branches qui flambent de clarté, comme des sarmens au feu, et les terrasses, toutes peuplées de blanches statues, et la Seine, la rivière royale, se colorent de la mélancolique garance de cette aurore boréale dont les oiseaux seuls, les moutons penchés sur les coteaux et les pâtres indifférens, ont le spectacle solitaire jusqu'à la première étoile.

 

Mais si le duc d’Antin eut le bon sens de ne vouloir inventer aucune rivière imprévue, aucun nouveau soleil, pas la moindre nature pour faire sa cour au roi, il jeta madame de Maintenon dans une vive surprise en l’introduisant dans l’aile du château qui lui était réservée.

A peine madame de Maintenon a-t-elle posé le pied sur la première marche, qu’elle croit saisir une ressemblance. Cet escalier est exactement le même que celui de Saint-Cyr, sa fondation orgueilleuse et chérie. C’est bien la même rampe en fer doré. Elle monte, redoublement de surprise: les portes d’appartement sont, comme à Saint-Cyr, toutes guillochées de dorures délicates, s’enlaçant en ceps de vignes sur un fond blanc et mat. Elle entre, mêmes cheminées en marbre pâle, mêmes flambeaux à branches élancées et courbées en rameaux. Cette première pièce ne diffère en rien de celle de sa maison religieuse. Nombre égal de petites et de grandes glaces; exacte tapisserie d’Aubusson, représentant, ainsi qu'à Saint-Cyr, l’histoire d’Esther et d’Assuérus. Madame de Maintenon, émerveillée, passe dans la pièce destinée à être sa chambre pour une seule nuit. L’enchantement continue. C'était à croire qu’une fée avait transporté de Saint-Cyr à Petit-Bourg les siéges, les tapis, les pendules, les tableaux, les livres; les livres même dont madame de Maintenon faisait sa lecture habituelle sont là; et rien qui trouble cette ressemblance magique: les livres ont le caractère extérieur, la forme distincte, la physionomie fatiguée, les plis, les taches des livres de Saint-Cyr. Elle les retrouve dans la position où elle les a laissés sur sa table de méditation. Elle s’assied, c’est son fauteuil; elle prolonge son regard, ce sont ses rideaux; elle l'élève, c’est le Christ d’ivoire au pied duquel elle prie. Pas une couleur, pas une nuance, pas un trait, qui soit une dissemblance. Elle sourit, et remercie le duc d’Antin, qui a pleinement réussi dans son miracle de courtisan.

Comme elle était arrivée de bonne heure au château de Petit-Bourg, elle put encore entendre la messe dans une galerie pratiquée près de sa chambre. Autre prévoyance pieuse du duc d’Antin. A Saint-Cyr, madame de Maintenon assistait à la messe dans une pareille galerie. L’attention la flatta extrêmement; et comme tout ce qui semblait lui plaire était du goût du roi, il n’y a pas de termes assez justes pour peindre le bonheur de leur hôte. Il n’est sorte d’amusemens qu’il ne leur procurât; et les amuser était très-difficile alors. Le roi et madame de Maintenon étaient déjà bien vieux. Cependant la musique, les promenades, les scènes de divertissement arrangées sur le passage de la cour, le plaisir des personnes de la suite, l’ordre qui accompagnait ces coups de théâtre calculés avec beaucoup d’art, parvinrent à distraire les royaux visiteurs, malgré leur âge, leur infirmité, leur profond ennui.

Lorsque le roi se fut retiré un instant dans l’appartement de madame de Maintenon, il fit appeler d’Antin, qui commençait à recevoir par la faveur de cette audience le prix de son zèle. Le duc profita de cette entrevue pour soumettre au roi le plan du château de Petit-Bourg. Tout fut approuvé par le roi, dont le goût était très-sûr et très-distingué en matière de jardins. Cependant il fit remarquer au courtisan respectueux qu’une longue allée de marroniers masquait la perspective précisément en face de la chambre qu’il occupait, lui, le roi, d’ailleurs ravi de tout le reste. L’observation fut accueillie par le duc d’Antin avec reconnaissance. Il convint que cette allée de marroniers n’avait pas été heureusement plantée.

Le lendemain matin, quand le roi s’approcha de la croisée, quel ne fut pas son étonnement!3 l’allée de marroniers avait disparu.

