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Thémidore; ou, mon histoire et celle de ma maîtresse

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Lorsqu’il s’agit du soulagement de leurs freres tous les gens de parti sont très-ardents. M. le Doux fut en me quittant constater la vérité de ce dont je l’avois entretenu. N’ayant pu être instruit de tout en un jour il n’abandonna pas sa résolution.

Pendant ces recherches, instituées & suivies en faveur de Rozette, je m’amusai auprès d’une Dame assez connue dans le monde par sa grande ferveur, & qui quoiqu’à vingt-neuf ans, a déjà affiché la plus éminente dévotion.

Je passe à une femme de cinquante ans, qui a l’orgueil de vouloir se faire remarquer, d’abandonner le rouge & les mouches, de se mettre sous la direction d’un homme célebre, enfin de faire semblant de vouloir abandonner le monde; mais je ne pardonne pas à une veuve qui n’est pas encore dans sa trentieme année, qui a de l’esprit, du bien, des graces, de la beauté, qui peut faire les charmes du Public, d’aller se renfermer dans une société de Bigotes ou de Directeurs. Qu’arrive-t-il? Telle femme dit au monde qu’elle le quitte, afin que le monde l’engage à rester: hé bien! ce monde-là la prend au mot, & elle se trouve obligée à jouer par pique ce que dans le fond du cœur elle est au désespoir de pratiquer à l’extérieur. Aussi, cher Marquis, semblable vertu est bien sujette à se démentir: un souffle la dérange; & accoutumée à ne se soutenir que par la vue de ceux qui l’admirent, si elle se trouve seule avec elle-même, elle chancelle: je réponds moi qu’elle est tombée si jamais elle se rencontre vis-à-vis le plaisir.

Madame de Dorigny14 depuis un an étoit un exemple d’édification: la bonne odeur de sa charité étoit répandue dans tout le Marais. Je la voyais depuis quelque tems, & même elle avoit eu la bonté de me mener aux Sermons choisis du Pere Regnault; à ces Sermons qui se prêchent aux extrêmités de Paris, où on choisit exprès une petite Eglise afin d’y faire foule.

Un soir que j’avois collationné avec elle, elle se mit à médire de plusieurs Dames de ma connoissance d’une façon qui me parut indigne. J’oubliai alors les charmes de ses yeux, les agrémens de sa personne, & je ne vis qu’avec une espece d’indignation la plus belle main du monde, qu’elle affectoit de me faire remarquer, en prenant un soin particulier de me servir à diverses reprises les mets les plus délicats. Je commençai dès-lors à jetter les fondemens d’une punition qui pût lui être d’autant plus sensible qu’elle la privoit pour un temps d’une satisfaction, pour la jouissance de laquelle elle avoit sacrifié son appareil de vertu & ces beaux dehors, dont il n’y a que les sots qui soient dupes. Ne sachant trop où aller, après avoir quitté M. le Doux, je me fis conduire chez elle: son Portier me dit que Madame n’étoit pas visible. J’insistai; on fut lui dire mon nom: j’eus permission d’entrer. Elle vint au-devant de moi en robe courte, mais d’une étoffe des plus belles; en garniture simple, mais de points d’Angleterre, & avec des manchettes semblables, quoiqu’à un seul rang. La fraîcheur de son visage, & la sérénité qui y régnoit, étoient l’image de la paix de son cœur: le trouble devoit bientôt y exciter une cruelle tempête. Elle tenoit en ses mains un gros livre relié en maroquin noir; elle me dit qu’avec ma permission elle alloit achever ses petites heures: elles me parurent bien longues. En attendant j’examinai l’ameublement, qui étoit d’un goût exquis. Je parcourus des yeux ce cabinet, où il brilloit un luxe étudié, & où je voyois par-tout des meubles qui n’avoient pas été inventés par la mortification. Il n’y a que les mondains qui ignorent l’art de se procurer les véritables commodités de la vie.

