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Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I

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Pendant le trajet j’ouvris un petit livre précieux de vétusté que j’avais porté avec moi en venant à Chantilly; j’en fis tout haut la lecture à mon compagnon. C’est sous ce titre qu’il parut en 1688: La Feste de Chantilly, contenant tout ce qui s’est passé pendant le séjour que monseigneur le dauphin y a fait, avec une description exacte du château et des fontaines.

Par ce récit très-consciencieux, trop consciencieux souvent, d’une fête donnée à un fils de France, on voit ce qu’était le vieux château de Chantilly avant d’avoir été renversé par la révolution, et l’on a une idée exacte de la vie intérieure des grands au dix-septième siècle.

«Monseigneur partit de Versailles le dimanche 22 d’aoust, et arriva dans la forest de Chantilly par le chemin de Lusarche. M. le duc et M. le prince de Conty le reçurent au bout de la forest, vers le milieu de la vieille route. Comme c’estoit le lieu où monseigneur devoit chasser, M. le prince y estoit pour lui faire commencer la chasse. Il prit ce divertissement jusqu’à cinq heures du soir, et le plaisir qu’il y trouva fut d’autant plus grand, qu’il vit s’élever quantité de perdreaux et de faisandeaux. Ce fut le premier plaisir que monseigneur prit en approchant de cette délicieuse maison de Chantilly. Il alla jusques au lieu nommé la Table, qu’on dit estre justement au milieu de la forest, toujours accompagné de M. le prince. La figure de ce lieu est ronde; il a vingt-trois toises de diamètre et est partagé en douze routes qui ont pour centre le point du milieu de cette place. Elles sont toutes bordées de charmilles et ont chacune cinq toises de large et environ une lieue de long. Dans le milieu de ce rond on avoit eu soin d’élever une feuillée, dont la forme suivoit le mesme plan. Elle estoit de sept toises et demie de diamètre, et élevée sur une estrade de cinq pieds de haut. Cette feuillée estoit percée de douze portiques qui aboutissoient à chacune des douze routes dont je viens de vous parler. La corniche estoit saillante en dehors ainsi qu’au dedans. Tout le dôme, les cintres, les pilastres et les appuis estoient recouverts de feuilles de chesne. Des branches de genièvre formoient les balustrades. Tous les portiques estoient ornez de gros festons de feuilles de chesne et de bouquets de fleurs. La table où la collation fut servie estoit au milieu de cet édifice. Une grande corbeille d’argent en occupoit le point du milieu. Elle estoit soutenuë sur douze consoles à jour de vermeil doré qui répondoient à chacune des douze arcades. Ces douzes consoles estoient jointes les unes aux autres avec des guirlandes de fleurs, et portoient chacune deux petites corbeilles d’argent remplies de fruits. La grande du milieu l’estoit de fruits et de fleurs.

»On mit sur cette table le couvert de monseigneur, vis-à-vis le milieu de la route qui va à Chantilly. Tout le pourtour de cette place, de vingt-six toises de large, estoit de treillage de feuillée.

»Monseigneur entendit en arrivant un concert de timbales et de trompettes qu’on avoit postez dans le bois. Ce prince trouva tout le dedans du dôme vide, et la table servie de vingt-quatre bassins de rost et de quatre plats d’entremets autour de chaque bassin, ce qui faisoit six-vingts plats. Ce prince arriva dans l’instant qu’on venoit de poser le dernier plat chaud sur la table. Comme il n’y avoit que le couvert de monseigneur, il ordonna qu’on en mist d’autres, et la table en fust aussitost garnie; mais on n’en mit point vis-à-vis de ce prince. M. le prince, M. le duc et M. le prince de Conty furent placés à costé de monseigneur, et les seigneurs de sa suite occupèrent le reste des places. On releva les entremets chauds pour en mettre de froids. Je n’entre point dans le détail des fruits et des confitures, cela iroit à l’infiny. Je vous diray seulement que dans les flancs des corbeilles ovales estoient de riches cuvettes remplies de toutes sortes de liqueurs. Ces cuvettes estoient accompagnées de soucoupes garnies de glaces et de quantité de verres à liqueur de différentes manières. Un moment après que l’on eut servy le fruit, le bruit de guerre, formé par les trompettes et par les timballes, cessa tout-à-coup, et dans le même instant on entendit dans la route qui estoit vis-à-vis monseigneur une harmonie de hautbois, de flûtes, de musettes et de divers autres instrumens champestres. On l’écouta quelque temps sans voir rien paroistre, et tout estoit si bien concerté qu’il n’y avoit pas une seule personne dans la route, qui devoit estre remplie un instant après. L’harmonie ayant diverty les oreilles pendant quelque temps, on aperçut de loin le dieu Pan, qui estoit suivy par quatre-vingt-dix faunes, sylvains, satyres et autres divinitez, qui ont accoutumé d’accompagner ce dieu dans les bois.