Le roi se montra fort touché des efforts que le duc avait faits pour lui rendre agréable son séjour au château; mais, toujours moqueuse malgré ses grands dehors de piété, madame de Maintenon dit à d’Antin, en présence des courtisans, au moment de quitter le château: «Il est heureux, monsieur le duc, que je n’aie pas déplu au roi; vous m’eussiez envoyée coucher sur le pavé du grand chemin.»

Ceci était peut-être de la jalousie: le duc d’Antin eut le tort de n’avoir pas deux allées de marroniers à abattre, une en l’honneur du roi, l’autre en l’honneur de madame de Maintenon.

Le célèbre jardinier Le Nôtre avait dessiné une grande partie des jardins de Petit-Bourg, à l'époque de l'élévation de madame de Montespan. Quel nom que celui de Le Nôtre! C’est le Louis XIV des jardins. Il n’est pas un château dont les échos ne répètent son nom; il mériterait une histoire.

La vie de Le Nôtre fut une des plus occupées, comme elle fut une des plus heureuses. Une fois couvert de la protection du roi, on se le disputa à la cour ainsi qu'à la ville pour avoir un parc dessiné par lui. Le frère du roi, le duc d’Orléans, l’employa dans ses jardins de Saint-Cloud; le prince de Condé lui commanda le tracé de ses parterres, les plus délicieux du monde, et la division de la forêt de Chantilly, le boudoir des forêts; il laissa aussi tomber sa règle et son compas sur les parcs de Villers-Cotterets, de Meudon, de Chaillot, de Livry et de Sceaux.

Voilà l’artiste; voici l’homme. Voulant connaître l’Italie, préjugé éternel de ceux qui vont chercher au loin des images et des pensées qu’ils ont chez eux et en eux, Le Nôtre alla à Rome pour y visiter les jardins dont on lui opposait la riche ordonnance. Son goût n’y puisa pas beaucoup; ses idées s’y agrandirent. Son voyage eût peu mérité d’occuper l’attention de ses biographes, sans la connaissance qu’il fit à Rome du chevalier Bernin, et sans sa présentation au pape Innocent XI, événement où la familiarité de son caractère se mit si singulièrement à nu, que cette présentation devint depuis un épisode de sa vie à raconter.

Au lieu de s’humilier avec une ferveur religieuse devant le chef de la chrétienté, Le Nôtre s'écria en sa présence: «Non, je n’ai plus rien à désirer, j’ai vu les deux plus grands hommes du monde, votre sainteté et le roi mon maître. – Il y a une grande différence, reprit le pape; le roi est un grand prince victorieux, et moi, je suis un pauvre prêtre, serviteur des serviteurs de Dieu; il est si jeune et je suis si vieux!» Encouragé à laisser parler son cœur, Le Nôtre frappa sur l'épaule d’Innocent XI, en lui disant: «Mon révérend père, vous vieux! Vous vous portez bien, et vous enterrerez tout le sacré collége.» Le mot fit rire le pape, au cou duquel Le Nôtre finit par sauter, tant était vive sa joie de pouvoir parler au pape comme il parlait à Louis XIV. Aussi libre au Louvre qu’au Vatican, Le Nôtre embrassait Louis XIV toutes les fois qu’il revoyait ce prince après quelque absence.

Le roi était du reste habitué depuis long-temps à cette familiarité de Le Nôtre. Lorsqu’il alla, pour la première fois, à Versailles, examiner les progrès des travaux, il s’arrêta devant les deux pièces d’eau qui sont sur la terrasse. Le Nôtre fut complimenté. L'éloge enhardissant celui-ci, il confia au roi son projet de construire la double rampe, différens bosquets et une foule d’autres parties exécutées plus tard. Émerveillé des vues de Le Nôtre, le roi lui coupait à chaque instant la parole pour lui dire: «Le Nôtre, je vous donne vingt mille livres.» A la quatrième interruption, Le Nôtre se tourna brusquement et dit au roi: «Sire, votre majesté n’en saura pas davantage, je la ruinerais.»

A quatre-vingt-cinq ans, sentant ses facultés s’affaiblir, et voulant, comme cela se disait alors, s’occuper de son salut, il demanda sa retraite, que Louis XIV ne consentit à lui accorder qu'à la condition qu’il se présenterait de temps en temps à la cour.