L’office fini, mon aimable Dévote vint me rejoindre, & par un air presque étourdi, elle sembloit me dire que pour être une Sainte elle n’en étoit pas moins charmante. Notre conversation roula sur la conduite qu’on tenoit dans le monde, sur les spectacles, les cercles, les parties, &c. Le tout pour avoir occasion d’en médire, & cependant d’en entendre faire l’histoire. On mit sur le tapis les aventures galantes de madame de Brepile, de madame de Selrez & de quelques autres. On parla des miennes, & on me dit, d’un air d’amitié, qu’en conscience je ne pouvois pas porter ma figure, parce qu’elle étoit capable de faire naître des désirs. J’en avois effectivement déjà excité chez madame de Dorigny; ses yeux me le disoient, & dès ce jour il n’eût tenu qu’à moi d’en avoir une confirmation. Ses regards me signifierent qu’elle m’aimoit, qu’elle me le déclaroit: les miens furent assez barbares pour ne lui pas rendre sa déclaration. Elle me parla d’un livre, qui, à ce qu’elle disoit avoir entendu dire, faisoit un grand bruit dans le monde: elle me le demanda; je lui répondis que je l’avois, mais qu’il étoit écrit trop librement, & qu’elle en seroit scandalisée. Elle parut de mon avis; mais elle revint à son but par un détour, en s’informant si tout le livre étoit du même style. Je lui répliquai qu’il y avoit des endroits que toute personne pouvoit lire. Ce sont ces endroits-là que je veux examiner, reprit-elle, afin de décider si cet ouvrage est aussi bien dicté que le publie la renommée, qui exagere toujours. Je n’exagere point moi, lorsque je vous affirme, cher Marquis, que ma Dévote n’étoit plus maîtresse d’elle-même. Je lui promis de le lui envoyer le lendemain: elle l’exigea pour le soir. Je le lui fis tenir, & par malice je glissai dedans deux estampes capables de rallumer des feux qu’une jeune veuve doit ressentir avec plus de violence, parce qu’elle en a encore les dernieres étincelles en son ame.

Je retournai le lendemain, en sortant du Palais, savoir si mon livre avoit plu: je le savois à n’en pas douter. On me dit qu’on n’en avoit encore parcouru que quatre pages, mais qu’on en étoit assez contente. Elle ne m’en imposoit pas avec son ingénuité; je suis trop convaincu qu’une femme est sans réserve lorsqu’elle entre dans la carriere de l’amusement. Je fus invité à dîner. Je ne me fis point prier: je renvoyai mon carrosse. On me vanta beaucoup l’esprit d’un certain Ecclésiastique qui devoit nous faire compagnie. Il vint, je ne trouvai qu’une espece de béat; sans doute, qu’il ne brilloit que quand il étoit à table tête à tête: son esprit n’étoit pas un esprit de trois couverts.

Notre dîner fut des plus sensuels; le café qui le suivit m’embaumoit: si j’étois à mon particulier je voudrois une main dévote pour m’apprêter tous mes besoins. Un tiers nuisoit à la conversation que nous devions avoir madame de Dorigny & moi; elle écarta pieusement le saint homme en l’envoyant porter à l’autre extrêmité de Paris du soulagement à quelques malades. D’une main la jeune veuve répandoit des bienfaits, de l’autre elle appelloit le plaisir & écartoit les obstacles. Les passions ont toutes leur politique particuliere; mais la plus sure est celle qui est couverte de l’extérieur de la réforme.