»Toute cette troupe parut d’abord à un demy-quart de lieue de la table, et on ne se mit en marche qu’après que monseigneur eut eu le temps de la remarquer. Le dieu Pan, que l’on voyoit à la teste, estoit représenté par M. de Lully, surintendant de la musique du roy, qui battoit la mesure avec son thyrse. Il estoit suivy de vingt-quatre satyres et de toutes les divinitez qui habitent les forests. On entendoit des hautbois et plusieurs autres instrumens champestres, au son desquels se faisoit la marche. Les danseurs, au nombre de vingt et un, qui avoient tous des massues, estoient montés sur les épaules les uns des autres et formoient des groupes surprenans. Ils estoient suivis de cinquante-un musiciens qui portoient, chacun sur leur teste, une corbeille remplie de fruits peints, représentant des fruits de bois, comme pignons, pommes de pin, gourdes, et autres qui ne sont connus que parmy les satyres. Ils tenoient chacun une branche de chesne. Quand chacun eut pris sa place, les satyres firent une danse fort extraordinaire. Elle plut beaucoup à monseigneur et receut de grands applaudissemens. Cette danse, qu’on pourroit nommer un petit ballet, estant finie, les musiciens avancèrent vers l’escalier, qu’ils montèrent sur deux lignes au son des instrumens, et lorsqu’ils furent arrivez sur l’estrade, ils se séparèrent les uns à droite et les autres à gauche, de manière qu’ils entourèrent la table. Les hautbois parurent ensuite, et les danseurs montèrent ensemble. Ceux-ci, s’estant pris par la main, dansèrent autour de monseigneur. Pendant qu’on dansoit autour de la table, les musiciens descendirent par un escalier qui estoit derrière monseigneur, et se rendirent dans une allée que l’on voyoit à costé de celle par où tout ce divertissement estoit venu. Ils y trouvèrent les piqueurs endormis avec leurs chiens. On entendit alors toute la forest retentir du bruit de ces paroles:

 
Debout! Lysiscas, holà! debout!
Pour la feste ordonnée
Il faut préparer tout!
 

Les piqueurs se levèrent, et après avoir fait toutes les actions qui pouvoient marquer qu’ils estoient profondément assoupis. On entendit ensuite un grand bruit de cors, et dans cet instant un cerf ayant traversé la route à la vue de monseigneur, ce prince s’écria comme souhaitant d’avoir des chiens. Dans le mesme temps on vit paroistre une meute que l’on découpla après le cerf. Monseigneur, voyant que les chiens chassoient si bien, témoigna estre fasché de n’avoir des chevaux que pour tirer au volant. En ce moment, on en vit paroistre d’autres, sur quoy ce prince monta pour suivre la chasse avec tous les seigneurs qui l’accompagnoient. Il courut le cerf, qui fut pris dans l’étang de Cormeille, après l’avoir couru environ une heure.

