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Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse

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Les bonnes œuvres ne passent jamais qu’après le plaisir. Elle m’engagea à rester un moment. Sous un vain prétexte elle entra dans son cabinet: je n’étois point, comme la veille, en robe. Je l’embrassai, & en ménageant sa coëffure & ses habits, je la poussai sur son lit. Là, dans les transports de ma reconnoissance, je lui prodiguai des satisfactions incroyables: comme elle n’est pas ingrate, dans le même moment elle tâchoit de me les rendre, pour ne pas demeurer en reste. Elle se releva avec des couleurs charmantes, & telles que l’art ne peut les appliquer: rien n’égale celles qui sont broyées par l’Amour, & que la volupté dispense sans affectation.

Je me transportai chez le Président, à qui j’annonçai que peut-être dès le soir même nous souperions avec Rozette. Il se chargea de préparer la fête: nous fûmes au Palais-Royal nous entretenir de ce que nous pouvions faire pour la rendre brillante. Il fut conclu que nous irions à son jardin; que le Chevalier de Bourval s’y trouveroit; qu’il y conduiroit sa maîtresse; que lui Président y ameneroit la petite Tante de l’Opéra-Comique, & que j’aurois Rozette pour ma compagnie. La chose étant comme faite, nous nous séparâmes, & Laverdure eut ordre d’aller tout préparer. J’obtins du Président que je ferois les frais de la fête, puisqu’elle étoit faite pour moi. Nous nous séparâmes. Pour lors je me trouvois dans une grande inquiétude.

Pendant que j’étois à dîner avec mon pere il lui vint un exprès avec une lettre: le Secrétaire du Ministre lui écrivoit qu’il le prioit de donner son consentement à la sortie d’une nommée Rozette, enfermée à Sainte Pélagie, parce que le Ministre ne pouvoit refuser son élargissement à des personnes de la premiere considération. Mon pere vit bien ce que cela signifioit; après le dîner il me fit venir dans son cabinet; & pour n’en pas avoir le dessous, il me dit qu’il vouloit bien faire ce que je désirois; que je n’avois qu’à venir avec lui, qu’il m’alloit rendre Rozette; qu’il me demandoit en grace, si je l’aimois, de ne plus revoir cette fille, & de prendre le parti qu’on me proposoit, qui étoit une héritiere de condition, vertueuse, jeune & belle. Je l’embrassai & lui promis de lui donner toute satisfaction à l’avenir.

Nous montâmes en carrosse, & fûmes chez M. le Lieutenant de Police, qui remit à mon pere l’ordre de délivrance de Rozette. Mon pere, pour me donner la satisfaction en entier, me permit de l’aller retirer: & se doutant bien que je souperois avec elle, il me prévint qu’il ne seroit pas le soir au logis. Quel pere, cher Marquis! je ne puis vous exprimer tout ce que je sentois pour lui en cette rencontre.

Je volai à Sainte Pélagie. Je demandai à parler à la Mere Supérieure: elle vint assez promptement; mais trop lentement au gré de mon impatience. Je lui montrai l’ordre dont j’étois saisi. Après l’avoir tourné & retourné, elle me demanda qui j’étois; je le lui expliquai. Elle s’informa si je n’avois pas un frere Ecclésiastique. Je lui dis que non. Elle étoit en extase qu’il y eût quelqu’un dans le monde qui pût me ressembler si bien: elle ne soupçonnoit pas que j’eusse été effectivement ce Directeur aimable à qui toute la Communauté vouloit confier ses peines de conscience. On fit venir Rozette; je lui dis que j’avois l’ordre de sa délivrance, & qu’elle n’avoit qu’à aller faire son paquet.

Cependant arriva fort embarrassé mon ami le Docteur de Sorbonne, dont j’avois donné l’adresse. Il avoit reçu dix lettres le matin des Religieuses, qui le demandoient au confessionnal. Il faut remarquer que cet ami confesse quelquefois, mais rarement, & qu’il est laid à faire peur. On le produisit à la grille, où on l’attendoit. Dès qu’il se fut nommé on lui dit qu’il se trompoit, que ce n’étoit pas son nom, & que celui qu’on demandoit étoit bien d’une autre figure. Il en fut pour sa course. L’ayant rencontré en sortant, je le mis au fait de l’aventure: il est homme d’esprit, quoique Docteur de Sorbonne; il en rit & monta en carrosse avec moi. Survint aussi M. le Doux, qui me voyant me dit d’un air triste que la pauvre Rozette ne sortiroit point, qu’il venoit la consoler. Comment, lui repliquai-je, qu’est devenu votre pouvoir! Il soupira. C’est dans le temps où l’on croit que certaines personnes n’ont aucun crédit, & qu’elles le pensent elles-mêmes, qu’elles réussissent davantage. Je le remerciai de ses peines, & lui appris que Rozette alloit venir avec moi. Dieu soit loué, dit le saint homme. Rozette parut: quoiqu’en linge sale & assez mal mise, la joie lui avoit donné des couleurs charmantes. Elle embrassa la Supérieure, la Touriere, & ne fit qu’un saut de la porte du Couvent dans le carrosse. Quelqu’un qui nous auroit vus auroit bien mal pensé des deux Ecclésiastiques qui m’accompagnoient. Rozette fit la sage devant eux, & je lui en sus bon gré.