J’étois assis auprès de madame de Dorigny; soit par négligence, ou soit par la faute d’une épingle, on appercevoit au-dessous de son mouchoir de cou l’extrait d’une gorge d’une blancheur éblouissante. Je lui en fis compliment; elle rougit. Sa mule, de couleur noire, étoit si petite qu’à peine pouvoit-elle lui servir; un mouvement léger causa sa chûte, je la ramassai & ne pus m’empêcher de me récrier sur une jambe dont j’avois apperçu toute la finesse. On me pria de glisser sur ces choses. De la jambe à la gorge, de la gorge à la main, de la main à la taille, toute sa personne étoit pour moi l’occasion d’un éloge: insensiblement notre conversation s’anima, & chaque chose dont je faisois le panégyrique servoit à trouver dans telle ou telle Dame de notre connoissance un défaut opposé à cette perfection. J’en fus choqué, & si je jouai le passionné, ce fut pour punir cette belle médisante. Enfin, de propos en propos, après avoir baisé sa main, j’osai m’approcher de sa gorge & de son visage: elle voulut détourner le coup; mais sa bouche vermeille, qui n’entendoit rien à telle défense, reçut les marques de mon ardeur, qui ne lui étoient pas destinées. Un baiser en exige un second; le second trouva moins de résistance: après m’être donné tout le temps d’amener une attaque éclatante, avec la plus mauvaise volonté du monde & la plus grande malignité, je redoublai mes efforts. Ne gardant plus de mesure, j’enleve madame de Dorigny entre mes bras; je la transporte sur un lit de repos dans son cabinet; j’en ferme la porte & je lui demande à genoux le pardon d’une offense dont jamais femme ne s’est offensée. La belle ouvrit mollement les yeux; la foiblesse les lui referma, & poussant un soupir, elle me dit d’une voix tendre: ah! cher Conseiller, je me damne. Et moi je me sauve, m’écriai-je; & aussi-tôt je courus à la porte pour sortir. Ce mot la réveilla: jugez dans quelle fureur elle entra alors. En un moment le feu pétilla dans ses yeux, la colere fermenta dans son cœur, s’étant relevée avec fureur, elle s’avança vers moi pour m’accabler de reproches. Je n’avois pu ouvrir le cabinet, parce qu’il y avoit un ressort secret. Je fis de cette nécessité une ressource; je me retourne vers elle & lui dis en riant, que ce que j’en avois fait étoit une plaisanterie. Comme elle n’écoutoit pas mes raisons, & qu’elle exigeoit une réparation, je la regardai tendrement: elle m’envisagea de même; des larmes coulerent de ses yeux. Quel cœur n’eût pas été attendri? Je m’approche d’elle, je la reprends entre mes bras, & dans les effusions de mon repentir je lui fis goûter que c’étoit un bonheur pour elle que j’eusse failli, & que ma faute étoit la plus heureuse du monde. Ah! cher Marquis, que j’éprouvai de délices! Que je bénis mille fois ce fortuné ressort qui m’avoit forcé à jouir de mon bonheur. Deux heures se passerent à gémir sur ma faute, & je ne quittai ma belle qu’après en avoir obtenu mon pardon en doublant & triplant mes œuvres satisfactoires.

 

Je me retirai vers le soir, avec promesse de revenir. Je n’y ai pas manqué depuis, le plus souvent que j’en ai trouvé l’occasion. J’ai conservé du goût pour la pénitence, & madame de Dorigny en garde pour la volupté, la critique & la simagrée. Après tout, j’aurois été un grand sot de n’avoir pas profité de mon aventure: j’aurois puni la médisance, je n’aurois pas détruit le mal, & je me serois privé d’un plaisir inexprimable. Profitons de l’occasion, & pour mortifier les autres ne nous interdisons pas le plaisir: sa fleur ne dure qu’un jour; insensé qui la laisse périr sans en avoir éprouvé les douceurs.

Monsieur le Doux étoit enfin sûr de l’exactitude de mon rapport, & ne doutoit plus que je ne lui eusse accusé juste. Il avoit trouvé le moyen de parler à Rozette, qui, pour cette fois, ne s’étant pas livrée tout d’un coup par ses réponses, en avoit donné assez à entendre à son futur libérateur, qui lui promit de la revenir voir. Ce fut dans cet esprit de contentement que le saint homme vint me trouver & me protester qu’il me rendroit service, en m’assurant que le soir il seroit en état de porter de bonnes nouvelles à la prisonniere. M. le Doux avoit obtenu par amis un ordre de monsieur le Lieutenant de Police pour parler à Rozette à sa volonté. Cependant il en avoit touché quelque chose auprès de mon pere, qui n’avoit point voulu absolument y entendre. M. son Directeur en cette circonstance n’avoit pas eu plus de privilege qu’un simple ami.