»Cette chasse estant finie, monseigneur prit le chemin du chasteau et dit qu’il avoit pris beaucoup de plaisir. Les airs estoient de M. Lully le cadet, surintendant de la musique du roy, et toute la danse de M. Pécourt, danseur ordinaire des ballets. Les habits des faunes et sylvains estoient faits sur les dessins de M. Berrain, dessinateur ordinaire du cabinet du roy, ainsi que toute la feuillée.

»Monseigneur arriva à Chantilly par l’une des grandes routes de la forest, au bout de laquelle on trouve une grande demy-lune par laquelle on entre dans une avant-cour qui n’est pas encore entièrement achevée; elle est toute entourée d’eau, et située entre un étang nommé l’étang de Sylvie et le grand chasteau. On voit deux pavillons à droite et à gauche du pont-levis. Cette demy-lune aboutit à un fer-à-cheval par lequel on monte sur une grande terrasse, au milieu de laquelle est une statuë équestre de bronze du dernier connestable de Montmorency. Cette statuë se trouve vis-à-vis de l’entrée du grand chasteau. C’est un édifice fort ancien et très-irrégulier, assis sur une roche, au milieu de grosses sources qui forment un grand fossé. Cependant plusieurs grosses tours ne laissent pas de le rendre très-agréable à la vuë. M. le prince fait travailler présentement à rendre le dedans de la cour régulier, et à donner au dehors une face toute nouvelle, soit par l’ouverture de trois rangs de fenestres, et deux grands balcons qui régneront tout autour du château, soit par les combles, qui seront tous d’égale hauteur, et à la mansarde. A costé gauche du fer-à-cheval est un grand logement détaché du chasteau, dont le rez-de-chaussée est à fleur d’eau du grand fossé. C’est dans ce lieu où le logement de monseigneur avoit esté marqué, de mesme que celui de madame la duchesse et de madame la princesse de Conty, la douairière. Ce second chasteau avoit esté autrefois basti par M. de Montmorency, et on l’appeloit la Capitainerie. Les ornemens de dehors sont des pilastres d’ordre corinthien. Ils composent la porte d’entrée de la cour et la façade du costé du petit parterre. Tout le retour est soutenu d’un grand balcon en manière de fausse braye. Le logement d’en bas du petit chasteau est composé de deux appartemens dont la salle est commune à l’un et à l’autre. Cette salle est ornée de tableaux représentant les plus belles maisons de campagne de Paris. Toutes les pièces des deux appartemens auxquels elle sert de communication sont ornées d’autres tableaux représentant diverses fables de l’antiquité; en sorte que l’une des chambres fait voir l’histoire de Vénus, une autre celle de Diane, une autre celle de Flore, une autre celle de Bacchus, et une autre celle de Mars.

 

»Toutes ces chambres, qui sont percées en enfilade, règnent le long du balcon en fausse braye dont on a parlé, et aboutissent à un grand salon en retour. Tout cet espace est remply de diverses fables curieuses, de bustes avec leurs gaines et de meubles très-singuliers. Outre cela, il y avoit plusieurs tables pour toutes sortes de jeux. De ce logement, lorsqu’on a passé par un vestibule qui est ouvert par deux grandes arcades du costé de la cour et du petit parterre, on monte dans l’appartement qui est au-dessus et qui se trouve situé en plain-pied au rez-de-chaussée de la cour du grand chasteau, auquel il est joint par un pont qui traverse le grand fossé. Cet appartement est composé d’un grand salon qui n’est pas encore entièrement fait. De ce salon, on entre dans une grande antichambre après laquelle il y a un cabinet, dont la vue donne d’un costé sur les jardins et de l’autre sur une grande pelouse qui borde la forest. Après ce cabinet, on en trouve deux autres de moindre grandeur. L’un donne entrée dans une galerie qui est percée du costé de la forest. On voit dans cette galerie des tableaux représentant, chacun par ordre des temps, une campagne de feu monsieur le prince. La principale action de la campagne, soit siége ou bataille, peinte en grand, occupe le milieu du tableau. Les autres actions de la mesme campagne sont peintes en petit tout autour dans des cartouches. Le premier tableau représente la campagne de 1643, c’est-à-dire la bataille de Rocroy. Dans le second tableau est représentée la campagne faite en Allemagne en 1644. Les combats donnés devant Fribourg, les cinquième et dixième aoust, sont peints dans le milieu, avec les retranchemens de l’armée bavaroise qui furent forcez par celle que commandoit feu M. le prince, alors duc d’Anghien. Dans un grand cartouche, au bas est le plan de Philipsbourg; dans les six cartouches qui sont au costé droit du tableau sont représentez Oppenhein, Beingen, Lichtnau, Dourlach, Mayence et Landau. Dans les six du côté gauche, on voit Worms, Spire, Creustzenach, Bacharach, Neustad et Baden. Au troisième tableau, qui représente la campagne de 1645, est la bataille de Norlinguen, donnée le 3 aoust, entre l’armée du roy, commandée par M. le prince, et celle de l’empereur. Le quatrième tableau fait voir la campagne de 1646; au milieu est la ville de Dunkerque, et à droite et à gauche on voit d’autres actions qui regardent le siége de la mesme ville. Les autres campagnes doivent estre peintes sur d’autres tableaux pareils dont les places sont marquées dans la mesme galerie, mais qui ne sont pas encore dessinez.