Après avoir remis mes deux Messieurs chez eux, je fus chez Rozette, où sa femme de chambre, par mon ordre, avoit tout préparé pour la recevoir.

J’envoyai dire au Président que ma maîtresse étoit libre. Avec quel transport ne revit-elle pas son appartement! elle eût embrassé, si elle l’eût osé, tous ses meubles. Plusieurs mois de captivité rendent la liberté bien chere; il faut l’avoir perdue pour en goûter tout le prix. Son premier soin fut de prendre un bain promptement & de faire une toilette complette. Ce fut alors qu’après s’être habillée le plus galamment qu’il lui fut possible, elle vint me sauter au cou, & en m’embrassant avec toute l’effusion de son cœur, elle me remercioit de mes soins.

Vous entendez bien, cher Marquis, par quelles marques je lui prouvai la joie que je goûtois de sa délivrance. Deux mois de loisir n’avoient pas fait perdre à Rozette son art à diversifier le plaisir: il fut mit dans toute sa force, & en moins d’une heure nous offrîmes plusieurs sacrifices de reconnoissance à la belle Vénus, qui certainement avoit été notre protectrice. Il me sembla qu’elle avoit répandu ses faveurs sur moi; car jamais je ne fus si ardent & si prodigue dans mes offrandes religieuses. Ah! charmante Rozette, que la Déesse de Cythere vous a d’obligation, & que vous êtes bien digne de partager les présents qu’on lui consacre.

Après m’être informé des facultés de ma bonne amie, elle me dit qu’elle avoit encore sept des louis que je lui avois envoyés: elle voulut me les rendre en m’ouvrant un coffre qui en contenoit plus de deux cens, sans plusieurs contrats bien conditionnés. Je ne voulus pas les recevoir, & j’y en ajoutai vingt autres pour elle, & vingt pour payer le souper que nous devions faire: elle s’en acquitta au mieux, & nous régala parfaitement.

Nous arrivâmes bientôt au rendez-vous: on nous y attendoit. Rozette fut embrassée de toute la compagnie avec transport. La petite Tante, son ancienne amie & la maîtresse du Chevalier de Fourval, qui la connoissoit, avoient pris part à sa détention & en prenoient beaucoup à sa délivrance. Le Président ne pouvoit se rassasier d’embrasser la nouvelle arrivée. Enfin nous nous mîmes à table; ce fut une satisfaction très-grande pour les convives de voir avec quel apétit Rozette dévoroit tout ce qui lui étoit présenté: tout étoit de son goût, & à chaque mets elle faisoit un commentaire de comparaison avec la nourriture qu’on lui apportoit dans son hermitage. Le dessert venu, elle commença à chanter, & un verre de Champagne à la main, elle but à la santé de son libérateur: nous fîmes chorus. Elle tint toute la conversation à nous décrire la façon dont elle étoit traitée en sa retraite.

Elle nous peignit une vieille Mere, âgée de soixante & dix ans, Directrice de toutes les pécheresses, & qui obligeoit toutes les nouvelles venues à lui raconter leurs aventures. Elle nous fit connoître un tartufe de Confesseur, qui la trouvant à son goût, s’étoit efforcé de la convertir. Enfin, depuis la premiere jusqu’à la derniere, elle me les contrefit toutes, déchira la Sœur Monique, cette curieuse impertinente, & ne regretta qu’une jeune Professe, avec laquelle elle nous avoua que, contre sa coutume, & uniquement par besoin, elle avoit passé des moments assez gracieux.