La visite devoit se faire le soir même; je fis ce que je pus pour déterminer mon protecteur à me laisser l’accompagner, afin de m’entretenir avec Rozette: il me refusa, & si j’en vins à mon honneur, ce fut malgré lui, & j’en eus obligation à Laverdure.

J’étois triste & rêveur après le dîner. Le Président m’envoya son Domestique affidé pour me demander si je voulois faire un médiateur chez mademoiselle de l’Ecluse. Vous la connoissez, cher Marquis; c’est la femme soi-disant d’un Officier, qui donne à jouer pour l’amusement des autres & pour son profit. Il s’y rencontre assez bonne compagnie en hommes & assez libertine en femmes. Il ne se passe rien dans cette maison; mais il est bien commode d’avoir quelques endroits dans Paris où on puisse voir aisément de jolies personnes sans scandale, & en choisir à son gré sans avoir la réputation & l’air d’en chercher par besoin. Je fis faire réponse que je m’y rendrois sur les huit heures. J’étois instruit qu’il s’y trouvoit depuis peu une jeune Provinciale qui venoit solliciter un procès à Paris. Tel est mon cœur, il est avide de tout, & ressemble en amour & en volupté à ces enfans qui ont envie de tout ce qu’ils voient.

Cependant je m’étois entretenu avec Laverdure des moyens de voir Rozette. Je lui avois parlé de la visite que lui devoit faire ce jour même monsieur le Doux. Il ne trouva rien de si simple que de l’y accompagner, & m’ouvrit son sentiment. On s’imagineroit que ce garçon avoit la tête remplie de stratagêmes, & que, nouveau Mascarille, ses ressources se varioient à l’infini. Point du tout; il n’a qu’un seul chemin; il ne connoît qu’une seule façon de se tirer d’intrigue: quoique ce soit toujours la même, la même lui réussit toujours; avec lui on n’a pas la surprise de l’invention, on n’a que celle de la réussite. Je m’abandonnai à lui. Il s’étoit travesti pour parler à Rozette, il jugea à propos que je me déguisasse aussi pour jouir de la même faveur. Il me conseilla de m’habiller en Ecclésiastique & de me mettre dans le même appareil que monsieur le Doux, n’étant point embarrassé comment il se conduiroit pour le reste. Le parti accepté, j’écrivis aussi-tôt à un Abbé de mes amis, Docteur de Sorbonne, de m’envoyer une soutane, un manteau long, un rabat & le reste de l’ajustement. Sans soupçonner l’usage que j’en espérois faire, & même sans daigner s’en informer, il me fit tenir ce que je lui avois demandé. Le tout porté dans la chambre de Laverdure, je m’équipai en Ecclésiastique. La perruque qui couvroit mes cheveux avoit un air modeste, mais étoit peignée & arrangée comme par les mains de la régularité: la calotte, qui en couvroit une partie, étoit très-luisante & brilloit avec affectation. Enfin mon extérieur étoit uni & recherché, & j’avois, sauf mes yeux qui sont toujours libertins, la représentation d’un saint Directeur, jeune à la vérité, mais qui n’en est que plus chéri des bonnes ames.

Je ne me trouvai point du tout emprunté sous cette nouvelle forme; j’ai porté le petit collet à Saint Sulpice plusieurs années, & les médisants ont attribué à cela le fond de galanterie qui fait mon apanage. Je m’enfonçai dans une chaise à porteur, & Laverdure me suivit à Sainte Pélagie. Il s’informa s’il n’y avoit point un Ecclésiastique de telle & telle façon qui fût entré; on lui dit qu’il y étoit depuis une demi-heure. Il demanda ensuite si son Maître n’y étoit pas; on lui repliqua qu’on ne connoissoit pas son Maître: alors feignant d’être embarrassé, il dit qu’il seroit grondé; que son Maître étoit monsieur l’Abbé de Calamort, Abbé d’une Abbaye qu’il institua subitement, & qui devoit être avec cet Ecclésiastique qui étoit entré, puisqu’il avoit une permission de monsieur le Lieutenant de Police pour visiter aussi le Couvent. Il dit, & sortit pour m’avertir d’entrer.