»Tout cet appartement estoit éclairé par un nombre infiny de lustres et de girandoles de cristal. Lorsqu’on eut soupé, monseigneur tint appartement. Après vous avoir fait une description des deux chasteaux, je crois vous devoir parler, non pas de toutes les beautez des jardins, car je ne vous en entretiendray qu’à mesure que je vous parleray des promenades qu’y fit monseigneur, mais de ce qu’ils offrent à la vue de ceux qui sont dans les appartemens. En arrivant sur la terrasse, où je vous ay dit qu’estoit la figure du grand connestable de Montmorency, on découvre un grand escalier, au bas duquel est un grand rondeau, et au milieu de ce rondeau une gerbe de plusieurs tuyaux. Au-delà de ce rondeau on découvre un grand parterre séparé en deux parties par la croisée du grand canal. Il y a cinq grandes pièces d’eau dans l’une et l’autre partie, et chacune de ces pièces d’eau a un jet d’eau. Ces deux parties sont soutenues d’une grande allée d’ormes en terrasse avec des ifs et des piceas entre deux. Au-delà du grand canal est un demy-rond qui ferme la croisée, et dont il s’élève insensiblement jusqu’au haut de la coste une espèce de fer-à-cheval qu’on appelle Vertugadin.

»Le lundy, monseigneur alla courir le loup aux environs d’un village appelé la Chapelle; et au retour de la chasse, ce prince entra dans son appartement, d’où il sortit quelque temps après pour prendre après le plaisir de la promenade.

»Il traversa le petit parterre, et, ayant passé le grand fossé sur un pont de bois, il trouva à sa gauche un grand parterre, enfermé, d’un costé du fossé, de l’orangerie, et de l’autre d’une galerie et d’un canal. Ce parterre est entouré d’orangers parfaitement beaux.