Un peu avant sa mort, étant allé à Marly pour se promener sous les allées qu’il avait plantées dans sa jeunesse, il y rencontra le roi monté dans sa chaise couverte traînée par des Suisses. Louis XIV exigea que Le Nôtre montât à côté de lui dans une chaise à peu près semblable. L'émotion étouffait le vieux jardinier; ayant aperçu Mansart, le surintendant des bâtimens, qui marchait à pied à quelque distance, il s'écria, les yeux pleins de larmes: «Sire, en vérité, mon bonhomme de père ouvrirait de grands yeux, s’il me voyait dans un char auprès du plus grand roi de la terre. Il faut avouer que votre majesté traite bien son maçon et son jardinier.»

Sorti de la classe la plus obscure, il s'éleva, par son génie, sa belle conduite et la pureté de ses mœurs, au grade de chevalier de l’ordre du roi, de contrôleur des bâtimens de sa majesté et dessinateur de tous ses jardins.

Les honneurs n’altérèrent jamais la naïveté de sa bonne nature. Louis XIV lui ayant accordé, en 1675, des lettres de noblesse et la croix de Saint-Michel, il voulut aussi lui donner des armes. «Sire, dit-il, j’en ai déjà: trois limaçons couronnés d’une pomme de choux.» Ajoutant: «Pourrais-je oublier ma bêche? Combien doit-elle m'être chère! N’est-ce pas à elle que je dois les bontés dont votre majesté m’honore?»

Il mourut à quatre-vingt-huit ans.

Quoique Louis XIV aimât passionnément l'étiquette, il était heureux dans beaucoup d’occasions de ne revêtir que le simple costume de marquis de cour et de se promener sans le cortége solennel des gentilshommes de sa maison. A la campagne surtout, il tenait à jouir de cette liberté si précieuse. Dès qu’on devinait son désir d'être seul, on restait peu à peu en arrière, on s’arrêtait par petits groupes; enfin, on le laissait isolé sur le chemin de sa promenade. Le jour de sa visite à Petit-Bourg, il sembla manifester l’intention de parcourir sans le fastueux embarras de sa suite les diverses parties de la propriété du duc d’Antin. Aussitôt ses officiers se retirèrent, se repliant vers le château, où, parmi les divertissemens infinis préparés pour eux par le duc, les tables de jeu, on le suppose, n’avaient pas été oubliées.

Grand amateur de jardins, Louis XIV s’arrêta au milieu des potagers de Petit-Bourg, qui devaient leur célébrité aux soins d’un horticulteur de génie, d’un homme dont le nom est resté, comme celui des peintres et des sculpteurs illustres du même temps. Ce jardinier, fécondé par un regard de Louis XIV, était La Quintinie, qui devait le premier perfectionner en France la culture des fruits et des légumes, et asseoir son illustration à côté de celle de Le Nôtre.

Jean de La Quintinie débuta par être avocat à Paris, où il était venu de Poitiers, son berceau natal. Il obtint même de grands succès au barreau, avant que des rapports de profession ne le fissent connaître de M. de Tambouneau, président en la chambre des comptes, au fils duquel il fut attaché en qualité de précepteur. Dans Virgile, qu’il expliquait à son élève, il admirait moins une poésie tendre et délicate qu’il ne tenait compte des préceptes de jardinage dont il abonde. La description de la tempête dans l'Enéide le laissait froid, tandis qu’il suivait avec passion la manière d'élever les abeilles dans les Géorgiques. Grâce aux vastes propriétés de son protecteur, M. de Tambouneau, il eut la facilité de résoudre par la pratique ses théories horticulturales. Il planta, sema, greffa avec une liberté si illimitée et si heureuse, qu’il en oublia le barreau pour écrire un livre où puiseront éternellement les faiseurs de traités du jardinage et de manuels de l’agriculteur. Ce livre fut intitulé: Les Instructions pour les jardins fruitiers et potagers. Il lui attira d’unanimes éloges, et lui valut la gloire d’avoir pour élève en jardinage le grand Condé, nom illustre, toujours resplendissant à côté de celui de Louis XIV, toutes les fois que la postérité reconnaissante se souvient d’un encouragement accordé aux artistes du dix-septième siècle. De La Quintinie donna aussi à Londres des leçons de son art au roi d’Angleterre; à son retour en France, il entretint avec des seigneurs anglais une correspondance rendue publique après sa mort.