Il me précéda en disant à la Touriere: ma Sœur, voici mon Maître, conduisez-le au parloir où est monsieur le digne Prêtre qui est déjà entré. La bonne fille ouvrit la porte. J’avançai, non sans trembler, & sans rire en même-temps. Sur mon passage je fus examiné par plusieurs Religieuses ou Pensionnaires, que je ne regardai pas par crainte: le Couvent en fit honneur à ma modestie. Quelle fut la surprise de monsieur le Doux en me voyant! Que faites-vous, monsieur le Conseiller, s’écria-t-il! vous voulez donc nous perdre? Heureusement il n’y avoit personne qui pût nous entendre. Rozette fut transportée de joie: sans ce que venoit de faire le saint homme elle eût eu peine à me reconnoître. Paix, dis-je au Directeur: la chose est consommée, il s’agit de ne pas faire de bruit. Il voulut me haranguer; mais je lui fis sentir l’inutilité de son sermon, & combien il seroit mal placé. Je dis à Rozette les choses les plus vives & les plus expressives; je lui glissai une lettre qui étoit toute prête, dans laquelle je l’avertissois que le lendemain je reviendrois si je pouvois réussir. Monsieur le Doux, qui étoit sur les épines, termina la conversation & la visite en donnant parole à Rozette que dans trois jours elle ne coucheroit pas à Sainte Pélagie, & en l’exhortant à rentrer en elle-même & à se conserver dans ses bons sentiments. Il y a toujours de la ressource avec les personnes d’esprit, me disoit monsieur le Doux; je ne désespere que des sots: cette fille a beaucoup d’intelligence.

Nous sortîmes, & en sortant je fus considéré par quelques Religieuses, qui aparemment avoient du goût pour les Ecclésiastiques de figure revenante. Je renvoyai mes porteurs & montai en Fiacre. Ce fut alors qu’il me fallut essuyer les remontrances les plus raisonnables & les plus légitimes. Monsieur le Doux, quittant le caractere de son nom, me traita durement, me reprocha que je profanois l’habit de l’Eglise, que je le rendois complice d’un crime affreux, & que puisque je n’avois pas plus de tête, ni de religion, il ne me verroit plus; qu’il avertiroit mon pere de ma conduite, & qu’il abandonnoit Rozette. Ce dernier article me touchoit plus que tous les autres.

Je lui demandai excuse, je lui promis d’être plus retenu & je fis tant par mes caresses qu’il s’adoucit: sur-tout lorsque je lui eus reproché qu’il n’étoit pas juste qu’une fille qui souffroit pour la vérité fût malheureuse plus long-temps par mon imprudence.

Je le descendis chez lui. Je changeai promptement d’habits aussitôt que je fus arrivé chez Laverdure. Ce qui est plaisant, c’est que le Cocher, que je payois libéralement, me dit, en me saluant d’un air malin, que je n’étois pas si méchant qu’un certain jour où je l’avois bien battu, & que le Seigneur m’avoit fait une grande grace de me faire Prêtre: & en montant sur son siege il ajouta qu’il me souhaitoit une bonne cure. C’étoit ce coquin de Fiacre qui m’avoit conduit chez Rozette deux mois auparavant, & que mon pere avoit trouvé dangereusement malade à la Villette.

Il étoit près de neuf heures lorsque je rendis ma visite à madame de l’Ecluse: j’y trouvai de jolies femmes, & le Président, qui étoit fort occupé auprès d’une. Content & joyeux de la réussite de l’entreprise que je venois d’exécuter, je communiquai ma joie à toute la compagnie: je fis même des folies, jusqu’à un point, qu’une Dame de plus de quarante ans, & très-grave, devint amoureuse de moi. Elle en fut pour ses avances; car ma foi je n’avois pas la moindre petite tentation d’y répondre. Le temps viendra où pour mon malheur je me trouverai dans le même cas: alors, sans espoir pour l’avenir, je m’amuserai du passé, & cette considération pour un vieillard équivaudra aux espérances de la jeunesse: un retour sur ce qui a précédé ne vaut-il pas un prospectus de ce qui peut arriver quelque jour?