»On y voit cinq pièces d’eau avec leurs jets. Celle du milieu a pour pied l’Hydre, dont chaque teste vomit une quantité prodigieuse d’eau. On y voit aussi la fontaine des Grenouilles; elle est située dans un triangle au-dessous de la terrasse du grand fossé du chasteau. Entre cette terrasse, le canal du Dragon, et le petit bois de Chantilly, qui est à costé du parterre de l’orangerie. Le Dragon est une manière d’animal marin qui paroist sortir de dessous la terrasse du fossé. Il vomit l’eau de la décharge de ce fossé dans une coquille, qui retombe dans un canal qui est le long d’un des costez de la pièce où est la fontaine des Grenouilles. On descend dans le parterre par un escalier de quatre ou cinq grandes marches fort grandes et fort belles. Aux deux costez de cet escalier sont des nappes d’eau perpétuelles, grandes, belles et bien fournies, qui tombent dans de grands bassins quarrez, avec des bouillons et bruits d’eau. Dans ce mesme parterre sont quatre grands piceas, dont le moindre a plus de soixante pieds de haut. Du costé du canal, l’allée est garnie de platanes, dont le plus vieux a plus de cent cinquante ans. Cet arbre est fort rare en France; sa feuille est à peu près comme celle de vigne, et il se dépouille tous les ans de son écorce. De ce parterre, monseigneur entra dans une isle par un grand portique de treillage. A costé de cette isle on en voit une autre plus petite. Elles sont partagées par trois canaux. La grande est ornée de plusieurs allées, de grandes palissades, de deux grosses fontaines enfermées dans des portiques, et de plusieurs ornemens de treillage d’un dessin très-agréable et d’une propreté surprenante. L’extrémité de l’isle est revestue de pierre de taille. On y voit douze jets d’eau qui sortent d’autant de bassins, au-dessous desquels est une cascade de toute la longueur de la pointe de l’isle et des deux canaux. On trouve dans la petite isle des allées de grands aunes, des palissades, un treillage en demi-rond, et une fontaine dans le milieu. Deux dragons de bronze semblent y combattre; il y en a un renversé qui pousse un grand jet d’eau, et l’autre en dégorge en abondance sur ce premier. Vis-à-vis de cette fontaine et à la pointe de la mesme isle, est un appartement de treillage composé de quatre pièces. Ces quatre pièces se trouvent sur un terrain qui a en face la vue du canal, à droite la prairie, et à gauche des jardins.

A l’issue de la promenade, monseigneur alla voir l’opéra, que monseigneur le prince avoit fait faire exprès, son altesse sérénissime ne voulant point donner de divertissement qui eût esté déjà vu. Le lieu mesme fut construit pour ce seul spectacle, et M. le prince ayant choisi l’orangerie de Chantilly, qui règne tout le long du parterre avec une terrasse magnifique, dit à M. Berrain d’y construire, non seulement un théâtre, mais aussi une salle magnifique. L’orangerie a soixante-dix toises de long et vingt-sept pieds de large. M. Berrain la divisa en trois parties, séparées par des portiques d’architecture, sans y comprendre le vestibule par où l’on y entre, et duquel on voyoit cette longue étendue éclairée de deux rangs de lustres. Il seroit difficile de trouver rien de plus magnifique et, dont les ornements fussent plus diversifiez. Plus on approchoit, plus on voyoit que la magnificence alloit toujours en augmentant; la dernière salle estant infiniment plus riche que la première, et le théâtre encore davantage.

»Le vestibule estoit orné de grands arbres qui cintroient et cachoient toute la voûte. Les pieds de ces arbres estoient dans une seule caisse qui régnoit tout autour du vestibule et qui estoit peinte en porcelaine et ornée des chiffres de monseigneur, avec des attributs de ce prince. On pouvoit prendre ce vestibule pour une très-belle allée. Ce vestibule estoit éclairé de plusieurs lustres; ce qui, parmi la verdure des autres, produisoit un effet très-réjouissant. On se sentoit excité à passer outre à travers un superbe portique, sous lequel il falloit passer pour entrer dans la pièce suivante. Il servoit d’ouverture à une galerie de seize toises de long sur vingt-six pieds de haut. Entre les lambris et la corniche, on voyoit une très-belle tapisserie toute d’une mesme suite et qui est nommée tapisserie de Vénus. Et au bout de cette galerie on montoit trois marches pour entrer dans la troisième pièce, qui estoit la salle de l’opéra; elle avoit cent quarante-deux pieds de long, en y comprenant le théâtre et l’orchestre. L’ordre de son architecture, ainsi que celuy de la façade du théâtre, estoit ionique composé. Entre les pilastres, des deux costez du théâtre, estoient deux grandes figures de ronde bosse, chacune de six pieds de haut: l’une représentoit la poésie, et l’autre la musique. Ce fut sur ce théâtre que l’on représenta l’opéra. Les vers n’en pouvoient estre que beaux, puisqu’ils estoient de M. Leclerc, de l’Académie françoise. Ils avoient été mis en musique par M. Lorenzany, maistre de chapelle de la feue reyne, dont les ouvrages sont fort estimez, et M. Pecour avoit fait les entrées qui composoient les divertissements, hors deux qui estoient de M. Lestang. Cet opéra, intitulé Orontée, fut chanté par l’Académie de la musique de Paris, et il y avoit outre cela trois des meilleurs musiciens de la musique du roy.