L’histoire finie, la petite Tante s’évertua: elle nous apprit pourquoi elle ne vouloit pas remonter sur le Théatre de l’Opéra-Comique. Elle fit la satyre de la charmante petite Brillant, qui vaut mieux qu’elle du côté de la nature, & qui lui est inférieure à certains égards. La maîtresse du Chevalier de Forval commença par des airs libres. Elle embrassa son voisin: sa voisine en fit autant; ainsi, comme de main en main, le libertinage prit une espece de circulation. Le vin de Champagne excitoit les esprits, chacun dit à l’envi les plus jolis propos du monde & chanta les vaudevilles les plus éveillés. Successivement Vénus se mit de la partie; le Président fut faire un tour, le Chevalier le suivit, ainsi que sa bonne amie: je restai seul avec Rozette. Ils sont bien occupés, me dit-elle; & nous, cher Conseiller, resterons-nous dans l’oisiveté? elle est la mere de tout vice. Elle se leva, se mit sur mes genoux, & en me tenant le visage entre ses deux mains, elle m’embrassoit légerement & déroboit des baisers sur ma bouche, qu’elle enflammoit par ce manege. Le feu étoit par-tout: après les réjouissances que nous avions faites chez elle, elle en parut surprise. Sa premiere idée fut d’en profiter. Encore une fleur, dit-elle en la touchant avec sensualité! je croyois avoir tout moissonné. Qu’elle est fraîche, que je la mette à mon côté: elle l’y mit en effet, & cette fleur, comme enchantée de se trouver si bien placée, se préparoit à lui prodiguer ses trésors: déjà la belle lui avoit fait part des siens. Alors Rozette, par un esprit d’économie, fit un pas en arriere, & me dit qu’elle réservoit pour la nuit un cadeau qu’elle me vouloit faire. Elle me remit mon bouquet & m’exhorta à le conserver jusqu’à ce temps. On se remit à table, & les liqueurs finies nous remontâmes, Rozette & moi, dans mon carrosse, & fûmes prendre du repos. Nos autres convives ne jugerent pas à propos d’en faire autant, & continuerent jusqu’au matin à se divertir. Je passai la nuit auprès de Rozette: elle se dédommagea amplement de la diete qu’elle avoit été forcée de garder pendant son séjour de retraite; & malgré ce que j’avois exécuté pendant la journée, je fus assez heureux de la satisfaire.

 

Rozette, au sortir du Couvent, étoit un Prothée; elle se changeoit entre mes bras: elle étoit lion pour le feu, serpent pour l’art de s’insinuer, onde & fleuve pour se dérober, & finissoit par être une mortelle au-dessus de toutes les Déesses.

Enfin, après avoir passé une nuit des plus voluptueuses, je la quittai le lendemain de très-grand matin: elle pleura en me voyant partir. Depuis ce tems, cher Marquis, selon que je l’avois promis à mon pere, je ne l’ai point vue d’habitude, excepté les quinze premiers jours. Cette fille est rentrée en elle-même; j’ai même contribué à son arrangement: comme elle avoit une douzaine de mille francs, elle s’est établie, a épousé un Marchand de la rue saint Honoré, riche, sans enfants, qui l’a prise pour compagne. Elle est maintenant attachée à son commerce, est heureuse avec son mari, qu’elle aime & qui lui rend la pareille. C’est une union de gens qui ont vu le monde. Je la vais visiter quelquefois, & je suis avec elle comme avec une amie, je l’estime même assez pour ne lui plus parler de galanterie.

M. le Doux me prophétisoit juste lorsqu’il me disoit que cette fille rentreroit en elle-même, parce qu’il y avoit toujours à espérer des personnes d’esprit. Rozette devroit servir d’exemple aux filles jeunes & jolies qui sont assez malheureuses pour se livrer au libertinage. Elles devroient dans leurs beaux jours se ménager une ressource, comme elle, au lieu de dissiper; mais comment espérer de la prudence de personnes assez folles pour s’abandonner à leurs passions sans réserve?

Pour moi, cher Marquis, j’ai rendu à Laverdure ses dix louis, & lui en ai donné dix autres. J’ai tiré mon coquin de Domestique de Bicêtre; je suis les avis de mon pere, & je suis actuellement épris d’une aimable Demoiselle, avec laquelle je serai peut-être assez heureux pour m’unir par les liens sacrés du mariage. Je compte que cet hiver cette affaire sera terminée: comme tu seras à Paris, j’aurai la satisfaction de t’y embrasser; tu viendras joindre les lauriers qui couvrent ton front aux myrtes que la belle Vénus & l’Amour préparent à ton ami. Mon bonheur sera parfait, puisque je serai certain que tu y prendras part. Adieu, cher Marquis; je t’embrasse, te souhaite à ton arrivée autant de satisfaction que j’en ai goûté pendant ton absence.

Fin de la seconde Partie