Je refusai ce soir-là plusieurs soupers fort bien composés; & devant faire le lendemain une folie, je voulus m’y préparer par la sagesse. Je demeurai à la maison, & fis compagnie à mon pere assez tard, après quoi je me retirai à mon appartement, où je reposai tranquillement toute la nuit.

Dès le lendemain matin je vis arriver Laverdure, qui s’informa de la façon dont tout s’étoit passé. Je la lui racontai: il m’encouragea à y retourner le soir; je lui promis de n’y pas manquer. Je lui ordonnai de dire à son Maître que je le retenois pour souper le surlendemain absolument, & qu’il ne s’engageât à rien avec personne.

En même-temps je reçus une lettre de madame de Dorigny, qui me prioit de passer chez elle. Cette lettre étoit écrite de façon à pouvoir être lue du plus sévere Casuiste, & cependant des plus expressives pour quelqu’un qui comme moi avoit la clef de ses sentiments & de son cœur. Je fis réponse que je m’y transporterois dans l’instant. Je montai en carrosse, & quoiqu’en robe de Palais je lui fis ma visite, excusant mon habillement sur la passion que j’avois de lui faire ma cour. Elle me reçut à sa toilette: les Dévotes en ont une moins brillante que celle des coquettes du monde; mais plus choisie, & mieux composée. Les odeurs qui remplissoient les boîtes n’étoient pas fortes & en grande quantité; mais elles étoient douces & répandoient un parfum suave qui embaumoit légerement la chambre & vous flattoit délicieusement l’odorat. Son linge de nuit, garni d’une dentelle, petite, mais fine, étoit travaillé avec goût; sa robe de Perse, son jupon de satin piqué, ses bas extrêmement fins, ainsi que sa chaussure; enfin tout son déshabillé accompagnoit bien sa taille & sa figure. Ses yeux se fixerent sur moi tendrement, les miens lui rendirent ce qu’ils inspiroient, & pendant qu’on nous préparoit un chocolat voluptueux, je m’approchai d’elle & cueillis sur sa bouche un nectar tel que celui qui étoit préparé pour les Dieux.

Je ne fus point tenté alors de me sauver. Je contemplois l’heureuse situation dans laquelle elle étoit; mais un miroir me faisoit appercevoir qu’en perruque longue & en robe je ne pouvois me hazarder sans péril. Je l’embrassois néanmoins: ses belles mains me serroient avec transport: animés tous les deux, elle voulut bien, pour cette fois seulement, après avoir tiré des rideaux de damas qui déroboient presque la lumiere, se prêter à ma commodité, ou plutôt à la nécessité. Oui, cher Marquis, dans un lieu embelli par le goût, disposé par la délicatesse & le plaisir, je contemplai sans obstacle la divine madame de Dorigny.

Placé sur un sofa violet, & elle à mes côtés, exerçant en cette attitude la fonction de Juge, ayant mis un bandeau sur mes yeux & couvrant les siens de mille baisers, je rendis à ses charmes toute la justice qui leur étoit due. Quel bonheur de prononcer un Arrêt, quand on le met ainsi soi-même à exécution.

Ne pouvant demeurer plus long-temps, parce que l’heure du Palais me pressoit, je la quittai avec peine, & courus où mon devoir m’appelloit; mais où il ne me devoit pas causer tant d’amusement. Cher Marquis, si vous devenez sensuel, délicat & raffiné en plaisirs, prenez-moi une Dévote pour amie, vos vœux seront comblés: elles seules ont la clef du bonheur; il faut qu’elles vous introduisent elles-mêmes dans son temple.

 

Mon premier soin, vers les quatre heures du soir, fut de me transporter chez Rozette. A mon habillement & à la visite de la veille on me laissa entrer. Une Mere vint m’entretenir en attendant l’arrivée de celle que j’avois demandée: je ne m’ennuyai pas, parce qu’elle me laissoit voir un visage frais, & une gorge qui s’élevoit de temps à autre avec une grande envie de se faire remarquer. Le bruit s’étoit répandu dans la Communauté qu’il y avoit un Ecclésiastique au parloir S. Jean, qui étoit beau comme l’Amour: les filles de Couvent outrent tout.