»L’ouverture du théâtre se fit par la représentation d’une grande et belle forest, que la diversité des arbres et des routes faisoit paroistre fort spacieuse. Lorsqu’on eut levé la toile, on vit le dieu Pan dans le fond de cette forest. Toute sa suite, sylvains, satyres et faunes, estoient en groupes en divers endroits. Il commença le prologue. Comme tous les vers qu’on y chanta regardent le roi et monseigneur le dauphin, je ne veux pas vous priver de la satisfaction que vous aurez à les lire. Voici ceux qui furent chantez d’abord par le dieu Pan. C’estoit M. Moreau qui faisoit ce personnage.

 
J’ai veu tous les règnes des roi
Célèbres par leurs exploits,
Et dans mon souvenir j’en conservois la gloire;
Mais depuis que Louis s’est fait voir à mes yeux,
Tous ces mortels sortent de ma mémoire,
Et je ne mets que luy dans le rang de nos dieux.
 

»Pan eut à peine achevé ces vers qu’une troupe de driades et d’hamadriades se fit voir. Voicy ce que chanta une des driades:

 
O gloire incomparable
De Louis!
Les siècles seront éblouis
A l’éclat admirable
De ses faits inouis!
 

»La décoration du premier acte représentoit le temple de Vénus.

......

»L’opéra finit par une feste galante que fit une troupe d’Égyptiens pour se réjouir d’une aventure qui leur donnoit un roy si digne de l’estre.

»Monseigneur marqua, avec l’honnesteté qui luy est ordinaire, qu’il s’estoit beaucoup diverty à cet opéra.

»Le mardy, qui estoit la troisième journée, Monseigneur conclut se donner le plaisir d’aller tirer dans le parc. Ce parc est d’une beauté merveilleuse; on y voit des costeaux, des plaines, des bois, disposez par la nature comme pour servir de retraite à toutes sortes de gibier. Ou y trouve une ménagerie; on y voit un grand salon orné de peintures représentant l’histoire d’Isis. Beaucoup de terrasses et de jardins champêtres font l’ornement de cette maison, dont une des cours est bordée de huit pavillons, tous séparez les uns des autres, et destinez à loger les animaux rares que monsieur le prince a fait venir des pays étrangers.

»Le prince, après avoir tiré toute la matinée dans ce parc, alla l’après-dîner à la chasse du cerf.

»Le vendredy, Monseigneur alla à la chasse aux perdreaux. Il se promena l’après-dîner; il traversa d’abord le parterre des orangers, et alla ensuite dans la partie du jardin qui est du costé du village de Chantilly. Il y entra par une grande porte qui est au milieu de la galerie des Arts. Cette galerie s’appelle ainsi, parce qu’elle est ornée de beaucoup de figures de cerfs au naturel, portant tous au col l’écusson des armes de MM. de Montmorency, et des maisons avec lesquelles ils avoient fait alliance.