 

Quand la réputation de La Quintinie fut consacrée par de beaux travaux, Louis XIV, qui avait l’instinct de ne jamais laisser s'égarer une supériorité à l'étranger, alla chercher cet homme, dont tout le mérite était de donner une saveur plus douce à une pomme ou à une cerise, un éclat plus vif à une rose, et quelques feuilles de plus à un œillet, seules fleurs, pour le dire en passant, que la botanique du temps daignât remarquer; et il créa en sa faveur une charge de directeur-général de tous les jardins fruitiers et potagers de toutes les maisons royales. La Quintinie fit produire à Versailles des fruits et des légumes dont l’excellence ne fut pas seulement appréciée de Louis XIV; après avoir orné la table de tous les successeurs du grand roi, ils sont encore de nos jours en haute estime à la cour du roi régnant.

Au retour de son excursion dans le verger, le roi ne manqua pas de remercier le duc d’Antin d’avoir fait contribuer aux travaux d’utilité et d’embellissement de Petit-Bourg ceux dont il avait le premier découvert et honoré le mérite. Autant Louis XIV était jaloux de la gloire téméraire des courtisans qui, avant lui, mettaient en lumière le talent d’un homme supérieur, autant il aimait qu’on ratifiât les arrêts de son goût en employant les artistes de sa prédilection particulière. Ainsi on s’explique pourquoi on rencontre dans tous les châteaux de quelque valeur les ouvrages des sculpteurs et des peintres qui ont orné Versailles, Marly, Fontainebleau et les autres demeures royales. Il est inutile de faire remarquer que ces artistes célèbres multipliaient leurs tableaux et leurs statues autant dans le but de doubler les échos de leur renommée que pour élever les avantages acquis à leur position.

Le roi éprouva une nouvelle satisfaction en voyant les statues placées sur son passage. C'était encore un hommage rendu à son discernement. Les frères Keller les avaient signées, et l’on sait que la part prise par les frères Keller aux ornemens de Versailles est immense. Il est peu de bassins pour lesquels ils n’aient fondu quelque divinité accroupie, versant des nappes d’eau de son urne inclinée. Quoiqu’ils eussent à maîtriser des matières aussi rebelles que le bronze et le fer, ils parvinrent à des résultats incroyables de perfection, et avec des procédés bien moins sûrs que ceux d’aujourd’hui. Il est douteux que les sculpteurs qui leur confiaient leurs modèles eussent poussé aussi loin qu’eux la correction unie à la vérité des mouvemens, et la science des muscles, sans tomber dans la sécheresse de la dissection. Ils jouèrent avec le feu et le cuivre liquide comme les figurations pétries avec ce bronze figé jouent avec l’eau. Toutes ces allégories humides, qui représentent les principaux fleuves du royaume, la Garonne, la Dordogne, la Seine, la Marne, se fondent avec une harmonie grave dans le plan sévère du parc; elles y sont mieux à leur place, si on ose le dire, que de frileuses statues si malades d'être nues. Le bronze est d’une nudité moins absolue que le marbre, et il va bien à notre ciel sans soleil et sans lune: ciel aveugle.

Nés à Lyon l’un et l’autre, les frères Keller moururent tous les deux à Paris.

On a d’eux à Versailles:

Dans le parterre d’eau, Bacchus, Apollon, Antinoüs, Silène; ensuite, et placés au bassin à droite dans le parterre d’eau, la Garonne, la Dordogne, la Seine, la Marne et quatre nymphes; placés dans le bassin à gauche, toujours dans le parterre d’eau, le Rhône, la Saône, la Loire et cinq nymphes. Ils fondirent encore, sur la composition de Vanclère, un lion sur un lion; et, d’après de Raon, un lion sur un sanglier. Ces deux groupes sont aussi dans un des bassins du parterre d’eau.

Les frères Keller reproduisirent, dans les châteaux des riches favoris de Louis XIV, leurs principaux ouvrages, mais sur une échelle moins royale et moins coûteuse.