Là-dessus les Meres, Novices, Sœurs, Pensionnaires vinrent successivement me regarder, sous prétexte qu’on les démandoit à la grille. J’eus la satisfaction de voir de jolies physionomies. Quel dommage de tenir en cage des oiseaux si charmants & qui ne demanderoient qu’à voltiger! Rozette arrivée me remercia de ma visite: nous nous dîmes mille tendresses, nous nous embrassâmes autant que nous le pouvions au travers des grillages. Je lui protestai que je la tirerois de sa captivité dans peu: elle me protestoit un amour éternel. Pendant que nous étions collés pour ainsi dire contre les barreaux, une Religieuse, qui nous vit, crut que je la confessois, & le dit à ses compagnes.

Depuis près d’une heure que j’étois avec ma chere amie, mon tempérament étoit devenu extrêmement violent: il étoit encore animé par l’obstacle. Celui de Rozette, qui se reposoit depuis long-temps, étoit au moins égal au mien: n’entendant venir personne, nous nous hazardâmes à une entreprise difficile.

Je montai sur une chaise; elle fit de même de son côté: malgré l’embarras de mon habit, la crainte qu’il ne vînt quelqu’un, & les barreaux maudits, par son adresse & la mienne, je touchois au séjour de l’amusement. Dix fois j’y eusse trouvé mon bonheur en tout autre lieu; mais soit que la visite que j’avois rendue le matin très-amplement à madame de Dorigny me nuisit alors, soit que ce grillage fût funeste par sa fraîcheur, je ne profitois pas de ma position. Cependant j’étois justement sur le point de conclure mes projets; déjà un petit frémissement secret, avant-coureur du succès, m’avertissoit de ma félicité; déjà Rozette y avoit contribué deux fois, & pour la troisieme s’y livroit encore, lorsque nous entendîmes du bruit: tout fut perdu, nous nous remîmes en notre place. Le destin des entreprises ne dépend jamais que d’un instant. Une imagination comme la vôtre, cher Marquis, se représente aisément combien étoit plaisante notre attitude.

J’ai beaucoup d’estampes, très-gaillardes, mais aucune des miennes ne copie une situation dans ce goût: c’est bien-là un sujet à burin. Si je voulois plaisanter, je vous dirois que je ne comprends pas comment toute la grille n’a pas fondu, se trouvant ainsi entre deux feux.

C’étoit une Touriere, dont la marche heureusement pesante nous avertit de son arrivée. Elle me dit que deux Meres & trois Sœurs me demandoient au confessionnal. Il est bon de savoir que lorsque quelque Prêtre vient souvent dans une Communauté, & qu’il a le bonheur de plaire, il est accablé par les Religieuses, qui veulent lui ouvrir l’intérieur de leur conscience. Un Directeur de vingt-quatre ans ne seroit pas mal le fait d’une douzaine de Cloîtrées: une douzaine de gentilles Cloîtrées ne le seroient que trop d’un Directeur de cet âge.

Je répondis à la commissionnaire que je ne pouvois pour le présent; que j’en étois fort mortifié, mais que le lendemain à la même heure je donnerois à ces Dames le temps qu’elles exigeroient; que je me ferois un honneur de me rendre à leurs ordres. On porta ma réponse, on me pria de ne pas manquer à ma parole, & l’on me demanda mon adresse, au cas que quelqu’une des Meres se trouvât incommodée: je donnai celle de mon ami, Docteur de Sorbonne. Craignant d’être encore importuné je me retirai. J’ai oublié de dire que depuis deux jours Rozette étoit un peu mieux, & qu’à cause du bonheur qu’elle avoit eu, disoit-on, d’aller à confesse à moi, chacune voulut lui rendre visite ce soir-là. Il y eut même quelques Religieuses qui désirerent être filles du monde, pour avoir la satisfaction de raconter leurs aventures à un Confesseur aussi doux que je semblois l’être. Rozette eut soin de dire à celles qui lui parloient de moi, que ma physionomie étoit trompeuse (c’étoit vrai dans un autre sens) & que sous mon extérieur doux & politique j’avois un cœur qui étoit très-rigide pour les pécheresses. La malicieuse se jouoit de la simplicité de ces béguines.