»Monseigneur s’embarqua, avec tous les seigneurs de sa suite, pour aller prendre le divertissement de la joûte sur l’eau, et pour voir tirer l’oye. Les deux bâtimens sur lesquels Monseigneur s’embarqua avec ceux de sa suite estoient ornez de leurs pavillons et tendelets, et conduits par dix-huit habiles matelots. A mesure que Monseigneur avança, il découvrit de nouvelles beautez. Après la faisanderie, on trouve un grand jardin en terrasse, lequel finit de mesme que les jardins fruitiers qui sont au-dessus, à un grand rond, d’où descend sur le canal une grande allée, et ce qui la traverse va passer entre la teste et le corps de la grande cascade, et se termine au pavillon de Mars. Toute cette partie s’appelle le bois de Lude. Les arbres en sont parfaitement beaux et les palissades très-unies. Voilà tous les objets qui parurent à Monseigneur pendant le temps qu’il demeura sur le canal de la rivière. Au sortir de ce lieu-là, son bateau entra dans un canal de traverse qui porte ses eaux au pavillon de Manse. De ce canal on découvrit toute la prairie qui va jusqu’à la chaussée de Gouvieux. Tous ces canaux et toutes ces terrasses ont au moins onze à douze cents toises de long. De là on vint dans une écluse à trois portes.

 

»Si-tost qu’on les eut ouvertes, on vit comme une mer qui auroit rompu ses digues, se précipiter à grands flots roulant les uns sur les autres avec un bruit effroyable. Les bateaux ayant esté élevez à la hauteur du grand canal, on y entra au son des trompettes et des concerts de plusieurs sortes d’instrumens, qui estoient au bord du canal et sur le canal mesme, dans des bateaux.

»Le divertissement de la joûte et de l’oye estoit préparé dans le grand canal. Ce paysage estoit tout rempli de peuples, de mesme que les bords du grand canal. Quand ce divertissement fut finy, Monseigneur entra dans un bâtiment tout doré, construit à la manière de ceux dont se sert le roy de Siam, et que l’on nomme balons, dont sa majesté a fait présent à monsieur le prince. Il y avoit des luths, des téorbes, des basses de violes et des voix choisies dans la poupe de ce balon.

»Monseigneur eut le plaisir de voir pêcher. On prit plus de cinq cents poissons d’un coup de filet. Ce prince retourna en carosse et y tint appartement avant et après souper. Madame la Princesse et madame la princesse de Conty arrivèrent ce jour-là à Chantilly entre minuit et une heure.

»Le jeudy, qui estoit la cinquième journée, le prince ayant été averty que madame la duchesse et madame la princesse de Conty la douairière devoient partir de Versailles après le couché du roy, pour venir à Chantilly, se prépara à les recevoir. Monseigneur voulut aller aussi au-devant de ces princesses. Il partit à trois heures du matin. Elles furent reçues au bruit des trompettes et des timballes. Elles entendirent, peu de temps après, une harmonie champestre, et virent paroistre environ vingt-quatre faunes et satyres sur des chevaux caparaçonnez de feuillages.

»Monseigneur, qui s’estoit levé avant trois heures du matin, alla coure le loup à Merlou, au lieu de se mettre au lit.

»Le sixième jour, qui estoit le vendredy, Monseigneur alla coure le cerf avec les chiens de monsieur le duc de Mayne. On se rendit l’après-disnée dans les belles routes de la forest. Je ne sçaurois m’empescher de vous faire remarquer que ces routes sont toutes à perte de vue. Ce fut par ces routes que l’on alla jusqu’à un étang qui est au milieu de cette forest, et qui est appelé l’étang de Comelle. Cet étang peut avoir environ un quart de lieue de long, sur un demi-quart de lieue de large. Il est dans un fond. On avoit dressé une feuillée sur la chaussée, avec des tentes au milieu pour y mettre les dames. On trouva sur l’étang des bateaux couverts de leurs tendelets. A peine avoit-on achevé de s’embarquer, qu’on entendit retentir de tous costez le son de plusieurs troupes de hautbois et de trompettes, et, peu de temps après, un bruit de cors et de chiens qui firent lancer dans l’étang, à plusieurs reprises, un grand nombre de sangliers, de cerfs et de biches. Tous ceux qui estoient dans ces bateaux prirent leur party pour les attaquer, les uns avec des pieux, les uns avec des dards, et les autres avec des épées. Cette chasse dura environ deux heures et causa beaucoup de plaisir. On revint ensuite au chasteau, où il y eut appartement et opéra.