Louis XIV poursuivait ainsi sa promenade au milieu des travaux pleins de goût semés avec intelligence sur la riche surface du château de Petit-Bourg, s’admirant dans les efforts de ses favoris, qui le prenaient en tout pour exemple et pour guide, s’applaudissant de reconnaître, quelque endroit où il allât, la superbe influence de Versailles et de Fontainebleau. Mais tout-à-coup son orgueilleuse préoccupation est absorbée; il s’arrête en face d’une statue qui se dresse au point final d’une allée du parc. Ses sourcils se froncent, il penche la tête tantôt à droite et tantôt à gauche, il s’avance, il recule, il avance encore; sa canne à pomme d’or est posée perpendiculairement près de son œil droit, tandis que sa main gauche parée de dentelles ne cesse de s’agiter en manière d'étonnement. Cette scène muette se prolonge jusqu’au moment où le roi, ayant acquis la certitude qu’il a raison, se prend à dire à haute voix: Cette statue est fort belle; c’est un Girardon admirable; mais elle n’est pas d’aplomb! non, elle n’est pas d’aplomb! elle penche vers la droite. Comment le duc d’Antin ne s’en est-il pas aperçu? Allons lui en faire la remarque. Allons!

D’aussi loin que Louis XIV, fier de sa découverte, reconnut le duc d’Antin, qui se promenait au haut de la terrasse et causait avec des seigneurs de la cour, il lui fit signe de venir au plus vite. Les groupes de seigneurs et d’Antin se hâtèrent d’accourir vers le roi, dont ils auraient voulu deviner la pensée; en un instant ils l’entourèrent.

– Messieurs, leur dit le roi en se dirigeant du côté de la statue de Girardon, vous allez me dire votre opinion avec franchise, comme vous la dites toujours. Nous avons une observation critique à adresser indirectement à M. le duc d’Antin, parmi les grands éloges dus à l’excellente ordonnance de sa propriété.

– Sire, je me condamne d’avance, répondit le duc.

– C’est ce que je ne vous demande pas, monsieur le duc. Je vous récuse, s’il vous plaît.

– Sire, je me tairai.

On était arrivé devant la statue de Girardon.

Le roi fit quelques pas, et se tournant ensuite vers les courtisans respectueusement attentifs: Messieurs, le socle de cette statue vous semble-t-il en parfait équilibre?

Les personnes consultées par le roi, après avoir regardé long-temps et minutieusement la statue, ne rompaient pas le silence.

– Vous ne répondez pas, messieurs! me serais-je trompé? Cependant mon coup d'œil a été sûr plus d’une fois. Regardez mieux, je vous prie, votre complaisance m’obligera.

Obéissant au désir du roi, les courtisans recommencèrent, à de nouveaux points de vue, à des distances diverses, leur premier examen, trouvé insuffisant.

– Eh bien! messieurs! toujours le même silence? Je suis donc condamné? Je vous rends votre liberté d’opinion, monsieur le duc. Vous-même, dites-nous ce que vous pensez de la position de cette statue, qui nous avait paru pencher vers la droite.

– Sire, puisque vous me permettez de parler, j’oserai dire que j’ai le tort de ne pas voir comme votre majesté en ce moment. Le faune de Girardon me semble, sauf le respect que je professe, sire, pour votre avis, être perpendiculaire à la ligne horizontale du terrain. Me sera-t-il permis à cette occasion de faire remarquer à votre majesté que la courbure du sol au sommet de cette allée du parc peut causer l’erreur? Le socle est posé sur une surface courbe.

– J’admets, monsieur le duc, votre objection; mais je persiste dans mon sentiment, malgré le côté sensé d’une remarque que j’avais déjà faite. Pour terminer le différend, voulez-vous, messieurs, que l’architecte de M. le duc d’Antin soit juge entre nous? L’acceptez-vous pour arbitre?

– Votre majesté s’est déjà montrée vraiment trop généreuse en daignant mettre en balance son opinion et la nôtre.

– Monsieur le duc, il nous serait agréable que vous fissiez appeler céans votre architecte, s’il est ici. Nous attendrons.

Après s'être incliné, le duc d’Antin remonta avec empressement l’allée qui conduit au château.

3On a vu que cette tradition d’allée de marroniers coupés en une nuit se retrouve à peu près dans tous les châteaux honorés d’une visite royale. C’est au lecteur à raisonner son opinion et à décider si le fait est plus acceptable cette fois que les autres.