Au sortir de Sainte Pélagie, ayant repris mes habits, je fus trouver monsieur le Doux, qui arrivoit, très-fatigué, & qui, depuis le matin, avoit couru pour intéresser plusieurs saintes ames à la délivrance de ma maîtresse. Il me confia que le lendemain elle sortiroit, malgré mon pere, s’il ne vouloit pas y consentir; que ses amis le lui avoient promis, & que quand il se mêloit de quelque chose il réussissoit absolument & malgré tous les obstacles. Il me dit que le soir il souperoit au logis, & qu’il ne falloit pas que je m’y trouvasse; je le remerciai, &, suivant ses ordres, je fus chercher compagnie. Pour la premiere fois de ma vie je la cherchai raisonnable. On fut étonné en me voyant arriver chez le Comte de Montvert; on m’en fit compliment: je m’y entretins de choses très-intéressantes, soit de la guerre, soit de la politique particuliere. Je mêlai mes éloges à ceux qu’on faisoit de notre Auguste Monarque, duquel, cher Marquis, vous me parlez dans toutes vos lettres avec tant de respect, d’admiration & d’amour. Je vous dirai que je vous estime d’autant plus, que vous rendez plus de justice à un Prince qui égale dès maintenant les Louis XII par son cœur paternel, & les Philippe-Auguste par sa valeur.

Le destin est ordinairement favorable à ceux qui se comportent sagement, du moins il le fut pour moi en cette rencontre. Après le souper on joua pour passer un moment. Monsieur le Comte, qui est d’une santé infirme, s’étant retiré, le jeu s’échauffa. On proposa un lansquenet, j’y hazardai quelques louis. La fortune me favorisa; plus d’un particulier se piqua, & insensiblement, sans presque avoir manqué une seule réjouissance, je me trouvai avoir gagné plus de deux cens vingt louis. La séance finit à mon grand contentement. J’employai une partie de la nuit à songer à mon bonheur & à remercier le Ciel de m’avoir envoyé cette somme dans un temps où elle m’étoit extrêmement nécessaire.

Le lendemain matin encore une lettre de madame de Dorigny: nouvelle invitation au chocolat. M. le Doux vint m’apprendre que mon pere ne vouloit pas absolument que Rozette sortît, & que leur dispute à ce sujet avoit été extrêmement vive; qu’il étoit embarrassé. Comme il me décrivoit ses inquiétudes, mon pere entra, qui, voyant chez moi son Directeur, se douta du sujet qui l’y avoit conduit: sans autre préambule, d’un ton ferme & mâle, il nous dit que Rozette ne sortiroit de dix ans de sa prison, & que je me repentirois de mes démarches. M. le Doux ayant voulu faire quelques représentations, mon pere repliqua un peu durement. M. le Directeur lui ayant dit d’un ton benin & imposant qu’on la feroit bien sortir sans lui, mon pere l’en défia & le piqua d’honneur. Il n’en fallut pas davantage: il n’étoit pas nécessaire d’être fin pour appercevoir qu’un Dévot n’est jamais défié en vain. Il sortit, réunit toutes ses batteries, & intéressa sur-tout madame de Dorigny. Une heure après je me rendis chez cette même Dame: son carrosse étoit prêt, & elle étoit déjà descendue. Mon apparition la fit remontrer: elle me dit qu’elle n’avoit qu’un moment à m’entretenir, parce qu’il falloit qu’elle se trouvât avec deux Dames de la premiere condition, pour obtenir du Ministre, qui étoit alors à Paris, l’élargissement d’une honnête fille enfermée à Sainte Pélagie, qui lui étoit recommandée par un saint Ecclésiastique. Je ne lui dis point que je savois ce dont il s’agissoit; je l’exhortai à cette bonne œuvre, & voulus prendre congé d’elle, pour ne la pas arrêter plus long-temps.

14J’en ai déjà parlé page 106 de la premiere partie: c’étoit une de celles qui avoient insulté à mon malheur.