»Le lendemain, Monseigneur alla à la chasse au loup dans la forest. Les dames demeurèrent ce jour-là au chasteau, parce que le beau temps cessa. Au retour de Monseigneur, il eut avec elles le divertissement d’un concert dans l’appartement de madame la princesse de Conty. Les vers estoient de M. du Boulay, secrétaire de M. le grand-prieur, et la musique de la composition de M. de Lully, surintendant de la musique du roy.

»Il y eut encore ce jour-là appartement et opéra, et ensuite media-noche.

»Jamais on n’a vu tant de divertissemens dans un seul jour, et de tant de différentes manières, qu’il y en eut le dimanche, qui estoit la huitième journée. Ce jour là, après la messe, Monseigneur alla à la chasse du cerf avec les chiens de M. le grand-prieur. Au retour de la chasse, il se rendit avec ces dames dans la maison de Silvie, pour le repas que M. le prince lui donnoit.

»Silvie est une espèce de petit chasteau qui n’est composé que d’un appartement bas de quatre pièces seulement, percé en enfilade, et aboutissant d’un costé aux allées champestres d’un grand bois qui est à costé de la grande terrasse, vis-à-vis le vieux chasteau. On appelle aussi ce bois le bois de Silvie. On dit que ce nom de Silvie luy a esté donné par le fameux Théophile qui estoit attaché au service de M. de Montmorency, et qui, lorsqu’ils estoient à Chantilly, passoit une partie de son temps à resver agréablement et à faire des vers au bord d’une fontaine toute simple et toute naturelle, pour une maîtresse qu’il avoit appelée Silvie.

»On voit encore cette fontaine auprès de cette maison, et les petites murailles d’appui qui l’environnent et qui en servent à des bancs de marbre qui sont tout autour, sont ornez d’une infinité de vers galans qui y ont esté écrits par ce poète amoureux. Ce fut dans cette maison que monsieur le prince fit servir un retour de chasse à Monseigneur. Après qu’on eut mangé les entremets, comme on croyoit qu’on alloit servir le fruit, monsieur le prince dit à Monseigneur que, s’il en vouloit, il falloit qu’il se donnast la peine d’en aller chercher au milieu du labyrinthe où le dessert estoit servy. Monseigneur accepta la proposition avec joye, et l’on se leva de table pour aller dans ce labyrinthe; il est au milieu d’une partie de la forest. Dans cet espace, enfermé du costé de la grande chute d’eau, on voit un fort beau jeu de mail, et un de longue paume. Au-deçà est un grand manége, et à costé sont les jeux de l’arquebuse et de l’arbalestre, avec de grands portiques d’architecture. Voilà la situation du labyrinthe qui est si remply de détours, qu’il est presque impossible de ne pas s’y égarer et d’en trouver le milieu. On y doit trouver à l’entrée deux figures de marbre que monsieur le prince fait faire à Rome; l’une représentant Thésée qui entre dans le labyrinthe, et l’autre Ariane qui luy présente le fil dont il doit se servir pour assurer son retour. Une figure de minotaure, qui se fait aussi à Rome, doit estre au milieu. En d’autres enfoncemens, on trouve des bancs de marbre avec des cartouches portez sur des piédestaux. Sur chacun de ces cartouches est une énigme. En voicy que l’on trouve dans ce beau lieu:

 
«Si tu savois de quel endroit du monde
»On ne peut voir que trois aunes des cieux,
»Ce point de doctrine profonde
»T’élèveroit au rang des Dieux.
 
 
»Un bon vieux père a douze enfans,
»Les douze en ont plus de trois cens,
»Ces trois cens en ont plus de mille.
»Ceux cy sont blancs, ceux là sont noirs,
»Et par de mutuels devoirs
»Tous conservent l’accord à l’univers utile.»
 

»Parmi tant d’énigmes, on n’a pas oublié celle du sphinx, qui est si fameuse.